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Commission de la défense nationale et des forces armées

Séance du 20 mai 2009 à 10h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • afghane
  • afghanistan
  • militaire
  • pakistan

La séance

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Compte rendu d'un déplacement en Afghanistan du 8 au 15 février 2009 (M. Pierre Lellouche, rapporteur d'information)

La séance est ouverte à dix heures

PermalienPhoto de Guy Teissier

Pierre Lellouche doit nous rendre compte du déplacement qu'il a effectué en Afghanistan en février dernier dans le cadre de la mission d'information qu'il conduit. Il s'y est rendu seul, M. Lamy étant mobilisé par d'autres responsabilités. Notre collègue pourra également nous présenter un premier bilan de son action depuis son nomination le 10 mars en tant que représentant spécial de la France pour l'Afghanistan et le Pakistan.

PermalienPhoto de Pierre Lellouche

La mission bipartisane d'information et d'évaluation de l'opération militaire française en Afghanistan correspondait à une demande que j'avais formulée dès le printemps 2008, sachant combien la situation là-bas était difficile. L'embuscade d'Ouzbine ainsi que notre vote du 22 septembre décidant de maintenir nos forces sur ce théâtre ont finalement conduit à sa création. Depuis, les choses ont évolué, puisqu'à la suite de nos travaux et de la nomination de Richard Holbrooke comme représentant spécial des États-Unis pour l'Afghanistan et le Pakistan, le Président de la République a décidé de me confier des fonctions analogues pour la France. J'évoquerai donc les travaux que j'ai conduits pour le compte de la commission comme ceux menés en tant que représentant spécial.

L'engagement politique et militaire de la France est structuré par la lettre du Président de la République adressée en février 2008 aux chefs d'États et de gouvernements des pays membres de l'OTAN. Il y demandait la mise en oeuvre d'une autre politique en Afghanistan, qui se traduirait par la définition d'une stratégie « intégrée », comportant, à côté du volet sécuritaire, un volet gouvernance et surtout un volet développement économique. Cette demande a été satisfaite à l'occasion du sommet de l'OTAN, qui s'est tenu à Bucarest en avril 2008, par l'adoption d'une telle stratégie, confirmée par la communauté internationale lors de la conférence des donateurs organisée à Paris le mois de juin suivant à l'initiative de la France. Le ralliement aux vues françaises s'est trouvé conforté grâce au soutien de l'administration Obama élue en novembre 2008, puis en décembre lors de la conférence de La Celle Saint-Cloud, qui a concrétisé une dimension supplémentaire également voulue par la France : une approche régionale soulignant que pour traiter de la crise afghane il fallait également se préoccuper du Pakistan.

À la tête d'une mission interministérielle, directement inspirée par les travaux menés pour la commission de la défense, j'ai été chargé de conduire la remise à plat de la stratégie française en Afghanistan, de formuler toute proposition utile et de mettre en oeuvre, sur le terrain, une stratégie cohérente de développement économique et de soutien à la bonne gouvernance. Tranchant avec notre bureaucratie habituelle, cette cellule interministérielle rassemble au Quai d'Orsay une douzaine d'agents, parmi lesquels des diplomates, un gendarme, un représentant de l'état-major, un expert des questions de drogue et des experts du développement provenant du ministère de l'économie et des finances et de l'agence française de développement (AFD). Cette équipe, dans laquelle le ministère de l'agriculture doit encore détacher un agent, bénéficie également d'expertises extérieures. En outre, sur décision du Président de la République et grâce aux arbitrages du premier ministre, des moyens supplémentaires ont été débloqués. Cela permettra de mettre un terme à ce déséquilibre que mon collègue François Lamy et moi avions observé en octobre dernier dans notre précédent rapport entre un engagement militaire évalué à 200 millions d'euros annuellement et une action civile limitée à 11 millions d'euros, alors même que nous insistions sur le fait que l'issue à ce conflit serait d'abord politique et économique. De fait, l'effort civil français sera multiplié par quatre dès cette année. 25 millions d'euros supplémentaires ont été mobilisés pour des actions de développement en 2009, auxquels s'ajoutera une aide de 9 millions d'euros en vue de l'agrandissement de l'hôpital Mère-enfant de Kaboul, sans oublier le lancement, sur initiative française, de la formation d'une gendarmerie afghane. Plusieurs officiers précurseurs appartenant à notre gendarmerie sont déjà à Kaboul. Cette action coûtera 17 millions d'euros la première année, compte tenu des coûts d'acquisition de matériels. Au final, cela portera l'effort français en matière de gouvernance et de développement économique à environ 70 millions d'euros, ce qui nous rapprochera de la moyenne européenne, l'Allemagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas consacrant quant à eux 200 millions d'euros par an à leur politique d'aide civile.

J'en viens maintenant à la mobilisation internationale sur la question afghane. Depuis La Celle Saint-Cloud, plusieurs réunions importantes se sont tenues : à Moscou en mars, celle de l'organisation de coopération de Shanghai à laquelle participaient l'Iran, la Chine, l'Inde et la Pakistan, puis, quelques jours plus tard, la Conférence de La Haye qui, initialement prévue dans le cadre de l'OTAN, a été élargie à la demande de la France et des États-Unis à 89 pays, dont l'Iran. Le dossier a bien évidemment été évoqué à l'occasion du sommet de Strasbourg-Kehl début avril, puis lors de la conférence des donateurs et des « Amis du Pakistan démocratique », organisée à Tokyo le 17 avril, qui a « levé » près de 5 milliards de dollars de dons et de prêts. Ces conférences ont montré une véritable prise de conscience de la problématique afghano-pakistanaise, devenue l'épicentre de la paix dans le monde, prise de conscience désormais partagée par des pays aussi différents que l'Iran, la Chine, les États-Unis ou la France.

L'un des problèmes clés tient à la question pashtoune. Cette population de 40 millions d'individus est répartie des deux côtés de la ligne Durand, la frontière tracée en 1893 par les Britanniques entre leur empire des Indes et l'Afghanistan. Ce sont d'ailleurs les Britanniques qui, en 1903, instaurèrent les « FATA » (de l'anglais Federally Administered Tribal Areas) ou « zones tribales », jouissant d'un statut de forte autonomie qui fut maintenu après l'indépendance en 1947, l'État pakistanais préférant négocier avec les chefs tribaux et composer avec le droit coutumier plutôt que d'appliquer une administration directe comme dans les autres provinces du pays. Mais à la suite de la guerre contre les Soviétiques, les talibans se sont installés dans ces zones, où leur premier acte fut d'éliminer physiquement les 280 à 290 chefs tribaux en place afin d'y prendre le pouvoir. Historiquement, l'instabilité dans cette région a commencé lorsque le rôle d'État tampon entre les Britanniques et les Soviétiques qu'avait l'Afghanistan s'est trouvé remis en cause par l'intervention de Moscou. Cela a entraîné l'intervention de divers pays extérieurs, soutenant d'abord les moudjahidines, puis, à l'issue de la guerre civile qui succéda au retrait des Soviétiques, la naissance du mouvement taliban.

En effet, les insurgés talibans se montrent particulièrement actifs des deux côtés de la frontière. Début avril, en concluant un accord au profit des chefs insurgés locaux qui désiraient y instaurer la charia, les autorités pakistanaises ont abdiqué leur souveraineté dans la vallée de Swat. Cet accord est à regarder avec attention, car cette vallée ne se trouve pas dans les zones tribales, mais dans le district du Malakand, qui fait partie de la province frontière du nord ouest (NWFP), située plus à l'est et dont certains districts se trouvent à moins de 100 kilomètres d'Islamabad. Malgré une opinion publique au début très majoritairement favorable à cet accord, les autorités pakistanaises, sous la pression de la communauté internationale (y compris de la France) et comprenant que leur survie même était désormais menacée, ont finalement décidé de réagir sur le plan militaire et de reconquérir leur souveraineté sur ce territoire. Cela se traduit par des actes de guerre particulièrement lourds. Mais cette opération semble indispensable, ce pays de 170 millions d'habitants, doté de l'arme atomique, devant retrouver un minimum de stabilité, car notre sécurité y est directement en cause.

Cela nous conduit maintenant à réfléchir aux échéances à venir. En Afghanistan, on se prépare à l'élection présidentielle, dont la date est désormais arrêtée au 20 août prochain. Celle-ci ne se présente pas sous les meilleurs augures. Bien qu'ayant déçu les espoirs de la population qui l'avait porté au pouvoir en 2004, M. Karzaï en est le favori, faisant face à une opposition qu'il a su disperser et contenir. Nous verrons bien comment elle se déroulera, mais nous insistons pour que l'élection soit équitable et démocratique. De notre point de vue, l'essentiel reste de poursuivre le travail de transfert de responsabilités aux autorités afghanes sur les plans de la gouvernance, du développement économique et, progressivement, de la sécurité.

En ce qui concerne le Pakistan, la question est de savoir si l'offensive militaire actuelle va se prolonger. L'armée pakistanaise n'est pas préparée aux actions de contre-insurrection. En outre, les différentes offensives ont alimenté le problème aigu des réfugiés, dont le nombre dépasse aujourd'hui les deux millions, et dont j'ai moi-même constaté les conditions de vie épouvantables aux portes d'Islamabad. Au delà de ces graves difficultés, on peut se demander si l'armée pakistanaise ira ou non au Waziristan, le fief des talibans dans les zones tribales. C'est difficile à dire aujourd'hui. Dans un tel contexte, le rôle de la communauté internationale est d'agir de façon unie au côté des autorités pakistanaises pour les aider à reconquérir leur souveraineté. Je crois profondément que nous n'avons pas le choix, car c'est là que se joue notre sécurité et la paix dans le monde.

Sur le théâtre afghan, nous devons conserver à l'esprit que le déséquilibre se creuse entre les moyens américains et européens. Cela réduit mécaniquement les marges de manoeuvre des Européens pour peser dans la conduite des opérations. Par ailleurs, d'autres acteurs comptent, en particulier l'Iran, l'Inde, la Turquie, le Pakistan, les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite ou la Chine. Le dialogue avec ces pays est fondamental, car les États-Unis ne peuvent résoudre cette crise à eux seuls.

Cette démarche est d'autant plus nécessaire qu'aujourd'hui la situation sécuritaire en Afghanistan ne s'améliore pas, notamment dans le sud, et que la coordination de l'aide internationale n'est toujours pas satisfaisante. Dans ce contexte, il faut saluer l'action de nos soldats, comme le font d'ailleurs tous les chefs alliés. En Surobi-Kapisa, l'armée française joue un rôle essentiel. Elle a réussi à verrouiller l'axe majeur entre Peshawar et Islamabad. Voici cinq semaines, en vallée d'Alasaï, elle a remporté un succès considérable sur les talibans dans une action menée conjointement avec l'armée nationale afghane (ANA). Parallèlement, la France mène des actions de formation de l'ANA, dont le bilan est très satisfaisant. On regrettera simplement qu'il ait fallu attendre 2007 pour que la communauté internationale commence à s'y intéresser véritablement. Car le problème fondamental en Afghanistan tient au départ des Américains vers l'Irak dès 2002. Un vide s'est créé que les Européens n'ont pas comblé. Dans le même ordre d'idée, ce n'est qu'aujourd'hui que l'on entreprend de former la police afghane, sous l'impulsion de la France. Je tiens d'ailleurs à saluer la détermination du général Gilles et de la gendarmerie française dans cette affaire. Je suis très confiant dans la qualité de leur travail.

En ce qui concerne le développement, nous sortons enfin d'une dizaine d'années où les autorités françaises s'impliquaient fort peu et où seuls les ONG françaises et les citoyens français s'engageaient véritablement. Ainsi, c'est leur générosité et l'action des bénévoles de la Chaîne de l'espoir qui ont fait vivre l'hôpital Mère-enfant de Kaboul, lequel a reçu par ailleurs le soutien de l'Agha Khan et du gouvernement pakistanais. Aujourd'hui notre effort s'améliore et, comme il a été dit précédemment, neuf millions d'euros vont être débloqués pour l'agrandir. Des moyens seront également engagés en faveur des deux lycées français Istiqlal et Malalaï, qui tiennent une place si importante dans l'histoire du pays depuis 1920. Il est également envisagé d'aider les Afghans à rétablir un service postal, que les Français avaient contribué à créer dans les années 1920 également. En outre, une série de programmes de développement agricole sont en train d'être initiés. Le Président de la République a souhaité que notre effort dans ce domaine se concentre sur la zone de déploiement de nos soldats, en Surobi-Kapisa. Globalement, 20 millions d'euros seront injectés, ce qui ne nous interdit pas d'être particulièrement vigilants dans l'utilisation de ces fonds et de nous demander pourquoi 80 % de l'aide internationale a jusqu'à présent été gaspillé voire détourné. J'ai tenu deux chouras dans cette région, dont l'une aux côtés de Bernard Kouchner, et nous avons pu constater l'ampleur des besoins. Je souligne également que des partenariats sont envisagés, avec les Émirats arabes unis notamment.

Il s'agit aussi de renforcer nos équipes sur place : l'ambassade n'a pas d'attaché commercial, pas d'attaché de presse ni de représentant de l'AFD. Trois civils seront insérés dans les postes avancés pour travailler avec les militaires sur la durée. Il faudra ouvrir une réflexion sur la durée de présence de nos soldats gérant l'aide civilo-militaire (CIMIC) afin, qu'à l'exemple des Néerlandais, ils puissent rester au-delà des six mois qu'ils effectuent actuellement et transmettre ainsi leur expérience aux responsables CIMIC suivants.

Globalement, je dirai que notre présence commence à avoir une réelle cohérence et je suis persuadé que si la communauté internationale tire collectivement les leçons des échecs des années précédentes et apprend à travailler mieux qu'avant dans les domaines de la gouvernance et du développement économique notamment, à côté d'une stratégie de sécurité qui doit absolument éviter les dommages collatéraux, alors je suis convaincu que nous ferons des progrès en Afghanistan. Du côté français, il reste encore à renforcer notre coopération judiciaire et interparlementaire et à compléter le volet militaire de notre action. Il faudra notamment unifier le commandement des forces actuellement déployées sous deux commandements différents en région Surobi-Kapisa, comme je l'avais proposé dès octobre dernier, et à libérer les moyens considérables encore mobilisés pour des missions de garde statique à Kaboul. Des moyens en matériels sont aussi nécessaires, notamment des hélicoptères Tigre.

PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Enfin, il faut souligner que les drones donnent des résultats très positifs sur le plan tactique.

Mais c'est le Pakistan qui demeure la clé déterminant la guerre ou la paix dans le monde. Il s'agit de l'endroit le plus dangereux de la planète aujourd'hui. Comme vous le savez, les difficultés actuelles tiennent à l'histoire de ce pays et à son identité, essentiellement religieuse. On peut s'interroger sur ce que sera la stratégie de l'armée en cas de profond changement politique, mais dans tous les cas il me paraît indispensable d'aider à la conversion de l'armée jusqu'ici entièrement tournée contre l'Inde vers des missions de contre-insurrection, de favoriser le développement de ce pays et de soutenir ses autorités dans la reconquête de leur souveraineté sur tout le territoire.

Au final, le travail que nous menons est difficile et dangereux, mais il est aussi particulièrement important.

PermalienPhoto de Guy Teissier

Dans votre présentation, vous avez insisté sur le rôle déterminant de l'Inde dans la région. Ce pays est très fortement implanté en Afghanistan notamment au travers de six consulats et d'un nombre très conséquent de conseillers. Considérez-vous cette présence comme un facteur de déstabilisation compte tenu de l'antagonisme violent qui existe entre l'Inde et le Pakistan ? Le Pakistan pourrait-il considérer la politique indienne comme une tentative hégémonique de contrôle de la zone ?

PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Les résultats des dernières élections en Inde sont extrêmement positifs, les dirigeants au pouvoir ayant fait la preuve de leur sens des responsabilités après les attentats de Bombay. Même si les éléments collectés ne laissent guère peser des doutes quant à l'origine de ces attaques, ils ont privilégié la voie de la raison et ont refusé toute escalade de la violence. Je ne crois pas que l'Inde ait la moindre volonté hégémonique, elle cherche très clairement à stabiliser la zone. La difficulté vient plutôt du Pakistan qui s'est construit et reste encore structuré par son opposition au rival indien, allant même jusqu'à financer et entretenir des provocations permanentes contre son voisin, notamment au Cachemire.

L'Inde est bien évidemment très présente en Afghanistan, mais ce n'est pas un cas isolé : la proximité linguistique, avec le dari, fait que l'Iran est au moins aussi représenté.

En ce qui concerne la compréhension des enjeux afghans, je crois qu'il ne faut pas oublier que ce pays est entouré de puissances disposant de l'arme nucléaire et que l'ensemble des discussions prennent dès lors une toute autre dimension. Il importe que la pression indienne sur le Pakistan soit relâchée pour éviter la surenchère, mais cela doit être fait avec beaucoup de doigté et en ménageant toutes les susceptibilités.

PermalienPhoto de François-Michel Gonnot

Est-ce que la politique américaine en Afghanistan a concrètement changé depuis quatre mois ? Plusieurs dirigeants ont récemment indiqué qu'il faudrait intervenir au-delà de la frontière afghane jusque dans les zones tribales situées au Pakistan. Qu'en est-il aujourd'hui ? Est-ce nécessaire et envisageable ? Enfin, nous avons transféré la sécurité de Kaboul aux forces afghanes durant l'été dernier. Pouvez-vous en dresser un premier bilan ?

PermalienPhoto de Jean-Jacques Candelier

Je regrette que ma proposition de création d'une commission d'enquête ait été rejetée, même si je ne remets pas en question la qualité des travaux menés par Pierre Lellouche. Nous devons nous retirer de ce conflit : ce n'est pas notre guerre, c'est celle du pétrole, celle du pouvoir, c'est la guerre des États-Unis ! Nous avons déjà perdu 24 soldats dans ce conflit ; il est temps de partir ! Quittons ce bourbier !

En outre, je m'inquiète beaucoup du comportement électoraliste du Président Karzaï qui a récemment promulgué une loi autorisant le viol marital ou permettant au mari de refuser de nourrir son épouse si elle ne cédait pas à ses exigences. Pouvons-nous admettre que les droits de la femme soient aussi manifestement bafoués ?

PermalienPhoto de Bernard Deflesselles

Si l'avenir et la stabilité du monde se jouent dans cette zone, il faut impérativement que la France y soit présente ; nous ne pouvons pas nous permettre de nous retirer d'Afghanistan et nous laver les mains de ce problème majeur.

Lors de son exposé, M. Lellouche a bien montré que la logique de stratégie intégrée doit prévaloir. Mais comment espérer que cette nouvelle doctrine va fonctionner alors que les efforts précédents n'ont pas abouti et que 80 % de l'aide internationale n'est pas arrivée sur le terrain ?

En ce qui concerne la sécurisation des armes nucléaires pakistanaises, le Président Obama a indiqué que les États-Unis allaient y être associés. Si les contraintes juridiques les empêchent d'y veiller efficacement, ne faudrait-il pas que la France prenne l'initiative sur ce dossier ? Pouvons-nous avoir une action particulière en la matière ?

PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Le transfert de la sécurité de Kaboul aux forces afghanes est positif et va permettre de libérer des militaires français qui pourront intervenir dans les zones les plus difficiles et renforceront le dispositif dans la vallée de la Kapisa.

La politique américaine s'est infléchie dans ses principes avec l'acceptation de la stratégie intégrée. Son application reste pourtant délicate, ne serait-ce qu'en raison de la multiplication des acteurs américains qui interviennent en Afghanistan. Quoiqu'il en soit, il faut améliorer le pilotage de ce conflit pour répondre aux critiques et surtout éviter l'incompréhension.

En ce qui concerne la gouvernance économique, un changement conséquent est en cours : j'ai le sentiment que les autorités américaines veulent une coordination nette pour éviter que 80 % des aides ne soient détournés. À l'initiative de la France, un accord a été établi hier à Istanbul aux termes duquel la Banque mondiale va être chargée d'un audit de l'aide internationale versée à l'Afghanistan. Nous devons savoir qui dépense quoi et où. Il est par exemple préoccupant que les ministres afghans ne puissent pas retracer l'emploi de l'aide internationale au sein même de leurs ministères.

S'agissant de la sécurisation des armes nucléaires pakistanaises et une possible initiative française, il faut rester prudent : le Pakistan n'étant pas un modèle de vertu en la matière. À ce stade, une coopération en matière de sûreté nucléaire est sûrement possible, comme cela a été envisagé à l'issue de la visite du président Zardari à Paris il y a quelques jours.

Pour répondre à M. Candelier, je ne crois pas que nous ayons le choix d'intervenir ou non en Afghanistan. Lorsque les talibans ont pris le pouvoir, nous n'avons pas réagi et cela s'est finalement traduit par les attaques terroristes et la montée en puissance d'Al-Qaïda. S'agissant du Président Karzaï, nous rappelons que les droits de l'Homme, de la femme et la liberté de la presse doivent être respectés. Je pense par exemple à ce journaliste condamné à mort pour avoir téléchargé des documents considérés comme portant atteinte au Coran. Je note par ailleurs que la question du droit des femmes est absente de la campagne électorale en cours. Pour autant, sans renoncer à avancer sur ces sujets, nous ne devons pas oublier que les premières élections afghanes ont eu lieu il y a seulement cinq ans. L'affirmation d'un régime démocratique respectueux des libertés individuelles et collectives demande du temps.

PermalienPhoto de Marc Joulaud

La situation au Pakistan risque-t-elle d'évoluer encore ? Faut-il craindre la constitution d'un État taliban en son sein ?

La presse internationale mentionne fréquemment la possible coopération des services secrets pakistanais avec les talibans. Qu'en est-il réellement ? Le Pakistan joue-t-il un double jeu ?

Pouvez-vous faire un point sur la lutte contre la culture de la drogue ?

Enfin considérez-vous qu'il faille intervenir au-delà de la frontière afghane et notamment dans les zones tribales du Pakistan ?

PermalienPhoto de Françoise Olivier-Coupeau

Je suis favorable au maintien d'une présence française en Afghanistan car notre pays a un vrai rôle à jouer, évidemment pas n'importe comment ni dans n'importe quelles conditions. Il serait notamment important de définir clairement les critères de l'« afghanisation », par exemple pour ce qui concerne les institutions ou la scolarisation.

En matière de sécurité, j'ai pu récemment constater, lors d'un déplacement sur place, que la situation avait évolué depuis le mois de septembre. Ainsi, dans la vallée d'Ouzbine, les troupes françaises ont progressé sur le terrain. Sur la FOB Tora, les bâtiments en dur sont en train de remplacer les tentes, ce qui constitue un progrès pour le confort et la sécurité des soldats et donne le signe d'une volonté d'installation durable. Néanmoins, la présence en Afghanistan n'a de sens que dans une logique d'action globale, d'où l'importance de votre mission, Monsieur Lellouche. Les Afghans attendent beaucoup et sont très impatients : il faut agir rapidement car sinon leur déception pourrait se retourner contre nos soldats.

En ce qui concerne l'élection présidentielle, je me demande si la France ne soutient pas trop clairement le Président Karzaï alors que d'autres candidats, comme Abdullah Abdullah, apparaissent peut être préférables.

Enfin, je constate que si les armées françaises sous-traitent et externalisent beaucoup, les entreprises de notre pays sont elles totalement absentes d'Afghanistan. Comment peut-on remédier à cette situation ?

PermalienPhoto de Françoise Hostalier

Les critiques sont nombreuses mais il faut aussi reconnaître que beaucoup de choses ont déjà été faites, notamment en matière de routes, d'électrification de Kaboul, d'écoles, de dispensaires. Bien sûr, cela reste insuffisant en regard des attentes des Afghans et de la destruction du pays découverte en 2001, mais certaines avancées ne sont pas négligeables.

J'ai récemment rencontré des jeunes soldats de l'armée afghane et je peux témoigner qu'ils sont bien pris en main, bénéficient d'une bonne formation et sont pleins de bonne volonté pour remplir leur mission.

Je suis tout à fait d'accord avec le constat dressé sur les élections. Certains leaders politiques que j'ai rencontrés ont le sentiment que les élections sont jouées d'avance, alors même que l'homme de la rue n'a plus confiance dans le Président Karzaï. La situation est plutôt inquiétante et il me semble que la France devrait adopter un positionnement plus neutre sur ce sujet.

La nouvelle stratégie d'« afghanisation » et de régionalisation est une très bonne chose, mais je me demande dans quelle mesure la France est réellement associée à la politique menée par les États-Unis, sachant que l'augmentation prévue des effectifs américains sur place risque de faire prévaloir des méthodes d'action susceptibles d'accroître les dommages collatéraux. Cette question rejoint celle de la complexité des chaînes de commandement, qui constitue un véritable difficulté, aggravée par la multiplication des caveats et des règles d'engagement. Peut-on espérer une clarification ?

Cette absence d'une véritable coordination se retrouve en matière d'actions civilo-militaires, chaque pays semblant agir de son côté, sans se préoccuper de ce que font les autres contingents. Il ne me semble pas qu'il y ait, par exemple, de coordination entre les PRT et les actions menées par la France. Or, sans coordination générale, et sans possibilité pour le gouvernement afghan de définir certaines priorités, les actions civilo-militaires risquent de perdre beaucoup de leur efficacité.

Enfin, qui doit se charger de définir un échéancier de l'« afghanisation » ainsi que des critères d'évaluation, effectivement indispensables ?

PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Il n'y aura pas d'opération militaire occidentale au Pakistan. Par contre, il faut aider l'État pakistanais à reprendre le contrôle du pays.

Jusqu'à présent, toutes les stratégies occidentales pour endiguer la production et le trafic de drogue en Afghanistan ont échoué, mais elles ont réussi en Asie du sud-est car elles ont engagé un véritable changement économique. Il faut avant tout donner aux paysans les moyens de stocker, de conditionner puis de commercialiser les productions agricoles. S'ils parviennent à en tirer un revenu correct, ils arrêteront la culture du pavot car la drogue est très mal payée, l'essentiel de l'argent allant aux intermédiaires, c'est-à-dire aux talibans.

Les critères d'une sortie d'Afghanistan sont simples : il s'agit de parvenir à créer un État stable qui soit capable de résister à un retour d'Al-Qaïda.

Il faut effectivement être conscient des attentes très fortes des Afghans et des risques de dérapages que comporterait une déception. C'est pour cela que je m'emploie, auprès des administrations françaises, à accélérer le déblocage des fonds destinés aux actions de développement. En matière agricole notamment, il faut agir tout de suite, pour disposer par exemple de semences dès cet été.

La France, et plus largement la communauté internationale, ne votent pour personne. Elles souhaitent seulement que les élections soient les plus transparentes.

Quant aux actions civilo-militaires, le modèle des PRT a effectivement contribué à la fragmentation du pays. La France a choisi un autre mode d'action : en Surobi-Kapisa, nous travaillons directement avec le ministère de l'agriculture et du développement rural afghan et avec l'ONU. Pour autant, la collaboration avec les Américains en Kapisa, qui ont une PRT dans cette région, fonctionne bien. Notre objectif est d'agir le plus rapidement possible, de trouver les bons intervenants et de dépenser l'argent le plus intelligemment possible pour participer à la stabilisation de la zone.

Il est effectivement totalement anormal que les sociétés françaises soient absentes d'Afghanistan. L'ambassade de France à Kaboul devrait bientôt être dotée d'un attaché commercial. J'espère que cela permettra d'améliorer la situation.

Nous avions largement évoqué les caveats et les chaînes de commandement dans le précédent rapport. Il sera intéressant de voir comment le général MacChrystal, le nouveau commandant en chef des troupes américaines en Afghanistan, va s'organiser. La création d'un commandement unique pour les forces FIAS et américaines devrait améliorer les choses.

PermalienPhoto de Jean-Claude Viollet

Cette vision transverse de la situation est tout à fait intéressante. Pour quelqu'un comme moi qui ai voté le maintien des troupes françaises en Afghanistan tout en demandant une clarification du positionnement de la France, l'adoption de la stratégie globale qui vient d'être évoquée est une bonne chose. Il est aussi important de dire que nous menons une lutte, et non pas une guerre, contre le terrorisme, car cela permet de souligner qu'il ne s'agit pas seulement de conduire des actions militaires.

Je m'interroge sur la situation actuelle de la sécurité alimentaire en Afghanistan. Il est en effet essentiel de développer des cultures alternatives pour lutter contre le trafic de drogue et, au-delà, contre le terrorisme.

On a évoqué les ponctions effectuées sur l'aide au développement avant même son arrivée en Afghanistan mais il règne bien dans le pays une corruption massive qui fait l'affaire des talibans, toujours prompts à se présenter comme des garants de l'éthique… Que fait-on pour lutter contre ce phénomène ?

Enfin, il faut absolument développer la présence économique des entreprises françaises en Afghanistan. Il n'est pas normal, de façon plus générale, que notre importante présence militaire dans le monde n'ait aucun « effet retour » pour des secteurs industriels d'excellence comme ceux de la santé, du traitement de l'eau ou des déchets par exemple. Il y a vraiment quelque chose qui ne fonctionne pas.

PermalienPhoto de Yves Fromion

Je reviens moi-même d'Afghanistan et du Pakistan – dans le cadre de ma mission de contrôle des fonds spéciaux – et confirme la description de la situation présentée par Pierre Lellouche.

La présence de la Turquie dans la région s'explique par le fait qu'elle constitue un point d'appui très fort pour les États-Unis. Je rappelle que ceux-ci sont intervenus en Irak et sont très présents en Afghanistan, notamment le long de la frontière iranienne, ce qui leur permet d'accroître leur contrôle sur la région et d'encercler l'Iran.

Il ne faut pas regarder le Président Karzaï avec des yeux de démocrate français. La situation en Afghanistan est très complexe : il a eu l'intelligence de s'imposer et d'asseoir l'autorité de l'État. Cela ne veut naturellement pas dire qu'il faut s'accommoder de tout ce qu'il fait.

Je crois, comme Françoise Olivier-Coupeau, que les militaires français attendent beaucoup des moyens qui pourront leur être donnés pour les actions civilo-militaires, qui sont la réplique des SAS employés avec efficacité en Algérie. Il nous faut avoir aussi des petites actions rapides de ce type. Nous devons conquérir la paix, notamment dans la région de la Kapisa, et imposer notre présence comme pacificateurs.

PermalienPhoto de Odile Saugues

Vous avez évoqué l'accroissement des montants d'aide civile : on ne peut que s'en réjouir, mais sont-ils suffisants ? Vous avez parlé d'une course perpétuelle à l'islam : les femmes afghanes sont traitées comme des animaux domestiques – des animaux maltraités. Quelle aide leur est apportée, notamment en matière d'éduction ou culturelle ? Cette question est importante aussi au regard de la place croissante occupée par la bourka en France et des inquiétudes qu'elle suscite.

PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Nous avons, la semaine dernière, avec Bernard Kouchner, souhaité rencontré les femmes afghanes. Toutes les aides extérieures qui pourront leur être apportées seront les bienvenues : le problème ne pourra être résolu seulement de l'intérieur. Leur participation à un forum international de femmes pendant la campagne électorale pourrait être utile. Je tiens à souligner le courage de ces femmes : j'en ai rencontré qui ont été récemment caillassées en pleine rue à Kaboul pendant une manifestation…

Nous allons porter notre effort sur le lycée Malalaï, qui est le lycée de filles de Kaboul. Mais nous avons besoin de véritables professeurs et proviseurs, prêts à rester sur place pendant deux ou trois ans. Cela est plus utile que des missions ponctuelles. Xavier Darcos est d'accord pour mobiliser des personnels : encore faut-il trouver des volontaires adaptés à ces missions. Pour l'instant, nous avons seulement quelques jeunes volontaires.

En réponse à Yves Fromion, dont je partage l'avis, je précise que nos militaires sur place font déjà un travail remarquable, avec peu d'argent. Nous allons renforcer les aides. J'ai récemment vu sur notre base de Nijrab des gens faire la queue avec un ticket pour se faire soigner, ce qui montre que nos militaires sont acceptés dans cette zone.

S'agissant des questions soulevées par Jean-Claude Viollet, je n'ai pas de solution de court terme au problème de la corruption : je rappelle que le propre frère du Président Karzaï a été accusé de se livrer à des trafics. L'absence d'entreprise française en Afghanistan constitue un vrai problème : il faut savoir que nos bases sur place sont alimentées par de la nourriture turque et que beaucoup d'entreprises de l'OTAN sont turques elles aussi. D'ailleurs, lorsque Bernard Kouchner a réuni les Français de Kaboul, il n'y avait que des représentants des ONG et des organisations internationales. On constate parallèlement que l'Union européenne dispose de deux ambassades à Kaboul, qui ne tiennent d'ailleurs pas le même discours… Nous devons donc réorganiser notre appareil diplomatique d'accompagnement économique sur place. J'ai demandé à Christine Lagarde que nous puissions disposer d'un attaché commercial et d'un attaché de l'AFD. Le président du groupe La Poste, Jean-Claude Bailly, s'est dit prêt à envoyer deux ou trois experts, mais il ne peut malheureusement fournir le financement correspondant.

Nous sommes confrontés à une véritable urgence en matière de sécurité alimentaire : nous faisons le maximum pour que les semences et les engrais soient livrés sur place avant la fin de l'été.

PermalienPhoto de Christophe Guilloteau

Je vous remercie pour ce très bon exposé : il est utile – et encourageant – d'avoir ainsi des nouvelles par des parlementaires, au-delà de celles communiquées par le Quai d'Orsay ou le ministère de la défense. La présence française est effectivement nécessaire dans cette région, qui constitue le creuset du monde en termes de difficultés futures. S'agissant de l'évolution du trafic de drogue, entrevoyez-vous une solution ?

PermalienPhoto de Franck Gilard

Je vous félicite pour ce rapport. Existe-t-il une coopération possible entre les armées occidentales situées au sud-est de l'Afghanistan et l'armée pakistanaise pour réduire l'insurrection dans la zone tribale et ses abords ? Je souhaiterais savoir également où en sont les services de renseignement militaires pakistanais par rapport au pouvoir légal.

PermalienPhoto de Pierre Lellouche

Le problème de la drogue se situe principalement au sud du pays. Les États-Unis axent l'essentiel de leur effort dans cette zone. Cela inquiète autant les militaires britanniques que les français. Je rappelle que les États-Unis auront bientôt sur place 60 000 hommes (au lieu de 30 000), contre 30 000 pour les autres pays. Les militaires français représenteront seulement 6 % de la force américaine : il est difficile dans ces conditions de peser dans les discussions que nous avons avec les États-Unis. Nous réfléchissons en tout cas à un changement de modèle économique, fondé sur d'autres productions, telles que la pomme, la grenade, le safran, les amandes ou le miel.

En réponse à Franck Gilard sur la possibilité d'une coopération des deux côtés de la montagne, je précise qu'une coordination tripartite existe déjà à Washington et sur le terrain. Le général américain commandant la région est de l'Afghanistan se réunit avec des généraux afghans et pakistanais pour évoquer les questions liées au renseignement et aux opérations. Mais les relations entre les Afghans et les Pakistanais sont mauvaises et ils s'attribuent mutuellement l'origine de leurs difficultés. Au sujet de la vallée de Swat, nous avons connu une phase de déni, mi-avril, de l'accord passé, considéré comme technique et local. Puis, après l'appel à l'application de la charia au Pakistan par le chef taliban Sufi Mohammad, le gouvernement pakistanais, sous les pressions internationales, a engagé ses forces. Mais il l'a fait dans des conditions terribles, en envoyant des F16 et l'artillerie, qui ont entraîné d'énormes dommages. En fait, le général Kayani, chef d'état-major de l'armée de terre pakistanaise, est l'un des hommes forts du pays. Il a officiellement déclaré qu'à présent les services secrets pakistanais n'aidaient plus les talibans.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq