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Commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Île-de-france

Séance du 17 janvier 2012 à 9h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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Commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Île-de-France

L'audition débute à 9 heures.

PermalienPhoto de Daniel Goldberg

Nous recevons M. Jean-Pierre Orfeuil, universitaire, économiste et statisticien, spécialiste reconnu des questions relatives aux transports et à la mobilité urbaine, ainsi que deux personnalités de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France (IAU) : Mme Danièle Navarre et M. Alain Meyère, directeur du département « Mobilité et Transport » de cet institut, au conseil d'administration duquel j'ai siégé avec plaisir et intérêt lorsque j'étais conseiller régional d'Île-de-France.

Je vous remercie, Madame, Messieurs, d'avoir répondu à notre invitation quelque peu tardive. Notre commission d'enquête a en effet dû reporter au mois de février l'audition, prévue ce matin, des représentants du Conseil économique, social et environnemental et de son homologue régional, le CESER, à la demande du président Delevoye et afin de permettre au CESE de poursuivre plus avant l'examen du Schéma national des infrastructures de transport (SNIT)

Les travaux et réflexions de M. Orfeuil comme ceux de l'IAU doivent nous permettre d'aborder les questions relatives au RER du point de vue urbanistique et économique. L'Institut a une longue histoire : conçu par Paul Delouvrier, le père du premier schéma directeur de la région, il a été créé par un décret de Pierre Sudreau, le ministre de l'époque. Son statut de fondation confère à ses travaux une grande liberté scientifique, même si son financement est aujourd'hui majoritairement assuré par la région Île-de-France. Or l'existence du RER s'étend elle aussi sur quatre décennies, du « schéma Delouvrier » aux projets actuels du Grand Paris. Nous vous interrogerons donc, Madame, Messieurs, sur le devenir du RER, qui, quoi qu'il arrive, constitue pour longtemps un élément essentiel de tous les développements futurs à visée d'aménagement à l'échelle de l'Île-de-France. Quelles sont selon vous les mesures à court terme les plus propres à conforter cette vocation ?

Nous nous intéressons également aux comparaisons que vous êtes en mesure d'établir avec d'autres grands systèmes de transport urbain et périurbain, dans des métropoles comme Londres ou Berlin – d'autant que les délais qui nous sont impartis ne nous permettront sans doute pas de nous rendre à l'étranger.

Je vous rappelle que la commission d'enquête n'a pas pour objet d'étude l'ensemble des modes de transport franciliens, mais le seul RER, sa place dans les transports en Île-de-France, ses nombreux dysfonctionnements et les améliorations envisageables à court et à moyen terme.

M. Orfeuil, M. Meyère et Mme Navarre prêtent successivement serment.

PermalienJean-Pierre Orfeuil, ingénieur statisticien, professeur à l'Université Paris Est-Créteil

Spécialiste de la mobilité, je m'intéresse au comportement et aux déplacements des usagers, et non à l'exploitation des systèmes. Je partirai donc de la manière dont les personnes vivent les irrégularités et les difficultés qu'ils rencontrent dans leurs déplacements quotidiens.

La question est essentielle pour plusieurs raisons. En Île-de-France, les transports publics jouent un rôle sans équivalent dans les autres régions. De ce fait, la localisation des agents – ménages ou entreprises – est déterminée par le réseau et par la qualité de service qu'ils en attendent, différente de celle qu'ils expérimenteront réellement. En outre, le plan de mobilisation pour les transports collectifs en Île-de-France – qui ne concerne certes pas le seul RER – représente, selon les estimations, 15 à 18 milliards d'euros sur quinze ans, ce qui n'est pas négligeable. Enfin, le réseau de transport du Grand Paris comme le Grand Paris Express suppose que le gros des usagers continue d'emprunter le réseau existant, y compris dans dix, quinze ou vingt ans. Ce réseau doit donc fonctionner de manière satisfaisante.

Dans le système actuel, la qualité de service fait partie des clauses du contrat entre l'autorité organisatrice – le Syndicat des transports d'Île-de-France – et les exploitants. La régularité, que le STIF mesure par des indicateurs, en est l'élément principal, auquel s'ajoutent des aspects moins essentiels : information, fonctionnement des équipements, accueil et vente, propreté.

Le plus frappant, pour l'usager que j'étudie et que je suis, est l'absence de prise en considération de la charge des rames, par exemple du nombre de personnes par mètre carré à l'heure de pointe, alors même que les irrégularités et l'inconfort induit peuvent décourager une partie des clients potentiels. Plusieurs causes peuvent expliquer ce type d'inconfort. D'abord, un nombre insuffisant de trains par rapport à la demande spontanée ; ensuite, un problème rencontré sur un service et qui rejaillit sur les services suivants, ce qui confirme le lien entre irrégularité et inconfort ; enfin, une demande qui excède largement les capacités de l'offre, notamment du fait de certaines décisions politiques, ce qui montre le manque de cohérence des politiques menées.

J'en citerai deux exemples dont il s'agit ici non de faire la critique, mais d'analyser les conséquences. Quand on ferme de plus en plus Paris à la voiture particulière, le nombre d'usagers du métro augmente. D'une certaine manière, c'est ce que l'on escomptait, mais si l'on ne dispose pas des outils nécessaires pour accroître aussi la capacité d'accueil du métro, cela pose un problème. De même, l'éventuelle instauration d'un Pass Navigo unique à un tarif relativement faible aurait pour conséquence d'attirer davantage de clients, et de clients « longs », en termes de distance, notamment parce qu'il engagera d'importantes décisions de localisation, en incitant ceux que rebute le prix du mètre carré parisien à se loger un peu plus loin de la capitale. Cela ne laisse pas d'inquiéter le citoyen et le chercheur que je suis.

Comment les travaux portant sur la mobilité évaluent-ils les irrégularités et l'inconfort tels qu'ils sont vécus par les usagers ? La littérature internationale s'accorde à considérer qu'une minute d'attente est ressentie par les voyageurs comme trois minutes de temps de parcours. En d'autres termes, il est plus pénible d'attendre son train que d'attendre d'être arrivé une fois monté dans le train. Supposons ensuite qu'un service soit programmé toutes les cinq minutes pendant une demi-heure : chaque usager attend deux minutes et demie en moyenne. Si dix minutes au lieu de cinq s'écoulent entre deux services, l'attente moyenne est prolongée bien que le nombre de trains – et de voyageurs – reste le même sur la période considérée, puisque les voyageurs arrivent à un rythme régulier. Au total, bien que l'irrégularité soit ensuite compensée, le temps d'attente moyen augmentera de 50 %, alors même qu'il est ressenti comme trois fois plus pénible à quai qu'à bord du train.

La valorisation économétrique des irrégularités et de l'inconfort se fonde sur l'étude des préférences déclarées. Par exemple, on donne aux usagers interrogés le choix entre un parcours de trente minutes au cours duquel ils ont une chance sur dix d'attendre deux fois plus longtemps que d'habitude et un parcours de quarante minutes au cours duquel ils sont certains que le train passera comme prévu, ou bien entre un parcours de trente minutes assis et un parcours de vingt ou vingt-cinq minutes « debout serrés », etc. Selon une étude réalisée par le STIF et portant sur les lignes de RER exploitées par la SNCF, les usagers préfèrent un trajet de trente-cinq minutes absolument sûr à un trajet de trente minutes au cours duquel ils ont une probabilité de 5 % de subir un retard de dix minutes, ce qui représente en moyenne 0,5 minute de retard. En d'autres termes, ils estiment ce retard à dix fois sa valeur réelle. Selon la même étude, la pénibilité du même trajet de trente minutes augmente de 50 % lorsque l'on est debout plutôt qu'assis et deux fois plus lorsque l'on est « debout serré ». Les résultats sont sensiblement les mêmes dans le métro parisien.

Alors que la mobilité fait l'objet de nombreux travaux qui bénéficient d'une audience importante, car le sujet intéresse tous les Franciliens, ces résultats sont peu connus, pour des raisons que j'ignore. Or ils justifieraient d'importants investissements : jusqu'à un milliard d'euros, il serait rentable du point de vue socio-économique de baisser de 6 % la densité dans le métro à l'heure de pointe. En comparaison, je rappelle que le coût de l'automatisation de la ligne 1 ne dépasse pas 500 à 600 millions d'euros. En outre, ces valorisations révèlent que, pour obtenir confort et régularité, les usagers sont prêts à payer deux à trois fois plus qu'actuellement – c'est-à-dire que le coût du Pass Navigo, minoré, à l'heure de pointe, des 50 % pris en charge par l'employeur. Pour des raisons sans doute légitimes et qu'il ne m'appartient pas de discuter, le service est donc très faiblement tarifé, dans une société où, à Paris notamment, le métro n'est pas réservé aux pauvres.

Il convient de distinguer l'usager direct – celui qui attend son train sur le quai – de l'usager indirect – l'employeur qui attend son salarié de même que ses collègues. Le cabinet Technologia a consacré à ces deux types d'usagers une étude très intéressante, fondée sur des entretiens avec des directeurs des ressources humaines (DRH) et des délégués du personnel, dont les points d'accord l'emportent sur les divergences. Cette étude concerne essentiellement des usagers du RER et de la SNCF. Il apparaît que ce sont les correspondances qui rendent les irrégularités particulièrement pesantes, donnant aux salariés l'impression d'avoir déjà fait leur journée de travail au moment où ils arrivent au bureau. Si les employeurs n'apprécient pas les retards, ils sont plus indulgents envers les employés qui empruntent les transports en commun qu'envers ceux qui viennent en voiture. Les salariés qui se sentent responsables de leur retard recourent à des stratégies compensatoires, par exemple en travaillant pendant leur pause déjeuner.

Au total, les délégués du personnel et les DRH jugent que, par le jeu de nombreux petits mécanismes, les retards entraînent une baisse de productivité de l'entreprise. Cela conduit les DRH à privilégier de plus en plus les recrutements de proximité, renonçant à tirer profit de l'ensemble du bassin d'emploi francilien, ce qui pose problème étant donné le fonctionnement métropolitain de l'Île-de-France.

Essentiellement consacrée aux rapports entre employeurs et employés, l'étude évoque peu les problèmes de vie familiale, à la différence de celle que nous avons menée sur les « grands migrants », c'est-à-dire ceux pour qui le trajet entre domicile et travail dure plus d'une heure. Nous avons en effet analysé en détail leurs activités extraprofessionnelles pour les comparer à celles des personnes dont les trajets entre le domicile et le travail ont une durée « normale », c'est-à-dire d'une demi-heure environ. Le temps que ces personnes consacrent à la vie familiale apparaît fortement réduit, malgré l'effort de maîtrise qui consiste à partir plus tôt le matin – moment moins valorisé que le soir – mais qui suppose que leur conjoint puisse alors s'occuper des enfants. Ce sont ces derniers dont les activités pâtissent le plus de cette situation : ils n'ont plus de vie extrascolaire.

En conclusion, il s'agit d'un sujet important et dont l'importance est généralement sous-estimée. Il est frappant que le débat sur le Grand Paris suscite autant d'intérêt et de polémiques alors que ce nouvel investissement n'a d'autre enjeu que d'optimiser le fonctionnement du système existant. Il est également frappant que les projets actuels, y compris le plan de mobilisation, obéissent à une logique d'ingénieur : on considère que le système fonctionne bien lorsqu'il est satisfaisant du point de vue de l'ingénieur. On prétend ainsi que seul un tunnel dédié entre Châtelet-Les Halles et Gare du Nord permettra à la ligne B sud – dont je suis usager – de fonctionner correctement alors que la plupart des voyageurs qui empruntent cette ligne quittent le RER avant ! En réalité, il faudrait prévoir des services partiels, comme les jours de grève, les périodes de très grandes irrégularités ou le soir ; mais l'idée s'est imposée que le RER va de bout en bout.

Quant à la logique politique, elle est excessivement égalitariste. J'en ai parlé à propos du Pass Navigo à tarif unique. À Londres, au contraire, la tarification de l'Oyster card s'apparente à un système anti congestion. Premièrement, les déplacements en transports publics à l'intérieur de la banlieue sont plus faiblement tarifés que ceux qui conduisent au centre de Londres. Deuxièmement, le tarif est plus élevé en pointe qu'en creux, ce qui, j'en conviens, serait très difficile à faire accepter en France. Troisièmement, le bus est moins cher que le métro, car il est plus facile de mettre rapidement en circulation des bus supplémentaires que des rames de métro. Enfin, dans la philosophie londonienne, la régulation est répartie entre les métros et les bus, les trains étant à part, alors qu'en Île-de-France, pour des raisons géographiques et historiques, réseau urbain et réseau régional sont totalement intégrés.

PermalienJean-Pierre Orfeuil, ingénieur statisticien, professeur à l'Université Paris Est-Créteil

En effet ; je ne l'ai pas mentionné car je parlais des transports publics. Il concerne les voitures qui entrent dans l'hyper centre.

PermalienPhoto de Pierre Morange

A-t-on mesuré le coût socio-économique des dysfonctionnements du RER ? De telles données intéressent la commission d'enquête, au-delà du constat partagé et de la recherche de stratégies d'optimisation à court terme d'un réseau vieillissant – en attendant que les récents investissements portent leurs fruits.

PermalienJean-Pierre Orfeuil, ingénieur statisticien, professeur à l'Université Paris Est-Créteil

Le système de transport francilien n'est pas entièrement transparent, et il est parfois difficile d'obtenir des informations claires de la RATP et de la SNCF.

PermalienPhoto de Pierre Morange

C'est ce que montre le rapport publié par la Cour des comptes en novembre 2010.

PermalienJean-Pierre Orfeuil, ingénieur statisticien, professeur à l'Université Paris Est-Créteil

Si les données que vous recherchez sont disponibles, Mme Mougard, directrice générale du STIF, pourra vous les fournir lors de son audition. En tout état de cause, elles seront fondées sur les éléments que je vous ai indiqués : il suffit de multiplier par le nombre de retards la perte d'utilité qui résulte de chacun d'entre eux.

PermalienPhoto de Daniel Goldberg

Je vous remercie de votre intervention et je vais donner maintenant la parole aux représentants de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île de France.

PermalienAlain Meyère, directeur du département « Mobilité et Transport » de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France

L'IAU occupe une place à part dans l'expertise relative aux transports en Île-de-France. Vous l'avez dit, monsieur le président, nous sommes une fondation. En outre, à la différence des autres agences d'urbanisme, rattachées à une commune ou à une intercommunalité, nous sommes placés auprès de la région, qui ne dispose pas des mêmes compétences et prérogatives en matière d'aménagement. L'institut emploie environ deux cents personnes ; le département « Mobilité et transports » en compte une quinzaine, dont trois seulement se consacrent aux transports publics puisque nous étudions également les déplacements à pied, en vélo et en voiture. Notre ambition n'est pas de concurrencer ceux qui ont plus de moyens, mais de réaliser quelques études sur la mobilité, notamment à partir de comparaisons internationales, afin de nourrir la réflexion des décideurs et de faire bénéficier ceux qui appliqueront leurs décisions de l'expérience et des bonnes pratiques que nous recueillons.

En principe, la régularité n'est pas notre premier objet d'étude. Toutefois, depuis quelques années, nous nous intéressons systématiquement, sur chacun des sujets qui nous occupent, à la situation des trois grandes métropoles européennes comparables à Paris : Londres, Berlin et Madrid. Nous l'avons fait à propos de la place des bus, ou encore de l'organisation des taxis au moment où le CESR d'Île-de-France a envisagé de confier celle-ci au STIF. À cette fin, nous nous sommes dotés de correspondants permanents sur place.

Si Londres se rapproche de Paris par la taille de l'agglomération, le grand Londres n'est pas comparable à l'Île-de-France. Dans les deux cas, l'agglomération compte 11 à 12 millions d'habitants. Mais alors que l'autorité organisatrice des transports franciliens gouverne le territoire de la région – soit douze mille kilomètres carrés –, donc la totalité de l'agglomération, son homologue londonienne, Transport for London, agence de la Greater London Authority, n'englobe que mille six cents kilomètres carrés et 7,5 à 8 millions d'habitants.

L'Île-de-France est dotée d'un coeur d'agglomération : Paris et ses 2 millions d'habitants, concentrés sur 100 kilomètres carrés seulement. Londres ne connaît pas cette distinction : les boroughs font partie de la ville, qu'ils soient centraux ou non, qu'ils soient situés dans Inner London ou dans Outer London. Ainsi la mairie de Londres avait-elle lancé il y a quelques années une campagne de communication sur le thème « We are Londoners » : « Nous sommes tous des Londoniens ».

À Berlin comme à Madrid, le ressort de l'autorité organisatrice représente environ 6 millions d'habitants. À Berlin, le territoire de l'autorité organisatrice s'étend sur trente mille kilomètres carrés, car il réunit deux Länder dont l'un enchâsse l'autre : le Land de Berlin – Berlin étant une ville-Land, un peu comme Paris qui est à la fois une commune et un département – et, tout autour, le Land de Brandebourg. Le seul Land de Berlin couvre neuf cents kilomètres carrés et réunit environ 3,5 millions d'habitants. Quant à la commune de Madrid, elle compte 3 millions d'habitants et s'étend sur six cents kilomètres carrés, mais le territoire de l'autorité organisatrice régionale couvre huit mille kilomètres carrés, pour 6 millions d'habitants.

Il faut avoir ces données à l'esprit lorsque l'on s'efforce de comparer la présence des transports publics et la mobilité dans ces différentes métropoles. Ainsi, il est difficile de comparer un territoire londonien totalement urbanisé et un territoire francilien qui ne l'est que partiellement.

La répartition des responsabilités en matière de transport constitue une autre différence. Jusqu'à une date récente, l'Île-de-France était la seule agglomération où tous les transports collectifs – métro, bus, RER et chemins de fer de banlieue – relevaient d'une autorité organisatrice unique. À Madrid comme à Londres, les chemins de fer de banlieue relèvent de l'État alors que les autres modes de transport collectif dépendent des pouvoirs locaux. En outre, Transport for London est responsable du péage urbain, ce qui ne pourrait être le cas du STIF.

Le réseau londonien est le plus ancien et le plus vétuste. À Berlin, du fait des reconstructions puis de la réunification, le réseau comporte des sections relativement récentes. Le S-Bahn, le « RER berlinois », a la particularité de circuler sur des voies entièrement dédiées, qu'il ne partage pas avec les trains régionaux en provenance du Brandebourg, par exemple. Cela pourrait laisser penser qu'il est moins irrégulier qu'à Londres où l'exploitation des voies est mixte, un peu comme en Île-de-France où des trains grandes lignes, des Transilien, voire des trains de fret se partagent les mêmes voies. Mais nous y reviendrons.

Si l'on met à part les dépenses d'exploitation, les dépenses de maintenance et de remise à niveau consenties par les autorités organisatrices de transport sont d'autant plus élevées que le réseau est ancien. Ainsi, Madrid a beaucoup étendu son réseau, faisant construire plusieurs dizaines de kilomètres à chaque plan quadriennal, mais consacre bien moins d'argent à la maintenance et à la remise à niveau que l'Île-de-France ou Londres n'ont prévu de le faire. La vétusté des infrastructures, qui datent de plus d'un siècle, est un problème que l'Île-de-France partage avec de nombreuses métropoles anciennes. En outre, les sociétés de la vieille Europe et d'Amérique du Nord considèrent désormais que l'on ne peut plus faire abstraction des déplacements des personnes à mobilité réduite et cette nouvelle représentation collective s'est traduite dans la loi, ce qui implique de nouvelles dépenses. En effet, le réseau ancien est peu accessible aux personnes en fauteuil roulant et difficile à aménager à leur intention.

Je l'ai dit, la régularité n'est pas notre principal objet d'étude. Nous travaillons sur Londres depuis longtemps : notre première étude comparative, réalisée par Danièle Navarre il y a une dizaine d'années, portait sur Londres, Paris, New York et Tokyo. Par la suite, nous avons systématisé l'approche comparative. Nous avons ensuite rédigé un rapport intitulé « Les performances des transports en commun à Londres et à Paris », à la demande du président du Conseil régional, qui souhaitait savoir si l'infériorité de notre réseau de transports était responsable de l'échec de la candidature parisienne à l'organisation des jeux Olympiques. Nous y étudions l'importance respective des transports collectifs dans les différentes zones de l'Île-de-France et de l'agglomération londonienne, en ne comparant à celle-ci que la partie de l'Île-de-France qui est comparable à ses mille six cents kilomètres carrés. Nous avons également publié, à la fin de l'année 2011, trois notes de veille sur Londres, Berlin et Madrid qui résument les événements importants survenus au cours de l'année.

J'ai rappelé la vétusté du réseau londonien et tous ont en mémoire les accidents qui ont fait la « une » des journaux. L'un d'entre eux, survenu en octobre 2001 en raison de fissures dans les rails, a conduit à limiter la vitesse des trains, à vérifier tous les rails des voies arrivant à Londres, et a décidé le ministère britannique des transports à lancer un programme de rénovation des infrastructures ferroviaires à Londres et dans sa région.

La comparaison entre indicateurs de régularité – nombre de trains en retard, durée des retards – donne l'avantage à l'Île-de-France, où plus de 90 % des trains subissent un retard de moins de cinq minutes ou arrivent à l'heure. À Londres, la proportion est inférieure et a chuté à moins de 77 % vers 2001, avant le programme de rénovation. Cela étant, les données sur lesquelles se fonde notre rapport, publié en avril 2009, ne vont pas au-delà de 2008. Or, dès cette époque, la comparaison avait tendance à s'inverser : le chiffre était stable voire en légère baisse en Île-de-France, sans doute en raison de la hausse de fréquentation, mais en augmentation à Londres. Il faudrait actualiser nos données pour confirmer cette tendance.

En Île-de-France, selon la SNCF, les causes des dysfonctionnements sont à 40 ou 50 % externes – intempéries, comportement des voyageurs, obstacles, etc. –, contre 30 % à Londres. En revanche, au moment où nous avons recueilli les données, les défaillances du matériel roulant étaient beaucoup plus déterminantes à Londres qu'ici.

À Londres, je l'ai dit, le chemin de fer de banlieue relève de l'État, qui attribue à des entreprises privées, après mise en concurrence, des licences d'exploitation valables sept à huit ans. Le gestionnaire d'infrastructures est aujourd'hui Network Rail, qui a succédé à Railtrack, dissous à la suite de ses déboires financiers. En ce qui concerne le métro, Transport for London est à la fois l'autorité organisatrice, qui attribue à ce titre l'exploitation des bus à des compagnies privées, et l'exploitant du métro – un peu comme si le STIF incluait le département métro de la RATP.

Pour remettre à niveau le réseau du métro, lui aussi vétuste, Londres a choisi de faire appel à des partenariats public privé (ppp) En la matière, deux types de contrats sont possibles. Le premier, que nous connaissons bien puisque c'est en France qu'il a été inventé, est le contrat de concession. Un concessionnaire privé – un consortium réunissant des entités issues du monde financier, du monde industriel, des constructeurs, etc. – se charge de réunir les fonds qui permettront de construire une nouvelle infrastructure de transport. En contrepartie, il pourra l'exploiter et, grâce aux recettes d'exploitation, payer les frais de fonctionnement, rembourser ses emprunts et rémunérer ses actionnaires. On lui transfère ainsi le risque « trafic », qui rejaillit directement sur les recettes tarifaires. La seconde forme de partenariat, choisie par Londres, a consisté à confier pour trente ans à un partenaire privé une mission de maintenance d'une partie du réseau – trois partenariats ayant été conclus au total – et de remise à niveau de l'infrastructure. La rémunération perçue en contrepartie résulte non des recettes de trafic, mais d'une sorte de loyer, auquel s'ajoute une rémunération qui varie en fonction d'indicateurs de régularité.

Finalement, les trois partenariats londoniens ont fait faillite. L'activité a été reprise par Transport for London. L'un de ces partenariats, avec Metronet Rail, était le plus important partenariat public privé au monde en matière de transports : il représentait 17 milliards de livres sur trente ans. Cet échec montre combien il est difficile d'estimer le coût des travaux dont étaient chargés les partenaires, par opposition aux coûts d'exploitation du réseau ou de construction d'une nouvelle ligne de tramway, par exemple. Les partenaires ont sous-estimé ce coût dans la perspective de la clause de revoyure incluse dans le contrat et ils ont demandé beaucoup plus au moment où celle-ci a été appliquée. C'est alors que Transport for London a mis fin aux contrats. Du point de vue méthodologique, l'exemple est éclairant.

Contrairement à ce que l'on aurait pu croire, Berlin a lui aussi été confronté à des problèmes, qui touchaient non l'infrastructure mais le matériel roulant. Le dysfonctionnement du réseau S-Bahn a été si grave que, courant 2009, les deux tiers du parc de matériel roulant ont dû être retirés du service, des pannes à répétition ayant conduit l'autorité ferroviaire fédérale à ordonner la révision du matériel. Selon le VBB (Verkehrsverbund Berlin Brandenburg), l'autorité organisatrice, cette catastrophe résulte de la manière dont la Deutsche Bahn, désireuse de présenter un bilan comptable des plus avantageux à l'approche de son entrée en Bourse, a fait pression sur sa filiale S-Bahn Berlin, chargée de l'exploitation du S-Bahn berlinois, pour que celle-ci accroisse ses profits. De fait, ces derniers ont été multipliés par six entre 2004 et 2008, et l'analyse des déboires du RER berlinois confirme que les économies ont été réalisées sur les dépenses de maintenance et d'entretien : des ateliers ont été fermés, les visites espacées, les préconisations du constructeur concernant le renouvellement des pièces n'ont pas été respectées. En conséquence, par un avenant au contrat qui le lie à S-Bahn Berlin jusqu'en 2017, le VBB a alourdi les pénalités encourues en cas de manquement à la qualité de service, et il prépare un appel d'offres afin de confier par la suite une partie du réseau à un autre exploitant.

On voit que les irrégularités existent aussi à l'étranger et s'expliquent soit par le grand âge des infrastructures, soit, comme ici, par la recherche inconsidérée d'économies par l'exploitant.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Le caractère cacophonique de l'information des voyageurs ne favorise pas la rationalisation du système. D'autre part, les indicateurs de référence utilisés par les études de qualité ne reflètent pas la réalité et ne font pas assez de place aux usagers ; en outre, ceux qui sont chargés de les mettre en oeuvre ne doivent pas être juge et partie, sauf à perdre leur objectivité. On peut en outre se demander si les pénalités en vigueur en France sont assez lourdes pour avoir une vertu pédagogique ; la Cour des comptes en doutait dans le rapport que j'ai cité. À cela s'ajoutent le vieillissement du réseau et les difficultés techniques qui en découlent. Nos voisins ont-ils résolu ces problèmes, et comment ?

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Je remercie M. Orfeuil de son exposé très intéressant. Il apparaît que les problèmes de transport en commun qu'il a évoqués n'épargnent pas les autres grandes capitales, d'autant qu'il est encore plus difficile de circuler en voiture à Londres et à Berlin qu'à Paris.

Monsieur Orfeuil, vous avez dit que le Pass Navigo à tarif unique risquait d'accroître la fréquentation alors même que les usagers pourraient accepter des tarifs sensiblement supérieurs, à condition, bien sûr, que le confort et la régularité du service soient garantis. Pourriez-vous développer votre propos ? Quelles seraient les conséquences d'une hausse ou d'une baisse des tarifs sur l'utilisation des transports en commun ?

PermalienJean-Pierre Orfeuil, ingénieur statisticien, professeur à l'Université Paris Est-Créteil

En ce qui concerne les indicateurs de qualité, l'absence dans le contrat du nombre de passagers par mètre carré à l'heure de pointe est particulièrement frappante, étant entendu qu'il s'agit aussi d'un indice de succès.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Il me semble que l'indicateur de confort à l'heure de pointe diffère d'une ligne à l'autre. Sur certaines lignes, il se fonde sur la norme de quatre voyageurs par mètre carré ; sur d'autres, le confort est mesuré à partir du nombre de rames par heure.

PermalienJean-Pierre Orfeuil, ingénieur statisticien, professeur à l'Université Paris Est-Créteil

En ce qui concerne l'information des voyageurs, je serai moins sévère que vous, Monsieur le rapporteur : des progrès ont été accomplis – et c'est heureux, étant donné les progrès de la société de l'information en général !

S'agissant de l'aspect financier, on s'accorde à évaluer l'élasticité de la demande par rapport au prix à - 0,3 en moyenne, ce qui signifie que lorsque le tarif augmente de 10 %, le nombre de clients diminue de 3 % ; elle n'est plus que de - 0,1 à - 0,2 en période de pointe. La qualité de service dépend essentiellement de l'ingénieur qui garantit le parfait fonctionnement du système, de l'autorité organisatrice qui doit couvrir un nombre suffisant de kilomètres, enfin du niveau de la demande, dont une forte hausse induit nécessairement des perturbations. Quel est l'effet d'une variation tarifaire sur ces paramètres ? On raisonne souvent à partir du nombre de clients, oubliant qu'un client qui parcourt vingt kilomètres n'est absolument pas assimilable à un autre qui en parcourt dix ou cinq. Une baisse des tarifs entraînera une augmentation des distances parcourues ; or l'offre est précisément comptabilisée en places par kilomètre et non en nombre de personnes transportées. Il convient de distinguer le tarif moyen proposé, lié à l'inflation annuelle, de la structure tarifaire. Plus cette dernière sera « plate », plus les usagers seront incités à parcourir de longues distances – sauf si la qualité de service se dégrade encore, car ils ne tiennent pas seulement compte de l'aspect financier, mais aussi de la qualité du temps passé dans les transports.

PermalienPhoto de Jacques Alain Bénisti

Existe-t-il des études précises sur les conséquences du temps passé dans les transports sur le nombre de divorces – je rappelle qu'un ménage francilien sur deux se sépare – et sur la montée de la délinquance des « orphelins de seize heures trente », favorisée par le phénomène des bandes ?

PermalienPhoto de Guy Malherbe

La ligne C, que j'emprunte tous les jours, est très longue, si bien qu'une porte mal fermée à Étampes peut bloquer le trafic jusqu'à Pontoise ou Saint-Quentin-en-Yvelines. A-t-on étudié la possibilité d'une rupture de charge à Bibliothèque-François-Mitterrand (BFM) ou à Javel entre le RER et des navettes intra muros ? Le bon fonctionnement d'un tel système ne compenserait-il pas aux yeux des voyageurs le désagrément de la rupture de charge, que l'on pourrait minimiser en organisant une correspondance de quai à quai ? Je signale que les usagers de la ligne ont refusé que l'on porte de deux à trois le nombre de trains par quart d'heure parce qu'ils craignaient l'embouteillage des voies.

PermalienPhoto de François Asensi

Monsieur Orfeuil, vous êtes un usager de la ligne B Sud ; pour ma part, j'emprunte la ligne B Nord. Je n'aurai qu'un mot pour qualifier ce que j'ai vécu ce matin : une « galère ». Trois quarts d'heure de retard, et un train bloqué dans le tunnel de Châtelet faute de courant, nous a dit le conducteur !

Les tarifs des transports en Île-de-France sont profondément inégalitaires. Plus on habite loin du coeur de la ville, plus les déplacements sont coûteux. La facture est d'autant plus lourde qu'en grande banlieue on a aussi besoin d'une voiture, voire de deux, notamment pour faire ses courses en fin de semaine. C'est le lot commun des habitants de la grande couronne, que ne partagent pas les Parisiens. Il faut mesurer la dimension sociale des questions dont nous discutons.

Vous avez évoqué le tunnel entre Châtelet et Gare du Nord, dont il est question depuis longtemps. Si de nombreux « clients » ne dépassent pas Châtelet, il n'en va pas de même des trains, d'où la situation d'engorgement. Pourquoi a-t-on renoncé à doubler ce tunnel où circulent vingt-huit trains par heure dans chaque sens, ce qui crée une véritable thrombose responsable d'importants retards ?

PermalienJean-Pierre Orfeuil, ingénieur statisticien, professeur à l'Université Paris Est-Créteil

Je m'en tiendrai au point de vue des usagers. Ils sont très peu nombreux à vivre au Nord et à travailler au Sud ou vice versa. Il n'en va pas tout à fait de même de l'axe Est-Ouest, du fait de la localisation de La Défense et de la difficulté à se loger dans l'Ouest parisien. En tant que citoyen, j'estime que des interruptions impliquant des ruptures de charge amélioreraient considérablement l'exploitation du réseau en l'adaptant à la densité des territoires desservis.

Monsieur Asensi, on ne peut passer sous silence le problème que vous soulevez. Mais on pourrait vous rétorquer, en se faisant « l'avocat du diable », que les Parisiens et les habitants de la petite couronne subissent eux aussi une double peine, puisqu'ils paient leur logement très cher et circulent très difficilement en voiture. Je me garderai donc d'entrer dans ce débat. En revanche, il est un fait incontestable que l'on peut souligner sans présupposé idéologique : la grande majorité des habitants de la grande couronne vit, travaille et se nourrit en grande couronne ; leur obsession n'est donc pas de se rendre à Paris. Par conséquent, il faut leur garantir des services et des tarifs adaptés à l'intérieur de la grande couronne : servir la grande couronne, ce n'est pas servir les 10 ou 15 % de ses habitants qui viennent travailler à Paris, et dont, selon une étude récente, les revenus sont de 25 % supérieurs à ceux des 85 ou 90 % restants.

PermalienPhoto de Pierre Morange

Madame Navarre, j'aimerais que vous poursuiviez les comparaisons européennes à propos des indicateurs – notamment chez nos amis britanniques, particulièrement compétents en matière d'évaluation du service rendu –, de la qualité de l'information et du seuil d'efficacité des bonus-malus.

PermalienPhoto de Patrice Calméjane

Monsieur Meyère, vous avez invoqué la vétusté du matériel ; pourtant, le RER, nettement plus récent que le métro, fonctionne beaucoup moins bien – abstraction faite de la ligne 13 du métro qui pâtit de son double embranchement au nord – pour une densité de service équivalente, voire inférieure.

Sans négliger les préoccupations de mes collègues de la grande couronne, j'aurais aimé que la comparaison avec les grandes capitales européennes porte sur Paris et sa petite couronne – 6,2 millions d'habitants, un peu moins de mille kilomètres carrés.

Il semble parfois plus simple de moderniser le matériel que de modifier le comportement des usagers. Mais un ticket non payé induit un manque à gagner ; or nous cherchons des sources de financement. En outre, les fraudeurs dégradent aussi la qualité de service et le fonctionnement général des transports. Quel est le taux de fraude observé dans les transports collectifs en Île-de-France, par comparaison avec Londres, Madrid et Berlin ?

PermalienDanièle Navarre, chargée d'études au département « Mobilité et Transport » de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France

Je me concentrerai sur l'irrégularité, ses causes et les pistes d'amélioration envisageables.

En Grande-Bretagne, à la suite du très grave déraillement qu'a évoqué Alain Meyère, l'État a lancé deux plans de financement sur dix ans, destinés l'un à l'ensemble du réseau national de chemin de fer, ce qui a bénéficié à la banlieue de Londres, l'autre au seul réseau londonien. Ces subventions ont permis la remise à niveau complète des réseaux – voies, signalisation, électrification –, parallèlement à la rénovation du matériel grâce à d'autres sources de financement. Dès lors, la régularité a progressé continûment jusqu'à la fin des années 2000, passant de 77 à près de 90 % en dix ans. Selon les dernières données dont nous disposions, la régularité restait légèrement supérieure en Île-de-France mais la tendance semblait sur le point de s'inverser. Il faudrait la mesurer aujourd'hui pour confirmer cette évolution. Nous l'avons signalée à l'époque, rappelant que le réseau londonien avait pâti de l'absence de subventions publiques depuis plusieurs décennies et que les entreprises privées responsables avaient manqué à leur mission faute de parvenir à boucler leur budget.

En Île-de-France, les causes des irrégularités sont beaucoup plus complexes. La première est la vétusté des infrastructures, qui varie selon les réseaux. Ainsi, les réseaux sud-est et nord ont bénéficié de l'arrivée du TGV alors que celui de Saint-Lazare reste particulièrement mal loti ; la signalisation, notamment, n'y a pas été modernisée et de graves problèmes d'alimentation électrique se posaient au moment où nous avons mené notre étude. Si le RER est effectivement récent, monsieur Calméjane, ses trains – du moins hors de Paris – empruntent les réseaux ferroviaires, qui, eux, sont vétustes. Le matériel est en meilleur état car il a été plusieurs fois rénové.

Deuxièmement, la longueur de nos lignes favorise les perturbations. Ainsi, sur la ligne D, un incident en banlieue nord peut se répercuter jusqu'à Melun. Cela n'arrive pas à Londres, où il n'existe pour l'instant aucun véritable équivalent du RER reliant deux banlieues diamétralement opposées via plusieurs gares intra-muros, même si la ville y viendra peut-être avec le projet Crossrail. À l'heure actuelle, les gares où arrivent les trains sont des terminus.

Troisièmement, à l'intérieur de Paris, les tunnels empruntés par le RER sont à la limite de leurs capacités, le plus saturé étant effectivement le tunnel entre Châtelet et Gare du Nord où l'on approche les trente-deux trains par heure dans chaque sens en période de pointe – vingt pour la ligne B, douze pour la ligne D. Le fait que deux lignes différentes l'empruntent accroît la difficulté puisqu'il faut coordonner les horaires de chacune.

Enfin, la saturation est telle qu'il n'est plus possible de maintenir la distinction qui avait cours dans les avant-gares – sauf à Saint-Lazare – entre les deux voies dédiées aux trains grandes lignes et les deux voies dédiées aux trains de banlieue. Ainsi, selon un exemple volontiers cité par les représentants de la SNCF, un problème survenu en Espagne sur la ligne du Talgo peut perturber la desserte de la gare de Juvisy-sur-Orge par les trains de banlieue !

Quelles sont les pistes d'amélioration ? Les schémas directeurs des lignes de RER, que le STIF et la SNCF pourront vous détailler, prévoient une refonte de l'exploitation du RER, puis de tous les réseaux passant par Paris. Il s'agit de modifier la desserte par zone qui régit le parcours des RER et des Transilien des gares Montparnasse et Saint-Lazare. Défini dans les années cinquante, le système était adapté à une époque où les banlieusards cherchaient à rejoindre Paris le plus vite possible puisque tout – emplois, équipements, services – y était concentré. Il ne convient plus dès lors que beaucoup d'activités se sont déplacées en banlieue. Selon ce principe, une première catégorie de trains dessert uniquement les premières communes autour de Paris : par exemple, sur la ligne C, ils sont omnibus jusqu'à Choisy-le-Roi, leur terminus. Les trains desservant la deuxième zone sont directs de Paris à Choisy puis omnibus jusqu'à Juvisy. Ceux de la troisième zone sont directs jusqu'à Juvisy, à l'exception d'un arrêt à Choisy, terminus de la première zone. Ceux de la quatrième zone vont directement à Juvisy puis desservent les banlieues éloignées. Ce système a pour inconvénient d'accroître la circulation, ce qui entraîne un phénomène de saturation à l'approche de Paris. En outre, les communes les plus denses autour de Paris – de Paris à Choisy dans l'exemple cité – ne sont desservies que par les trains de première zone, soit un train par quart d'heure, comme les communes situées au bout de la dernière zone. Enfin, le système se prête mal aux déplacements de banlieue à banlieue le long de la ligne, qui ont beaucoup augmenté, et pour lesquels les voyageurs doivent faire un changement au terminus de zone. Bref, la desserte par zone n'est plus adaptée ni aux besoins des usagers ni aux capacités des réseaux.

Dès lors, les schémas directeurs définis par le STIF avec les transporteurs – SNCF et Réseau ferré de France – organisent la remise à niveau des réseaux selon trois étapes. Celui de la ligne B va entrer en vigueur ; pour celui de la ligne D, les travaux commencent ; celui de la ligne C n'est pas encore mis en oeuvre. Le principe, plus ou moins facile à appliquer selon les réseaux, est le suivant. Le RER ira moins loin, s'arrêtant aux villes nouvelles, mais sera omnibus et plus fréquent, avec un train toutes les trois à cinq minutes, sur le modèle du S-Bahn allemand. En somme, le RER deviendra une sorte de super métro de la zone agglomérée. Le RER C, par exemple, s'arrêterait à Brétigny-sur-Orge.

Au-delà, la desserte serait assurée par des trains omnibus de Dourdan ou Saint-Martin d'Étampes jusqu'à Brétigny, comme aujourd'hui, puis directs jusqu'à Paris, à l'exception d'un ou deux arrêts à un point de maillage important comme Juvisy et dans une gare de correspondance avec la rocade du Grand Paris. Ces trains n'emprunteraient pas les tunnels dédiés au RER, mais auraient pour terminus une gare de surface, Paris-Austerlitz, après avoir desservi Bibliothèque-François-Mitterrand, appelée à accueillir tous les trains. Pour le RER B, le principe sera le même, à ceci près que tous les trains seront omnibus ; la fréquence augmentera pour atteindre vingt trains par heure entre Paris et Aulnay-sous-Bois, soit un train toutes les trois minutes. On ne sait ce qu'il adviendra du projet CDG Express qui devait aller de pair avec ces changements. Quoi qu'il en soit, ceux-ci interviendront fin 2012 ou début 2013. D'ici deux ou trois ans, la fréquence sera plus satisfaisante. Pour le RER C, il faudra attendre un peu plus.

Ces travaux sont d'autant plus coûteux qu'ils supposent des voies dédiées, indépendantes de celles qu'empruntent les trains grandes lignes. La tâche a été relativement facile sur la ligne B, même s'il a fallu poser des voies et aménager des terminus et des sauts de mouton. Elle a été plus difficile sur la ligne D. Sur la ligne C, elle implique la pose de deux voies supplémentaires entre Juvisy, voire Brétigny, et Paris, laquelle pourrait résulter de la construction de la ligne à grande vitesse Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon (POCL)

Enfin, Monsieur Malherbe, le principe que vous proposez est difficile à appliquer aux lignes de RER existantes mais préside au projet de prolongement de la ligne E vers l'ouest : les trains ne traverseront pas Paris mais auront pour terminus La Défense lorsqu'ils viendront de l'est et la future gare Rosa-Parks – ex-gare Évangile – lorsqu'ils viendront de Mantes-la-Jolie.

PermalienPhoto de Daniel Goldberg

Les déplacements en Île-de-France, professionnels mais aussi personnels, sont-ils plutôt radiaux ou tangentiels ? Il est important de le savoir pour arbitrer entre l'amélioration des lignes actuelles de RER, essentiellement radiales, et le développement de tangentielles.

PermalienPhoto de Guy Malherbe

Je précise que le schéma directeur du RER C est aujourd'hui gelé : il fait l'objet d'un moratoire après que l'association des élus de la ligne C du RER, que je préside, a exprimé son mécontentement au président du STIF. Si la desserte des communes de la petite couronne doit effectivement être améliorée, elle ne saurait l'être au détriment de la grande couronne. Or, pour améliorer la desserte du Val-de-Marne, on envisage de prolonger de cinq à sept minutes le temps de transport des usagers qui habitent au-delà de Juvisy. Le débat se poursuit au sein du comité de ligne. Quant au « sextuplement » des voies entre Juvisy et Bibliothèque-François-Mitterrand, il coûte un milliard d'euros et dépend du projet POCL, qui ne sera pas réalisé avant vingt ans !

Vous l'avez dit, Madame : même si le RER n'a que quarante ans, il utilise des infrastructures très anciennes. Ainsi, au noeud ferroviaire de Brétigny convergent des TGV, des trains grandes lignes, des RER directs de Dourdan ou Étampes à Paris, auxquels s'ajoutent le fameux RER BALIPAUL, qui relie Boulevard-Victor à Brétigny : pour repartir de la gare, son terminus, il utilise quatre aiguillages datant des années trente et dépendant de postes non informatisés qui ne communiquent pas les uns avec les autres ! Le moindre problème sur la ligne conduit à supprimer le BALI le soir et le PAUL le matin. Nous, élus de la ligne C, avons donc demandé que l'on améliore les infrastructures. De fait, sur les quelque 300 millions d'euros que le contrat État-région d'un milliard d'euros consacre à la ligne C, 70 millions vont servir à des études que le STIF vient de décider sur le « sextuplement » des voies entre Juvisy et Paris, l'amélioration de l'électrification et le noeud ferroviaire de Brétigny. De ce dernier problème dépend en grande partie la régularité sur la ligne C.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Madame Navarre, vous dites que les lignes de RER sont beaucoup trop longues. La politique de fourche n'a-t-elle pas été une erreur ? Ne faudrait-il pas installer les nouvelles gares au niveau des embranchements pour gagner en régularité ?

PermalienPhoto de Pierre Morange

J'aimerais connaître, Madame, Monsieur, l'état de votre réflexion stratégique sur deux aspects de l'offre. Premièrement, le débat classique entre radiales et tangentielles. Deuxièmement, à la lumière des comparaisons européennes, la politique de voies dédiées, par opposition au partage des voies – la priorité étant donnée aux voyageurs – avec le fret, les TER et les TGV. Quelles en seraient les conséquences sur l'hyper concentration, que l'on pense au tronçon central qui se subdivise en fourche ou aux problèmes d'interconnexion de banlieue à banlieue ? Au-delà du STIF, autorité organisatrice, cela engage la définition des sillons attribués par RFF.

PermalienDanièle Navarre, chargée d'études au département « Mobilité et Transport » de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France

Ce système est sans équivalent en Europe. Le S-Bahn est par construction entièrement indépendant du réseau de chemin de fer régional ou national, ce qui, joint à une desserte omnibus, lui assure un excellent taux de régularité : 98 % à Berlin avant le problème de matériel dont nous avons parlé. Londres n'est pas un modèle en ce qui concerne les chemins de fer. En revanche, comme dans d'autres métropoles européennes, le métro y va beaucoup plus loin qu'à Paris, où les inter stations sont aussi particulièrement courtes – pas plus de cinq cents mètres, contre huit cents mètres à un kilomètre dans les grandes métropoles comparables. Le métro londonien dessert ainsi tout Greater London, soit cinq cents kilomètres carrés : comme si le métro parisien, qui ne va guère plus loin que les portes de Paris, couvrait toute la zone agglomérée jusqu'aux villes nouvelles non comprises. Or qui dit métro dit « voies dédiées » et « desserte omnibus ». Central London – l'équivalent de Paris et des communes limitrophes desservies par le métro – est moins finement maillé que Paris du fait de la longueur de l'inter station, de l'existence de tronçons communs à plusieurs lignes et de l'absence de RER, c'est-à-dire de desserte du centre par le chemin de fer. Les bus compensent ce défaut. Mais, au-delà de cette zone, la desserte par transports lourds est bien plus satisfaisante que chez nous.

Cela doit nous conduire à nous interroger sur notre desserte par métro, conçue comme essentiellement parisienne. Les projets actuels de métro automatique en rocade visent à prendre en considération les déplacements de banlieue à banlieue, majoritaires et en forte croissance.

PermalienAlain Meyère, directeur du département « Mobilité et Transport » de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Île-de-France

En ce qui concerne la desserte de la banlieue, les métropoles européennes comparables à Paris ne connaissent effectivement pas cette frontière, qui correspond à peu près au périphérique, entre une commune centre relativement peu étendue et sa banlieue. En outre, le bus y joue un rôle beaucoup plus important qu'en Île de france. À Londres, par exemple, plusieurs dizaines de lignes de bus circulent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C'est une différence entre l'Île-de-France et la province : il est frappant que les Franciliens perçoivent le bus comme un moyen de transport « au rabais », ce qu'il n'est pas du tout le cas à Nantes ou à Bordeaux !

Les pénalités encourues sont-elles suffisamment lourdes pour être pédagogiques ? Lorsque les premiers contrats ont été signés, dans les années 2000, elles n'étaient pas très élevées. Mais, au-delà de l'aspect financier, les exploitants peuvent être sensibles au fait de percevoir des bonus quand d'autres paient des pénalités. Sans doute faudrait-il donc donner plus de publicité aux résultats, comme on le faisait il y a quelques années.

En ce qui concerne le taux de fraude, comptabilisé avec les incivilités au titre des causes externes des perturbations, force est de constater qu'il est moins élevé dans les autres réseaux européens. Il faudrait étudier cette particularité française.

Le RER a pour principale fonction de mailler le centre de Paris, notamment grâce à des correspondances avec de nombreuses lignes. En ce sens, il serait inopportun qu'il desserve uniquement des gares terminus. 1 % des déplacements seulement s'effectuent de banlieue à banlieue via Paris ; en revanche, ce rôle de diffusion des voyageurs dans le centre est essentiel. Le principe d'un RER traversant Paris et s'arrêtant juste après ne devrait pas susciter d'objection majeure de la part des usagers.

On donne une image erronée de la structure des déplacements en Île-de-France en se contentant de rappeler que 70 % d'entre eux sont des trajets de banlieue à banlieue. Il faut préciser que les 30 % de déplacements depuis ou vers Paris sont pour moitié internes à Paris et pour moitié des échanges entre Paris et la petite ou la grande couronne. Mais les déplacements entre la banlieue et Paris sont bien plus importants si l'on tient compte du nombre de kilomètres parcourus, comme nous y a invités Jean-Pierre Orfeuil. En outre, on a tendance à assimiler les 70 % de déplacements de banlieue à banlieue à des déplacements en rocade, alors qu'il faut en décompter environ 20 % de déplacements intra communaux ; ils s'effectuent notamment en voiture ou en bus. Les déplacements en banlieue, ce sont aussi des trajets brefs, à pied ou à vélo, ils ne sont donc pas seulement effectués dans Paris. S'y ajoutent 15 à 20 % de trajets inter communaux, mais radiaux : de Gif-sur-Yvette à Juvisy-sur-Orge ou de Marne-la-Vallée à Val de Fontenay, par exemple. En d'autres termes, quand on travaille sur les lignes radiales, on contribue aussi à améliorer les conditions des déplacements de banlieue à banlieue. Les déplacements en rocade, qui ne sont pas nécessairement très longs, d'ailleurs, ne représentent que le solde, soit moitié moins que les 70 % qu'on a tendance à leur attribuer.

Dans le cadre d'un programme de recherche, nous étudions la mobilité des Franciliens selon leur lieu d'habitation, de Paris aux zones péri urbaines situées au-delà de la zone agglomérée. Pour analyser la mobilité, on comptabilise habituellement le nombre de déplacements par personne et par jour. Si l'on en soustrait le trajet de retour à domicile, on obtient le nombre d'activités qui constituent le but des trajets : quand on se déplace, on va travailler, retrouver des amis, faire des courses, etc. Cela permet de mesurer l'intensité de la vie sociale des personnes étudiées. Or ce chiffre s'est stabilisé depuis longtemps à 3,5 déplacements en moyenne par personne et par jour, quel que soit le lieu d'habitation en Île-de-France. À mesure que l'on s'éloigne de Paris, la longueur moyenne des trajets augmente et la voiture est de plus en plus utilisée, car les transports collectifs sont de moins en moins présents. En revanche, la durée moyenne des déplacements est stabilisée à une heure et demie par jour, et les horaires de départ et de retour sont eux aussi à peu près identiques partout. La zone périurbaine est la seule où les distances vont en croissant au fil du temps.

On note enfin le recours massif à la voiture. À cet égard, la hausse du prix de l'énergie, encore relativement limitée, risque de révéler la fragilité de la situation de certains ménages, dont elle compromettra fortement la mobilité à l'avenir.

PermalienPhoto de Daniel Goldberg

Je vous remercie de la qualité de vos interventions.

L'audition prend fin à 11 heures 55.

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Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Île-de-France

Réunion du mardi 17 janvier 2012 à 9 heures

Présents. - M. François Asensi, M. Jacques Alain Bénisti, M. Patrice Calméjane, M. Daniel Goldberg, M. Didier Gonzales, M. Guy Malherbe, M. Pierre Morange, M. Axel Poniatowski, M. François Pupponi

Excusé. - M. Yanick Paternotte