La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Mme Jennifer Jones-Giezendanner, pilote de ligne.
La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq.
J'ai souhaité, en cette fin de mandat, auditionner des femmes travaillant dans des milieux d'hommes. La semaine dernière, nous avons entendu une femme commissaire de police. Cette semaine, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Jennifer Jones-Giezendanner, qui est pilote de ligne.
J'ai trente-quatre ans, je suis mariée et mère d'un petit garçon de 21 mois. Je suis copilote de Boeing 777 pour la compagnie Air France. Membre du bureau Air France du Syndicat national des pilotes de ligne, je m'y occupe particulièrement des affaires internationales – je préside, à ce dernier titre, la SkyTeam Pilots Association, qui regroupe 25 000 pilotes à travers le monde – et des questions intéressant les femmes pilotes.
Voilà bien longtemps que des femmes pilotent des avions. La première au monde à l'avoir fait était une Française, Élise Deroche, appelée la baronne Raymonde de la Roche, qui avait obtenu son brevet le 8 mars 1910. Puis il y eut Maryse Bastié et Hélène Boucher, qui s'étaient engagées dès 1934 pour le droit de vote des Françaises, et Maryse Hilsz, une résistante, qui fut sous-lieutenant de l'armée de l'air, affectée au GLAM – Groupe de liaisons aériennes ministérielles. Je citerai aussi Jacqueline Auriol, première femme pilote d'essai ; Caroline Aigle, première femme pilote de chasse, malheureusement décédée ; Emilie Denis, première femme pilote de chasse dans la Marine ; Jacqueline Camus, première femme pilote de ligne en 1967 chez Air Inter ; Danielle Décuré, première femme pilote entrée à Air France et connue pour son livre intitulé Vous avez vu le pilote ? C'est une femme ! où elle décrit le combat qu'elle a dû mener pour s'imposer dans le métier ; Béatrice Vialle, qui a piloté le Concorde ; Patricia Haffner, la première à être entrée à l'ENAC – École nationale de l'aviation civile – première femme commandant de bord, aujourd'hui sur A 380. Enfin, l'année dernière, Virginie Guyot est devenue la première femme leader de la Patrouille de France.
Je n'ai pas les chiffres au niveau national, mais Air France est l'une des compagnies au monde où il y a le plus de femmes. Aux États-Unis par exemple, les pilotes viennent de l'armée et, de ce fait, comptent moins de femmes dans leurs rangs.
À Air France, sur environ 4 200 pilotes, nous sommes 284 femmes – soit 6,8 % de l'effectif total – parmi lesquelles on compte 58 commandants de bord – soit 4,2 % de l'effectif – et 226 copilotes – soit 9,4 % de l'effectif. La proportion des femmes dans l'effectif global n'explose pas. Quand les embauches se faisaient à peu près à flux constant, elle augmentait de 0,3 % par an. Cela dit, dans les nouvelles promotions, notamment chez les stagiaires, on compte couramment 15 % de femmes.
Il est regrettable qu'au collège et au lycée, on n'insiste pas suffisamment sur le fait que le métier de pilote est accessible aux femmes comme aux hommes. Dans mon lycée, alors que je savais que je voulais faire ce métier depuis l'âge de quatorze ans, personne n'était à même de me conseiller. Or, il existe plusieurs voies d'accès : la filière des cadets d'Air France ; l'École nationale de l'aviation civile (ENAC), où je suis entrée en 1999 au sortir des classes préparatoires ; l'armée de l'air, qui maintenant convertit ses licences militaires en licences civiles permettant de piloter des avions de ligne ; enfin, le privé, que je ne conseillerai à personne.
Dans le cockpit, le commandant de bord et le copilote ont deux statuts différents mais font le même métier. À Air France en tout cas, tous deux pilotent l'avion de la même façon.
En arrivant à l'aéroport, nous préparons notre vol à partir de documents qui nous permettent de connaître le temps prévu, la quantité de carburant à emporter ainsi que les particularités des passagers – élément important, surtout sur un long courrier. Ensuite, nous rencontrons les hôtesses et les stewards lors d'un briefing commun, qui est l'occasion de nous présenter. En effet, les équipages sont renouvelés à chaque vol afin d'éviter une routine qui serait préjudiciable à la sécurité ce qui, en contrepartie, exige l'application de référentiels communs.
Nous nous rendons ensuite à l'avion. Le copilote en fait le tour pour tout vérifier : même si le mécanicien est déjà passé, une erreur ou un oubli sont toujours possibles. D'ailleurs, c'est le commandant de bord qui, comme responsable de la mission par délégation, l'est aussi de ce « tour avion ».
Puis nous continuons à préparer le vol dans le cockpit après avoir déjà déterminé qui allait effectuer quelles étapes. Sur moyen courrier, s'il y a quatre étapes dans la journée, le commandant de bord et le copilote se les partagent à égalité : chacun fera donc deux décollages et deux atterrissages. Sur long courrier, la situation est un peu différente : le règlement exige qu'à tout moment chacun ait effectué trois atterrissages et trois décollages au cours des trois mois précédents – c'est ce qu'on appelle « l'expérience récente » – et si le copilote par exemple est un peu « juste », le commandant de bord lui laissera effectuer une étape supplémentaire.
Celui qui fait le vol comme « pilote en fonction » rentre dans l'ordinateur de bord tous les paramètres de la route, et tout est vérifié en commun avant le départ. Ensuite, après le décollage, nous vérifions, toujours en commun, que l'avion se comporte bien, qu'il y aura suffisamment de carburant, que les conditions météorologiques restent – ou deviennent – suffisamment clémentes pour pouvoir se poser, étant entendu que le « beau temps » aéronautique est une notion tout relative : les performances des avions actuels leur permettent de se poser dans des conditions difficiles, ce qu'ils font d'ailleurs très bien tout seuls quand il y a du brouillard !
Celui qui pilote gère toute la trajectoire. L'autre se charge de la radio navigation, de la météo et des communications avec le sol, via la radio ou les ordinateurs de bord.
La différence entre le commandant de bord et le copilote ne tient donc à rien de technique dans le travail concret. Elle réside en ce que le premier, responsable de la mission par délégation du directeur général, a toute latitude pour prendre les décisions nécessaires, compte tenu éventuellement des informations qui lui viennent de la cabine. Cela étant, il essaie toujours de faire en sorte que ses décisions soient bien acceptées. Il est en effet difficile de les faire appliquer quand on est à trois heures d'un terrain avec une panne moteur et que le copilote n'est pas d'accord. Mais en général, tout se passe bien. D'ailleurs, nous sommes bien formés à cet effet.
Non, pas à Air France. Après notre première qualification, nous sommes inscrits sur une « liste de séniorité » et un numéro nous est attribué. En fonction de ce numéro, et de l'offre et de la demande, c'est-à-dire du nombre de postes disponibles pour être commandant de bord ou copilote sur long courrier, nous posons notre candidature. Si c'est notre tour, nous partons en formation.
Il n'existe donc aucune discrimination pour l'accès au poste de commandant de bord mais les postes d'instructeurs ou de cadres pilotes, pour lesquels il faut déjà être commandant de bord, sont majoritairement occupés par des hommes. A priori, il n'y pas de discrimination, le taux d'échec des femmes n'étant pas significativement supérieur à celui des hommes, mais plutôt un manque de candidates. Une étude est en cours à Air France pour connaître les raisons du faible nombre de femmes qui postulent à ces postes.
Je n'ai pas eu ce sentiment. Cela dit, on a détecté, notamment parmi les cadets, un taux d'échec un peu plus important pour les filles. L'explication qui a été avancée est que les jeunes femmes qui se présentent à la sélection ont de meilleurs résultats que leurs homologues masculins parce que plus mûres – et présentant mieux – mais qu'ensuite, elles tendent à « plafonner » alors que les hommes progressent de façon régulière. Il est difficile de confirmer cette hypothèse car le nombre des femmes concernées reste faible. En revanche, on a pu vérifier que ce n'était pas toujours avec les mêmes instructeurs que les stagiaires féminines avaient échoué.
La sélection se fait à partir de tests et d'entretiens menés par un psychologue et deux pilotes, et ceux-ci sont toujours des hommes. La séduction joue-t-elle ? Je ne peux pas me prononcer. En effet, si le taux des femmes augmente progressivement, il ne le fait pas de façon exponentielle.
Les jeunes gens ne risquent-ils pas d'être pénalisés, au moment des entretiens, par la politique de féminisation de l'entreprise ?
On a même avancé, à une époque, qu'il y aurait des quotas, mais cela n'a jamais été vérifié.
Il faut préciser que, lorsque la compagnie embauche, elle ne se contente pas d'intégrer le nombre de personnes dont elle a immédiatement besoin. Elle se constitue une « réserve ». De ce fait, si un jeune homme est bon et qu'une jeune femme l'est également, ils seront l'un et l'autre placés sur la liste d'attente. Y figurent actuellement 200 personnes, dont certaines pilotent pour d'autres compagnies.
Je crois savoir qu'il est difficile de devenir commandant de bord à Air France, en raison de l'expérience exigée dans cette compagnie qui est le nec plus ultra pour les pilotes. Ainsi un commandant de bord venant d'une autre compagnie ne commence pas comme tel.
Les femmes ont indéniablement les capacités physiques et mentales d'exercer le métier de pilote, sur moyen comme sur long courrier. Mais les jeunes femmes osent-elles se lancer ?
Elles commencent à le faire en proportion non négligeable. Dans une des promotions de cadets, il doit y avoir cinq ou six femmes sur quelque trente stagiaires.
Alors même qu'une jeune fille ne se pose pas, ou peu, la question d'une vie de famille difficile quand elle choisit de devenir hôtesse de l'air, la question semble devenir essentielle quand on parle de devenir pilote. Le message à passer aux jeunes générations est qu'il n 'y a évidemment aucune différence entre ces deux populations. Certes, je ne vois pas mon enfant tous les soirs, toutefois, je peux lui consacrer nombre de journées entières dans le mois ce qui représente bien plus en quantité que les week-end normalement passés avec ses enfants. Selon moi c'est aussi une meilleure qualité de temps passé avec lui, loin du stress des soirées trop remplies de la plupart des mères travaillant tous les jours.
En croisière, il est obligatoire. En effet, une grande précision est nécessaire : songez que deux avions peuvent se croiser en vol à seulement 300 mètres de distance. Le décollage et la montée se font en pilotage manuel. L'atterrissage également, s'il fait beau ou moyennement beau. Mais s'il y a beaucoup de brouillard, on passe au pilotage automatique. Par exemple, sur A 320, on peut atterrir avec seulement 75 mètres de visibilité : on ne voit qu'une lampe. Mieux vaut donc de ne pas être occupé par le pilotage et pouvoir regarder au dehors pour vérifier que cette lampe est bien celle de la piste, et pas celle du supermarché d'à côté !
Les conditions de travail à Air France sont plutôt bonnes : par an, doivent être effectuées un maximum de 800 heures de vol sur moyen courrier et un maximum de 850 sur long courrier ; par mois, cela correspond à un maximum de 80 heures de vol – des dérogations sont possibles jusqu'à 95 heures, mais on n'y recourt pratiquement jamais – et à un maximum de 19 jours travaillés mais ce maximum n'a guère été atteint qu'en des périodes fastes pour la compagnie. En fait, les contraintes sont très différentes entre le moyen et le long courrier. Dans le premier cas, le pilote travaille chacun de ces 19 jours en faisant une, deux, trois ou quatre étapes ; chaque étape occupe trois jours, dont l'un consacré au repos. Dans le second cas, il peut s'agir d'un aller-retour à New York suivi, quatre jours après, d'un aller-retour à Buenos Aires ; chaque étape dure six jours, dont quatre sur place et le retour pendant la nuit qui suit et une arrivée au sixième jour.
Chaque pilote est affecté à un type d'avion. En ce qui me concerne, je vole sur Boeing 777 et ne fais pratiquement que du long courrier, sauf l'été, de temps en temps, pour des vols vers Bastia ou Nice. Les pilotes d'A 320 font du moyen courrier. Les affectations sont donc bien distinctes, ce qui permet aux femmes d'opter pour le rythme de travail qui leur convient le mieux. Pour moi, je suis ravie d'avoir choisi le long courrier. J'habite à Chamonix : j'en pars donc trois ou quatre fois par mois pour Roissy, vers 23 heures, et je rentre à 6 heures du matin. Je peux donc passer chez moi la totalité de la journée précédente et de la journée suivante ! Si j'étais sur moyen courrier, je serais absente 19 jours – et souvent des veilles et des lendemains de vol.
Sur les bases qui se sont ouvertes à Air France en province – dont celle de Marseille, très récemment –, le rythme est encore différent : douze jours de travail par mois, et la possibilité de rentrer tous les soirs chez soi.
Ainsi chaque pilote d'Air France, femme ou homme, peut choisir, lorsque c'est son tour sur la liste, l'affectation la plus compatible avec son mode de vie.
Disons qu'il y a un bon équilibre « gagnant-gagnant » entre la direction et les syndicats.
25 % d'entre eux habitent à une distance de trois à six heures de l'aéroport et 60 % en province – mais on y compte ceux qui résident dans l'Oise, de sorte qu'on peut estimer à 50 % environ la proportion de ceux qui viennent de loin pour travailler. Pour moi, venant de Chamonix, je vais prendre l'avion à Genève, à une heure de route, et j'arrive en général à Roissy deux ou trois heures en avance, pour m'assurer un peu de marge et de repos avant la préparation du vol.
Nous avons 48 jours calendaires de congés payés. En revanche, nous n'avons pas de week-end. Tous les jours, sauf le 1er mai, sont des jours travaillés.
D'autre part, la formation continue prend beaucoup de place dans notre vie de pilotes : chaque année, nous avons quatre passages sur simulateur avec deux contrôles, un vol de contrôle, une « journée sol » et une journée de formation sur ordinateur, plus éventuellement des sessions décidées par la compagnie – ainsi, nous avons eu cette année un passage sur simulateur supplémentaire et nous aurons des journées supplémentaires d'anglais.
Dans certains métiers, on propose plus facilement une formation à un homme parce qu'on sait qu'il est moins sollicité par la vie familiale. Chez Air France, les femmes sont donc vraiment à égalité.
Nous sommes à égalité à peu près sur tout. Ainsi le salaire est théoriquement le même. Le métier de pilote n'est pas de ceux où l'on peut demander une augmentation à son patron : nous sommes soumis à une grille tarifaire. Ainsi, plus l'avion est lourd et rapide, plus la prime de vol est importante. Cela date de l'époque où, pour des raisons de rentabilité, on est passé aux jets, qui permettent de transporter plus loin davantage de passagers que les avions à hélice. Mais ce n'est pas le cas partout : dans certains pays et dans certaines compagnies, les pilotes sont uniquement payés à l'ancienneté.
À Air France, nous percevons un fixe, variable selon l'ancienneté et la fonction, plus un minimum de primes de vol par mois et, éventuellement, des heures supplémentaires. La prime de vol dépend à peu près exclusivement de l'avion sur lequel on vole. Si, comme je l'ai dit, le salaire est théoriquement le même, en pratique la rémunération mensuelle des femmes est inférieure à celle des hommes : de 5,8 % pour les commandants de bord et de 8,6 % pour les copilotes.
L'année dernière, un nouvel accord triennal d'égalité professionnelle a été négocié et signé. Il comprend des indicateurs destinés à étudier la différence de rémunération chez les cadres au sol. Dans la mesure où il y a aussi, de fait, une différence de rémunération entre les femmes et les hommes pilotes, nous avons demandé à bénéficier de la même évaluation. Une des raisons de cet écart pourrait être que, pendant leur grossesse, les femmes pilotes ne sont pas rémunérées au même niveau que si elles continuaient à voler.
Cela dépend.
Depuis 2005, une femme peut continuer à voler jusqu'à son sixième mois de grossesse, et donc à percevoir le même salaire, mais ensuite elle doit arrêter. Elle est alors affectée au sol et touche un minimum garanti, qui correspond à peu près à la rémunération perçue en arrêt maladie. Mais le problème se pose surtout pour la femme qui s'arrête de voler mais sans travailler au sol.
Une pilote enceinte a en effet la possibilité de rester chez elle et beaucoup, de fait, ne demandent pas le reclassement au sol, pour différentes raisons : parce qu'elles habitent en province et qu'on ne leur propose pas de poste près de chez elles ou parce que ces postes ne sont pas suffisamment motivants. Certes, il y a eu des améliorations à ce dernier égard au cours des dernières années mais il n'empêche : notre métier ne consiste pas à travailler dans un bureau de neuf heures à dix-huit heures. Si les femmes enceintes ne travaillent pas du tout pendant les six premiers mois, elles sont payées un tiers en moins, puis se retrouvent sans solde, jusqu'au moment de leur congé de maternité.
Cela pourrait expliquer la différence de rémunération entre les femmes et les hommes. Le fait que cette différence soit moindre pour les femmes commandants de bord – qui comptent une moindre proportion de grossesses parce qu'un peu plus âgées que les femmes copilotes – viendrait à l'appui de cette hypothèse. J'espère que l'année prochaine ou dans deux ans, nous saurons exactement, grâce aux indicateurs, l'origine de cette différence. Des pondérations pourront alors intervenir.
Pendant un mois et demi. Par la suite, pendant leur congé de maternité, elles touchent les indemnités de la sécurité sociale – ce qui représente moins de la moitié de leur salaire. Mais cela ne vaut, je le répète, que pour les femmes qui ont choisi de ne pas travailler. Si une femme enceinte demande à travailler et que l'entreprise n'est pas capable de lui fournir du travail, elle sera payée au minimum garanti.
Hormis cet écart minime qui pourrait être dû à la grossesse, il n'y a pas de différence de salaire entre les femmes et les hommes.
99,9 % des vols se passent très bien. Il paraît qu'un homme se conduit différemment dans un cockpit lorsqu'il travaille avec une femme. Par définition, je ne peux pas savoir comment il se comporte avec un copilote homme, mais j'ai constaté une différence lorsqu'il y a deux ou trois femmes dans le cockpit.
Cela m'amène à vous parler des vols entièrement féminins qu'Air France a pris l'habitude d'organiser le 8 mars. Il y a trois ans, je suis ainsi allée au Japon, ce qui m'a permis de rencontrer les douze premières femmes pilotes de la JAL – en Asie, jusqu'à une date récente, il était presque inimaginable qu'une femme soit pilote. Cette année, mes collègues sont allées à New York où elles ont retrouvé un équipage féminin d'Alitalia – commandant de bord excepté, parce que cette compagnie n'a pas ouvert ce poste aux femmes – et un équipage entièrement féminin de KLM. Cette opération de communication et de « promotion interne » permet de passer un moment sympathique et plaît beaucoup aux passagers.
Travailler avec les hommes ne pose pas de problèmes. Bien sûr, il y a l'exception qui confirme la règle, comme je l'ai expérimenté le mois dernier quand un commandant de bord m'a fait remarquer qu'on était dans un cockpit et pas dans une cuisine ! Mais globalement, cela se passe bien, même lorsque la femme vole enceinte.
On peut être commandant de bord à partir de 32 ou 33 ans – il s'agit alors de pilotes entrés très jeunes, qui sont affectés sur un moyen courrier. Mais, en moyenne, on passe commandant de bord à 45 ans.
Je précise d'autre part que 58,6 % des femmes commandants de bord et 20,1 % des femmes copilotes sont à temps partiel – contre 15 % de l'ensemble des pilotes, hommes et femmes confondus.
Il y a une différence de salaire substantielle entre les commandants de bord et les copilotes, comme entre les salaires des pilotes de longs et de moyens courriers. Je pense que c'est la raison pour laquelle tant de femmes commandants de bord sont à temps partiel : le niveau de leur rémunération leur donne la liberté de travailler moins pour rester plus souvent chez elles.
En effet, ce n'est pas du temps partiel imposé aux femmes, comme c'est généralement le cas en France. Mais c'est aussi un temps partiel particulier : un temps « alterné », qui permet de ne pas travailler pendant des mois entiers. Étant moi-même à 92 %, je ne travaille pas un mois par an. A 85 %, on ne travaille pas deux mois par an.
Toutefois, il manque clairement aujourd'hui, dans notre réglementation, un temps partiel mensuel. Pour les jeunes mères de famille notamment, dont je fais partie, il serait agréable de faire un vol de moins par mois, ce qui permettrait d'être davantage présente à la maison tout au long de l'année.
La réglementation française : le code de l'aviation civile, pour les personnels navigants, ne définit le temps partiel qu'en temps alterné. Le syndicat a entrepris une négociation, mais celle-ci ne progresse pas beaucoup parce que les textes proposés par la Direction générale de l'aviation civile ne correspondent pas à nos souhaits – ils tendraient en outre à introduire la possibilité d'embauches à temps partiel, qui n'existe pas aujourd'hui.
Il faudrait pouvoir faire en sorte que la nouvelle réglementation ne fragilise pas votre statut. Mais êtes-vous bien défendues par vos représentants du personnel ?
Jusqu'à présent, parmi les syndicalistes du secteur des transports que j'ai eu l'occasion de recevoir à l'Assemblée nationale, je n'avais jamais vu de femme.
Nous ne sommes pas très nombreuses, même si j'ai amené quelques femmes au syndicat.
Si nous ne parvenons pas à mettre au point un texte général sur le temps partiel pour le personnel navigant, nous pourrions envisager de mener une expérimentation avec certaines catégories : les jeunes parents, les jeunes mères…
Oui. Une expérimentation équivalente a été menée auprès des stewards et des hôtesses, sur la base du volontariat. Je ne sais pas à quoi elle a abouti, mais je sais que les conditions de ce temps partiel mensuel ne nous convenaient pas, pour des raisons très techniques que j'ai d'ailleurs oubliées.
Il est intéressant de noter que, parmi les pilotes d'Air France, 85 % des jeunes pères prennent leur congé paternité, à raison de neuf jours sur onze en moyenne, malgré la perte de salaire qui en résulte – en effet, pendant cette période, ils sont rémunérés au plafond « sécurité sociale » alors que leur rémunération habituelle peut atteindre six fois ce plafond. En revanche, les personnels au sol recourent moins fréquemment à ce dispositif.
Pour en revenir à la grossesse, la référence en la matière est le texte de l'Organisation de l'aviation civile internationale – OACI – qui en fait une cause d'inaptitude au vol, moyennant éventuellement une dérogation du troisième au sixième mois. En France, il a été décidé en 2005 de permettre aux femmes qui le souhaitaient de voler jusqu'à six mois – y compris donc pendant les trois premiers mois –. A condition de passer une visite médicale tous les mois : après une visite chez le gynécologue qui atteste que leur grossesse se déroule normalement, une visite d'expertise et une visite de médecine du travail. Il faut donc qu'elles soient très motivées !
Le syndicat a fait un sondage pour savoir comment les femmes avaient perçu ce changement : 70 % ont déclaré qu'elles étaient heureuses d'avoir le choix, même si celui-ci se traduit par l'obligation de déclarer leur grossesse à la médecine d'expertise, qui prononce leur inaptitude et, éventuellement, leur accorde une dérogation – qui est exclue en cas de grossesse « précieuse » : des jumeaux ou une grossesse tardive, ou une grossesse consécutive à une FIV.
Nous espérons que cela restera un choix, et non un droit ou un devoir : la femme est responsabilisée, dans le sens où elle prend la décision de continuer à voler en sachant exactement ce qu'elle fait.
Le sondage, qui était anonyme, nous a aussi permis de savoir que 71 % des femmes pilotes interrogées avaient déjà volé alors qu'elles étaient enceintes, y compris quand elles n'en avaient pas le droit, ne déclarant leur grossesse qu'au moment où la sécurité sociale en fait une obligation. Elles agissaient ainsi pour éviter d'importantes pertes de rémunération liées à la grossesse. D'où l'intérêt d'avoir légiféré en 2005 sur le sujet.
Certains, qui sont opposés au fait que les femmes puissent voler enceintes, diront que c'est un scandale. Pour ma part, je vois le bon côté des choses : le nouveau dispositif permet un meilleur contrôle. Le problème est que les femmes ne sont pas suffisamment informées lors de leur première grossesse et risquent, de ce fait, de ne pas s'adresser aux bons interlocuteurs, cette législation très spécifique étant mal connue dans les services.
Le fait de voler enceinte affecte-t-il les réactions ? Avez-vous, en ce qui vous concerne, ressenti des problèmes dus à l'altitude, à la décompression ou au stress ?
Cela doit dépendre de la période de la grossesse. De toute façon, un pilote, femme ou homme, a l'obligation de renoncer à voler s'il se sent fatigué ou malade. Cette obligation s'impose d'autant plus quand on est enceinte que les conséquences d'un malaise peuvent être dramatiques pour le futur enfant et la mère.
La grossesse extra-utérine et la fausse couche sont particulièrement dangereuses si l'on se trouve à trois heures du terrain le plus proche. C'est pourquoi il a été décidé, avec la médecine d'expertise, qu'une femme enceinte ne volerait pas pendant les cinq ou six premières semaines, le temps de faire une échographie pour s'assurer que le foetus est bien intra-utérin. Chaque fois que j'ai une femme pilote enceinte au téléphone, je lui conseille de prévenir le Centre d'expertise médicale du personnel navigant – le CEMPN – et de se reposer jusqu'au moment de cette échographie, avant de décider si elle va continuer à voler. Mais j'ai beaucoup de mal à faire passer le message.
Pour limiter les fausses couches, qui ne sont d'ailleurs pas un risque lié au vol, l'OACI propose de n'autoriser les vols qu'entre le troisième et le sixième mois. Je ne sais pas pourquoi la France – non plus que le Canada – n'a pas retenu une telle proposition. Les États-Unis vont même plus loin, puisqu'ils ne font pas de la grossesse une inaptitude : les femmes doivent seulement prévenir leur gynécologue et peuvent continuer à voler normalement.
Pour ma part, je n'ai pas volé pendant les trois premiers mois de ma grossesse parce que je n'avais pas envie de me retrouver à l'autre bout du monde avec une fausse couche ou des douleurs, à côté d'un commandant de bord qui n'aurait pas su comment réagir. De toute façon, je n'aurais pas pu : je dormais dix-huit heures par jour ! Mais j'ai volé du troisième au sixième mois, et cela s'est très bien passé. J'étais en pleine forme, je n'ai pas ressenti la fatigue. Au bout de cinq mois et demi, après mon dernier vol, j'ai senti qu'il était temps que je m'arrête. La limite de six mois m'a donc paru assez bien choisie.
De manière générale, je ne trouve pas raisonnable de voler au cours du premier trimestre, en raison des risques de grossesse extra-utérine ou de fausse couche. Ensuite, cela dépend. Lorsqu'on vole sur moyen courrier, on est toujours à moins d'une demi-heure d'un terrain – où, en cas de problème, les pompiers vous attendront en bas de l'avion !
Dans le cadre du syndicat, j'ai organisé une table ronde, qui réunissait des syndicalistes, hommes et femmes, des gens de la sécurité des vols, des physiciens travaillant sur les rayonnements, des gynécologues, des médecins du travail. Nous avons essayé d'échanger sur tous les risques associés à la grossesse.
Il faut savoir que chacun d'entre nous doit déjà passer tous les ans, auprès de la médecine d'expertise, une visite d'aptitude au pilotage. Si elle conclut à un risque inférieur à 1 %, quel qu'il soit d'ailleurs, l'aptitude est accordée. La grossesse entre exactement dans ce cadre-là. En outre, le fait que les femmes soient suivies mois par mois diminue encore les risques. Le gynécologue ne signe pas de décharge – il se contente de déclarer que, tel jour, la grossesse est normale – mais, ensuite, la médecine d'expertise dit si, oui ou non, la femme peut voler. Enfin, la médecine du travail procède à certains aménagements – par exemple, aujourd'hui, les femmes enceintes ne vont pas en Afrique pour éviter de s'exposer au paludisme. On pourrait cependant aller plus loin dans ces aménagements, par exemple en adaptant les horaires en fonction de l'avancement de la grossesse.
Les femmes se sont déclarées heureuses d'avoir le choix de voler en étant enceintes, pour plusieurs raisons.
La première est qu'elles peuvent ainsi continuer à exercer leur métier plutôt que d'être enfermées dans un bureau.
La deuxième est que cela leur permet de conserver un niveau élevé de compétence. Auparavant, les femmes s'arrêtaient au minimum pendant un an. Moi-même, tout en ayant volé pendant ma grossesse, je me suis arrêtée ensuite assez longtemps. Or, si j'ai rapidement retrouvé les sensations du pilotage, j'ai eu plus de difficulté à me réapproprier les procédures malgré mes 4 000 heures de vol. Et pourtant, mon module de reprise a été assez adapté à la durée pendant laquelle je m'étais arrêtée. On m'a même fait comprendre que si j'avais besoin d'un peu plus de temps, je pouvais bénéficier de séances de simulateur supplémentaires.
La troisième raison est liée au niveau de rémunération. En raison de leurs salaires élevés, les femmes pilotes sont souvent « chefs de foyer ». De ce fait, en cas de baisse de salaire, elles risquent de rencontrer des problèmes – pour rembourser les prêts, pour assurer la vie quotidienne, etc. En tant que syndicaliste, j'aimerais régler assez rapidement ce problème de rémunération. La grossesse est une inaptitude, et dans les accords d'Air France, l'inaptitude est rémunérée : le fixe plus le minimum de 80 primes de vol. Aujourd'hui, celui qui travaille au sol est rémunéré au salaire global moyen mensuel – SGMM – qui est en général un peu plus élevé que ce minimum. Celui qui travaille en vol est payé normalement. Mais la femme enceinte qui ne travaille pas du tout est rémunérée à 51,5 primes de vol pendant six mois, puis se retrouve sans solde.
Dans une entreprise, les femmes enceintes continuent en général à travailler, sauf dans certaines branches comme la chimie. Dans certaines petites entreprises, elles ne sont pas reclassées dans un autre poste parce qu'il n'y en a pas, et elles restent chez elles en étant rémunérées normalement. À Air France, l'inaptitude assure 80 primes de vol pendant six mois en restant chez soi. Mais la grossesse passée chez soi ne rapporte que 51,5 primes de vol. Pour toucher davantage, il faut aller travailler au sol. Cette différence de traitement me dérange. Bien sûr, il suffit de ne pas déclarer la grossesse tout de suite à l'employeur, puisque ce n'est une obligation qu'à l'égard de la sécurité sociale. Il n'empêche qu'on ne demande pas à un homme de travailler lorsqu'il est inapte parce qu'il s'est cassé une jambe, mais qui n'est pas en maladie et qui pourrait travailler au sol, alors qu'on le demande à une femme enceinte – elle aussi, inapte – à partir du moment où le mot « grossesse » apparaît sur son dossier.
Si on parvenait à éliminer ces différences de rémunération liées à l'inaptitude, les relations entre les pilotes enceintes et la direction de la compagnie en seraient facilitées. C'est peut être un point de détail pour Air France, mais pas pour les femmes.
Les hôtesses savent ce qu'elles doivent faire en cas de grossesse. Elles ont une feuille de route précise et tout est écrit dans les accords. Les femmes pilotes, en revanche, ne peuvent s'appuyer que sur trois lignes du bilan social, qui renvoient à des décisions unilatérales prises par la compagnie – et qui ne sont pas toujours appliquées. J'ai ainsi l'exemple d'une jeune femme inapte au vol comme au travail au sol : logiquement, elle devait rester chez elle et toucher son fixe, plus 80 primes de vol, jusqu'à la fin de son congé légal de maternité. Mais cela ne plaisait pas aux employés de la paye et il a fallu passer beaucoup de temps au téléphone pendant quinze jours pour les contraindre à appliquer les textes.
Quelques années auparavant, j'avais eu à traiter le cas d'une jeune femme qui avait demandé un poste au sol, mais qui n'avait pu l'occuper en raison d'un arrêt maladie. Six mois après, on lui a prélevé 11 000 euros sur son salaire au motif qu'elle n'avait pas travaillé au cours de ce semestre. Voilà comment se comporte parfois la compagnie !
Très peu. Il faut dire que ce genre d'information ne peut être relayé que par les représentants syndicaux, qui ne s'y intéressent pas vraiment : quand j'annonce que je me rends à la commission Égalité hommes-femmes, on sourit… Dans la pratique, il n'y a que cinq femmes à Air France et deux dans les autres compagnies françaises pour travailler sur la question.
Certaines compagnies n'ont même pas changé leur manuel de vol pour prendre en compte l'existence de femmes pilotes. Quand celles-ci sont enceintes, les mieux loties ne peuvent plus voler et sont payées chez elles à ne rien faire. Pour les autres, c'est la mise à pied. Dans une toute petite compagnie de jets, une femme a été mise à pied sans solde, sans possibilité de reclassement au sol, et elle a été interdite de vol alors qu'elle avait encore le droit de voler.
Si pendant sa grossesse, une pilote peut ainsi rencontrer diverses difficultés, notamment en terme d'information et d'organisation, elle peut aussi devoir en affronter à son retour de maternité. Comme je vous l'ai dit, la formation au retour est totalement adaptée. Mais les services d'Air France ne connaissent pas les spécificités de la maternité des pilotes. Cela entraîne des difficultés administratives. Il est par exemple compliqué de savoir quelle personne contacter pour bénéficier de ses congés payés. Alors qu'un système dédié existe pour tous les pilotes, il n'est pas possible d'organiser son planning de vol pour le mois suivant la reprise, puisque la pilote en maternité n'est plus dans le système informatique de sa division. On voit bien la nécessité d'éditer un document d'information concernant l'ensemble du sujet "parentalité" afin de guider la pilote enceinte (ou mère) à Air France. Celui-ci existe pour les personnels au sol et les personnels navigants commerciaux. Il a été acté dans le dernier accord triennal sur l'égalité professionnelle qu'un tel document serait rédigé pour les pilotes mais il n'a toujours pas été réalisé.
Un autre point intéressant est l'absence totale de prise en compte de l'allaitement pour les pilotes et plus généralement pour les personnels navigants féminins. L'idée ancrée dans les esprits est qu'une fois le travail repris, l'allaitement devient impossible. Or, de nombreuses femmes continuent d'allaiter en volant. A titre d'exemple, j'ai repris les vols aux 9 mois de mon fils et j'ai continué à l'allaiter jusqu'à ses 14 mois. Lors de mon vol de reprise, nous étions trois jeunes mères à bord, toutes allaitantes. Pour prendre en compte les particularités de nos métiers, un premier pas pourrait être de fournir une salle d'allaitement pour les personnels navigants dans les locaux de l'entreprise. L'entreprise pourrait aussi appliquer aux personnels navigants l'heure quotidienne octroyée aux personnels au sol au titre de l'allaitement sans perte de rémunération, en proposant un mois supplémentaire de congé postnatal rémunéré. Enfin, proposer un poste au sol postnatal pour celles qui le souhaiteraient pendant un temps défini pourrait être une solution intéressante également.
Dans les autres compagnies, il n'y a pas non plus de volonté systématique d'embaucher des femmes.
L'accord triennal « égalité professionnelle » signé à Air France comprend un chapitre sur la sélection. La compagnie ne favorise pas l'entrée des femmes, mais elle ne la défavorise pas non plus.
Votre déroulement de carrière est-il le même que celui de vos collègues hommes ? Lorsque vous avez été enceinte, votre promotion en a-t-elle pâti ?
Non, nous gardons la même ancienneté ; le fameux numéro sur la liste évolue comme si nous avions volé, y compris lorsque nous prenons un congé parental.
La limite a été portée de soixante à soixante-cinq ans, en 2008. Ce qui, en période de crise du transport aérien, peut réduire les embauches, à supposer qu'il n'y ait pas de licenciements…
Non. Pour l'instant, ce qui est en discussion – au niveau européen notamment –, ce sont les limitations de temps de vol, mais cela risque en effet, à terme, de se traduire par une diminution du nombre de pilotes dans le cockpit, non pas à Air France, je pense, mais plutôt chez les compagnies low cost. Je vous invite à consulter le lien « FTL BALPA » qui fait bien le point sur les dangers liés à la fatigue des pilotes (http:www.youtube.comwatch?v=J9yumixcN-o&feature=youtube_gdata_player).
Ce n'est pas mal perçu. Les pilotes n'aiment pas faire grève et, pour les syndicalistes que nous sommes, si le fait de déposer un préavis de grève est déjà presque un constat d'échec, le fait d'aller à la grève est perçu comme un échec complet. Le dernier préavis de grève a été déposé début août. Depuis, nous faisons très attention à la façon dont nous rédigeons les préavis, pour bien faire comprendre aux pilotes qu'ils doivent poursuivre leur mission.
Je sais seulement que les accords de la compagnie comportent des dispositions relatives à la maternité.
Le fait que je sois présidente de la SkyTeam Pilots Association me donne une vue générale de la situation. Or même si lors de notre dernière réunion, à Amsterdam, en octobre, j'étais la seule femme présente au milieu d'hommes plus âgés que moi, j'ai pu constater une évolution certaine des mentalités.
L'audition prend fin à dix-huit heures.