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Intervention de Jennifer Jones-Giezendanner

Réunion du 22 novembre 2011 à 16h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Jennifer Jones-Giezendanner :

Cela doit dépendre de la période de la grossesse. De toute façon, un pilote, femme ou homme, a l'obligation de renoncer à voler s'il se sent fatigué ou malade. Cette obligation s'impose d'autant plus quand on est enceinte que les conséquences d'un malaise peuvent être dramatiques pour le futur enfant et la mère.

La grossesse extra-utérine et la fausse couche sont particulièrement dangereuses si l'on se trouve à trois heures du terrain le plus proche. C'est pourquoi il a été décidé, avec la médecine d'expertise, qu'une femme enceinte ne volerait pas pendant les cinq ou six premières semaines, le temps de faire une échographie pour s'assurer que le foetus est bien intra-utérin. Chaque fois que j'ai une femme pilote enceinte au téléphone, je lui conseille de prévenir le Centre d'expertise médicale du personnel navigant – le CEMPN – et de se reposer jusqu'au moment de cette échographie, avant de décider si elle va continuer à voler. Mais j'ai beaucoup de mal à faire passer le message.

Pour limiter les fausses couches, qui ne sont d'ailleurs pas un risque lié au vol, l'OACI propose de n'autoriser les vols qu'entre le troisième et le sixième mois. Je ne sais pas pourquoi la France – non plus que le Canada – n'a pas retenu une telle proposition. Les États-Unis vont même plus loin, puisqu'ils ne font pas de la grossesse une inaptitude : les femmes doivent seulement prévenir leur gynécologue et peuvent continuer à voler normalement.

Pour ma part, je n'ai pas volé pendant les trois premiers mois de ma grossesse parce que je n'avais pas envie de me retrouver à l'autre bout du monde avec une fausse couche ou des douleurs, à côté d'un commandant de bord qui n'aurait pas su comment réagir. De toute façon, je n'aurais pas pu : je dormais dix-huit heures par jour ! Mais j'ai volé du troisième au sixième mois, et cela s'est très bien passé. J'étais en pleine forme, je n'ai pas ressenti la fatigue. Au bout de cinq mois et demi, après mon dernier vol, j'ai senti qu'il était temps que je m'arrête. La limite de six mois m'a donc paru assez bien choisie.

De manière générale, je ne trouve pas raisonnable de voler au cours du premier trimestre, en raison des risques de grossesse extra-utérine ou de fausse couche. Ensuite, cela dépend. Lorsqu'on vole sur moyen courrier, on est toujours à moins d'une demi-heure d'un terrain – où, en cas de problème, les pompiers vous attendront en bas de l'avion !

Dans le cadre du syndicat, j'ai organisé une table ronde, qui réunissait des syndicalistes, hommes et femmes, des gens de la sécurité des vols, des physiciens travaillant sur les rayonnements, des gynécologues, des médecins du travail. Nous avons essayé d'échanger sur tous les risques associés à la grossesse.

Il faut savoir que chacun d'entre nous doit déjà passer tous les ans, auprès de la médecine d'expertise, une visite d'aptitude au pilotage. Si elle conclut à un risque inférieur à 1 %, quel qu'il soit d'ailleurs, l'aptitude est accordée. La grossesse entre exactement dans ce cadre-là. En outre, le fait que les femmes soient suivies mois par mois diminue encore les risques. Le gynécologue ne signe pas de décharge – il se contente de déclarer que, tel jour, la grossesse est normale – mais, ensuite, la médecine d'expertise dit si, oui ou non, la femme peut voler. Enfin, la médecine du travail procède à certains aménagements – par exemple, aujourd'hui, les femmes enceintes ne vont pas en Afrique pour éviter de s'exposer au paludisme. On pourrait cependant aller plus loin dans ces aménagements, par exemple en adaptant les horaires en fonction de l'avancement de la grossesse.

Les femmes se sont déclarées heureuses d'avoir le choix de voler en étant enceintes, pour plusieurs raisons.

La première est qu'elles peuvent ainsi continuer à exercer leur métier plutôt que d'être enfermées dans un bureau.

La deuxième est que cela leur permet de conserver un niveau élevé de compétence. Auparavant, les femmes s'arrêtaient au minimum pendant un an. Moi-même, tout en ayant volé pendant ma grossesse, je me suis arrêtée ensuite assez longtemps. Or, si j'ai rapidement retrouvé les sensations du pilotage, j'ai eu plus de difficulté à me réapproprier les procédures malgré mes 4 000 heures de vol. Et pourtant, mon module de reprise a été assez adapté à la durée pendant laquelle je m'étais arrêtée. On m'a même fait comprendre que si j'avais besoin d'un peu plus de temps, je pouvais bénéficier de séances de simulateur supplémentaires.

La troisième raison est liée au niveau de rémunération. En raison de leurs salaires élevés, les femmes pilotes sont souvent « chefs de foyer ». De ce fait, en cas de baisse de salaire, elles risquent de rencontrer des problèmes – pour rembourser les prêts, pour assurer la vie quotidienne, etc. En tant que syndicaliste, j'aimerais régler assez rapidement ce problème de rémunération. La grossesse est une inaptitude, et dans les accords d'Air France, l'inaptitude est rémunérée : le fixe plus le minimum de 80 primes de vol. Aujourd'hui, celui qui travaille au sol est rémunéré au salaire global moyen mensuel – SGMM – qui est en général un peu plus élevé que ce minimum. Celui qui travaille en vol est payé normalement. Mais la femme enceinte qui ne travaille pas du tout est rémunérée à 51,5 primes de vol pendant six mois, puis se retrouve sans solde.

Dans une entreprise, les femmes enceintes continuent en général à travailler, sauf dans certaines branches comme la chimie. Dans certaines petites entreprises, elles ne sont pas reclassées dans un autre poste parce qu'il n'y en a pas, et elles restent chez elles en étant rémunérées normalement. À Air France, l'inaptitude assure 80 primes de vol pendant six mois en restant chez soi. Mais la grossesse passée chez soi ne rapporte que 51,5 primes de vol. Pour toucher davantage, il faut aller travailler au sol. Cette différence de traitement me dérange. Bien sûr, il suffit de ne pas déclarer la grossesse tout de suite à l'employeur, puisque ce n'est une obligation qu'à l'égard de la sécurité sociale. Il n'empêche qu'on ne demande pas à un homme de travailler lorsqu'il est inapte parce qu'il s'est cassé une jambe, mais qui n'est pas en maladie et qui pourrait travailler au sol, alors qu'on le demande à une femme enceinte – elle aussi, inapte – à partir du moment où le mot « grossesse » apparaît sur son dossier.

Si on parvenait à éliminer ces différences de rémunération liées à l'inaptitude, les relations entre les pilotes enceintes et la direction de la compagnie en seraient facilitées. C'est peut être un point de détail pour Air France, mais pas pour les femmes.

Les hôtesses savent ce qu'elles doivent faire en cas de grossesse. Elles ont une feuille de route précise et tout est écrit dans les accords. Les femmes pilotes, en revanche, ne peuvent s'appuyer que sur trois lignes du bilan social, qui renvoient à des décisions unilatérales prises par la compagnie – et qui ne sont pas toujours appliquées. J'ai ainsi l'exemple d'une jeune femme inapte au vol comme au travail au sol : logiquement, elle devait rester chez elle et toucher son fixe, plus 80 primes de vol, jusqu'à la fin de son congé légal de maternité. Mais cela ne plaisait pas aux employés de la paye et il a fallu passer beaucoup de temps au téléphone pendant quinze jours pour les contraindre à appliquer les textes.

Quelques années auparavant, j'avais eu à traiter le cas d'une jeune femme qui avait demandé un poste au sol, mais qui n'avait pu l'occuper en raison d'un arrêt maladie. Six mois après, on lui a prélevé 11 000 euros sur son salaire au motif qu'elle n'avait pas travaillé au cours de ce semestre. Voilà comment se comporte parfois la compagnie !

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