La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Mme Brigitte Longuet, avocate, présidente de l'Association pour la promotion des femmes avocats et juristes comme administrateurs
La séance est ouverte à seize heures quinze
Nous poursuivons notre cycle d'auditions sur la notion de genre. Mme Brigitte Longuet, avocate, nous dira quelle est la position du droit sur cette question, qui ne concerne pas exclusivement la biologie et la philosophie.
Je vous remercie de m'avoir invitée pour évoquer devant vous une question qui s'avère parfois surprenante.
La théorie du genre a été conçue dans les années 1970 par un groupe de féministes militantes. Elle a été développée dans un certain nombre d'ouvrages anglo-saxons, les gender studies. C'est une théorie qui prône l'égalité absolue et nie toute différence entre les femmes et les hommes. Cette différence constitue la plus importante des discriminations, plus que celles qui reposent sur la race ou la religion. Elle repose sur des stéréotypes culturels très primaires – la force physique pour les hommes, la minutie pour les femmes – et vient du fait que les parents élèvent différemment les filles et les garçons.
Les féministes élaborent progressivement les théories de genre qui consistent à différencier le sexe biologique, retenu par l'état civil, et le sexe social, reflet du comportement social. Le genre d'une personne traduit son appartenance volontaire à un sexe plutôt qu'à l'autre.
Au regard du droit, le sexe biologique fait l'objet de nombreuses discussions. La question est très complexe. On ne peut en effet tenir compte uniquement du sexe biologique pour définir le sexe d'une personne. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), suivie dans les années 1980 par la Cour de cassation, a rendu plusieurs arrêts en ce sens, tel l'arrêt Christine Goodwin c Royaume Uni du 11 juillet 2002.
Depuis, d'autres théories ont vu le jour, notamment celle présentée par le professeur Régnier. Actuellement le droit prévoit l'indisponibilité du sexe. Une personne qui veut en changer doit prouver qu'il y a erreur – mais cette incertitude ne concerne que 2 % des cas. Selon le professeur Régnier, une personne doit pouvoir changer de sexe apparent dès lors que son comportement social prouve qu'elle appartient à l'autre sexe, et cette possibilité relève de la liberté de conscience.
Nous n'en sommes pas là en France. La Cour de cassation n'a pas encore totalement suivi la CEDH, qui a repris la définition du professeur Régnier. Nous n'acceptons les changements de sexe que dans des cas très particuliers.
Les études sur le genre étaient tout d'abord philosophiques. Elles sont devenues sociologiques, puis historiques puisqu'elles ont permis d'analyser différemment certaines périodes de notre Histoire. Selon la théorie du genre, la Révolution française fut une révolution bourgeoise et masculine, qui a retiré leurs droits aux femmes. La participation à la citoyenneté des femmes, si elle a existé, fut très vite verrouillée ; ce n'est qu'en 1946 que le droit de vote leur a été accordé en France, alors qu'elles votaient depuis longtemps en Angleterre ou encore en Turquie.
Cette théorie a également changé notre regard sur le travail des femmes. L'intérêt économique du travail domestique des femmes n'a jamais été comptabilisé, alors qu'il représente un enjeu considérable. Les récentes lois sur le conjoint collaborateur vont dans le bon sens, néanmoins l'apport du travail domestique est toujours très sous-estimé.
Selon la théorie du genre, il n'existe pas de différence sociale entre la femme et l'homme, puisque le sexe n'est pas seulement biologique mais social : le genre est donc une distinction culturelle. Les extrémistes du genre, dans les années 1970, prônaient une égalité parfaite. « On ne naît pas femme, on le devient » disait Simone de Beauvoir, qui aurait pu être une adepte de la théorie du genre.
Le rôle de la femme ayant des conséquences juridiques et sociétales, faut-il, en matière économique et politique, faire une différence entre les deux sexes ? On ne parle plus aujourd'hui de professions purement féminines – soins à la personne, pédiatrie. Si l'on applique la théorie du genre, les seuls critères à mettre en avant sont les compétences et l'utilité commune pour la société. Si l'on applique la théorie du genre aux relations du travail, à compétences et capacités égales, on peut embaucher indifféremment un homme ou une femme, mais cela nous conduit à changer les grilles de recrutement, souvent encore imprégnées de stéréotypes culturels.
La participation des femmes à la vie économique constitue un atout considérable pour notre pays et rime avec compétitivité économique car ces dernières représentent un extraordinaire vivier de potentiels et de talents, encore en grande partie inexploités. En 2009, on comptait 58 % de femmes à l'université, 48 % dans les grandes écoles de commerce et 40 % dans la promotion 2008 de l'ENA. Elles n'étaient que 20 % il y a trente ans. En utilisant la théorie du genre – naturellement privée de son caractère féministe – nous pourrions permettre aux femmes de regagner les points de croissance dont la France a besoin. Les Allemands ont gagné 20 points de croissance au cours des dernières années, mais les femmes allemandes ne travaillent pas, faute de structures d'accueil pour les jeunes enfants.
Si la loi « Zimmermann », je le reconnais volontiers, a contribué à renouveler les conseils d'administration, son effet le plus important ne tient pas à la présence accrue des femmes mais au fait que les conseils ont été renouvelés. Auparavant leur composition n'avait jamais été remise en cause. Il a d'ailleurs longtemps été de bon ton de laisser sur la table la feuille présentant les performances de l'entreprise pour montrer qu'on n'allait pas dévoiler ces performances à l'extérieur… La gouvernance d'entreprise est un concept très récent.
Loin de moi l'idée de soutenir qu'une femme et un homme sont identiques, mais dans ma vie professionnelle je ne fais pas la différence entre une avocate et un avocat. À compétences égales, je choisis l'un ou l'autre. Cette égalité permet de faire progresser les femmes dans la hiérarchie, d'autant que, ayant souvent reçu une meilleure formation initiale que les hommes, elles ont de plus en plus de compétences.
Pour revenir à la jurisprudence de la Cour de cassation, ses arrêts de 1988 et de 1992 ont autorisé le changement de sexe lorsque la personne ne se sentait pas appartenir au sexe avec lequel elle était née, ce qui rendait l'opération nécessaire. Pour la Cour de cassation, le sexe est déterminé par le comportement social. Le professeur Régnier va plus loin : pour lui, ne pas permettre à une personne d'appartenir à un sexe qui soit en harmonie avec son identité de genre est une atteinte à la liberté de conscience. Si la Cour de cassation ne va pas jusque là, c'est par crainte de voir apparaître des pratiques déviantes d'exploitation de l'humain, de type prostitution.
Quant à la loi de Mme Marie-Jo Zimmermann, elle a fait entrer la théorie du genre dans les pratiques juridiques en prévoyant des sanctions pour défaut d'égalité. En 2006, le Conseil constitutionnel disait exactement le contraire, mais ses avis relèvent d'une obligation de moyens et non de résultats.
J'ai lu un certain nombre d'études sur la théorie du genre, toutes très engagées sur le plan féministe : mes conclusions étaient toujours différentes des leurs. Mais peut-être faut-il passer par des excès avant de parvenir à l'équilibre…
Le salaire maternel est ressenti comme une façon de renvoyer les femmes à la maison, ce qui n'est pas envisageable, mais nous pourrions rémunérer le travail des femmes qui restent à la maison pour s'occuper de leurs enfants. Qu'en pensez-vous ?
Les femmes ont toujours travaillé : les agricultrices travaillaient aux champs, leur bébé auprès d'elles.
Claude Lévi-Strauss disait que les femmes ont toujours travaillé davantage que les hommes.
Les stéréotypes existent toujours. Ils disparaîtront ou ne disparaîtront pas, personne ne le sait. Mais il subsiste des barrières psychologiques et comportementales puisque les hommes occupent toujours les postes clés. La progression des carrières se fait autour de trente ans, à l'âge où les femmes ont des enfants ; en outre, on valorise le présentiel au bureau. Tout cela nuit aux femmes.
Beaucoup de ces comportements devraient disparaître, d'abord du fait de la meilleure formation des jeunes femmes, qui entreront de plus en plus dans les entreprises et occuperont des postes de direction. Quant au présentiel, il est moins utile depuis la valorisation du télétravail : s'il s'agit d'envoyer des mails, une femme peut très bien travailler chez elle après avoir couché ses enfants.
Le télétravail contribue pour beaucoup à la libération de la femme, bien davantage que l'électro-ménager…
L'aménagement du territoire y contribue également.
Le télétravail pose tout de même un problème, car je constate lorsque je prends le TGV que plus de la moitié des personnes travaillent sur leur ordinateur durant tout le voyage.
Les directions des ressources humaines doivent prendre en compte ces heures de travail.
Je viens d'apprendre que 40 % des salariés lisent leurs mails en dehors de leur lieu de travail.
Les analyses sociologiques sont désormais générationnelles et non plus fondées sur le sexe. Trois générations se côtoient dans le monde du travail – les baby boomers, nés de 1945 à 1960, la génération x, née entre 1960 et 1980, et enfin la génération y, née après 1980. Or, ces très jeunes ont une vision du travail qui n'est pas celle des plus âgés, en particulier ceux qui ont connu la croissance. En outre, ils sont très bien formés, entendent rester libres et n'acceptent plus la hiérarchie. Ils considèrent leur patron comme un partenaire et un ami, même s'ils peuvent changer du jour au lendemain d'entreprise. Et cet état d'esprit est partagé par les femmes et les hommes. Sur ce point, la théorie du genre est exacte : le rapport de domination de l'homme sur la femme a cédé la place à un rapport entre générations.
La question des quotas n'intéresse pas les jeunes femmes, surtout celles qui font le même métier que leur conjoint ou leur compagnon, et leur approche est très différente de celle des féministes plus âgées qui ont connu le plafond de verre. Mais peut-être reprendront-elles, en vieillissant, les stéréotypes culturels de leurs aînées. Quoi qu'il en soit, les choses ont vraiment changé si j'en juge par le nombre des hommes qui promènent leurs enfants en poussette. Les tâches sont désormais partagées.
La réforme constitutionnelle portée par Mme Marie-Jo Zimmermann en 2008 est fondamentale car elle favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et surtout elle prévoit des sanctions en cas de non respect. Cet égal accès ne constitue donc plus un simple objectif comme le sont les principes constitutionnels de précaution ou du droit au logement.
La théorie du genre arrive à point nommé car aujourd'hui les femmes ont reçu de solides formations. Il y a vingt ans, on leur aurait reproché de ne pas avoir les mêmes capacités que les hommes. Désormais l'égalité est un fait et les critères de diversité qui sont mis en avant – l'âge, le milieu culturel, l'expérience professionnelle, l'éducation – ont peu à voir avec la différence entre les femmes et les hommes. Nous essayons d'oublier les valeurs féminines et masculines : l'intuition, le pragmatisme, le sens du collectif, l'art du compromis pour les unes, la force et le goût de la décision pour les autres. Il faut dire que les critères masculins se rapprochent de ceux qui caractérisaient les hommes préhistoriques...
Les quotas sont indispensables. Preuve en est que dans les pays où ils n'existent pas, comme les États-Unis, on trouve peu de femmes aux responsabilités. N'attendons pas que les hommes nous laissent la place car ils ne le feront pas et d'ailleurs nous aurons tendance à ne pas la leur demander. Mais insurgeons-nous contre ce que nous entendons dire ici ou là, à savoir que les quotas entraînent l'incompétence. L'introduction des femmes dans les entreprises, en renouvelant les personnels, va accroître leurs compétences. Beaucoup, surtout dans les pays anglo-saxons, s'opposent au fait de légiférer sur ces questions au motif que l'entreprise appartient à ses actionnaires. En Europe, nous considérons qu'elle appartient également à ses salariés. Si, aux États-Unis, on fait peu de cas du capital humain, en Europe on considère que s'il ne règne pas une bonne ambiance dans une entreprise, celle-ci est mise en danger. Beaucoup s'opposent au fait que les salariés perçoivent une prime en cas d'augmentation des dividendes.
La loi sur la parité dans les conseils d'administration de Mme Marie-Jo Zimmermann est donc indispensable, mais elle est insuffisante, car elle ne s'applique qu'aux entreprises publiques, et non aux établissements publics administratifs, ni aux ordres professionnels exerçant une délégation de service public ou aux associations de type URSSAF ou ACOSS.
Initialement, la proposition de loi devait s'appliquer aux conseils d'administration, aux syndicats, aux listes électorales des prud'hommes et aux établissements publics administratifs.
En ce qui concerne les universités…
Ce serait une bonne chose car les universités ne sont dirigées que par des hommes. Ici comme ailleurs, un équilibre est indispensable. La loi « Zimmermann » impose un seuil de 40 % de personnes du même sexe : ce chiffre me paraît particulièrement intelligent car le seuil de 50 % n'aurait pu être atteint. D'autre part, il serait intéressant de parvenir à ce que dans notre pays 40 % des instituteurs et 40 % des juges soient des hommes. La loi en vigueur doit être complétée par une seconde loi.
Sur un tel sujet il est difficile de conclure, tout au moins sur un plan juridique. La société ne cesse d'évoluer. Il faut poursuivre la démarche qui a été engagée avec la loi sur l'égalité salariale. Mais la situation ne pourra évoluer que si nous instaurons des quotas. Je suis convaincue qu'il faut frapper fort, plutôt que de polluer les rapports entre les femmes et les hommes. Dans quelques années, lorsque l'égalité sera entrée dans les moeurs, les quotas apparaîtront inutiles.
Je vous remercie de nous avoir apporté votre point de vue de juriste sur les théories du genre. Je n'imaginais pas à quel point elles pouvaient impacter le droit. Quoi qu'il en soit, leur traduction juridique permet d'apaiser le débat.
La parité est-elle de mise dans le milieu des magistrats, ou y a-t-il, là aussi, besoin d'une loi ?
Actuellement près de 80 % de femmes entrent dans la magistrature – les femmes sont plus studieuses et réussissent mieux les concours. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 85 % des juges et 65 % des avocats sont des femmes. En première année de médecine, on trouve 90 % de femmes. Ce n'est plus ce que l'on peut appeler une société équilibrée.
Mais on trouve peu de femmes aux postes de patron d'industrie ou de chef de service. Est-ce la même situation dans la magistrature ?
Oui, et cela a amené Mme Rachida Dati, lorsqu'elle était garde des Sceaux, à essayer de féminiser le poste de procureur général…
À cet égard la réforme des collectivités territoriales ne va pas dans le bon sens. Les conseillers territoriaux devraient être élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Or seulement 13,9 % de femmes siègent dans les conseils généraux, contre 47 % dans les conseils régionaux, élus au scrutin de liste.
Il est clair que le scrutin majoritaire ne laisse pas passer les femmes, mais ce sont les électeurs qui ne votent pas pour elles.
Il semble que dans les trois ans qui viennent nous aurons atteint le pourcentage de 20 % de femmes dans les conseils d'administration. En revanche, il sera plus difficile d'atteindre les 40 %. Pour y parvenir, nous devrons mettre l'accent sur le contrôle de la sanction. Jean-Pierre Jouyet m'avait suggéré de créer un label qui serait décerné aux entreprises dont le conseil d'administration est composé d'un certain pourcentage de femmes.
L'ouverture de la loi à d'autres catégories y aidera sans doute.
La loi est intéressante en ce qu'elle vise à atteindre l'égalité et pas seulement à lutter contre la discrimination.
Par ailleurs, que pensez-vous du débat sur le fait de dire aux femmes « madame » ou « mademoiselle » ?
Pourquoi pas dire « madame » à toutes les femmes ? Il me semble qu'à partir d'un certain âge, il est vexant d'être appelée « mademoiselle ».
C'est une affaire de génération. Les jeunes, qui ont dépassé le stade des différences entre femmes et hommes, ont une perception très différente de la nôtre.
Certes, mais la liberté de la femme est fragile, comme en témoigne l'évolution des révolutions arabes. Une Tunisienne me confiait d'ailleurs ce matin l'inquiétude des femmes de son pays.
Vous dites, madame, que la justice, l'éducation nationale et la médecine sont des métiers de plus en plus féminisés mais qu'en revanche ce sont les hommes qui occupent les postes de responsabilités. Pour quelles raisons, selon vous, les femmes ne prennent-elles pas davantage le pouvoir ?
L'Assemblée nationale organise chaque année un Parlement des enfants. Au cours de cette journée, chaque circonscription est représentée par un député junior. Nous constatons que 55 à 65 % d'entre eux sont des jeunes filles, ce qui signifie que dans les classes de CM2, les jeunes filles ont toute leur place. Il me semble qu'il faudrait inculquer le sens des responsabilités dès l'école primaire, puis au collège et au lycée. Bien que ce ne soit pas la réalité, les jeunes femmes sont culpabilisées ou craignent de ne pas y arriver. D'après vous, les jeunes hommes ont-ils plus d'ambition que les femmes ?
À ma connaissance, l'ambition concerne 30 % des femmes contre 70 % des jeunes gens, qui ressentent très tôt l'envie d'assumer des responsabilités. Dans mon cabinet d'avocats, nous avons eu l'occasion d'embaucher de jeunes hommes. Tous s'étonnaient que je ne souhaite pas revoir les objectifs du cabinet à la hausse. Il est clair que les jeunes hommes cherchent à évoluer tandis que les femmes, si elles trouvent un cabinet qui leur convient, choisissent d'y travailler pendant plusieurs années.
Par ailleurs, la carrière des femmes traverse une phase délicate, entre 30 et 40 ans, lorsqu'elles éduquent leurs enfants. Elles sont alors moins disposées à assister à des réunions le soir et à tout mettre en oeuvre pour faire évoluer leur carrière. Ce phasage n'est pas une gêne dans les professions libérales, mais il peut poser des problèmes dans les grandes entreprises dans lesquelles une femme qui a laissé passer sa chance ne peut pas revenir en arrière.
En ce qui concerne les avocats, ceux de ma génération ne font pas de différence lorsqu'ils intègrent un jeune confrère.
En effet, dans les entreprises, les salariés doivent construire leur carrière avant 40 ans.
C'est vrai mais l'allongement de la durée du travail devrait améliorer les choses pour les femmes.
Lorsque j'élaborais ma proposition de loi sur la parité des conseils d'administration, les femmes issues des grandes écoles m'ont beaucoup encouragée. Elles m'ont expliqué qu'après avoir été parmi les meilleures de leur promotion, nombre d'entre elles ont intégré des entreprises, puis elles ont eu leurs enfants. Mais, à partir de 40 ans, elles se sont aperçues que des personnes qui se trouvaient classées loin derrière elles, à la sortie de leurs études, les avaient dépassées dans la hiérarchie de l'entreprise. Ce phénomène n'a pas changé avec les nouvelles générations.
Personne ne peut nier que les femmes ont des enfants et qu'elles doivent s'en occuper. La maternité est une richesse immense qui justifie un décalage de cinq ou dix ans dans une carrière, d'autant que celle-ci est de plus en plus longue.
Je n'avais pas voté l'amendement de Chantal Brunel visant à ce que les femmes ayant élevé trois enfants puissent partir à la retraite plus tôt, le jugeant antinomique.
Les jeunes hommes s'occupent de plus en plus de leurs enfants : eux aussi peuvent mettre un frein à leur carrière.
Je voudrais toutefois ajouter une chose : une femme qui a beaucoup d'ambition risque de mettre son couple en péril.
Les jeunes femmes ont peut-être moins d'ambition mais le fait de porter un enfant est une chose qu'un homme ne peut pas connaître et nous n'y changerons rien. Je constate pour ma part une évolution des mentalités. Cela dit, l'entreprise pourrait considérer différemment les carrières qui ont été mises en berne pour cause d'enfants et faire de l'éducation de ces enfants une valeur ajoutée.
Une autre évolution sociologique doit être prise en compte : les couples se séparent très facilement. Les magistrats, dans un souci d'égalité, demandent désormais aux femmes de payer une pension au père des enfants. A l'inverse, lorsque la pension est due par les hommes, considérant qu'une femme n'a pas à travailler moins pendant la période où elle élève ses enfants, en cas de disparité salariale, les juges fixent une prestation compensatoire de plus en plus minime, ce qui place certaines femmes dans une situation très difficile. C'est ainsi que l'on est conduit à devoir privilégier des périodes de travail relativement longues, en évitant que la femme ne s'arrête de travailler trop fréquemment. Les femmes veulent l'égalité : elles doivent avoir les mêmes inconvénients et les mêmes avantages que les hommes.
Puis la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Mme Véronique Fouquat, chef du bureau des programmes d'enseignement et de Mme Anne Rebeyrol, chargée de mission sur la prévention des discriminations et l'égalité entre les filles et les garçons (Direction générale de l'enseignement scolaire du ministère de l'Éducation nationale)
Le thème du genre a été inscrit dans les programmes de sciences de la vie et de la Terre de classe de première. J'ai voulu que la Délégation soit mieux informée sur les différents aspects de la question, tant du point de vue philosophique que scientifique et juridique.
Néanmoins la façon dont la question du genre a été intégrée au programme de SVT ne laisse pas d'étonner. Qu'est-ce qui a motivé l'introduction de ce thème ? De quelle formation bénéficient les enseignants pour le traiter avec leurs élèves ? Quel était l'objectif visé ? La virulence de certaines réactions donne à penser que cette modification du programme n'a pas fait l'objet d'une préparation suffisante.
Mme Véronique Fouquat, chef du bureau des programmes d'enseignement. La question du genre ne figure pas au programme…
« Vivre sa sexualité :
Le comportement sexuel chez les mammifères est contrôlé, entre autres, par les hormones et le système de récompense. Au cours de l'évolution, l'influence hormonale dans le contrôle du comportement de reproduction diminue, et corrélativement le système de récompense devient prépondérant dans la sexualité de l'homme, et plus généralement des primates hominoïdes. Les facteurs affectifs et cognitifs, et surtout le contexte culturel, ont une influence majeure sur le comportement sexuel humain. »
Nous ne mentionnons pas la théorie du genre. La polémique a surtout porté sur la distinction entre l'orientation sexuelle et le sexe phénotypique.
Je poursuis ma lecture du programme : « Différencier, à partir de la confrontation de données biologiques et de représentations sociales, ce qui relève :
– de l'identité sexuelle, des rôles en tant qu'individus sexués, et de leurs stéréotypes dans la société, qui relèvent de l'espace social ;
– de l'orientation sexuelle, qui relève de l'intimité des personnes. »
Ce programme a été rédigé par un groupe d'experts ; il a été relu et validé par des scientifiques. Il s'adresse aux élèves des séries littéraire et économique et sociale de la classe de première.
Son objectif est d'abord de donner à l'élève une culture scientifique en lui montrant que la science est en prise avec la réalité des grands enjeux de ce monde et qu'elle lui permet, par exemple, de mieux comprendre des problèmes tels que la faim et l'exploitation de l'énergie.
Il s'inscrit par ailleurs dans le volet « Éducation à la sexualité » ouvert en classe de quatrième. La question est ici abordée selon une démarche scientifique plus exigeante. L'adolescent est sensibilisé au fait qu'une vie sexuelle implique aussi des choix de procréation qui doivent être éclairés par des connaissances scientifiques solides. L'ensemble de la problématique est abordé dans une partie du programme intitulée : « Fémininmasculin ». Une entrée « Devenir homme ou femme » décrit les caractéristiques du sexe phénotypique, du stade embryonnaire à l'adolescence.
Mais l'identité sexuelle ne se définit pas seulement par son aspect biologique. Comme tout système complexe, elle se développe en interaction avec le milieu et est liée à des stéréotypes sociaux. Ces idées renvoient, effectivement, aux études sur le genre.
Le programme rappelle en outre que l'orientation sexuelle relève de la sphère privée, l'objectif étant d'expliquer que la discrimination et l'homophobie sont condamnables. C'est surtout ce dernier point qui a été source de polémiques et qui a fait l'objet des nombreuses questions écrites des parlementaires.
De fait, les éditeurs de manuels, qui ont toute liberté pour accompagner le programme officiel comme ils l'entendent, ont fait référence aux études sur le genre.
Au ministère nous n'avions pas souhaité faire mention de ces études. D'abord, parce qu'elles ne constituent pas une branche universitaire encore très développée – elles ne sont enseignées qu'en première année de Sciences Po., ainsi qu'à l'École des hautes études en sciences sociales où elles font l'objet de conférences. Ensuite, parce qu'elles relèvent davantage de la sociologie et de la philosophie que d'une science telle que la biologie.
Mais rappeler que la biologie n'explique pas tout est aussi une attitude scientifique. C'est pourquoi nous avons contextualisé ce point.
Les députés n'ont pas à s'occuper des programmes d'enseignement. Je me suis ainsi toujours opposée aux lois mémorielles.
L'enseignement souffre du cloisonnement de ses disciplines. Or la vraie culture met en jeu plusieurs facettes du savoir afin d'écarter toute vision verticale de la réalité. En ce sens, un problème tel que le genre ne dépasse-t-il pas le cadre du cours de biologie ?
Les professeurs de biologie que la Délégation a auditionnés ont fait preuve de beaucoup de retenue dans leurs critiques. Mais les explications qui nous sont données aujourd'hui ont de quoi effrayer !
L'essentiel de l'enseignement reste scientifique. Il est vrai que la question de la formation des enseignants à la thématique du genre se pose et qu'un effort de décloisonnement doit être fait. Le ministère s'attache à créer davantage d'interdisciplinarité autour de certains thèmes.
Par exemple, les enseignants de philosophie sont amenés à participer aux cours d'éducation civique, juridique et sociale.
Mais quelles sont les initiatives qui ont été prises en ce qui concerne le thème du genre abordé en cours de biologie ?
Aucune en particulier. Toutefois des expérimentations sont en cours visant à encourager les enseignants de philosophie à intervenir dans les disciplines scientifiques. Ce thème, qui conduit à réfléchir aux rapports entre la culture et la nature, pourrait relever de ce type d'action.
Mais enfin, cela ne s'improvise pas ! De plus, la philosophie n'est pas enseignée en classe de première.
Dans le cadre de ces expérimentations, l'enseignant de philosophie intervient en classe de première.
En d'autres termes, d'un côté les effectifs des enseignants sont réduits pour des raisons budgétaires ; de l'autre, on demande aux professeurs, en plus de leur volume horaire, de travailler ensemble ! Il ne faudrait pas oublier que leur première responsabilité est d'aller au bout des programmes des classes dont ils ont la charge, ce qui n'est pas chose aisée.
Il est clair que les enseignants de biologie n'ont pas bénéficié d'une préparation suffisante.
N'y a-t-il pas une commission qui élabore les programmes ?
Le programme est élaboré par une commission composée d'enseignants, d'inspecteurs, d'inspecteurs généraux et, selon les cas, d'universitaires. Une fois rédigé, il fait l'objet d'une large consultation : le pré-projet est rendu public ; il est mis à la disposition de tous les enseignants et transmis à l'Académie des sciences. Au vu des retours d'information, des ajustements sont effectués. Le Conseil supérieur de l'éducation en est, lui aussi, saisi ; je rappelle qu'y siègent les syndicats d'enseignants, des représentants des collectivités locales et des parents d'élèves.
Dans le cadre de cette procédure, le programme de SVT a reçu un avis favorable et le point portant sur le genre n'a pas suscité de débats.
De fait, il en suscite aujourd'hui…
Comment l'intégration d'un nouveau thème se fait-elle dans un programme ?
Dans le cadre de la réforme des lycées, les programmes de nombreuses disciplines ont été modifiés en 2010. Le nouveau programme de SVT s'est basé sur l'ancien, qui datait de 2000, où la question de la procréation était déjà abordée.
Un programme se conçoit rarement ex nihilo ; il s'appuie toujours sur le précédent dont le contenu est mis à jour en fonction des évolutions des connaissances. Son élaboration dure plusieurs mois.
Même si la notion de genre ne figure pas en tant que telle dans le programme de SVT, c'est pourtant bien de cela dont il s'agit. Comment y a-t-elle été inscrite ?
Je précise que les professeurs de biologie ont davantage critiqué le lancement sans filet de ce nouveau thème que son contenu lui-même.
Le programme a-t-il fait l'objet d'une évaluation ? À lire la description qui y est faite de la question du genre, on peut se demander si le niveau de connaissance requis n'est pas trop élevé pour des élèves de première.
Le programme a été évalué, comme celui des autres disciplines. Le niveau de compétence exigé n'est pas plus élevé que celui du programme précédent.
Il me semble que ce programme de SVT n'est pas enseigné dans les filières technologiques et professionnelles.
Dans ces filières les programmes sont en effet différents. Les élèves suivent un enseignement au contenu plus large appelé « Prévention, santé et environnement ».
Je tiens à souligner que les enseignants de SVT disposent d'un document qui accompagne le programme et donne des pistes de travail, surtout pour le thème de l'éducation à la sexualité.
Il s'agit d'un guide d'intervention pour les collèges et les lycées destiné à aider les équipes d'enseignants.
Si ce n'est que le professeur de biologie ne travaille pas en équipe…
De plus vous raccrochez la question du genre à celle, plus large, de la sexualité. Or, on sait qu'il est impossible pour un enseignant d'aborder l'éducation à la sexualité seul devant une classe de 35 élèves ! Peut-on même en parler devant une classe mixte ? Ce n'est tout de même pas la même chose qu'une leçon sur Louis XIV !
Le professeur de biologie donne des informations d'ordre scientifique. Il n'assure donc pas une éducation à la sexualité en tant que telle. Une circulaire définit d'ailleurs les différentes séquences spécifiques qui organisent cet enseignement.
L'organisation de ces séances implique souvent le comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté, lequel fait intervenir des infirmières, des assistantes sociales ou des associations. Des temps de non-mixité peuvent être mis en place.
Combien de lycées organisent ces formations en faisant appel à des intervenants extérieurs ? Un professeur seul ne peut y arriver.
Si l'on ajoute aux questions que soulève le dernier programme de SVT les problèmes liés à l'éducation sexuelle, on comprend pourquoi les parents, ainsi que les députés, s'interrogent. L'organisation de tout cela manque un peu de consistance…
La plus grande vigilance est pourtant nécessaire car nous avons affaire à des jeunes et non à des adultes.
Le document qui accompagne le programme fournit deux types d'informations. Il propose d'abord un commentaire du contenu et des limites du programme en dressant une liste d'activités pédagogiques. Il présente aussi un support pédagogique sous forme de fiches dont l'une, par exemple, est intitulée : « Éducation sexuelle, rôle et stéréotype ».
L'éducation à la santé et à la sexualité est au programme depuis longtemps ; elle débute dès la classe de quatrième.
Il nous a été rapporté que très peu de temps serait consacré à cette partie du programme de SVT qui a fait polémique.
Pourquoi avoir ajouté l'étude du genre en SVT ? L'éducation à la sexualité ne suffisait-elle donc pas ?
Le genre n'est pas étudié en tant que tel. Il n'est pas demandé de procéder à une étude des influences sociales sur le développement sexuel des individus et les élèves ne seront évidemment pas évalués sur ce thème.
Cependant, ne pas mentionner le contexte quand on traite du devenir homme et du devenir femme serait malhonnête.
La question de l'identité sexuelle, telle que la formule le programme, me paraît bien posée.
Mais il est réducteur d'en confier le développement au seul professeur de biologie. L'apprentissage du respect entre les sexes devrait être assuré dans tous les établissements scolaires et relever de l'éducation civique comme de la réflexion philosophique. Il est tout de même consternant qu'on soit obligé d'organiser des « Journées de la jupe ».
Des formations portant sur l'égalité entre les filles et les garçons sont souvent proposées dans les académies mais leur mise en place est difficile.
Notre Délégation a pu constater, au cours de ses travaux, que ces enseignements ne sont, de fait, pas dispensés.
Mme Marie-Jeanne Philippe, aujourd'hui rectrice de l'académie de Lille, avait été chargée de ce problème. Quel est le bilan de son action ?
La convention interministérielle pour l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, est arrivée à son terme cette année.
Une nouvelle convention est en cours de rédaction. Signée par huit ministères, elle a permis l'organisation de journées inter-réseaux qui ont abordé les trois grands axes du projet : la diversification des choix d'orientation entre les filles et les garçons, le respect mutuel et la formation des enseignants. Des recueils de bonnes pratiques ont été rédigés ; un guide décrivant les actions à mener contre les comportements sexistes et les stéréotypes a été édité. Ces documents sont disponibles sur le site Internet « Eduscol ».
Ce travail a été relayé dans les académies.
Le problème que nous avons rencontré est que peu de professeurs s'inscrivent à ces formations, estimant certainement ne pas participer, pour leur part, à la création des stéréotypes. Il est pourtant nécessaire que cette problématique de l'égalité entre les sexes irrigue l'ensemble des politiques éducatives – ce que les Anglo-saxons appellent le gender mainstreaming.
La lutte contre les discriminations et contre l'homophobie compte parmi les objectifs de ces actions.
Dans le programme de biologie, c'est le traitement de l'homosexualité qui nous est reproché.
Le vrai problème me paraît plutôt que l'étude du genre n'est mentionnée que de façon indirecte dans le programme de SVT. Il aurait fallu être plus clair et l'aborder de préférence en classe de terminale ; le traitement de la question du genre aurait alors pu être confié au professeur de philosophie, qui aurait abordé ce thème en collaboration avec l'enseignant de biologie.
Il n'y a pas d'enseignement de la biologie en terminale, si ce n'est sous forme d'option.
Le problème est surtout venu des manuels qui ont beaucoup développé cette question du genre, pourtant très réduite dans le programme. Certains éditeurs y ont consacré près de dix pages ! La polémique est donc née non pas au moment de la consultation du projet de programme, mais lorsque les professeurs ont découvert le contenu des manuels.
Non. Les courriers que nous avons reçus ont été envoyés par des particuliers.
L'introduction de ce thème n'a pas été une erreur. Mais comment l'enseigner ? Comment former les jeunes professeurs qui ne voient presque plus leur tuteur pédagogique et qui, dès la première année, assurent dix-huit heures de cours hebdomadaires ?
Le risque est que cette polémique sur l'enseignement du genre détourne de la question de l'éducation sexuelle.
Je n'ai pas soutenu qu'il ne fallait pas parler de la question du genre mais j'en ai appelé à une véritable formation. Autrefois, un jeune enseignant diplômé suivait une formation auprès d'un tuteur et bénéficiait d'un volume horaire de cours adapté.
Au demeurant, la brochure qui a été éditée sur les comportements sexistes et les violences sexuelles apparaît tout à fait pertinente. Il serait utile que la Délégation auditionne Mme Marie-Jeanne Philippe.
Concernant le programme de SVT, si je suis un peu rassurée par les explications qui nous ont été données, un bilan d'évaluation s'impose.
Il sera dressé. Un inspecteur général en sera chargé dans un délai de deux ou trois ans après la mise en place du nouveau programme. Son contenu sera accessible sur le site Internet du ministère de l'Éducation nationale.
L'inspecteur général pourrait d'ailleurs être auditionné par votre Délégation ; il vous présentera alors les modalités de son évaluation.
La séance est levée à dix-huit heures trente.