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Intervention de Brigitte Longuet

Réunion du 25 octobre 2011 à 16h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Brigitte Longuet, avocate, présidente de l'Association pour la promotion des femmes avocats et juristes comme administrateurs :

Je vous remercie de m'avoir invitée pour évoquer devant vous une question qui s'avère parfois surprenante.

La théorie du genre a été conçue dans les années 1970 par un groupe de féministes militantes. Elle a été développée dans un certain nombre d'ouvrages anglo-saxons, les gender studies. C'est une théorie qui prône l'égalité absolue et nie toute différence entre les femmes et les hommes. Cette différence constitue la plus importante des discriminations, plus que celles qui reposent sur la race ou la religion. Elle repose sur des stéréotypes culturels très primaires – la force physique pour les hommes, la minutie pour les femmes – et vient du fait que les parents élèvent différemment les filles et les garçons.

Les féministes élaborent progressivement les théories de genre qui consistent à différencier le sexe biologique, retenu par l'état civil, et le sexe social, reflet du comportement social. Le genre d'une personne traduit son appartenance volontaire à un sexe plutôt qu'à l'autre.

Au regard du droit, le sexe biologique fait l'objet de nombreuses discussions. La question est très complexe. On ne peut en effet tenir compte uniquement du sexe biologique pour définir le sexe d'une personne. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), suivie dans les années 1980 par la Cour de cassation, a rendu plusieurs arrêts en ce sens, tel l'arrêt Christine Goodwin c Royaume Uni du 11 juillet 2002.

Depuis, d'autres théories ont vu le jour, notamment celle présentée par le professeur Régnier. Actuellement le droit prévoit l'indisponibilité du sexe. Une personne qui veut en changer doit prouver qu'il y a erreur – mais cette incertitude ne concerne que 2 % des cas. Selon le professeur Régnier, une personne doit pouvoir changer de sexe apparent dès lors que son comportement social prouve qu'elle appartient à l'autre sexe, et cette possibilité relève de la liberté de conscience.

Nous n'en sommes pas là en France. La Cour de cassation n'a pas encore totalement suivi la CEDH, qui a repris la définition du professeur Régnier. Nous n'acceptons les changements de sexe que dans des cas très particuliers.

Les études sur le genre étaient tout d'abord philosophiques. Elles sont devenues sociologiques, puis historiques puisqu'elles ont permis d'analyser différemment certaines périodes de notre Histoire. Selon la théorie du genre, la Révolution française fut une révolution bourgeoise et masculine, qui a retiré leurs droits aux femmes. La participation à la citoyenneté des femmes, si elle a existé, fut très vite verrouillée ; ce n'est qu'en 1946 que le droit de vote leur a été accordé en France, alors qu'elles votaient depuis longtemps en Angleterre ou encore en Turquie.

Cette théorie a également changé notre regard sur le travail des femmes. L'intérêt économique du travail domestique des femmes n'a jamais été comptabilisé, alors qu'il représente un enjeu considérable. Les récentes lois sur le conjoint collaborateur vont dans le bon sens, néanmoins l'apport du travail domestique est toujours très sous-estimé.

Selon la théorie du genre, il n'existe pas de différence sociale entre la femme et l'homme, puisque le sexe n'est pas seulement biologique mais social : le genre est donc une distinction culturelle. Les extrémistes du genre, dans les années 1970, prônaient une égalité parfaite. « On ne naît pas femme, on le devient » disait Simone de Beauvoir, qui aurait pu être une adepte de la théorie du genre.

Le rôle de la femme ayant des conséquences juridiques et sociétales, faut-il, en matière économique et politique, faire une différence entre les deux sexes ? On ne parle plus aujourd'hui de professions purement féminines – soins à la personne, pédiatrie. Si l'on applique la théorie du genre, les seuls critères à mettre en avant sont les compétences et l'utilité commune pour la société. Si l'on applique la théorie du genre aux relations du travail, à compétences et capacités égales, on peut embaucher indifféremment un homme ou une femme, mais cela nous conduit à changer les grilles de recrutement, souvent encore imprégnées de stéréotypes culturels.

La participation des femmes à la vie économique constitue un atout considérable pour notre pays et rime avec compétitivité économique car ces dernières représentent un extraordinaire vivier de potentiels et de talents, encore en grande partie inexploités. En 2009, on comptait 58 % de femmes à l'université, 48 % dans les grandes écoles de commerce et 40 % dans la promotion 2008 de l'ENA. Elles n'étaient que 20 % il y a trente ans. En utilisant la théorie du genre – naturellement privée de son caractère féministe – nous pourrions permettre aux femmes de regagner les points de croissance dont la France a besoin. Les Allemands ont gagné 20 points de croissance au cours des dernières années, mais les femmes allemandes ne travaillent pas, faute de structures d'accueil pour les jeunes enfants.

Si la loi « Zimmermann », je le reconnais volontiers, a contribué à renouveler les conseils d'administration, son effet le plus important ne tient pas à la présence accrue des femmes mais au fait que les conseils ont été renouvelés. Auparavant leur composition n'avait jamais été remise en cause. Il a d'ailleurs longtemps été de bon ton de laisser sur la table la feuille présentant les performances de l'entreprise pour montrer qu'on n'allait pas dévoiler ces performances à l'extérieur… La gouvernance d'entreprise est un concept très récent.

Loin de moi l'idée de soutenir qu'une femme et un homme sont identiques, mais dans ma vie professionnelle je ne fais pas la différence entre une avocate et un avocat. À compétences égales, je choisis l'un ou l'autre. Cette égalité permet de faire progresser les femmes dans la hiérarchie, d'autant que, ayant souvent reçu une meilleure formation initiale que les hommes, elles ont de plus en plus de compétences.

Pour revenir à la jurisprudence de la Cour de cassation, ses arrêts de 1988 et de 1992 ont autorisé le changement de sexe lorsque la personne ne se sentait pas appartenir au sexe avec lequel elle était née, ce qui rendait l'opération nécessaire. Pour la Cour de cassation, le sexe est déterminé par le comportement social. Le professeur Régnier va plus loin : pour lui, ne pas permettre à une personne d'appartenir à un sexe qui soit en harmonie avec son identité de genre est une atteinte à la liberté de conscience. Si la Cour de cassation ne va pas jusque là, c'est par crainte de voir apparaître des pratiques déviantes d'exploitation de l'humain, de type prostitution.

Quant à la loi de Mme Marie-Jo Zimmermann, elle a fait entrer la théorie du genre dans les pratiques juridiques en prévoyant des sanctions pour défaut d'égalité. En 2006, le Conseil constitutionnel disait exactement le contraire, mais ses avis relèvent d'une obligation de moyens et non de résultats.

J'ai lu un certain nombre d'études sur la théorie du genre, toutes très engagées sur le plan féministe : mes conclusions étaient toujours différentes des leurs. Mais peut-être faut-il passer par des excès avant de parvenir à l'équilibre…

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