La Commission entend, en audition ouverte à la presse, Mme Christine Lagarde, ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, sur le niveau de centralisation des encours des livrets d'épargne réglementés à la Caisse des Dépôts et consignations.
Nous accueillons Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, pour évoquer le niveau de centralisation des encours des livrets d'épargne réglementés à la Caisse des dépôts et consignations.
Il s'agit de la dernière audition d'un cycle au cours duquel nous aurons entendu M. Thierry Repentin, président de l'Union sociale pour l'habitat, MM. Michel Bouvard et Augustin de Romanet, respectivement président de la commission de surveillance et directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, M. François Pérol, président de la Fédération bancaire française et, ce matin, M. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France.
Madame la ministre, le projet de décret prévoit de fixer à 65 % le taux de centralisation, en tenant compte des mouvements de recentralisation. Dans ces conditions, on peut se demander à combien s'élèvera le taux effectif de centralisation ; toujours est-il qu'il sera inférieur aux 70 % que le Gouvernement s'était engagé à respecter lors de l'examen du projet de loi de modernisation de l'économie.
S'agissant du « corridor », les arguments d'Augustin de Romanet nous ont paru convaincants : le taux de 2 % n'est-il pas inutile, dans la mesure où il existe déjà un ratio minimum de couverture de 125 %, et celui de 3 % dangereux, puisqu'il priverait la Caisse de moyens d'action indispensables ?
Les auditions ont mis en évidence un défaut d'information concernant l'emploi des fonds décentralisés auprès des établissements bancaires, qui sont censés les consacrer au financement des petites et moyennes entreprises et au développement durable. À notre connaissance, aucun rapport n'a été publié l'année dernière, alors que la loi prévoit la publication d'un tel document avant le 31 mars de chaque année. Qu'en sera-t-il cette année ? Avez-vous bénéficié de l'information écrite trimestrielle également prévue par la loi et, dans l'affirmative, pourriez-vous la communiquer à la Commission des finances ?
Selon M. Pérol, ce défaut d'information s'expliquerait par le fait qu'il n'existe pas de « fléchage » direct de la collecte décentralisée vers le financement des PME. Sachant que la Commission européenne n'accepte la défiscalisation de cette épargne qu'à la condition que les fonds collectés soient affectés à des missions d'intérêt général – soit, à ce jour : le logement social, la rénovation des hôpitaux et des universités, la construction de transports en commun en site propre et la politique de la ville –, ne craignez-vous pas qu'elle ne finisse par critiquer cet usage ?
Enfin, si nous sommes bien conscients de la nécessité pour les établissements bancaires privés de s'adapter aux nouvelles règles de Bâle III, l'épargne populaire défiscalisée a-t-elle vraiment pour objet de garantir leur ratio de liquidité ?
Je salue le travail mené depuis trois ans par le Gouvernement afin de restaurer l'équilibre du fonds d'épargne, notamment via la réduction du taux de commissionnement des banques et la meilleure coordination de la rémunération des livrets. Toutefois, cet équilibre est directement influencé par le taux de centralisation ; comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport, les performances des marchés financiers jouent un rôle de plus en plus important, dans la mesure où les résultats du fonds dépendent, au-delà du rendement des prêts, – qui sont consentis à un niveau équivalent, voire inférieur au coût de la ressource –, du placement des liquidités. Cela permet de rémunérer l'État à hauteur d'environ 1 milliard d'euros par an, ce qui est loin d'être négligeable eu égard à la situation des comptes publics.
Certes, nous ne méconnaissons pas les difficultés auxquelles les établissements financiers français sont confrontés dans le cadre des nouvelles règles de Bâle III, mais ne peuvent-ils pas jouer sur d'autres leviers pour satisfaire aux exigences de liquidité ? Pourquoi le fonds d'épargne devrait-il servir de variable d'ajustement ?
Par ailleurs, compte tenu des contraintes budgétaires actuelles, comment pourrons-nous continuer à financer avec de faibles taux d'intérêt les investissements de long terme, si vous renoncez aux capacités d'action dont nous disposons hors logement social et politique de la ville ?
Enfin, si le taux de centralisation est fixé initialement à un niveau trop bas, l'obligation d'atteindre le taux plancher de 125 % des encours de prêts au logement social et à la politique de la ville ne risque-t-il pas de provoquer le relèvement brutal du taux de centralisation et, partant, de détériorer la situation des établissements bancaires par rapport aux exigences de liquidités ?
J'adresse à chacun d'entre vous mes voeux pour la nouvelle année qui, je l'espère, nous verra travailler utilement pour le pays.
Avant de répondre à vos questions, je voudrais rappeler combien le Gouvernement est attaché à la politique de la ville et au logement social. Alors que le nombre de mises en chantier s'était élevé, en moyenne, à 60 000 par an de 1980 à 1989, à 52 000 de 1990 à 1999 et à 36 000 de 2000 à 2004, il était de 100 000 en 2008 et d'au moins 120 000 en 2009. On ne peut donc pas mettre en doute sa bonne volonté.
Je souhaite à ce propos donner un coup de chapeau à la Caisse des dépôts et consignations. Qu'il s'agisse de son directeur général, du président de la commission de surveillance, Michel Bouvard, ou des parlementaires qui en sont membres, comme les députés Arlette Grosskost et Jean-Pierre Balligand ou les sénateurs Nicole Bricq et Jean Arthuis, tous ont fourni un effort considérable en faveur du financement du logement social, de la politique de la ville et d'autres opérations indispensables, mais dont la rentabilité à court et moyen terme n'est pas assurée, comme le financement des hôpitaux et des universités.
Je souligne que depuis la banalisation de la collecte instaurée par la loi de modernisation de l'économie, ce sont 25 milliards d'euros supplémentaires qui ont été récoltés pour ce faire.
La question qui se pose est de savoir quel niveau de centralisation doit être fixé par le prochain décret. J'avais estimé en 2008 qu'il était souhaitable de parvenir au taux de 70 %. Ma position n'a pas varié ; il reste à déterminer quand et comment atteindre ce niveau.
Veuillez m'excuser, madame la ministre, mais afin de permettre à nos collègues de participer à un scrutin dans l'hémicycle, je suis contraint de suspendre la séance pour une dizaine de minutes.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinquante-cinq.)
Madame la ministre, je confirme que vous aviez pris le 10 juin 2008 l'engagement, que vous avez réitéré en novembre 2010, en réponse à une question de Jean-Pierre Balligand, que 70 % de l'épargne collectée sur le Livret A et sur le Livret de développement durable – LDD – serait consolidé auprès de la Caisse des dépôts et consignations. À ma connaissance, il n'a jamais été fait mention d'une période de transition.
Ma position, exprimée dans le projet de décret, est que la centralisation va s'accroître et que l'on doit s'acheminer vers le taux de 70 %. En revanche, il reste à déterminer si ce niveau doit être atteint automatiquement ou en fonction des besoins de la Caisse des dépôts et consignations.
Aujourd'hui, sur les 210 milliards d'euros issus du Livret A et du Livret de développement durable, le fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignations consacre 118 milliards d'euros à des prêts, les 105 milliards restants étant investis dans des actifs financiers.
Nous sommes confrontés à un dilemme : s'il convient de veiller au financement du logement social, de la politique de la ville et des autres actions proposées à la Caisse des dépôts et consignations, nous devons aussi tenir compte du contexte financier actuel, avec les stress tests – les « tests de résistance » –, les exigences de liquidité et la mise en oeuvre des critères de Bâle III.
Afin de parvenir au taux de 70 % dans un délai compatible avec les besoins de la Caisse des dépôts et consignations, je propose de combiner deux mécanismes : d'une part, la couverture à au moins 125 % des prêts consentis au logement social et à la politique de la ville prévue par le texte de loi et, d'autre part, la garantie d'une augmentation systématique de 2 % de l'encours du fonds d'épargne – ce qui est un engagement important, sachant que le rythme de collecte va certainement se ralentir dans les prochaines années. Pour faire face au risque que représenterait pour les banques la nécessité d'injecter brusquement plusieurs milliards d'euros de liquidités supplémentaires afin de respecter ces obligations, je suis favorable à la mise en place d'un seuil d'alerte.
J'en viens maintenant aux questions que vous avez posées.
L'ensemble des informations disponibles sur l'emploi des ressources figurent dans le rapport annuel de l'Observatoire de l'épargne réglementée. Ces informations sont transmises tous les trimestres à l'Observatoire et à la direction générale du Trésor. Je demanderai à cette dernière de vous les communiquer systématiquement.
Je reconnais que nous ne disposerons pas d'instruments de mesure précis avant le milieu, voire la fin de l'année 2011, car cela suppose d'importants investissements et un reformatage informatique. En revanche, nous disposons de chiffres agrégés qui indiquent que le financement des PME par les banques françaises est performant, avec un taux de progression des encours de crédit de 3,9 %, contre 2 % en moyenne dans le reste des pays de la zone euro.
Vu l'état actuel de la croissance et la nécessité de créer des emplois, le financement des PME est susceptible d'être considéré comme une mission d'intérêt général par nombre de pays européens ; nous avons d'ailleurs évoqué ce sujet lors du Conseil européen « Compétitivité ».
Le projet de décret ne prévoit aucunement de retirer des ressources à la Caisse des dépôts et consignations ; j'ai même proposé que si, d'aventure, la Banque postale décentralisait, les autres banques devraient compenser les sommes en cause.
S'agissant de l'application des critères de Bâle III et des stress tests prévus durant le premier semestre 2011, le taux de centralisation proposé n'apporte pas de nouvelles ressources aux banques ; il ne sera pas de nature à renforcer les capitaux propres ni les liquidités des banques. Le mécanisme que nous avons conçu ne vise pas à avantager les établissements financiers privés.
J'exercerai un droit de suite, selon le souhait émis lors des dernières conférences des présidents.
Tout d'abord, l'augmentation de 2 % de la collecte inclura-t-elle les intérêts ?
Ce qui change la donne : dans le précédent décret, le volume centralisé s'entendait hors capitalisation.
Les taux de 65 % et de 70 % correspondent-ils à la seule centralisation, ou comprennent-ils également la recentralisation ?
Ils s'entendent centralisation et surcentralisation confondues. Toutefois, je le répète, si, d'aventure, la Banque postale décentralisait, les autres banques, solidairement, devraient compenser les sommes en jeu.
Cela paraît en effet un peu tôt.
Nous disposons pour l'heure des montants agrégés, mais pas du détail. Il faudrait demander à la Banque de France à quelle date elle aura fini ses travaux ; nous disposerons alors du fléchage détaillé de la partie de la collecte qui n'est pas centralisée, banque par banque, secteur d'activité par secteur d'activité et catégorie d'entreprise par catégorie d'entreprise.
Il faut interroger le gouverneur de la Banque de France.
Pourtant, il nous a fait comprendre ce matin que la loi ne serait pas respectée !
Confirmez-vous les chiffres transmis par l'Observatoire de l'épargne réglementée : de 2009 à 2010, les fonds propres des banques auraient augmenté de 12 milliards d'euros et les encours de prêts aux PME de 6 milliards seulement ?
Je vérifierai ces chiffres.
L'utilisation de la collecte populaire défiscalisée pour le financement des PME ne risque-t-elle pas d'être sanctionnée par la Commission européenne ?
La plus grande partie de cette collecte sert au financement du logement social et de la politique de la ville ; le solde, d'environ 30 %, est consacré au financement des PME, à concurrence de 80 %. Comme je vous l'ai dit, le financement des PME n'est pas loin de représenter une mission d'intérêt général à l'échelon européen ; c'est en tout cas ce qui ressort des discussions que nous avons eues au Conseil des ministres européens chargés de la compétitivité et au Conseil des ministres de l'économie et des finances. Je n'ai donc pas d'inquiétude à ce sujet.
Le contrôle de l'utilisation des fonds collectés pour les PME et PMI constitue en effet une question récurrente à laquelle, madame la ministre, vous avez répondu, étant entendu qu'un certain nombre d'éléments supplémentaires nous seront communiqués dans les mois à venir.
M. Pérol, que nous avons auditionné la semaine dernière, a déclaré dans un magazine que les circuits de financement changeront. La France, a-t-il rappelé, a connu un très fort développement de l'assurance vie et de l'épargne longue en général, laquelle n'est pas présente dans les bilans des banques. Le régulateur, a-t-il enfin précisé, remettra cette épargne dans les bilans. Je déduis de ces considérations que les banques seraient tentées d'augmenter la rémunération de leurs comptes à terme, voire de proposer des « super livrets ». Qu'en pensez-vous ?
Par ailleurs, au cas où le taux de 70 % ne serait pas atteint en 2018, l'article 4 du décret prévoit la réalisation d'un bilan. Je regrette d'autant plus que cette disposition ne soit pas contraignante que, outre les politiques de la ville et du logement social, ce sont les financements des transports collectifs, des hôpitaux et des universités qui sont concernés. Il me semble donc nécessaire que ce taux soit impérativement respecté dans les délais les plus brefs.
La Caisse des dépôts et la Commission des finances seront-elles associées à ce bilan ?
Si les mises en chantier de logements sociaux ont en effet augmenté, savez-vous, madame la ministre, que la prime allouée par l'État en la matière est deux fois moindre que celle des collectivités locales ? M. Borloo a fait preuve d'un certain cynisme en annonçant le doublement des constructions quand il diminuait la prime d'État par deux ! Mon département, par exemple, donne aux offices HLM le double du montant accordé par l'État ! J'aimerais, de temps en temps, que cela soit dit, tant la façon de procéder est un peu exaspérante !
Tout le monde sait que l'augmentation de la collecte du Livret A est due à la crise – contexte particulier dont je souhaite bien entendu qu'il ne perdure pas – et à l'effondrement de certains autres types de placements.
Je trouve étrange, de surcroît, de mêler les accords de Bâle III à cette affaire, ces accords ayant pour but de faire en sorte que les abus que nous avons connus ne se reproduisent pas – sans doute est-ce un voeu pieux – et non que l'épargne défiscalisée porte secours à la capitalisation bancaire ! Je note, en outre, que vous avez oublié de citer le rapport de M. Camdessus expliquant comment les banques se sont abstenues de respecter la réglementation et la façon dont elles ont encore trouvé plus de 3 milliards d'euros pour rémunérer leurs traders.
Enfin, lors de son audition, M. Pérol a indiqué que le rapport prévu par la loi n'avait pu être remis en raison de la complexité du fléchage des fonds. J'avoue que je ne comprends plus : j'ai en effet connu le temps où le fichier central de la Banque de France permettait de distinguer les différentes catégories de crédits et d'entreprises. S'est-il donc envolé ? Si tel est le cas, c'est très dommageable, y compris pour les banques. Je gage cependant qu'il ne doit pas être très compliqué de le reconstituer en indiquant que telle catégorie de crédit a été accordée à telle entreprise de tel ou tel décile.
Comment seront donc financés les logements sociaux et les infrastructures de transports dès lors que les banques ne peuvent pas – ce que l'on comprend – accorder de crédits sur quarante ans ? Qu'elles conviennent donc que ce n'est pas leur métier et qu'elles laissent faire les institutions idoines ! La situation est d'autant plus cruciale que, compte tenu de l'état de certaines infrastructures, nous avons tout intérêt à prendre garde à leur financement.
En effet, le logement social et la politique de la ville ne sont pas seuls concernés par ces financements : les universités, les hôpitaux, les grandes infrastructures – je songe, en particulier, aux lignes à grande vitesse – le sont également. Or, les investissements de l'État en la matière ayant été réduits de moitié en vingt ans, il est impératif que la Caisse des dépôts dispose des moyens de prendre le relais. M. Emmanuelli l'a dit : aucun organisme bancaire ne prête sur quarante ans – à la différence de cette dernière qui, parfois, s'engage d'ailleurs bien au-delà.
La part de marché du Livret A, du Livret de développement durable et du Livret d'épargne populaire au sein de l'épargne des ménages chute d'environ 1 point par an depuis deux ans. Or, les projections à moyen terme étant établies à partir d'un taux de croissance de ces trois produits défiscalisés situé entre 2 % et 3 %, comment ce dernier est-il garanti ? Quelles mesures fiscales et quelle rémunération des produits de substitution – assurance-vie, autres livrets – permettraient d'éviter une « décollecte » ?
En outre, sur quelle base le ratio de couverture est-il fixé à 125 % et non 110 % ou 140 % sinon, comme l'assurent tous les conservateurs, parce que c'est « comme cela » depuis longtemps ? Est-il normal, de surcroît, qu'il n'intègre que les prêts au logement et non les autres prêts ? Enfin, pourquoi le numérateur n'inclut-il qu'une partie des trois produits que je viens de mentionner ?
Ce matin, le Gouverneur de la Banque de France a assuré que les banques ne peuvent établir un rapport justifiant de l'emploi d'une partie de la collecte au soutien des PME en raison de l'impossibilité de classifier ces dernières. Pouvez-vous sérieusement prétendre, madame la ministre, que les banques, pourtant capables d'échanger des milliards d'euros en une fraction de seconde ne disposent pas des systèmes informatiques permettant de bénéficier d'une vision claire de l'emploi de cette ressource ?
Si le financement des grandes infrastructures fait parfois défaut, ce n'est pas la faute des banques mais de la situation des comptes publics – c'est ainsi que nous aurons le plus grand mal, demain, à financer les universités et un certain nombre de grands équipements.
Il n'est pas moins vrai que le système bancaire sait fort bien procéder à des financements à très long terme comme en attestent, et pour des montants très importants, les partenariats public-privé, les PPP.
Par ailleurs, si je ne sous-estime en rien la nécessité de financer le logement social, je constate qu'à ce jour les responsables d'organismes HLM parviennent à le faire. Globalement, nous arrivons tous à atteindre nos objectifs et l'on ne peut prétendre que les ambitions en la matière, d'ailleurs assez élevées par rapport à ce qui s'est fait jadis, soient revues à la baisse. En revanche, ne perdons pas de vue cette réalité économique et financière : les difficultés de financement sont réelles pour les PME et les PMI. Ce ne serait pas de bonne politique que d'opposer le « bon » logement social aux « mauvaises » entreprises.
De surcroît, s'il est évident que les banques peuvent connaître les destinataires de leurs prêts – les systèmes informatiques permettant de savoir en temps réel combien elles ont accordé de crédits de tels types et de tels montants pour des entreprises dont le chiffre d'affaires s'élève à tant ou à tant –, il n'est en revanche pas possible d'affirmer que telle ou telle somme a financé tel ou tel emploi. De même qu'il existe un principe d'unité budgétaire, les banques ont un actif et un passif : c'est l'un et l'autre qui doivent être considérés au lieu de créer des passerelles artificielles entre les deux colonnes du bilan. L'important, je le répète, est de savoir si le financement des PME augmente ou non. Quant à moi, je n'ai pas la réponse.
Dans de très nombreuses collectivités locales, le rapport du financement entre l'État et ces dernières en matière de logement social n'est pas de 1 à 2, mais de 1 à 5, voire de 1 à 10. Je rappelle que, sur la base des crédits pour 2011, les circulaires ministérielles font état, pour un logement social classique, d'une subvention d'État de 800 euros par mètre carré alors que l'engagement des collectivités s'élève quant à lui à plusieurs milliers d'euros – 8 000, pour la communauté urbaine de Lille. L'augmentation des mises en chantier que vous avez évoquée, madame la ministre, ne s'explique guère par l'engagement financier de l'État !
De plus, si vous avez rappelé votre attachement à un taux de centralisation de 70 %, je rappelle qu'en 2008, il s'agissait d'un seuil plancher immédiatement envisageable alors qu'il se situe aujourd'hui dans une perspective à moyen, long ou très long terme.
Enfin, si le montant des encours est tel que vous le dites, la montée en puissance du dispositif dont vous avez fait état entraînera une augmentation significative des demandes auprès de la Caisse des dépôts, les projections de l'Union sociale pour l'habitat, l'USH, ou de la Caisse des dépôts elle-même attestant que le ratio de 125 % serait atteint dès 2012 ou 2013. Dès lors, à l'instar du taux de 70 %, une loi ne viendra-t-elle pas faire de ce dernier un objectif à très long terme ?
Lors des débats sur la loi de modernisation de l'économie, le Gouvernement avait indiqué que des dispositions réglementaires fixeraient au minimum le pourcentage global de centralisation de la collecte réalisée sur le Livret A et le Livret de développement durable à 70 %. Tout le monde avait donc bien compris qu'il s'agissait d'un plancher.
Sur la base d'un amendement que j'avais déposé en tant que rapporteur, la Commission avait été presque unanime à considérer que la part non centralisée de la collecte restant au bilan des banques devait être consacrée au financement de la création et du développement des PME ainsi qu'aux économies d'énergie. Si les banques doivent, certes, être incitées à fournir des chiffres plus précis en la matière, comment le Gouvernement compte-t-il quant à lui contrôler la montée en puissance que nous attendons tous des sommes affectées à ces différents secteurs ? Le financement, notamment en fonds propres, des PME et des TPE constitue en effet un problème récurrent.
Le Gouvernement se doit d'inciter les banques à respecter l'esprit de la loi !
Je tiens à m'inscrire en faux sur deux points précis : d'une part, les banques sont tenues de déclarer mensuellement à la Banque de France les crédits alloués aux PME, notamment ceux issus du Livret A et du Livret de développement durable, l'absence de centralisation étant impensable ; d'autre part, selon les derniers chiffres de l'USH, les subventions de l'État en matière de logement social s'élèvent à 2 %, celles des collectivités locales et territoriales à 11 %, tout comme l'apport des sociétés HLM, taux que ces dernières ne pourront d'ailleurs pas maintenir longtemps.
Je partage d'autant plus les inquiétudes qui ont été exprimées s'agissant du logement social que le dernier projet de loi de finances – il faut le faire ! – taxe les subventions de l'ANRU afin que cette dernière puisse assurer son propre fonctionnement ! C'est ainsi que la taxation des fonds propres et de l'autofinancement finance le logement social par lui-même, l'aide à la pierre versée par l'État étant passée, de mémoire, de 8 000 euros pour un PLUS en 2000 à 4 000 euros en 2009, d'ailleurs compte tenu du plan de relance, pour finir à 800 euros. Je comprends d'autant plus la modestie dont vous faites preuve s'agissant de la construction de 120 000 logements sociaux que la subvention de Rennes Métropole, par exemple, est comprise entre 20 000 et 25 000 euros par logement social.
Alors que la situation des banques ne s'améliorera sans doute pas dans les prochaines années, comment pouvez-vous donc garantir – fût-ce à travers un dispositif hautement technique – que ces dernières accepteront de se départir d'une partie des liquidités dont elles ont pris l'habitude de disposer ?
Je crains que vous ne sous-estimiez les besoins de financement du logement social ainsi que des opérations de restructurations urbaines par l'État, l'effort principal étant consenti par les collectivités territoriales ou les offices d'HLM à travers leurs fonds propres. Or, à un tel rythme, il ne sera pas possible de maintenir un haut niveau de production de logement social alors même que nous en avons le plus grand besoin, ce chantier constituant même une priorité absolue, notamment pour les jeunes générations ! Ajoutez à cela la question du financement des PME par les banques et vous conviendrez qu'il est difficile pour notre commission de se prononcer tant une double clarification s'impose !
Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir acté que le taux de centralisation de 70 % demeurait l'objectif visé, étant entendu que nous aurions intérêt à l'atteindre rapidement. À ce propos, une hausse annuelle de 1 point permettant de l'atteindre en trois ou quatre ans m'aurait semblé préférable au « corridor » de progression.
J'ajoute qu'une part de l'argent centralisé à la Caisse des dépôts retourne vers les banques – c'est notamment le cas des adjudications de prêts locatifs sociaux – PLS –, lesquelles représentent 6 points de centralisation, sans parler du refinancement d'OSÉO qui bénéficie également aux établissements bancaires. Le taux de centralisation recouvre donc une réalité plus complexe qu'il n'y paraît.
Enfin, trois raisons expliquent la fixation du ratio à 125 % : faire face à une éventuelle « décollecte », prendre en compte l'allongement de la durée des prêts, assurer l'équilibre financier grâce à une capacité de placement permettant de bonifier des prêts réalisés à prix coûtant, voire à perte.
Avec plus de moyens qu'il n'en faut, le financement du logement social est aujourd'hui largement assuré.
Nous disposons en effet très temporairement de certaines marges de manoeuvre pour d'autres secteurs.
Si on les ajoute au « coussin du 25 % » et au Livret d'épargne populaire, l'enveloppe globale disponible pour les universités, les hôpitaux, le secteur numérique et les transports – autant d'investissements de long terme que les banques ne sont parfois pas disposées à financer – s'élève à 60 milliards d'euros environ. Par ailleurs, nous sous-estimons d'autant moins ces besoins que nous avons tenu compte des chiffres fournis aussi bien par le secrétariat au logement que l'USH ou la Fondation Abbé Pierre. À l'horizon de 2017 ou 2018, le seuil de 70 % sera atteint dès lors que les mises en chantier de l'ensemble des projets de logements sociaux envisagés par ces différents organismes seront effectives.
Quoi qu'il en soit, je suis persuadée que la question du logement en général et celle du logement social en particulier ne sont pas réductibles au seul problème du financement. D'autres facteurs, en effet, doivent être pris en compte, tels que la disponibilité du foncier ou les blocages divers et variés qui entravent l'ouverture de chantiers, dont le principe a pourtant été décidé et dont les financements sont disponibles.
En outre, je considère que le seuil de 70 % est un objectif que nous devons atteindre dès lors qu'il correspond à des besoins de financement. Si ces derniers augmentent – le droit de tirage du logement social sera automatiquement satisfait –, le taux de centralisation augmentera dès lors que nous nous situons dans le cadre des 125 %, principe que vous avez voté.
Le financement des PME et des entreprises de taille intermédiaire, quant à lui, n'est pas entièrement satisfaisant, même si le taux de croissance de ce dernier s'élève dans notre pays à 3,9 % contre 2 % environ pour l'ensemble de l'Union européenne. Nous devons donc mettre en place des mesures permettant d'organiser un meilleur fléchage par catégories, et non à partir de simples données déclaratives, de sorte que la Banque de France puisse vérifier sur place et sur pièces les volumes consentis pour le financement de ces entreprises. Il est vrai, en l'occurrence, que nous ne disposons pas des moyens de contrôle suffisants, s'agissant en particulier de l'objectif de financement des PME à hauteur de 80 % à partir des Livrets de développement durable. J'ai l'intention de proposer au Président de la République et au Premier ministre la mise en place de moyens supplémentaires afin de nous assurer que ce financement est effectif et à quelle hauteur.
Je considère par ailleurs que le véritable risque est moins de voir apparaître de « super livrets » – je rappelle l'abaissement du taux de commission des banques à 0,5 %, que j'ai décidé après un avis conforme de la Caisse des dépôts, et la dégradation prévisible de la décentralisation dont les banques bénéficiaient due à l'application du ratio de 125 % et à l'augmentation de 2 % de la collecte – que d'assister à une « décollecte ». En effet, compte tenu de l'amélioration de la situation boursière et d'une modification d'un certain nombre de produits financiers, les banques peuvent fort bien orienter l'épargne ailleurs que vers le Livret A.
Quant aux interrogations sur l'utilité de la garantie de progression de 2 % de la collecte figurant dans le projet de décret, elles me rendent quelque peu perplexe. En effet, en cas de « décollecte » sur le Livret A ou le Livret de développement durable, une telle garantie me semble plutôt une bonne idée.
Par ailleurs, il n'y aura pas de perte de parts de marché sur ces différents produits d'épargne disponible et défiscalisée s'ils sont attractifs pour l'ensemble des acteurs. En revanche, si le taux de centralisation est très important, un détournement de collecte vers d'autres supports d'épargne se produira immanquablement. Il faut donc faire preuve de prudence en ce qui concerne le taux de commission, dès lors qu'il s'élève parfois à 1 %, voire plus, sur des produits tels que les OPCVM ou les SICAV, et le taux de centralisation.
Enfin, je suis tout à fait favorable à l'organisation de « clauses de revoyure » dès lors que certains seuils seraient franchis, afin d'éviter des paliers trop importants.
Ce n'était pas le cas, à la différence du ratio de 125 %.
En effet. L'Assemblée nationale, lors de sa séance publique du 10 juin 2008, s'était contentée de l'engagement gouvernemental à faire du taux de 70 % « un seuil minimum », soit un plancher, et non un plafond.
Quoi qu'il en soit, notre objectif n'était pas aujourd'hui de juger le choix politique du Gouvernement, mais de faire en sorte que chacun soit informé. Je vous remercie donc, madame la ministre, pour les éclaircissements que vous avez bien voulu nous apporter.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mardi 18 janvier 2011 à 16 h 30
Présents. - M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Jean-Marie Binetruy, M. Michel Bouvard, M. Jérôme Cahuzac, M. Jérôme Chartier, M. Alain Claeys, M. René Couanau, M. Charles de Courson, M. Jean-Yves Cousin, M. Yves Deniaud, M. Christian Eckert, M. Henri Emmanuelli, Mme Aurélie Filippetti, M. Nicolas Forissier, M. Marc Francina, M. Daniel Garrigue, Mme Annick Girardin, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Marc Goua, M. François Goulard, Mme Arlette Grosskost, M. Laurent Hénart, M. Jean Launay, M. Jean-François Mancel, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jean-Claude Mathis, M. Hervé Novelli, M. Nicolas Perruchot, M. Alain Rodet, M. Michel Vergnier, M. Philippe Vigier
Excusés. - M. Pierre Bourguignon, M. Jean-Claude Flory, M. Jean-Louis Idiart, M. Patrick Lemasle, M. Victorin Lurel, M. Henri Nayrou
Assistaient également à la réunion. - M. Alain Cacheux, M. Marcel Rogemont