La commission a entendu M. Jacques Attali, président de la Commission pour la libération de la croissance française, sur le bilan d'application des propositions formulées dans le rapport de cette commission.
Jacques Attali commence à être un habitué de cette commission et je le remercie beaucoup de sa présence. Je salue également celle de M. Michel de Virville, membre de la commission pour la libération de la croissance française, et de M. Alain Quinet, l'un des Rapporteurs généraux de cette commission.
Notre Assemblée a souhaité réaliser un bilan des premiers travaux de votre commission. Elle en a chargé le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, avec comme co-rapporteurs Louis Giscard d'Estaing et Jean Gaubert, lui-même vice-président de notre commission. Sur les 316 propositions du rapport, qui ont déjà donné lieu à de nombreuses dispositions législatives ou réglementaires, 111 concernaient directement la commission des affaires économiques. 10 d'entre elles relèvent désormais principalement des compétences de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire créé en juillet 2009. 70 % des objectifs fixés dans les domaines de compétences des deux commissions ont été atteints, grâce notamment à une cinquantaine de lois ou de dispositions législatives qui s'inspirent directement du rapport. C'est une véritable réussite. Hier encore s'est tenue une séance de contrôle de l'exécution de la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008, qui avait repris plusieurs propositions – structuration des entreprises, Autorité de la concurrence, délais de paiement des PME par exemple, ainsi que de nombreuses dispositions en matière d'urbanisme commercial. Dans ce dernier domaine, nous avons également déposé une proposition de loi afin de respecter des engagements qui ne l'ont pas été par le Gouvernement et qui portent sur l'intégration du droit de l'urbanisme commercial dans le code de l'urbanisme. Cette proposition de loi sera discutée en commission le 1er juin et en séance publique deux semaines plus tard. C'est dire le souci que nous avons d'atteindre les objectifs que vous aviez fixés.
Nous avons également abordé le sujet des relations commerciales ou de l'accès au haut débit sur tout le territoire – le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 11 mai a pris en la matière des décisions conformes à vos souhaits et à la loi de décembre 2009 sur la fracture numérique. Il y a eu encore la loi de mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, la loi de juillet 2009 sur le développement touristique, le projet de loi relatif aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services ou le projet de loi relatif à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée… Bref, je suis très heureux que notre commission ait été aussi performante. D'un point de vue qualitatif, Jean Gaubert, le regretté Jean-Paul Charié et moi-même avons établi un premier bilan de l'application de la loi de modernisation de l'économie, portant notamment sur les délais de paiement et les marges arrière et notre réflexion se poursuit également pour aller plus loin dans ces domaines.
Vos propositions ont eu le mérite de remettre en cause des situations acquises. Toutefois, du fait de leur caractère quelque peu lapidaire, il a fallu accomplir un travail considérable pour les transcrire dans la loi. Une concertation plus étroite avec le Parlement, lors de l'élaboration de la nouvelle série de propositions, pourrait rendre ce travail plus facile. Au nom de tous ici, puisque opposition et majorité ont travaillé ensemble sur vos excellentes propositions, je vous redis donc le plaisir que nous avons de vous recevoir et je vous laisse dresser le bilan de l'application de votre premier rapport, et surtout exposer les nouvelles perspectives que vous explorez dans le cadre de la sortie de crise.
Je suis très heureux d'être parmi vous pour dresser ce bilan, dans un contexte radicalement nouveau, et voir comment nous pourrions travailler ensemble.
Le soir de la remise de notre premier rapport, une grève des taxis a eu lieu. L'opinion publique en a conclu que ce rapport avait été jeté aux oubliettes. Pourtant, 50 à 60 % de nos propositions sont déjà inscrites dans la loi. Notre commission reprend aujourd'hui ses travaux avec pour mission à la fois de faire le bilan des premières mises en oeuvre, de savoir si le contexte exige des propositions nouvelles et de travailler avec vous – c'est explicitement dans son mandat – pour que ces dispositions puissent facilement être reprises par le Parlement.
Nos propositions sont à la fois urgentes, parce que nous pensons bien sûr qu'elles seront utiles, et inscrites dans la durée. La composition de la commission étant aussi large que possible, nous avons la faiblesse de penser qu'elles devraient être mises en oeuvre quelle que soit la majorité : c'est une action longue, sur deux ou trois législatures, et indépendante des choix politiques – bref, un corps commun de la réforme de la société française.
Nous rendrons dans les jours qui viennent un pré-rapport au Président de la République, contenant à la fois le bilan des propositions mises en oeuvre, une description de la France à l'horizon 2020 si aucune réforme nouvelle n'est réalisée et la présentation de cinq thèmes essentiels sur lesquelles nous voulons mener le débat d'ici à la remise du rapport définitif, tant avec vous qu'avec les partenaires sociaux et les acteurs concernés.
La situation économique et politique actuelle est certes radicalement neuve, mais le diagnostic que nous avions fait il y a deux ans ne s'est pas révélé inexact : la croissance de l'économie mondiale est toujours forte, pratiquement inchangée par la crise, et les grandes réformes dont avaient besoin les pays de l'OCDE n'ont pas eu lieu. Les Etats-Unis, le Japon et l'Europe se sont enfoncés dans la crise parce qu'ils ont laissé monter la dette, privée d'abord, puis publique, en laissant croire que l'endettement était une façon d'organiser la croissance quand d'autres la poursuivaient par l'innovation et par le travail. La montée des déséquilibres s'est donc poursuivie, la crise n'en a été que le révélateur, pas le déclencheur. Je rappelle que nous avions insisté sur l'importance de la réduction des déficits publics et fixé des objectifs de réduction de la dette publique qui n'ont pas été respectés.
C'est donc dans un contexte de dégradation continue de l'ensemble de l'OCDE que notre rapport a été mis en oeuvre. L'Europe a vu sa productivité se dégrader largement, ainsi que sa démographie. Il y a aussi des problèmes spécifiques à la France, à commencer par celui de l'éducation : toutes les études montrent que l'enseignement primaire, qui est certainement le moteur principal de la croissance à long terme, se détériore continûment. Je rappelle que la première de nos 316 propositions portait sur l'enseignement préélémentaire ! Un autre problème est celui de l'emploi : la France connaît le paradoxe d'un marché extrêmement rigide, mais avec un sentiment d'insécurité très fort. Enfin, toutes les études montrent depuis deux ans une dégradation de la confiance dans la communauté de destin : 78 % des Français estiment que l'on doit être prudent lorsqu'on a affaire aux autres, 76 % n'ont pas confiance dans les partis politiques et 72 % se défient des médias. Surtout, la peur du déclassement s'est aggravée : 56 % pensent qu'ils peuvent devenir SDF et 73 % que les jeunes ont moins de chances qu'eux de réussir.
Dans ce contexte, les perspectives de la société française pour 2020 sont très inquiétantes. Nous connaîtrons une dégradation forte de notre démographie : le ratio entre cotisants et retraités va passer de 1,8 à 1,5. Notre croissance potentielle, c'est-à-dire hors réformes, estimée à 2 % il y a deux ans, s'établira entre 1 à 1,5 %. La crise va cristalliser des freins à la croissance, avec un chômage conjoncturel qui pourrait devenir structurel, un ralentissement de l'investissement qui pourrait faire vieillir le capital et une dette publique qui pourrait s'aggraver. Celle-ci, qui atteignait 67 % du PIB et que nous voulions ramener à 50 %, atteindra 83 % à la fin de cette année et 100 %, voire nettement plus, en 2020.
On ne peut pas laisser le pays continuer dans cette direction. Il faut agir sur tous les fronts. Mais la France a aussi de nombreux atouts. Elle est très puissante dans un grand nombre de secteurs de pointe comme les infrastructures ou l'énergie. Son système de santé est l'un des meilleurs du monde, voire encore le meilleur, et la santé n'est pas une charge, mais un secteur de croissance. Notre démographie est la meilleure d'Europe. Notre système éducatif, s'il est très mauvais et même bientôt catastrophique dans le primaire, reste globalement l'un des moins mauvais d'Europe, avec une des proportions les plus élevées de diplômés de l'enseignement supérieur dans la population active. Le niveau de création d'entreprises est en hausse constante. Nous sommes le quatrième exportateur de services et le cinquième de biens industriels dans le monde. Nous restons, et c'est essentiel, la troisième destination pour les investissements étrangers directs, ce qui prouve que les étrangers ont confiance en l'avenir de la France, et aussi la première destination touristique mondiale. La France n'est pas perdue. Elle a tout ce qu'il faut pour réussir dans le monde, malgré la petitesse de sa population. Elle est même remarquablement placée.
Les réformes à accomplir sont difficiles, mais il ne manque pas de précédents réussis. Pour ce qui est de la seule question des déficits publics, au moins quatre pays ont réussi à redresser des situations aussi graves que la nôtre : le Canada entre 1993 et 1995, la Suède au même moment, la Nouvelle-Zélande un peu plus tôt et l'Irlande récemment, qui sont chacun passés de dérapages massifs à des excédents et sont sortis de la dette. Ce n'est donc pas hors de portée.
Mais j'en reviens au bilan de la mise en oeuvre de notre premier rapport. Une de nos difficultés avait été de formuler des propositions cohérentes : aucune n'avait une logique indépendante. C'est toute la difficulté de l'articulation entre une commission irresponsable et les pouvoirs exécutif et législatif. Nous avons conçu nos propositions comme ne pouvant avoir d'efficacité que prises dans leur ensemble, alors que vous n'avez retenu que celles qui vous paraissaient justes, ou nécessaires, ou possibles politiquement. De notre point de vue, c'est forcément inefficace.
Reste que le Gouvernement et le Parlement ont repris un très grand nombre de nos propositions, plus que je n'espérais et plus que l'opinion publique ne le croit. Le remarquable travail du comité d'évaluation et de contrôle fait état d'environ 60 % de mise en oeuvre.
Nous arrivons à peu près aux mêmes chiffres avec un calcul différent. Pour nous, 23 % des réformes ont été mises en oeuvre dans l'esprit de ce que nous avions proposé et 37 % ont été partiellement reprises. Une dizaine de propositions seulement ont été explicitement écartées. Beaucoup de mesures sont entrées en vigueur dont on ne sait pas qu'elles figuraient dans le rapport – mais d'un autre côté, nous n'étions pas à l'origine de l'ensemble des propositions : nous avons aussi fait une synthèse de ce qui existait à l'époque.
Beaucoup de nos propositions ont été reprises en matière d'innovation, de concurrence et d'entreprise. Pour l'innovation, l'enseignement supérieur et la recherche d'abord : réforme des universités, financements accrus, pôles universitaires, réforme du crédit impôt recherche, statut de l'enseignant chercheur, stratégie nationale d'innovation… Mais aussi des dispositions concernant le numérique, la biotechnologie, les nanotechnologies, que nous avons mises en lumière avant tout le monde, le développement durable ou encore les écocités – nous en avions proposé dix, le Gouvernement en veut treize : reste à trouver le financement. Bien sûr, nous avions aussi proposé la taxe carbone, qui a été votée mais n'a pas prospéré, ainsi que la contribution sur les poids lourds.
Ont également été reprises des propositions sur les énergies nouvelles, en ce qui concerne notamment concernant le financement du fonds stratégique d'investissement, et sur les infrastructures stratégiques telles que les ports de Marseille, du Havre ou le grand Paris, sans oublier nos propositions sur la place financière de Paris.
Pour ce qui est de la concurrence, l'Autorité de la concurrence ou la négociabilité tarifaire ont certes été reprises mais la réforme reste incomplète : un seuil d'autorisation a été maintenu à 1000 mètres carrés, le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC) n'a pas reçu les moyens de compenser les effets de la loi de modernisation de l'économie sur les PME et le petit commerce, et rien n'a avancé en matière d'ouverture des professions réglementées ou d'action de groupe.
Beaucoup de choses ont été reprises pour le soutien aux PME : statut d'auto-entrepreneur, délais de paiement, accès des très petites entreprises aux financements, modification des conditions d'achat public. C'est également le cas dans le domaine de l' d'emploi : la gouvernance du travail, la représentativité syndicale, le nouveau mode de rupture de contrat à l'amiable, le revenu de solidarité active ou le soutien à l'emploi des seniors.
Mais il faut en arriver au côté obscur : tout ce qui n'a pas été fait. Un point absolument fondamental est, en matière d'emploi, ce qu'il faut appeler la flexisécurité – j'aime encore moins l'expression de sécurité sociale professionnelle, parce que le chômage n'est pas une maladie. Nous avions proposé un contrat d'évolution, qui est une généralisation du contrat de transition professionnelle, permettant d'organiser la mobilité du travail. Il n'a pas du tout été repris, pas plus que la réforme du financement de la protection sociale, qui doit être mis en cohérence avec le budget de l'État afin que le Parlement puisse véritablement exercer son contrôle. Nous avions aussi proposé une réforme du système de formation professionnelle très détaillée et une modification de la gouvernance du dialogue social – mais il est vrai que la mise en place du Pôle emploi, que nous avions proposée, a demandé beaucoup de travail.
En matière d'enseignement primaire et de petite enfance, nous avions formulé de nombreuses propositions, grâce aux grands experts qui participaient à la commission, sur l'orientation et la formation des métiers de la petite enfance, le pilotage des établissements, l'accompagnement individualisé des élèves… Elles n'ont pas été reprises, alors que le récent rapport de la Cour des Comptes en souligne le caractère absolument fondamental. Aujourd'hui, les inégalités constatées dans les classes maternelles se retrouvent inchangées au niveau du bac et dans l'enseignement supérieur. C'est tragique, et rien n'a été fait. Certaines propositions ont été reprises pour l'enseignement supérieur mais rien sur la validation des acquis ou de la formation en alternance, les cours du soir à l'université où l'université des métiers.
Dans le domaine de la mobilité géographique, beaucoup de nos propositions concernaient le logement. Rien n'a été fait sur la modification du coefficient d'occupation des sols ou la hauteur des immeubles, la bourse du logement social ni la diminution des droits de mutation, autant de mesures qui n'ont pas de coût fiscal – nos propositions avaient d'ailleurs été faites à budget constant. La commission estimait aussi très important d'ouvrir davantage le pays aux travailleurs étrangers, diplômés ou capables de contribuer à son développement économique. Elle considère en effet que l'immigration est un facteur de croissance lorsqu'elle est intégrée – et s'est prononcée à l'unanimité sur ce sujet comme sur les autres, bien qu'elle soit composée d'experts de tous horizons, toutes formations et toutes sensibilités.
Rien de sérieux non plus pour faire de la santé un secteur de croissance : les questions de l'hospitalisation à domicile, de la prévention, de la dépendance ont été reportées à plus tard.
Mais le plus décevant reste le domaine de la gouvernance publique. La révision générale des politiques publiques a le mérite d'exister, mais n'a pas autant de succès que les expériences étrangères. Les propositions très nombreuses et très précises que nous avions faites sur la simplification administrative, si fondamentale, n'ont pas été reprises. Le regroupement du secteur parapublic a commencé – offices HLM, 1 % logement, chambres de commerce, agences régionales de santé – mais rien n'a été fait pour ce qui est de l'efficacité de l'administration centrale et notamment de la création d'agences, de l'organisation gouvernementale ou de la simplification territoriale – nous continuons à soutenir la suppression du département et la répartition de ses compétences entre région et intercommunalités. Enfin, nous avions proposé une réduction de 1 % par an de la part des dépenses publiques dans le PIB. Mais le déficit public est passé de 3 à 7 % et la dette publique de 67 à 83 % du PIB… et la crise n'explique pas tout !
Le législateur a agi en fonction des urgences et de ses choix politiques. Nous ne portons aucun jugement sur ce point : nous nous contentons de vous présenter le bilan que vous avez demandé.
Qu'allons-nous faire maintenant ? D'abord, débattre avec vous de l'efficacité des mesures qui ont été mises en oeuvre. Ensuite, approfondir certaines de nos préconisations qui n'ont aucunement été étudiées par l'appareil public – et c'est sans doute notre faute – comme le contrat d'évolution professionnelle, qui reste à nos yeux une de nos propositions les plus importantes.
Enfin, lancer le débat sur les cinq questions centrales de la société française : la restauration des finances publiques – recettes, dépenses, réduction de la dette ; l'économie du savoir – enseignement primaire, recherche, innovation ; l'emploi – marché du travail, flexisécurité, maîtrise du coût du travail ; l'équilibre entre les générations – retraite, insertion des jeunes et environnement, car l'environnement est une des charges que les générations actuelles font peser sur les générations futures, avec la dette publique et la dette des retraites ; et puis, question qui n'avait absolument pas été considérée par la commission précédente, la position que la France doit adopter dans les grandes négociations internationales pour défendre ses intérêts. L'Union européenne est en danger. Il est possible qu'à la remise de ce rapport, l'euro soit dans une crise encore plus grave qu'aujourd'hui. Il le sera de toute façon si la France et l'Allemagne ne prennent pas des décisions audacieuses pour avancer plus vite dans l'intégration européenne. La stratégie de la France dans la régulation mondiale sera d'une importance primordiale pour sa croissance.
Voilà les domaines dans lesquels nous essaierons d'avoir des idées nouvelles : la gravité de la crise nous oblige à être encore plus audacieux.
Merci pour cet exposé sans concession. Peut-être pourrions-nous à l'avenir travailler ensemble pour inscrire certaines mesures dans des propositions de loi – je ne parle que pour ce qui concerne notre commission. Ce qui ne peut pas être fait, pour différentes raisons, par le Gouvernement peut parfois l'être par nous. Nous avons eu tort de ne pas procéder ainsi pour le premier rapport : vous ne l'aviez pas souhaité, et nous ne vous avons pas sollicité non plus. Notre responsabilité est donc partagée. Mais il faut maintenant y réfléchir car parmi les mesures qui n'ont pas encore été transcrites, il y en a qui nous concernent et dont nous aurions pu nous occuper.
Au nom du groupe UMP, je vous remercie à la fois de ce bilan pondéré et de votre volonté d'associer les parlementaires à votre démarche. L'échange ne peut-être que fructueux. Nous avions été nombreux, parlementaires et autres, à nous émouvoir de ce rapport très audacieux à sa parution. Mais d'excellentes mesures ont été prises, comme le rassemblement des fonds d'OSEO et de France Investissement – c'est la décision 42. Vu de l'Auvergne, cela a beaucoup amélioré les choses. Le programme « Passerelle » mentionné dans la décision 44, en revanche, n'a pas beaucoup avancé. Il serait pourtant très utile pour nous qui n'avons pas de très grandes entreprises : il est en effet difficile de faire bénéficier les PME des fonds des grands donneurs d'ordres. Michelin le fait de temps en temps, mais cela ne suffit pas. Je vous ai trouvé aussi un peu sévère sur l'emploi. Il me semble qu'un contrat de transition professionnelle a été créé.
Il existait même avant la création de notre commission, mais il est extrêmement limité. Le contrat d'évolution que nous avons proposé est beaucoup plus global.
Pour ce qui est de l'urbanisme commercial, le premier rapport proposait de renforcer le contrôle des élus, notamment par le biais des schémas de cohérence territoriale,- les SCOT-, et des plans locaux d'urbanisme. C'est une bonne chose que d'envisager la question à l'échelon non pas de l'intercommunalité, mais de ces schémas. En revanche, depuis la loi de modernisation de l'économie, nous avons vu pousser des magasins en périphérie sans autorisation car leur surface n'excède pas 1000 mètres carrés. Les paysages sont dénaturés et les centres-villes continuent de se dépeupler.
Quant à la libre négociation des conditions commerciales – décision 204 – le responsable d'une grande marque de distribution a bien dû m'avouer qu'elle ne profitait pas au consommateur, et encore moins aux fournisseurs… Malgré la loi, les moeurs sont restées inchangées. Quand une PME est convoquée pour faire ses propositions, vous savez bien qui l'emporte ! Nous traînons ce boulet depuis vingt ou trente ans. Le politique doit reprendre la main pour encadrer à nouveau les marges, mais cela ne semble pas être dans les orientations actuelles.
Bref, dans le nouveau contexte, pensez-vous que nous allons « survivre aux crises », pour reprendre le titre d'un de vos ouvrages ?
Je suis heureux que nous ayons l'occasion de revenir sur les mesures engagées : ce n'est pas si fréquent. Notre commission s'est montrée plutôt bonne élève dans l'application de ce premier rapport, conçu comme un programme national de résistance à une crise annoncée – je me rappelle fort bien que vous aviez dit que la crise était imminente et serait forte, opinion qui avait été peu partagée à l'époque, et sur tous les bancs. Mais si de nombreuses propositions ont été suivies d'effet, reste à déterminer si le résultat est bien fidèle au rapport – considérant bien sûr que les politiques restent maîtres de la décision finale. Vous avez dit aussi que vos propositions étaient à prendre dans leur ensemble : nous avons effectivement bien compris que vous aviez veillé à semer des cailloux dans toutes les chaussures, de gauche comme de droite…
Je voudrais revenir sur le dernier thème de débat que vous avez évoqué. L'Europe est un sujet majeur en ce moment et aucune réflexion ne peut s'abstraire du débat européen – et pas seulement sur la question de la monnaie. Devons-nous vraiment continuer à entrer, fût-ce avec un chausse-pied, dans le moule de directives européennes conçues dans une période de croissance forte et d'adoration du marché ? Celles avec lesquelles nous allons devoir nous mettre en conformité dans des secteurs de pointe comme celui de l'énergie ne sont plus du tout adaptées. Je ne veux pas entrer dans le débat de la loi NOME – Nouvelle organisation du marché de l'électricité – mais les Etats s'en sortiront-ils sans revisiter un certain nombre de politiques à l'échelle européenne ? Par ailleurs, l'austérité qui s'annonce en Europe est-elle un moyen approprié pour sortir d'une crise si douloureuse ?
D'abord, quel équilibre peut-on trouver dans des mesures de rigueur qui sont nécessaires au rétablissement des finances publiques mais qui peuvent freiner la croissance ? Ensuite, le dialogue que vous souhaitez sera beaucoup plus efficace s'il est couplé avec l'agenda parlementaire. Nous allons bientôt discuter de deux grandes réformes : les retraites et l'organisation territoriale du pays. Il serait bon d'échanger sur ces sujets au moment requis. Ainsi, la suppression du département est un saut intellectuel que nous avons du mal à accomplir, peut-être à tort. Cela mérite un vrai débat entre nous, praticiens, et vous, prévisionnistes.
Par ailleurs, je vous ai trouvé quelque peu sévère sur les professions réglementées : nous avons pris des mesures, concernant les avoués notamment, et nous avons tenté des choses. À votre avis, où est le blocage ?
Enfin, l'affectation des sommes du grand emprunt est-elle en phase avec le rapport ? Surtout, les 4,5 milliards consacrés au numérique sont-ils suffisants ?
En tant que maire d'une des villes les plus frappées par les difficultés sociales, avec un taux de chômage record – Denain ne s'est jamais remise de la crise de la sidérurgie des années 1980 –, je mets au premier rang l'enseignement élémentaire et pré-élémentaire : si celui-ci n'est pas à même d'apporter des solutions vraiment innovantes, la facture s'alourdira encore dans les années à venir. Quelles sont les priorités en la matière ?
Vos propositions sont d'une grande richesse, monsieur Attali, mais nous avons aussi besoin d'une aide à la décision de court terme et de long terme. Quelles sont les trois décisions que vous prendriez immédiatement pour favoriser la sortie de la crise, et les trois décisions qui seraient les plus susceptibles d'inscrire notre pays dans un cercle vertueux, assurant un avenir meilleur aux générations qui nous suivent ?
S'agissant de la dette publique, vous avez dit vous-même que la crise n'expliquait pas tout. Pourriez-vous aller plus loin, et nous dire quelle part est attribuable à la crise, et quelle part à la dérive des comptes publics ? Quelle a été l'incidence de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi TEPA, sur le niveau de la dette ? Pourra-t-on réduire la dette publique en se contentant de faire des coupes claires dans les budgets publics, ou faudra-t-il aussi augmenter certains impôts ?
Votre rapport est décoiffant, monsieur le président ! Mais il est plus facile de lancer des idées que de leur donner une réalité concrète. Pourrez-vous nous accompagner au moment où nous devrons nous attaquer à tel ou tel chantier ? Je pense notamment au chantier de l'enseignement primaire, dont vous avez souligné l'état de dégradation, alors qu'il s'agit d'un facteur essentiel de croissance à long terme.
Pourriez-vous, par ailleurs, nous indiquer plus précisément vos préconisations concernant le problème majeur des déficits publics ?
Au regard des 30 milliards d'euros qui seraient nécessaires pour assurer l'accès de tous au très haut débit en 2016, que pensez-vous des 2,5 milliards d'euros affectés à cet objectif dans le cadre du grand emprunt ? Il me semble, par ailleurs, que le Gouvernement ne propose pas de réflexion stratégique sur l'économie numérique et son impact en termes d'emploi et de sécurité des réseaux. Il laisse ainsi les équipementiers télécoms, dont le rôle est essentiel pour la sécurité des réseaux, démunis face à la concurrence déloyale d'équipementiers asiatiques. Qu'en pensez-vous ? Quelles décisions prendre, non seulement au niveau français, mais également au niveau européen, dans ce domaine essentiel, notamment pour l'emploi, de l'économie numérique ?
Je voudrais revenir sur certaines de vos propositions, dont la traduction législative est discutable. La décision 46, par lequel vous proposiez de « simplifier les débuts d'une entreprise » s'est traduite par la création du statut d'auto-entrepreneur. S'agit-il là d'une véritable simplification ? On peut en douter, ce statut ayant eu surtout pour effet de faire du salarié un sous-traitant.
L'accès de tous à la télévision numérique terrestre est loin d'être assuré, notamment dans les départements ruraux comme l'Ariège, faute de relais en nombre suffisant. Le développement de l'industrie éolienne est aujourd'hui, à en croire la filière, condamné par le régime des installations classées pour la protection de l'environnement et celui des schémas éoliens opposables. Quelle est votre position là-dessus ?
Quant à votre décision 158, qui vise à faciliter l'accès à la formation et à l'emploi des habitants des zones urbaines sensibles par le développement de structures d'accueil du public, sa traduction législative a été opérée par un article de loi autorisant à titre expérimental l'ouverture des bureaux de poste jusqu'à 21 heures dans certaines communes ! La loi reflète-t-elle vraiment votre volonté ?
Quelles sont vos propositions concernant la filière nucléaire française, qui est une des valeurs sûres de notre pays ?
Je voudrais également savoir comment nous pourrons progresser dans deux domaines qui n'ont pas encore été évoqués : les biotechnologies et les nanotechnologies. Le débat public autour de ces dernières ne fait que commencer, et on voit déjà combien il est difficile d'avancer sur ce sujet. Quant aux biotechnologies, elles ont fait l'objet de décisions peu propices à leur développement : je pense notamment à l'activation de la clause de sauvegarde contre la culture du maïs transgénique. Ces technologies sont pourtant fécondes en innovations utiles à l'agriculture, mais aussi à la médecine. Pouvez-vous nous indiquer les moyens d'assurer l'acceptabilité de ces nouvelles technologies et d'éviter ainsi que la France ne prenne du retard dans ce domaine ?
Que pensez-vous des dispositions de la loi Grenelle 2, notamment en ce qui concerne l'éolien ? J'ai lu que vous proposiez d'augmenter la TVA pour réduire le déficit public : de combien et selon quelles modalités ? Ne faudrait-il pas remettre en cause la baisse de la TVA sur la restauration ? Pouvez-vous nous préciser les modalités d'application de votre proposition de bons du Trésor européens ?
Partagez-vous le constat que ce sont vos propositions à caractère social – contrat d'évolution, emplois-jeunes, prise en charge de la dépendance, revalorisation des métiers – qui n'ont pas été reprises ?
On observe que la plupart des jeunes déscolarisés ont redoublé le cours préparatoire : ne faudrait-il pas instaurer un service public de la petite enfance, qui permettrait d'intervenir avant l'école primaire, au moment de l'acquisition du langage ?
Vous dites que des choses ont été faites pour l'emploi des seniors : je ne vois pas quoi. Aujourd'hui seuls 30 % des plus de 57 ans ont un emploi, à un moment où on parle de relever l'âge légal de la retraite.
Je déplore enfin l'insuffisance des mesures en faveur des PMI-PME, en particulier de celles qui innovent, auxquelles leur souplesse et leur faculté d'adaptation permettent de gagner plus facilement des marchés à l'exportation que les grands groupes. Or, le Fonds stratégique d'investissement et le crédit impôt recherche ont bénéficié à 80 % aux grands groupes.
Je voudrais au préalable dire combien j'apprécie ces échanges passionnants, qu'il faudra poursuivre. Je souhaiterais que le Parlement soit associé à la réflexion que nous lancerons la semaine prochaine sur les cinq débats que je vous ai exposés, dans le cadre de groupes de travail associant membres de notre commissions et experts extérieurs. Nous serions par ailleurs ravis de mettre nos compétences à la disposition de chacun d'entre vous sur tout sujet d'actualité, projet ou proposition de loi relevant de notre expertise, tels les projets de loi sur la dépendance, les retraites, ou l'organisation territoriale.
Je me permets de vous inviter à relire le rapport, qui répond à beaucoup de vos questions. Je pense en particulier à tout ce qui a trait à l'enseignement élémentaire, qui n'avait guère suscité d'intérêt au moment de la publication de notre rapport alors que nous l'avions mis en tête de nos propositions.
Je suis très favorable à votre proposition d'évaluation conjointe de la LME, et surtout de sa mise en oeuvre : personnellement, j'ai le sentiment que l'absence d'intervention du FISAC constitue un obstacle majeur à l'efficacité des mesures prévues par cette loi. Nous avions pourtant demandé qu'on utilise ce qui, avec une dotation de 700 millions d'euros, est un outil de première importance. S'il est trop tôt pour modifier la LME, il est certainement temps de l'évaluer.
Vous avez raison, monsieur Brottes, de souligner l'importance de la dimension européenne. Les directives européennes ne sont pas intangibles : les directives sur l'énergie, en particulier, méritent d'être examinées, de même que la directive « Solvabilité II », dont je pense, pour paraphraser Churchill, qu'elle est assez nuisible pour mériter de ne pas être appliquée. Le droit nous faisant obligation de les appliquer, il s'agit, pour la France, de définir une position de négociation qui permette de les remettre en cause.
Nombre d'entre vous se sont inquiétés du risque que la réduction de la dette ne devienne le principal frein à la croissance : c'est une question majeure, sur laquelle nous allons travailler. Ce n'est pas un plan d'austérité qui est nécessaire : c'est un plan « catastrophe ». Si nous ne mettons pas en oeuvre un véritable plan de guerre pour affronter une crise qui, je le répète, est encore devant nous, nous courons au pire. Mais si tous les pays européens réduisent leurs dépenses au même moment, nous entrerons dans une épouvantable spirale de dépression. Cette situation exige de l'Europe un regard collectif et une stratégie commune.
Il est clair que la France doit, dans ses deux prochains budgets, trouver au moins 50 milliards d'euros, soit en réduisant ses dépenses, soit en augmentant ses recettes, si elle souhaite simplement éviter que ses comptes publics ne continuent à déraper. Mais une telle mesure ne suffit pas en elle-même. Il faudra notamment veiller à ce que les dépenses d'investissement ne fassent pas les frais de cette réduction. Ainsi, le grand emprunt est une bonne chose en soi, d'autant qu'il est un copier-coller des propositions de notre commission ; mais il faudra prendre garde à ce qu'il ne se substitue pas aux dépenses d'investissement déjà inscrites au budget et à ce que ne renouvellent pas ainsi les « turpitudes de fonctionnement » habituelles.
Cette réduction du déficit de 50 milliards d'euros est la première mesure fondamentale à décider d'urgence. Les deux autres sont la généralisation du contrat de transition professionnelle et la mise en place d'une agence européenne du Trésor habilitée à émettre des bons du Trésor européen. Obtenir que l'Europe prenne rapidement cette mesure ne sera pas facile, mais nécessaire pour parer à la dépression majeure qu'entraînera la mise en oeuvre de politiques d'austérité dans tous les pays européens. Alors qu'elle n'est pas du tout endettée, l'Europe est la seule à ne pas avoir la faculté d'emprunter, et les décisions de dimanche dernier n'ont pas mis fin à cette situation absurde. Il ne s'agit pas de s'administrer une nouvelle drogue, d'aggraver la catastrophe présente d'une nouvelle dette, mais de se donner le temps de compenser l'effet de la réduction de la dette interne. C'est ainsi, en réduisant la dette des États et en faisant passer la dette au niveau supérieur, que les États-Unis se sont construits à la fin du xviiiesiècle.
Vous m'avez également interrogé sur l'impact des mesures antérieures. Les dispositions de la loi TEPA étant très diverses, elles ne doivent pas être appréciées globalement : il faut évaluer pour chacune d'elles quelles sont ses conséquences, tant sur le budget que sur la croissance. Certaines ont eu une incidence très positive sur la croissance, d'autres ont été très négatives sur le plan de la justice sociale. Quant au respect de la parole donnée aux restaurateurs, elle ne saurait être considérée comme une priorité de croissance.
Le principal obstacle au développement des nouvelles technologies est peut-être à rechercher dans l'inscription du principe de précaution dans la Constitution. Il s'agit certainement d'une des pires dispositions votées par le Parlement depuis très longtemps : dans sa rédaction actuelle, ce principe constitue un puissant frein à l'innovation et à la recherche.
À ma connaissance, ce ne sont pas 2,5 milliards d'euros mais 4,5 qui seront consacrés au numérique dans le cadre du grand emprunt. De toute façon, ce n'est pas suffisant. Il faut maintenant voir quels projets seront lancés, et nous aurons là-dessus notre mot à dire. En tout état de cause, le développement de l'usage des nouvelles technologies dans l'administration décentralisée ou l'accélération de la couverture du territoire par la TNT doivent constituer des priorités majeures si nous voulons rattraper notre retard dans ces domaines.
Je vous remercie, monsieur le président, de vos réponses et de vos propositions de coopération. J'en accepte le principe et notre commission va faire en sorte de travailler avec votre équipe le plus rapidement possible, bien entendu dans le champ de ses compétences.
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