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Intervention de Jacques Attali

Réunion du 19 mai 2010 à 17h30
Commission des affaires économiques

Jacques Attali, président de la commission pour la libération de la croissance française :

Nous arrivons à peu près aux mêmes chiffres avec un calcul différent. Pour nous, 23 % des réformes ont été mises en oeuvre dans l'esprit de ce que nous avions proposé et 37 % ont été partiellement reprises. Une dizaine de propositions seulement ont été explicitement écartées. Beaucoup de mesures sont entrées en vigueur dont on ne sait pas qu'elles figuraient dans le rapport – mais d'un autre côté, nous n'étions pas à l'origine de l'ensemble des propositions : nous avons aussi fait une synthèse de ce qui existait à l'époque.

Beaucoup de nos propositions ont été reprises en matière d'innovation, de concurrence et d'entreprise. Pour l'innovation, l'enseignement supérieur et la recherche d'abord : réforme des universités, financements accrus, pôles universitaires, réforme du crédit impôt recherche, statut de l'enseignant chercheur, stratégie nationale d'innovation… Mais aussi des dispositions concernant le numérique, la biotechnologie, les nanotechnologies, que nous avons mises en lumière avant tout le monde, le développement durable ou encore les écocités – nous en avions proposé dix, le Gouvernement en veut treize : reste à trouver le financement. Bien sûr, nous avions aussi proposé la taxe carbone, qui a été votée mais n'a pas prospéré, ainsi que la contribution sur les poids lourds.

Ont également été reprises des propositions sur les énergies nouvelles, en ce qui concerne notamment concernant le financement du fonds stratégique d'investissement, et sur les infrastructures stratégiques telles que les ports de Marseille, du Havre ou le grand Paris, sans oublier nos propositions sur la place financière de Paris.

Pour ce qui est de la concurrence, l'Autorité de la concurrence ou la négociabilité tarifaire ont certes été reprises mais la réforme reste incomplète : un seuil d'autorisation a été maintenu à 1000 mètres carrés, le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC) n'a pas reçu les moyens de compenser les effets de la loi de modernisation de l'économie sur les PME et le petit commerce, et rien n'a avancé en matière d'ouverture des professions réglementées ou d'action de groupe.

Beaucoup de choses ont été reprises pour le soutien aux PME : statut d'auto-entrepreneur, délais de paiement, accès des très petites entreprises aux financements, modification des conditions d'achat public. C'est également le cas dans le domaine de l' d'emploi : la gouvernance du travail, la représentativité syndicale, le nouveau mode de rupture de contrat à l'amiable, le revenu de solidarité active ou le soutien à l'emploi des seniors.

Mais il faut en arriver au côté obscur : tout ce qui n'a pas été fait. Un point absolument fondamental est, en matière d'emploi, ce qu'il faut appeler la flexisécurité – j'aime encore moins l'expression de sécurité sociale professionnelle, parce que le chômage n'est pas une maladie. Nous avions proposé un contrat d'évolution, qui est une généralisation du contrat de transition professionnelle, permettant d'organiser la mobilité du travail. Il n'a pas du tout été repris, pas plus que la réforme du financement de la protection sociale, qui doit être mis en cohérence avec le budget de l'État afin que le Parlement puisse véritablement exercer son contrôle. Nous avions aussi proposé une réforme du système de formation professionnelle très détaillée et une modification de la gouvernance du dialogue social – mais il est vrai que la mise en place du Pôle emploi, que nous avions proposée, a demandé beaucoup de travail.

En matière d'enseignement primaire et de petite enfance, nous avions formulé de nombreuses propositions, grâce aux grands experts qui participaient à la commission, sur l'orientation et la formation des métiers de la petite enfance, le pilotage des établissements, l'accompagnement individualisé des élèves… Elles n'ont pas été reprises, alors que le récent rapport de la Cour des Comptes en souligne le caractère absolument fondamental. Aujourd'hui, les inégalités constatées dans les classes maternelles se retrouvent inchangées au niveau du bac et dans l'enseignement supérieur. C'est tragique, et rien n'a été fait. Certaines propositions ont été reprises pour l'enseignement supérieur mais rien sur la validation des acquis ou de la formation en alternance, les cours du soir à l'université où l'université des métiers.

Dans le domaine de la mobilité géographique, beaucoup de nos propositions concernaient le logement. Rien n'a été fait sur la modification du coefficient d'occupation des sols ou la hauteur des immeubles, la bourse du logement social ni la diminution des droits de mutation, autant de mesures qui n'ont pas de coût fiscal – nos propositions avaient d'ailleurs été faites à budget constant. La commission estimait aussi très important d'ouvrir davantage le pays aux travailleurs étrangers, diplômés ou capables de contribuer à son développement économique. Elle considère en effet que l'immigration est un facteur de croissance lorsqu'elle est intégrée – et s'est prononcée à l'unanimité sur ce sujet comme sur les autres, bien qu'elle soit composée d'experts de tous horizons, toutes formations et toutes sensibilités.

Rien de sérieux non plus pour faire de la santé un secteur de croissance : les questions de l'hospitalisation à domicile, de la prévention, de la dépendance ont été reportées à plus tard.

Mais le plus décevant reste le domaine de la gouvernance publique. La révision générale des politiques publiques a le mérite d'exister, mais n'a pas autant de succès que les expériences étrangères. Les propositions très nombreuses et très précises que nous avions faites sur la simplification administrative, si fondamentale, n'ont pas été reprises. Le regroupement du secteur parapublic a commencé – offices HLM, 1 % logement, chambres de commerce, agences régionales de santé – mais rien n'a été fait pour ce qui est de l'efficacité de l'administration centrale et notamment de la création d'agences, de l'organisation gouvernementale ou de la simplification territoriale – nous continuons à soutenir la suppression du département et la répartition de ses compétences entre région et intercommunalités. Enfin, nous avions proposé une réduction de 1 % par an de la part des dépenses publiques dans le PIB. Mais le déficit public est passé de 3 à 7 % et la dette publique de 67 à 83 % du PIB… et la crise n'explique pas tout !

Le législateur a agi en fonction des urgences et de ses choix politiques. Nous ne portons aucun jugement sur ce point : nous nous contentons de vous présenter le bilan que vous avez demandé.

Qu'allons-nous faire maintenant ? D'abord, débattre avec vous de l'efficacité des mesures qui ont été mises en oeuvre. Ensuite, approfondir certaines de nos préconisations qui n'ont aucunement été étudiées par l'appareil public – et c'est sans doute notre faute – comme le contrat d'évolution professionnelle, qui reste à nos yeux une de nos propositions les plus importantes.

Enfin, lancer le débat sur les cinq questions centrales de la société française : la restauration des finances publiques – recettes, dépenses, réduction de la dette ; l'économie du savoir – enseignement primaire, recherche, innovation ; l'emploi – marché du travail, flexisécurité, maîtrise du coût du travail ; l'équilibre entre les générations – retraite, insertion des jeunes et environnement, car l'environnement est une des charges que les générations actuelles font peser sur les générations futures, avec la dette publique et la dette des retraites ; et puis, question qui n'avait absolument pas été considérée par la commission précédente, la position que la France doit adopter dans les grandes négociations internationales pour défendre ses intérêts. L'Union européenne est en danger. Il est possible qu'à la remise de ce rapport, l'euro soit dans une crise encore plus grave qu'aujourd'hui. Il le sera de toute façon si la France et l'Allemagne ne prennent pas des décisions audacieuses pour avancer plus vite dans l'intégration européenne. La stratégie de la France dans la régulation mondiale sera d'une importance primordiale pour sa croissance.

Voilà les domaines dans lesquels nous essaierons d'avoir des idées nouvelles : la gravité de la crise nous oblige à être encore plus audacieux.

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