La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de Mme Anne Levade, professeur de droit public à l'Université Paris Est-Créteil Val-de-Marne, sur les projets de loi relatifs à la création des conseillers territoriaux
La séance est ouverte à seize heures trente-cinq.
Merci, Madame le professeur, d'avoir répondu à notre invitation. Nos interrogations portent sur l'élection des conseillers territoriaux. Le projet de loi de réforme des collectivités locales, qui institue ces nouveaux élus, a été adopté par le Sénat et va être examiné par l'Assemblée nationale. Lele débat s'ouvrira ensuite sur le mode de scrutin.
En tant que professeur de droit public à l'Université Paris-Est - Créteil - Val-de-Marne, nous aimerions tout d'abord que vous nous présentiez votre analyse sur le plan constitutionnel, en particulier au regard de l'article 1er de la Constitution.
Nous souhaiterions également que vous examiniez les effets des différents types de scrutin en termes de parité, ainsi que ceux de l'instauration d'un « ticket paritaire ».
Quels aménagements suggérez-vous d'apporter au mode de scrutin proposé pour l'élection des conseillers territoriaux pour « sauver » la parité ? On le sait, le scrutin uninominal n'est pas celui qui lui est le plus favorable…
Enfin, que pensez-vous de l'extension de l'obligation paritaire aux communes de 500 à 3 500 habitants ?
Je vous remercie.
Mon propos va porter sur les deux textes déposés au Sénat, le projet de loi n° 61 relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale et le projet de loi organique n° 62 relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale. Mon intervention sera centrée sur la parité, mais ce n'est pas le plus épineux des problèmes constitutionnels que soulèvent ces textes ; il me paraît important de le souligner car pour mieux respecter l'exigence de parité, il faudra adopter une démarche stratégique et éviter de rendre le mécanisme plus complexe encore.
Le projet de loi n° 61 est composé de deux titres. Le premier, relatif à l'élection des conseillers territoriaux appelés à remplacer les conseillers régionaux et les conseillers généraux, prévoit un mode de scrutin mixte : 80 % des conseillers seraient élus au scrutin majoritaire uninominal dans le cadre du canton, et 20 % à la représentation proportionnelle de liste, à l'échelle du département, par « recyclage » des votes – selon le terme employé dans l'exposé des motifs. Ce mécanisme pose un problème de constitutionnalité puisque, paradoxalement, il consiste à réutiliser les voix qui se sont portées sur les perdants… En outre, il conduit l'électeur à voter à l'aveugle.
Ce mécanisme se substitue aux deux modes de scrutin actuels, très différents l'un de l'autre : scrutin majoritaire uninominal à deux tours pour l'élection des conseillers généraux, représentation proportionnelle à deux tours avec prime majoritaire, pour celle des conseillers régionaux.
Le titre II du projet n° 61 traite de l'élection des conseillers municipaux et des délégués communautaires. Il prévoit l'abaissement de 3 500 à 500 habitants du seuil d'application du scrutin proportionnel de liste dans les communes et l'élection directe des conseillers communautaires, à l'occasion de celle des conseillers municipaux.
Il est avéré que, en France, le scrutin proportionnel est mieux à même d'assurer la parité que le scrutin uninominal majoritaire. Non seulement, en effet, l'exigence paritaire peut être plus facilement transcrite sur les listes, mais les dispositifs actuellement prévus pour développer la parité dans le cadre des scrutins majoritaires – sanctions pécuniaires à l'égard des partis ou encore « ticket paritaire », qui impose que titulaire et suppléant soient de sexes différents – ne produisent pas les effets escomptés.
Dès lors il apparaît, d'une part, que la réforme du mode de scrutin des conseillers municipaux et des délégués communautaires devrait favoriser la parité – puisqu'elle abaisse le seuil du scrutin de liste pour les conseillers municipaux et prévoit l'élection à la proportionnelle des délégués communautaires – mais que, d'autre part, le mode de scrutin proposé pour l'élection des conseillers territoriaux est susceptible de produire des effets inverses. Néanmoins, le choix d'une élection à un tour – en l'état actuel du projet –, système tout à fait nouveau en France, fait peser une assez grande incertitude sur le comportement des électeurs, dont on ignore la perception qu'ils auront de ces nouveaux élus.
Les seuls éléments sûrs sont les chiffres. Aujourd'hui, les 4 019 conseillers généraux – 4 182 si l'on compte les conseillers de Paris – sont élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours et les 1 880 conseillers régionaux sont élus au scrutin de liste. Au total, ils sont donc élus pour les deux tiers au scrutin majoritaire et pour un tiers à la représentation proportionnelle. La réforme tend à les remplacer par 3 000 conseillers territoriaux élus pour les quatre cinquièmes au scrutin uninominal majoritaire et pour un cinquième au scrutin de liste : c'est un système mécaniquement plus défavorable à la parité. Selon certaines projections, la proportion de femmes passerait de 22 % au sein de l'ensemble des conseils généraux plus conseillers régionaux à 17 ou 18 % parmi les conseillers territoriaux.
Examinons tout d'abord la constitutionnalité, à l'aune de l'objectif de parité, du mode de scrutin proposé pour les conseillers territoriaux – avant de nous pencher, dans un deuxième temps, sur ce qu'il serait possible de faire pour que cet objectif soit mieux pris en compte.
L'article 1er de la Constitution dispose désormais dans son deuxième alinéa que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ».
Cette formule, qui résulte de la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999, modifiée par celle du 23 juillet 2008, avait pour seule vocation de faire « sauter » le verrou constitutionnel soulevé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 novembre 1982.
Pour cette raison, le constituant s'est contenté de formuler une norme d'habilitation en faveur du législateur. Celui-ci se trouve ainsi constitutionnellement autorisé à poursuivre un objectif a priori incompatible avec le principe d'égalité tel qu'il résultait de la conception française. Mais si la France est le seul – ou l'un des seuls – pays à énoncer expressément et avec rang constitutionnel, l'objectif de parité. Cette originalité, il faut le souligner, a pour origine une autre originalité, la conception française du principe constitutionnel d'égalité.
Si donc, il est « loisible » au législateur – pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel – de décider de poursuivre l'objectif de parité, il n'y est pas obligé. Il peut le faire, a précisé le Conseil dans sa décision du 23 juillet 2003, en adoptant des dispositions « revêtant soit un caractère incitatif, soit un caractère contraignant ». Le grand paradoxe est que, en cas de violation frontale de la parité – exclusion pure et simple de l'un des sexes, par exemple –, c'est au nom du principe d'égalité, et non pas de l'objectif de parité, que le Conseil exercerait sa censure.
Le Conseil constitutionnel considère qu'il appartient au législateur de concilier l'objectif de parité et, dit-il, « les autres règles et principes de valeur constitutionnelle auxquels le pouvoir constituant n'a pas entendu déroger ». Autrement dit, le contrôle qu'il opère est un contrôle de la conciliation, de la balance des intérêts.
Les deux projets de loi prennent en considération l'objectif de parité, au moins dans l'exposé des motifs, même s'il ne figure pas de manière très claire dans l'étude d'impact et ne fait pas l'objet d'un dispositif précis. La conciliation opérée est certes moins favorable à la parité que le système actuel, mais je pense que le Conseil constitutionnel n'estimerait pas qu'il y a là une atteinte manifeste ou disproportionnée à l'objectif de parité, susceptible de justifier une censure.
Par ailleurs, deux arguments parfois évoqués et relayés par la presse doivent être écartés au regard de la jurisprudence constitutionnelle.
Le premier est que la régression de la parité dans le cadre de l'élection des conseillers territoriaux serait compensée par sa progression dans le cadre de la réforme du mode de scrutin des conseils municipaux. Cet argument n'est pas recevable, le fait que les deux réformes figurent dans le même texte étant purement conjoncturel.
En sens inverse, certains font valoir que le mode de scrutin des conseillers territoriaux ferait régresser la parité par rapport à la situation actuelle dans les conseils régionaux. L'argument ne me semble guère plus solide. D'abord, pourquoi la comparaison devrait-elle exclure les conseils généraux ? Ensuite, je n'imagine pas que le Conseil constitutionnel raisonnerait par comparaison ou analogie. De toute façon, contrairement à ce que disent certains, le Conseil ne reconnaît pas dans sa jurisprudence un « effet cliquet », surtout pas au regard d'objectifs de valeur constitutionnelle.
Il faut donc conclure ce point sur l'idée, qu'en l'état, le projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux n'est pas inconstitutionnel au motif qu'il assurerait moins bien la parité. En tout état de cause, il ne serait pas très satisfaisant de s'en remettre à une hypothétique censure du projet par le Conseil constitutionnel. Se mettre en situation de proposition et réfléchir aux améliorations possibles du texte me paraît préférable.
J'en arrive donc à la deuxième partie de mon propos : comment, par voie législative, favoriser la parité dans le cadre de l'élection des conseillers territoriaux ?
Trois pistes peuvent être envisagées.
La première est la généralisation du scrutin de liste. Si elle est séduisante – ce mode de scrutin restant le plus favorable à la parité – elle ne me paraît guère réaliste. On connaît, tout d'abord, les arguments traditionnels et incontestables en faveur du scrutin majoritaire uninominal : meilleure identification de l'élu, ancrage territorial, proximité avec la population. C'est ce que rappelle l'exposé des motifs du projet de loi : « Chacun saura demain qui le représente à la région ». Le taux d'abstention aux élections régionales pourrait corroborer cet argument. En deuxième lieu, chacun sait que pour bien fonctionner, un organe délibérant doit disposer d'une majorité, dont la constitution est rendue plus difficile par le scrutin proportionnel – raison pour laquelle, d'ailleurs, il lui est souvent apporté un correctif majoritaire. Certains défenseurs de cette solution tirent argument de l'article 4, alinéa 3, de la Constitution, aux termes duquel « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et des groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » ; mais on ne voit pas pourquoi on retiendrait pour l'élection des conseillers territoriaux une règle qui ne vaudrait pas pour les autres élections.
La deuxième piste est la préservation de l'acquis. Les textes qui nous sont soumis emportant une régression de la parité, par quels moyens faire survivre, en pratique, des dispositifs tels que ceux instaurés par la loi du 31 janvier 2007 tendant à promouvoir l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ? Si certaines des dispositions de cette loi sont discutées – notamment la règle imposant qu'aux élections cantonales le candidat et son suppléant soient de sexes différents – d'autres, telle celle qui étend aux exécutifs régionaux l'obligation de parité, ont été largement saluées.
Contrairement à ce qu'a parfois indiqué la presse, la question n'est pas tant de savoir comment la réforme s'articulerait avec la loi de 2007 – qui, eu égard aux règles de succession des lois dans le temps, n'a pas vocation à continuer à s'appliquer quelles que soient les réformes ultérieures – que d'intégrer les avancées de celle-ci dans le texte nouveau. Il me semble donc nécessaire de reprendre in extenso les dispositions de la loi de 2007, lesquelles concernent surtout, et c'est important, les élus et non les candidats.
Enfin, la troisième piste est la recherche de moyens spécifiques pour favoriser l'égal accès des femmes et des hommes au mandat de conseiller territorial. Je distinguerai les propositions relatives au scrutin et les propositions relatives aux partis politiques.
L'originalité du mode de scrutin proposé pour l'élection des conseillers territoriaux est son caractère mixte. Dans la mesure où cette mixité correspond à l'esprit de la réforme, il vaut mieux la conserver, en l'amendant plutôt que d'y renoncer, dans quelque sens que ce soit : j'ai déjà évoqué les inconvénients de la solution du « tout proportionnelle » ; quant à celle du « tout majoritaire », elle ne serait pas, à l'évidence, de nature à favoriser la parité.
Il est en revanche intéressant de s'interroger sur les modalités de la mixité et, tout particulièrement, sur le ratio 8020. Augmenter la part de conseillers élus à la proportionnelle permettrait de corriger l'effet de régression de la parité, voire d'inverser le mouvement. Je serais assez favorable à un ratio 5050, d'ailleurs préconisé par le comité pour la réforme des collectivités locales présidé par M. Édouard Balladur. Ce système serait en outre plus clair et plus simple. Et il est possible que le « vote à l'aveugle » proposé dans le projet pour les 20% de conseillers élus à la représentation proportionnelle – par le procédé du « recyclage » – amène les électeurs, selon un vieux réflexe, à voter davantage pour des hommes que pour des femmes.
Il faut également s'interroger sur les incidences d'un scrutin à un tour en termes de parité. Ce système étant étranger à notre tradition, nous sommes très démunis pour effectuer des projections. Il est clair cependant que partout où le scrutin à un tour est pratiqué, il incite à voter utile. Or voter utile, dans l'imaginaire collectif, ne serait-ce pas voter plutôt masculin que féminin ? La question mérite examen.
Vient ensuite à l'esprit la solution du binôme – deux élus par canton, de sexes opposés. La première formule est celle du binôme constitué d'un candidat et d'un suppléant : on sait que dans la pratique, les femmes sont suppléantes dans près de 80 % des cas ; ce n'est donc pas, à l'évidence, le système idéal. Une autre piste possible est de doubler cette formule d'une obligation pour les partis politiques de veiller, à l'échelle nationale, à la parité des binômes constitués – même nombre de femmes et d'hommes, d'une part parmi les candidats, d'autre part parmi les suppléants. Cela rejoint la proposition faite par le Président Accoyer lors de la journée des femmes, mais pose une difficulté pratique, celle des candidats indépendants. De deux choses l'une : ou bien on se refuse à exclure les candidats indépendants, et l'on se résout alors à ce que la parité, quoique améliorée, ne soit pas parfaite ; ou bien on décide qu'il ne pourra plus y avoir de candidature que liée à un parti, mais une telle disposition serait censurée par le Conseil constitutionnel. Cela étant, je dois avouer que je ne connais pas le taux de candidats indépendants.
Ils sont nombreux pour les élections des conseils généraux. Dans le département dont je suis élue, 31 des 51 membres du conseil général sont indépendants.
Le cumul d'un ratio de 5050 et de l'obligation de la double parité pour les candidats au scrutin uninominal présentés par un parti permettrait déjà, en termes de parité, un net progrès par rapport au projet actuel. Il reste que la préservation de la liberté de présentation des candidats indépendants pourra inciter des candidats membres de partis à se présenter comme tel pour échapper à la règle de la double parité. Malheureusement, il n'est pas possible de lutter contre ce risque.
Une autre idée, parfois suggérée, est de doubler la superficie des cantons et de les faire représenter par deux élus, obligatoirement un homme et une femme, candidats à parité, en binôme.
Un tel dispositif pourrait en effet être considéré comme exagérément complexe pour réaliser ce qui n'est qu'un objectif. Non seulement il serait difficile à mettre en oeuvre pour les partis, mais il obligerait les candidats indépendants à se présenter eux aussi en tandem ; tous n'étant pas assurés d'y parvenir, certaines candidatures pourraient être condamnées.
C'est un système complexe, et qui en outre ne permet pas de territorialiser vraiment le scrutin. L'électeur a envie de quelque chose de simple… Mais le système du « recyclage » proposé dans le projet ne l'est pas davantage !
Dans la mesure où l'électeur se prononce par un seul bulletin, non seulement ce système revient à valoriser les voix des perdants – lorsqu'ils sont rattachés à une liste – mais il pose la question de la perte, dans la phase du recyclage, des voix qui se sont portées sur un candidat indépendant.
Il pourrait éventuellement être considéré comme inintelligible par le juge constitutionnel.
On pourrait peut-être quand même réfléchir à un système de binôme – un homme et une femme, tous deux titulaires – élu dans le cadre de cantons étendus.
Je n'imagine pas qu'un tel système voie le jour, alors même que le conseiller territorial, qui bénéficiera des moyens de la région et du département, va être le véritable opposant local du député. Au demeurant, nous avons pu constater que la parité était éloignée des préoccupations des auteurs du projet de loi.
L'idée d'exiger que dans chaque circonscription électorale se présentent des binômes formés d'un homme et d'une femme dont le sort serait lié pose deux difficultés. La première est la gymnastique imposée aux partis politiques pour constituer les binômes de candidats. La seconde est la réduction du pluralisme : dans le cadre de circonscriptions deux fois plus grandes, on élit non plus 3 000 candidats mais 1 500 « tickets », dans le cadre d'un scrutin binominal – et non plus uninominal – majoritaire.
Comment ces deux élus travailleraient-ils ensemble ? Que se passerait-t-il en cas d'éclatement du binôme ?
Le partage des tâches serait en effet difficile. Cette idée me paraît donc très problématique, tant sur le plan pratique que sur le plan juridique.
La proposition de donner un rôle statutaire au suppléant se heurte au même type de difficultés. Elle fait doubler le nombre d'élus, qui passerait de 3 000 à 6 000 ; et une fois ce rôle établi – de façon générale ou au cas par cas – le suppléant désormais pourvu d'une fonction n'aurait-il pas lui-même vocation à disposer d'un suppléant ? Dans ce cas le nombre d'élus passerait à 12 000 !
Je ne fais qu'évoquer une autre piste possible, qui est un serpent de mer : la limitation du cumul dans le temps.
Au total, concernant les modes de scrutin, le plus raisonnable et le plus simple me semble donc être, d'une part, d'intégrer dans le projet de loi les garde-fous de la loi de 2007 – ou au moins, d'y renvoyer –, et d'autre part, concernant la mixité, de faire évoluer les règles. Cela dit, si le ratio 8020 est globalement défavorable aux femmes, il devient un problème pour les hommes, lorsqu'on le combine avec la parité des exécutifs…
Quand nous avons rencontré M. Marleix et son équipe, nous avons eu l'impression que la loi de 2007 était laissée de côté. Il est quand même extraordinaire de proposer aux femmes des postes de conseillère municipale dans une municipalité de 500 habitants, où il faut être tout le temps sur le pont, et cela de façon bénévole, et de leur enlever la possibilité d'exercer des responsabilités au conseil régional, dont le rôle est important, pour une rémunération d'au moins 2 000 euros.
J'en arrive aux mesures ciblées sur les partis politiques.
Elles ne peuvent, à mon avis, que venir en complément de celles portant sur le mode de scrutin, les partis ne couvrant pas l'ensemble des candidats potentiels. Outre le dispositif du « ticket », il y a le serpent de mer des mesures financières. Le système actuel de sanctions n'étant pas suffisamment efficace, on pourrait envisager la formule inverse, c'est-à-dire les incitations. Mais sur quoi les faire porter ? Leurs partisans recommandent qu'elles s'appliquent à la fois aux candidats et aux élus, ce qui me semble difficile car les partis ne peuvent pas forcer leurs électeurs à élire des femmes…
Certes, mais ce n'est pas une donnée objective susceptible d'être intégrée dans la loi.
Je suis absolument convaincue qu'on ne doit pas se limiter aux candidatures. Il faut aller plus loin, selon une formulation qui reste à trouver, peut-être par le biais d'une péréquation au niveau national.
On avancerait déjà en modifiant le ratio entre scrutin majoritaire et représentation proportionnelle. En le rééquilibrant à 5050, on serait assuré d'avoir au minimum 25 % de femmes. Un objectif de 35 % ou 40 % deviendrait alors moins irréaliste. Cependant le Conseil constitutionnel, qui exerce un contrôle de proportionnalité, pourrait considérer qu'un mécanisme imposant des contraintes excessives paralyse le fonctionnement démocratique.
En ce qui concerne les modalités des incitations, la proposition la plus classique, qui avait été formulée par Guy Carcassonne, est de réserver une part des fonds aux partis vertueux au détriment des autres. Mais l'impact d'une telle formule est très difficile à mesurer. Notamment sur le thème de la parité, il faudrait prévoir une réévaluation de la loi.
Il faudra évaluer l'impact des amendes supplémentaires que nous avons votées et qui sont applicables aux partis en 2012.
Il me paraît important d'adopter une logique d'évaluation, notamment pour verrouiller l'instrumentalisation potentielle de la réforme, sans compter que la perspective de l'évaluation peut avoir un effet vertueux sur les partis.
Dans la mesure où le projet de loi ne prend pas en compte la parité et où, parallèlement, il pose plusieurs problèmes de constitutionnalité, il serait sans doute plus facile d'agir en déposant des amendements non spécifiquement paritaires. Mener un combat frontal en faveur de la parité, risquerait de vous conduire à proposer des contraintes supplémentaires. Par contre, on peut renforcer la parité à l'occasion d'amendements visant l'intelligibilité, la représentativité, le respect du pluralisme, l'égalité devant le suffrage – autant de principes qui pèsent lourd dans le contrôle de constitutionnalité, tandis que la parité n'est qu'un objectif.
En répondant aujourd'hui à Bruno Le Roux pendant la séance de questions d'actualité, M. Marleix a mis sur le même plan les problèmes de minorités et de parité ! Les deux sujets n'ont rien à voir.
Et le juge constitutionnel ne reconnaît pas le droit des minorités…
On ne présente pas un nouveau mode de scrutin qui réduira sûrement la représentation des femmes en vantant l'amélioration de celle des minorités…
La pertinence de la stratégie, vous êtes mieux à même que moi de l'évaluer. Il faut attendre le texte qui sortira du Sénat.
Oui, mais va-t-il mettre en avant des motifs d'inconstitutionnalité ? Si on ne défend que la parité, elle risque d'apparaître comme une contrainte supplémentaire. Tout le monde s'accorde à reconnaître que la parité n'est pas une priorité du projet, ce qui crée des ouvertures ; mais ne viser que la parité rendrait les choses encore plus compliquées, et l'on risquerait de la sacrifier ultérieurement, si le texte venait à être revu dans un souci de simplification. Le mode de scrutin proposé est tout de même très expérimental au regard de nos traditions constitutionnelles. Un seul tour, avec une combinaison de scrutin uninominal et de représentation proportionnelle selon une proportion – 8020 – qui n'existe nulle part : il est difficile d'anticiper les réactions des électeurs.
Ce n'est même pas de la représentation proportionnelle, puisqu'il s'agit des voix des battus !
L'exposé des motifs parle de suffrages « recyclés ». Le terme m'a amusée. C'est en fait de la proportionnelle compensatrice.
Cela dit, c'est parce que cette proportionnelle est compensatrice, qu'elle est limitée à 20 % des conseillers. S'il s'agit toujours des voix recueillies par les perdants, on ne peut pas passer à 50 %. On ne peut modifier l'équilibre qu'en abandonnant au moins partiellement la proportionnelle compensatrice. La question de la parité ne vient qu'ensuite, sans être pour autant moins importante que les autres. Mieux vaut commencer par s'attaquer à la proportionnelle compensatrice et modifier le ratio, ce qui permettra de mieux répondre à l'exigence de parité. Si on ne procède pas dans ce sens-là, la parité va apparaître comme l'argument qui justifie la suppression de la proportionnelle compensatrice, et vous vous attirerez aussitôt l'hostilité de ceux qu'elle avantagerait.
Il faudrait réfléchir aux moyens de permettre à l'électeur de comprendre pour qui il va voter…
Les arguments à mettre en avant, en effet, sont le manque d'intelligibilité du scrutin proposé et le risque de bafouer le principe de représentation par l'élection de candidats pour qui personne n'aura voté. Il me paraît préférable que vous vous attaquiez d'abord à ces défauts-là.
Il ne me reste plus, madame le professeur, qu'à vous remercier de l'éclairage que vous nous avez apporté.
La séance est levée à dix-sept heures cinquante.