Audition de M. Hervé Morin, ministre de la défense, sur les dispositions d'accompagnement social examinées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2009 (n° 1127)
La séance est ouverte à dix heures trente
Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir bien voulu répondre à mon invitation afin de présenter deux amendements que le Gouvernement souhaite voir examiner lors de la discussion sur la mission Défense ; ceux-ci concernent les mesures d'incitation au départ s'inscrivant dans le cadre de la politique de réduction des effectifs du ministère. J'ai souhaité qu'une audition complémentaire soit organisée pour lever certaines ambiguïtés qui ont suscité des débats quelque peu agités la semaine dernière. J'observe que les collègues dont les interventions ont été les plus fortes n'ont pas jugé utile de venir entendre les explications qu'ils exigeaient alors.
Je souhaite avant tout rappeler que la réussite de ce qu'il est convenu d'appeler au sein du ministère la « manoeuvre ressources humaines » conditionne la réussite de l'ensemble de la loi de programmation militaire (LPM).
Il est prévu de supprimer 8 400 emplois par an dont 6 300 militaires et 2 100 civils, soit un total de 54 000 sur l'ensemble de la période considérée. S'agissant des personnels militaires, la régulation des flux, c'est-à-dire le non renouvellement de contrats ou la baisse des recrutements permet une diminution de 4 000 emplois par an. J'observe toutefois qu'il convient de maintenir un certain équilibre, l'exemple britannique d'arrêt complet des recrutements ayant montré quelles peuvent être les conséquences dommageables d'une telle mesure. J'ai donné consigne aux armées de recruter en fonction du niveau d'encadrement anticipé en 2015, et donc de maintenir des flux d'entrants. Les reclassements dans la fonction publique doivent permettre une réduction complémentaire de 1 100 emplois par an, tandis que les incitations financières au départ concerneront annuellement 1 200 personnes.
Les départs des personnels civils se répartissent de la manière suivante : 1 250 au titre du non remplacement d'un départ sur deux à la retraite (soit 60 % du total) ; 350 par mobilité externe (17 % des départs) ; 500 départs incités financièrement (23 %).
Le coût des 1 200 départs de militaires incités financièrement représente 70 millions d'euros chaque année.
Le coût total des mesures sociales d'accompagnement sur l'ensemble de la LPM représentera un rythme annuel moyen de 150 millions d'euros, tandis que les économies cumulées sur la masse salariale s'élèveront à 3,6 milliards d'euros, auxquelles il convient d'ajouter 1,1 milliard d'euros d'économies en charges de fonctionnement. À partir de 2015, lorsque nous serons en régime de croisière, ces mesures permettront une économie annuelle récurrente de 1,5 milliard d'euros, réaffectés à l'équipement des forces et à la condition du personnel. Le plan de revalorisation de la condition militaire aura été intégralement mis en oeuvre sur la durée de la future LPM. Je rappelle que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a fixé à 377 milliards d'euros sur deux lois de programmation les ressources affectées à la mission Défense hors pensions avec un objectif de 18 milliards par an consacré à l'investissement. Cet objectif ne pourra être atteint que si la réforme de la carte militaire et la réduction des effectifs sont pleinement réalisées. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé que les deux dispositions relatives aux mécanismes d'incitation au départ, qui auraient dû figurer dans le projet de LPM, soient examinées par anticipation dans le cadre du projet de loi de finances afin de pouvoir produire leurs effets dès le début de 2009. Les décrets d'application sont prêts. Ils ont été validés par le Premier ministre malgré les réticences du ministère du budget en raison du coût des mesures.
S'agissant des ouvriers d'État, il est prévu d'inciter financièrement 350 départs par an. Il faut souligner que le ministère de la défense ne procédera à aucun recrutement d'ouvrier d'État en 2009, à la différence des précédents budgets qui ont pourtant été votés par des personnes remettant aujourd'hui en question les mesures d'incitation que nous proposons. Ces dernières reprennent d'ailleurs largement le dispositif existant, tout en le rendant plus vertueux. Le système actuel permet en effet de profiter des mesures d'incitation jusqu'en fin de carrière, avec la possibilité de demander à bénéficier de l'indemnité de 90 000 euros jusqu'à deux ans avant l'âge du départ à la retraite. Nous corrigeons cet effet d'aubaine en instaurant un profil dégressif des indemnités qui incitera davantage au départ en milieu de carrière, entre 20 à 25 ans de service. Le principe de la défiscalisation des indemnités est conservé. Il convient en effet de mettre en place un mécanisme incitatif compte tenu des plus grandes incertitudes pesant sur l'évolution du marché du travail. Les indemnités versées au titre de ce dispositif se sont élevées à 57 millions d'euros en 2005, à 32 millions d'euros en 2006 et à 12 millions d'euros en 2007. La prévision de 28 millions d'euros pour 2009 se situe donc dans une moyenne basse. Enfin, il faut remarquer que ce dispositif revient moins cher qu'une indemnité de licenciement.
S'agissant des militaires, l'essentiel des départs doit s'opérer par le biais du non renouvellement de contrats ou par la diminution des recrutements mais je précise que ces mesures ne touchent pas que des catégories de personnels dont le ministère souhaite la réduction du volume dans le cadre de sa réorganisation d'ensemble. Celle-ci se traduit en effet par la création des bases de défense, une interarmisation accrue et la suppression d'échelons de commandement intermédiaires, qui emploient de nombreux officiers et sous-officiers en deuxième partie de carrière. Les 1 200 départs annuels incités financièrement par an concernent donc au premier chef ces catégories. Là encore, il s'agit d'une reprise de dispositifs existants et d'un schéma très classique. L'indemnité représente entre 24 et 48 mois de solde. S'il est vrai que les indemnités des personnels civils du ministère de la défense incités à partir, hors ouvriers d'État, sont fiscalisées, elles sont cependant calculées sur l'ensemble des rémunérations perçues. Ce n'est pas le cas pour les militaires, la base de calcul de l'indemnité étant constituée par le traitement indiciaire hors primes, soit environ 60 % du montant total des rémunérations. La défiscalisation de leurs indemnités de départ compense donc cet écart et permet d'obtenir une parité entre personnels civils et militaires. Le coût fiscal de la mesure est compris entre 5 et 7 millions d'euros par an.
On peut donc en conclure que la défiscalisation n'est pas injustifiée puisque l'indemnité versée aux militaires ne repose que sur une partie de la solde. Ne pas accepter ce système d'incitation au départ risquerait de bloquer la réforme, pourrait conduire à un vieillissement des armées, avec des militaires sans perspectives professionnelles, et empêcherait le nécessaire effort de repyramidage des effectifs.
Lors de la précédente réunion de la commission, j'avais souligné que la réussite de la réforme est conditionnée par celle de la manoeuvre des ressources humaines. Je n'émets pas d'opposition de principe à cette profonde réorganisation, à condition que des moyens suffisants en autorisent la mise en oeuvre. En ce qui concerne la défiscalisation, il importe d'en préciser le cadre juridique : à ce jour, seules les indemnités de licenciement et, depuis la loi portant modernisation du marché du travail du 25 juin 2008, les indemnités versées en cas de rupture conventionnelle de contrat sont défiscalisées. Il faut clairement dire que le pécule et l'indemnité pour départ volontaire constituent des dommages et intérêts, compensant la perte de statut protégé ; la preuve en étant que lorsque le militaire retrouve un emploi relevant d'une fonction publique, il doit rembourser son pécule. Cette précision doit être faite car sinon, rien ne justifierait que toutes les sommes versées dans le cadre d'un départ, volontaire ou non, ne bénéficient pas d'une exonération fiscale.
J'en viens maintenant au remboursement du pécule par un militaire qui retrouverait un emploi dans une fonction publique dans les cinq années suivant son départ des armées, ce qui risque d'affaiblir l'attractivité de la mesure. Il conviendrait d'ajuster le remboursement aux conditions financières de retour dans une fonction publique : si le militaire reçoit un traitement inférieur ou égal à ce qu'il percevait dans les armées, il ne rembourse rien ; à l'inverse, s'il bénéficie de conditions plus avantageuses, il rembourse le pécule.
J'observe enfin que l'indemnité versée aux ouvriers d'État s'applique aux personnels relevant de la gendarmerie nationale mais prend en compte son passage sous l'autorité du ministère de l'intérieur à compter du 1er janvier 2009. Or, cette date ne repose sur aucune base juridique, le projet de loi n'étant même pas inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Profitez, monsieur le ministre, que le Gouvernement maîtrise encore l'ordre du jour pour inscrire ce texte et ainsi préserver la cohérence des différentes dispositions ! Il me semble donc qu'il faudrait modifier la rédaction de l'amendement pour éviter de faire figurer une quelconque date et ainsi éviter des dysfonctionnements inutiles.
Les débats interministériels sur les mesures d'accompagnement sont difficiles, d'autant que le ministère de la défense bénéficie d'ores et déjà d'un régime plus favorable que les autres ministères. L'inscription dans la loi de ces mesures permet de leur donner plus de stabilité et de force que si elles continuaient à relever de dispositions réglementaires. Le cadre juridique ne pose donc aucun souci.
La mise en oeuvre d'un remboursement différencié en fonction des conditions de rémunération dans le nouvel emploi me semble positive sur le principe mais particulièrement complexe dans sa mise en oeuvre. Il ne faudrait pas que la complexité du système retarde la publication des textes d'application alors que ces amendements répondent justement à une exigence de temps.
Pour ce qui est de la gendarmerie, je propose de remplacer la mention de la date par une formule qui pourrait être « au moment du transfert effectif au ministère de l'intérieur ». J'indique enfin que les indemnités versées aux ouvriers d'État de la gendarmerie relèvent du programme 152, donc du budget du ministère de l'intérieur à partir de 2009.
Il me semble qu'il faut distinguer les indemnités perçues dans le cadre d'un licenciement de celles qui seront versées aux militaires et aux ouvriers d'État qui quittent le ministère. Le volontariat empêche en effet de confondre les deux systèmes.
Je faisais référence au système de rupture conventionnelle de contrat à durée indéterminée qui s'apparente, sur certains points, à une forme de départ volontaire sans recourir à la démission. Pour ce qui est des difficultés interministérielles, je rappelle que les autres ministères se contentent de ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux quand celui de la défense réalise un effort bien plus important. À situation d'exception, mesures d'exception !
Le ministère de la défense bénéficie bien d'un traitement spécifique puisqu'il est le seul à conserver l'intégralité des économies réalisées. Pour ce qui est des avancées sur les amendements, je souhaite que, d'ici à la séance publique, nous puissions élaborer une rédaction qui répondra à l'ensemble de vos interrogations.
Nous partageons tous le même objectif et le même sentiment : la manoeuvre RH constitue la clé de voûte de la réforme. Pour autant, des éléments doivent être précisés. Je partage les préoccupations de Jean-Claude Viollet sur le rapprochement avec la rupture conventionnelle. Il me semble que le cadre juridique doit être précisé.
Par ailleurs, dans le projet de loi de finances pour 2009, seuls 48,5 millions d'euros sont inscrits dans le programme 212 au titre de « l'accompagnement social des restructurations ». Cette somme suffira-t-elle à faire face à l'ensemble des besoins ? A-t-elle été calculée pour un dispositif fonctionnant en année pleine ?
Le PLF 2009 prévoit 70 millions d'euros pour les militaires et 28 millions d'euros pour les ouvriers d'État. En intégrant les mesures d'accompagnement de la mobilité, près de 140 millions d'euros seront ainsi consacrés à l'accompagnement social des restructurations en 2009.
Le programme 212 ne retrace qu'une partie des crédits consacrés à l'accompagnement social. Les crédits sont également répartis dans d'autres programmes de la mission « Défense ».
Lors de la présentation des amendements, j'ai fait part de problèmes de forme et de fond. Sur la forme, je me réjouis que le ministre vienne en personne nous expliquer les amendements aujourd'hui, de façon à balayer tous les malentendus qui auraient pu survenir. Sur le fond, j'avais des inquiétudes que le ministre vient de lever : le coût fiscal de la mesure reste mesuré, entre 5 et 7 millions d'euros. Je suis également sensible aux difficultés qui apparaîtraient si les mesures n'étaient pas adoptées, pouvant mettre en péril la réforme et empêchant le nécessaire repyramidage. Au vu de l'ensemble de ces éléments, je soutiendrai bien évidemment ces amendements.
Le nouveau cadre institutionnel va généraliser ces rencontres puisque désormais le texte adopté par la commission servira de base au débat en séance publique, ce qui devrait imposer au ministre de venir défendre ses positions devant la commission.
Nous avons eu la semaine passée un débat nourri sur la défiscalisation. J'estime pour ma part qu'elle est essentielle pour garantir l'attractivité du dispositif. Si la prime est imposable, il faudra nécessairement l'augmenter pour conserver un effet incitatif, ce qui rapporterait des recettes fiscales supplémentaires mais coûterait aussi plus cher au budget de la défense. Cela me rappelle ce qui s'est passé en 1992 lorsque l'on a fiscalisé les indemnités des élus locaux : les citoyens y on vu une réforme positive, sans réaliser que l'augmentation consécutive de ces indemnités pesait in fine sur leurs impôts. Il faut donc être pragmatique sur le sujet.
La réussite du plan d'aide aux départs passe également par l'accompagnement des reconversions professionnelles. Les services existant au sein des armées vont devoir faire face à un afflux important de demandes : vont-ils recevoir des renforts ? A-t-on prévu de recourir à des prestataires extérieurs et aux écoles de reconversion professionnelle (ERP) de l'ONAC ?
Le plan de réorganisation du ministère prévoit la mise en place, au 1er janvier prochain, de deux services interarmées des recrutements et des reconversions qui viendront se substituer aux différents services exerçant actuellement ces missions pour chacune de armées. C'est un progrès considérable qui va permettre de mettre en commun les moyens, les outils, les fichiers et les offres d'emploi qui étaient jusqu'à présent précieusement conservés par chacun des services existants. L'efficacité du dispositif devrait s'en trouver grandement améliorée.
En outre, le ministère a signé des conventions avec de grandes entreprises – comme GDF-Suez, Sodexo, Auchan, Areva – ayant de fortes perspectives de recrutement dans les années à venir afin de développer une gestion prévisionnelle des ressources humaines incluant un soutien efficace à la reconversion.
Nous pourrons avoir recours aux ERP de l'ONAC avec lesquelles nous avons conclu des conventions mais il faut souligner que le recours à ce dispositif reste onéreux ; nous avons également signé un accord avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Sur ce dernier point, l'implication des collectivités locales sera également nécessaire.
Cet accompagnement est d'autant plus important que l'armée de demain présentera des contrats de plus en plus courts et se devra donc d'offrir à ceux qui ont choisi de servir la France un accompagnement vers leur deuxième vie professionnelle. La diversification de l'offre d'emplois est essentielle, tout particulièrement pour les hommes du rang – les grenadiers-voltigeurs par exemple – qui n'ont pas de qualifications spécifiquement recherchées sur le marché du travail.
Point d'étape sur la mise en oeuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la défense (MM. Bernard Cazeneuve et François Cornut-Gentille, rapporteurs d'information)
La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le point d'étape de la mission d'information de MM. Bernard Cazeneuve etFrançois Cornut-Gentille sur la mise en oeuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la défense.
À la demande de la commission, nous menons, Bernard Cazeneuve et moi, une mission de contrôle et de suivi de la réorganisation du ministère de la défense. Pour prendre date avant l'examen de la LPM, nous avons prévu de présenter un rapport d'étape avant la fin de l'année, mais il nous a semblé nécessaire de faire un point ce matin devant la commission afin d'éclairer le débat en séance publique, vendredi, sur la mission Défense.
Nous nous efforçons d'assurer un suivi en direct de la réforme, même si le travail avec le ministère est un peu complexe et que nos demandes d'information tardent parfois à être satisfaites.
L'objectif de la réforme est clair : réaliser des économies sur les titres 2 et 3 afin d'obtenir des ressources supplémentaires pour le titre 5. Nous tenions donc, dans un premier temps, à comprendre l'architecture globale du dispositif et le schéma d'évolution des grandes masses budgétaires. Ces éléments d'information ne nous sont parvenus que ce matin. Les économies attendues sur la période 2009-2014 sont de 2,7 milliards d'euros pour le titre 2, grâce aux réductions d'effectifs, et de 1,1 milliard d'euros sur le titre 3. En parallèle, le coût des mesures d'accompagnement est évalué à 900 millions d'euros et celui des dépenses d'infrastructures à 1,2 milliard d'euros, toujours sur la période 2009-2014.
Nous allons maintenant nous attacher à vérifier si ce schéma global est tenable et à contrôler son efficacité, au fur et à mesure de sa mise en application.
Plusieurs points doivent d'ores et déjà être éclaircis. La réalité des économies sur les dépenses de personnel tout d'abord, qui sont largement conditionnées par le nombre des départs, les besoins en reconversion et les conditions de reclassement dans les fonctions publiques. La mise en oeuvre des externalisations ensuite, qui semblent a priori profitables mais se révèlent souvent coûteuses en pratique, ne serait-ce qu'en raison du surcoût lié à la TVA. Les projets d'aménagement du territoire et des infrastructures doivent également être examinés car, avant de générer des économies, ils risquent d'entraîner des surcoûts qu'il faut anticiper. Enfin, la réforme aura des conséquences importantes sur le volume des pensions et il est important de savoir qui prendra en charge ce surcoût.
En conclusion, je voudrais signaler que le ministère va devoir faire un effort important pour se doter des moyens nécessaires au suivi financier et humain de la réforme car cela n'avait pas été prévu en amont, ce qui est regrettable.
Indépendamment de toute appréciation du contenu de la réforme, nous nous sommes fixé comme but de l'évaluer selon les objectifs qu'elle s'est assignés. Il s'agit de savoir s'il existe un décalage entre ces objectifs et les résultats engrangés.
L'enjeu de la réforme est considérable : jamais depuis la guerre d'Algérie nos armées n'avaient connu une telle déflation de leurs effectifs. Les économies générées par la suppression de 54 000 postes doivent être intégralement réinvesties, soit au profit des équipements, soit pour revaloriser la condition des personnels. Même si la réforme est dure pour nos armées, elle vise une nécessaire réaffectation des moyens et nous devons nous assurer que cette logique fonctionne et qu'elle sera respectée. Pour cela, nous vérifions le modèle économique et essayons d'identifier les éventuelles difficultés.
À ce stade, il nous est possible de faire plusieurs constats. Il importe d'évaluer avec précision le montant des économies prévues qui sont essentiellement générées par la déflation des effectifs et par des économies de fonctionnement découlant de la rationalisation de la carte militaire. Ces gains doivent être minorés des dépenses liées à leur mise en oeuvre, qu'il s'agisse des dépenses d'infrastructures ou des mesures d'accompagnement social et territorial.
Avant de générer des économies de long terme, de telles mesures nécessitent en effet d'importants investissements initiaux. L'exemple du service de santé des armées est éclairant, même s'il ne doit pas être appréhendé isolément. De 2009 à 2014, les restructurations de ce service devraient permettre d'économiser 26 millions d'euros mais nécessitent d'investir plus de 140 millions d'euros. Pour autant, ce déséquilibre apparent doit être examiné dans le détail car il participe d'une logique d'ensemble qui ne peut être appréciée que globalement et sur toute la période.
Nous porterons également une attention particulière à l'accompagnement des territoires qui devraient bénéficier d'une enveloppe de 320 millions d'euros, dont 200 millions versés au titre du fonds de restructuration de la défense (FRED).
Par ailleurs, il est nécessaire d'examiner la correspondance entre les économies réelles et le coût des équipements dont la réforme doit précisément permettre le financement. Il faut déterminer avec précision le coût réel des opérations d'armement, en intégrant les éventuels décalages ou reports liés à la réforme pour éviter que le montant des programmes ne soit structurellement sous-estimé. Pour ce faire, nous vérifierons dans quelles conditions les industriels et la délégation générale pour l'armement renégocient les contrats en cours, afin de nous assurer que les économies dégagées seront effectivement réinvesties au profit de nouveaux équipements et non consommés par des dépassements budgétaires.
Une fois l'ensemble des ces éléments analysés, nous présenterons à la fin du mois de novembre un rapport d'étape plus conséquent qui fera le point sur les informations qui nous sont transmises, parfois avec difficulté et de manière tardive. Les éléments de cadrage que nous venons de vous présenter ne nous sont par exemple parvenus que ce matin alors que nous les demandions depuis le début de notre mission.
Trois points me semblent particulièrement importants à surveiller. Le premier élément tient à l'importance des recettes exceptionnelles, évaluées pour 2009 à 1,637 milliard d'euros. Nous devrons nous assurer de la réalité de cette évaluation et de la faisabilité des opérations de cessions prévues.
Le second point concerne la politique immobilière et notamment l'inclusion ou non, dans l'enveloppe d'ensemble de la réforme, du projet de regroupement des sites du ministère à Balard. Il semble exclu des dépenses d'investissement, mais des précisions doivent être apportée sur les coûts de fonctionnement qui peuvent perturber significativement l'équilibre d'ensemble de la réforme.
Il nous faut enfin être vigilants sur le suivi qualitatif des restructurations. Si le ministère ne parvient pas à honorer l'intégralité de ses objectifs en matière de départs volontaires, il pourrait être contraint de tarir ses recrutements et tenté de puiser sur des effectifs affectés à des missions opérationnelles.
S'agissant de la gestion immobilière, le modèle qui nous a été transmis ce matin semble fonctionner sans pour autant inclure ni les variations du marché immobilier ni le coût des pensions. C'est un point positif, qui appelle toutefois notre vigilance.
Ce modèle s'équilibre en faisant abstraction des dépenses du «Balardgone ». Or, il me semble que le choix d'un partenariat public-privé traduit souvent un déficit masqué et au final particulièrement coûteux pour le contribuable.
J'attire enfin votre attention sur le financement des opérations extérieures, que le président Guy Teissier suit au plus près. Le décalage récurrent entre la dotation budgétaire et le montant réel du surcoût, de l'ordre de 500 millions d'euros, ne peut pas être entièrement abondé par la réserve interministérielle. La tentation est forte de financer cet écart sur les crédits de titre 5, ce qui remettrait complètement en cause le modèle.
Je me félicite de l'existence de cette mission, dont le travail de contrôle est d'autant plus méritoire qu'elle peine à obtenir certaines informations. Je relève que nous ignorons le coût du regroupement des structures centrales à Balard qu'il conviendrait pourtant de comparer aux recettes générées par les cessions d'emprises.
Il faut faire preuve de la plus grande prudence s'agissant des recettes immobilières. Le coût de remise en état peut être en effet particulièrement élevé, du fait de la dépollution des sites ou du désamiantage.
Lors du débat sur la loi de modernisation de l'économie, j'ai défendu un amendement qui autorise l'État à laisser les opérations de dépollution à la charge de l'acquéreur, le montant de la dépollution étant in fine déduit du prix de vente. Ce mécanisme peut donc conduire à ce que certaines cessions ne rapportent rien à l'État. Je relève par ailleurs que le contexte économique n'est pas sans incidence sur ces ventes, même si je n'observe pas encore d'évolution significative, notamment pour les emprises parisiennes.
Je rappelle que le vendeur est légalement tenu de livrer à l'acquéreur un terrain totalement dépollué.
Je souhaiterais attirer votre attention sur l'exemple de l'ancien dépôt du service des essences des armées situé à La Courneuve. Il s'agit d'un terrain particulièrement intéressant sur le plan foncier, mais les opérations de dépollution pourraient s'avérer particulièrement onéreuses.
Il me semble également que l'exemple du transfert du siège de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) à Issy-les-Moulineaux peut utilement servir d'élément de comparaison. Il a été décidé de recourir à un bail emphytéotique administratif, ce qui, comme je l'avais relevé en ma qualité de rapporteur pour avis, se révélera plus coûteux que ne l'aurait été un dispositif d'acquisition patrimoniale ou un partenariat public-privé. Ce déménagement m'apparaît comme un contre-exemple et peut éclairer les travaux des rapporteurs.
La séance est levée à onze heures quarante-cinq.