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Séance en hémicycle du 21 juin 2011 à 22h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt-deux heures.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (nos 3532, 3452).

Je vous rappelle que la Conférence des présidents a décidé d'appliquer à cette discussion la procédure du temps législatif programmé sur la base d'un temps attribué aux groupes de trente heures.

Chaque groupe dispose des temps de parole suivants : pour le groupe UMP, huit heures trente minutes ; pour le groupe SRC, onze heures vingt-cinq minutes ; pour le groupe GDR, cinq heures quarante-cinq minutes ; pour le groupe Nouveau Centre, quatre heures vingt minutes. Les députés non inscrits disposent de cinquante minutes.

La parole est à M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter ce soir marque une nouvelle étape dans la volonté du Gouvernement, plusieurs fois manifestée au cours de cette législature, de définir une justice pénale plus ouverte, plus proche et plus réactive, afin de répondre notamment à l'attente quotidienne de nos concitoyens à l'égard de leur justice.

Pour cela, le texte poursuit trois objectifs : accroître la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale ; lutter contre la correctionnalisation des crimes en améliorant le fonctionnement des assises ; adapter la justice pénale des mineurs, en conciliant l'efficacité de la répression et la primauté des mesures éducatives, selon les principes posés lors de l'élaboration de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.

Sur toutes ces thématiques, votre commission des lois s'est engagée depuis le début de cette législature, comme le montrent les nombreux rapports d'information qu'elle a adoptés, les derniers en date étant ceux de M. Zumkeller, de M. Gosselin, de Mme Pau-Langevin et de M. Blanc. Je tiens à souligner la qualité de vos travaux, qui ont enrichi la réflexion du Gouvernement lors de la rédaction de ce projet de loi. Je remercie également le rapporteur, Sébastien Huyghe, pour son engagement sur ce texte, ainsi que le président de la commission des lois, M. Warsmann.

Le travail conduit au Sénat a permis d'enrichir le texte initial pour définir un dispositif plus précis et globalement équilibré. La commission des lois l'a encore amélioré, tout en posant un diagnostic similaire à celui du Gouvernement sur la pertinence du dispositif des citoyens assesseurs, la nécessité de lutter contre la correctionnalisation et d'adapter notre procédure pénale pour les mineurs. Je vous proposerai toutefois de revenir sur certaines des modifications qui me semblent menacer l'équilibre même de notre procédure pénale ou présenter un risque fort d'inconstitutionnalité.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je rappellerai que ce texte ne constitue pas un acte de défiance à l'égard des magistrats, comme j'ai pu l'entendre.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

En général, je dis la vérité, et je vous remercie, monsieur Urvoas, de le souligner.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Comme je ne cesse de le dire depuis que je suis ministre de la justice, les magistrats font consciencieusement leur travail.

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Ce n'est pas à nous qu'il faut le dire !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Mais vous êtes là pour entendre ce que nous avons à dire aux Français !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Ciotti partage mon sentiment !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Les magistrats remplissent leur office, comme la loi le leur demande. Cette réforme permettra aux citoyens de mieux mesurer la difficulté de l'acte de juger et l'engagement des magistrats dans l'application de la loi.

Le premier grand volet du texte vise à faire participer les citoyens au fonctionnement de la justice pénale, conformément à l'engagement pris par le Président de la République dans son programme de campagne de 2007. Ce sera là un acte civique fort, un engagement au service de la collectivité.

Les citoyens assesseurs seront ainsi associés, dès la première instance, au jugement des délits les plus graves et au suivi de l'application des peines.

Désormais, les citoyens interviendront à tous les stades de la procédure au fond, qu'il s'agisse des délits ou des crimes, en première instance ou en appel, lors du jugement ou au stade de l'application des peines.

Comme le souhaitait le Gouvernement, les citoyens participeront au jugement des délits les plus graves portant atteinte à la sécurité et à la tranquillité des personnes.

Le Sénat a élargi le périmètre initial. Vous avez souhaité, monsieur le rapporteur, exclure de ce champ les atteintes à l'environnement, que le Sénat avait intégrées au texte. La participation des citoyens serait donc recentrée sur le jugement des seules atteintes aux personnes.

En revanche, n'entreront pas dans le champ de compétence les affaires relevant du juge unique ou les affaires qui, en raison de leur complexité et de leur technicité, comme le terrorisme ou la délinquance organisée, sont confiées à des juridictions spécialisées.

Pour le suivi de l'application des peines, les citoyens assesseurs siégeront aux côtés des magistrats du tribunal d'application des peines et des chambres d'application des peines en matière de libération conditionnelle ou de relèvement de la période de sûreté, dès lors que la peine est supérieure à cinq ans d'emprisonnement. Ils participeront donc aux décisions qui modifient ou aménagent des peines qui, à 80 %, ont été prononcées aux assises.

Les formations de jugement seront composées de trois magistrats et deux citoyens assesseurs, conformément aux exigences posées par le Conseil constitutionnel qui impose une majorité de magistrats professionnels. Toutefois, il s'agira d'une formation collégiale où citoyens assesseurs et magistrats auront le même poids lors du délibéré.

S'agissant de la désignation des citoyens assesseurs, nous avons fait le choix de nous inspirer du système de tirage au sort en vigueur pour les cours d'assises. Ces citoyens assesseurs ne seront pas des jurés, ils ne pourront donc pas être récusés. Nous avons considéré qu'il était nécessaire d'avoir des garanties renforcées quant à leur honorabilité et à leur probité. Je me félicite donc que vous ayez rétabli ces conditions, monsieur le rapporteur, et que vous ayez précisé que les personnes qui ont été condamnées ne peuvent être citoyens assesseurs.

En outre, les citoyens retenus ne pourront se soustraire à leur devoir civique sous peine d'amende. Mais leur participation sera de courte durée – votre commission l'a fixée à 10 jours dans l'année – et elle sera naturellement indemnisée.

J'entends bien les interrogations pratiques sur l'impact de la réforme, en particulier sur le fonctionnement des tribunaux correctionnels. C'est pourquoi, conformément aux engagements que j'ai pris, cette réforme sera accompagnée de moyens nouveaux. 263 postes supplémentaires de magistrats et greffiers permettront de mettre en oeuvre la réforme dans les meilleures conditions d'organisation. Sa mise en oeuvre progressive de janvier 2012 à janvier 2014 nous permettra aussi des ajustements en termes de moyens et d'organisation.

Environ 40 000 affaires relèveront de ces nouvelles formations correctionnelles, sur un total de 580 000 affaires correctionnelles jugées chaque année.

Le deuxième grand volet du projet s'attache à limiter la correctionnalisation des crimes, dont nous estimons tous qu'elle pose de réelles difficultés. Sans que les chiffres soient complètement exacts, on peut évaluer à 70 %, voire plus, les crimes qui ne sont pas jugés comme tels. C'est pour lutter contre ce phénomène que nous avons inscrit dans le projet de loi une réforme des assises.

Alors que le Parlement a décidé que certains faits constituaient des crimes, on observe dans la réalité qu'ils sont très largement jugés comme des délits. Une réflexion d'ensemble sur l'échelle des peines pourrait être envisagée. En attendant, il est de notre responsabilité de faire juger les infractions selon les qualifications et les régimes qui ont été définis par le législateur.

Cela est d'autant plus nécessaire que la situation actuelle conduit à une rupture d'égalité, car les faits criminels ne sont pas correctionnalisés sur l'ensemble du territoire. Certains faits sont jugés comme des crimes dans certains départements, et comme des délits dans d'autres.

Le Gouvernement avait proposé la solution d'une cour d'assises simplifiée qui n'a pas été retenue par le Sénat. La voie choisie par ce dernier consistait à réduire le nombre de jurés aux assises de neuf à six en première instance et de douze à neuf en appel. D'après nos estimations, cette solution permettait une augmentation conséquente du nombre d'affaires jugées chaque année.

Votre rapporteur est revenu sur le choix du Sénat pour proposer de constituer des cours d'assises spéciales, optionnelles, pour les crimes passibles de quinze à vingt ans de prison, hors les cas de récidive ou d'opposition de l'accusé ou du parquet. Elles seraient composées de trois magistrats professionnels et trois jurés.

Ce dispositif, en prévoyant des formations avec trois jurés, permettrait de dégager du temps d'audience et de réduire la détention après renvoi. Bien évidemment, le Gouvernement partage cet objectif du rapporteur.

Mais je crains pourtant, comme je l'ai indiqué en commission, qu'il ne présente un risque constitutionnel fort. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Ce n'est d'ailleurs pas le seul point d'inconstitutionnalité du texte !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Par ailleurs, votre commission des lois a adopté, contre l'avis du Gouvernement et de votre rapporteur, un amendement qui vise à permettre l'appel des victimes à l'encontre des décisions d'acquittement prononcées par les cours d'assises en l'absence d'appel du ministère public.

Quelle que soit la considération que je porte à la place des victimes et le prix que j'attache à ce que l'institution judiciaire la prenne davantage en considération, cette proposition ne peut recueillir mon adhésion. Ne nous y trompons pas, la victime dispose de droits. Elle doit être mieux informée, probablement mieux associée à la procédure pénale, mais je ne pense pas que l'on puisse lui permettre de faire appel lorsqu'une décision d'acquittement a été prononcée et que le parquet renonce lui-même à l'appel.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Je rappelle que, depuis 2002, pas moins de vingt et un textes ont amélioré les droits des victimes, le dernier en date étant la loi réformant la garde à vue. De nouveaux droits ont été ouverts aux victimes : ainsi, depuis la loi « Perben 2 » de mars 2004, l'appel des parties civiles contre la correctionnalisation des affaires est possible en application de l'article 186-3 du code de procédure pénale ; les décisions du parquet sur l'action publique doivent être portées à la connaissance des victimes ; les classements sans suite doivent leur être notifiés en précisant les motifs de droit ou d'opportunité ; et la victime peut former un recours devant le procureur général.

Ce nouvel article 1er quater pose un certain nombre de problèmes de principe ainsi que de problèmes pratiques.

S'agissant des principes, il est depuis longtemps établi dans notre système juridique que la victime peut enclencher l'action publique mais non l'exercer. Je crois que c'est un bon partage des rôles sur lequel il ne convient pas de revenir car, dans notre pays, le parquet agit et requiert au nom de l'État et de la société.

La victime possède un droit imprescriptible, celui de voir examinés les faits dont elle a été victime par une juridiction. C'est pourquoi le législateur a mis en place des systèmes qui permettent à la victime d'enclencher l'action publique : la citation directe ou l'appel sur une ordonnance de non-lieu, par exemple. La victime a certes besoin d'information et de considération, mais si nous devions aller plus loin, il est probable qu'il faudrait un changement profond dans notre droit, et prendre une telle mesure en laissant les choses en l'état serait donner un faux espoir aux victimes.

Dans tous les cas, je souhaite que cette position fasse l'objet de réflexions plus poussées et que, sur le présent texte, nous en restions à la position du rapporteur et du Gouvernement.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Prolongement naturel de ces deux volets sur le prononcé de la sanction en matière correctionnelle comme en matière criminelle, le projet de loi a fait l'objet de plusieurs améliorations relatives à l'exécution des peines et au suivi des condamnés dangereux.

Je voudrais dire quelques mots d'un point extrêmement important, la justice des mineurs,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Il faudra plus que quelques mots pour nous convaincre !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

…sur laquelle j'ai entendu de nombreuses contrevérités.

Notre droit en la matière repose sur des textes fondateurs qui n'ont pas seulement créé des procédures mais ont été reçus comme posant des principes constitutionnels : la loi de 1912 et l'ordonnance de 1945 signée du général de Gaulle ainsi que de François de Menthon, dont je veux ici rappeler le rôle.

Ces deux textes, déjà anciens, ont fait l'objet de nombreuses modifications. Celle-ci doit être la trente-troisième.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Ces modifications n'ont pas eu pour conséquence d'atténuer la valeur constitutionnelle des principes contenus dans ces textes. C'est ce qu'a rappelé le Conseil constitutionnel en 2002 et 2011.

Quels sont ces principes constitutionnels ? Tout d'abord, la minorité constitue une excuse légale qui atténue la responsabilité du mineur. Le texte qui vous est soumis ne prévoit pas de modifier les conditions de majorité ; nous restons dans le cadre tel qu'il est aujourd'hui. Naturellement, cette excuse de minorité n'a pas la même portée selon que le mineur a dix ans ou dix-sept ans et demi.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Elle s'apprécie in concreto, dans chaque hypothèse. C'est ce que rappelle la jurisprudence constante des tribunaux, et vous le savez parfaitement, monsieur le député.

Le deuxième principe que l'on peut tirer de ces textes, c'est que les juridictions qui connaissent de cas de mineurs délinquants doivent être « spécialement composées », pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel, ce qui signifie qu'ils doivent comporter au moins un magistrat spécialisé dans la délinquance des mineurs, c'est-à-dire un juge des enfants.

Il y a une condition alternative : il faut ou bien une juridiction spécialement constituée ou bien une procédure spécialement conçue pour les enfants. Le texte qui vous est proposé prévoit à la fois, dans le tribunal correctionnel pour mineurs, un tribunal spécialement composé, où siégera un magistrat pour enfants, et une procédure qui sera celle du tribunal pour enfants.

Un troisième principe constitutionnel dégagé par le Conseil constitutionnel dans les deux décisions que j'ai indiquées, c'est que, s'agissant d'un mineur, la formation ou la rééducation doit être première et la sanction n'intervenir qu'ensuite. C'est ce que nous prévoyons expressément.

Ainsi, le texte qui vous est soumis respecte pleinement les principes constitutionnels de la justice pénale des mineurs.

C'est dans ce cadre que s'inscrit notre action lorsque nous augmentons le nombre de places dans les centres éducatifs fermés. Deux mots sur ce point : ce gouvernement et le précédent ont oeuvré pour que le mineur n'aille en prison qu'à titre exceptionnel. Dans les quartiers pour mineurs des prisons, il y a aujourd'hui moins de monde qu'il y a dix ans.

Pour parvenir à ce résultat, nous avons créé deux types d'établissements. Dans les établissements pour mineurs, tout d'abord, cohabitent l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse ; éducation et sanction se conjuguent donc. Ces établissements, de création récente, connaissent actuellement des difficultés, il ne faut pas se le cacher. Il convient de leur trouver une culture propre afin que puissent travailler en se respectant des agents dont les cultures sont très différentes. Ce n'est pas parce que nous sommes confrontés à ces difficultés qu'il faut abandonner. Si nous abandonnions, ces jeunes mineurs iraient en prison. À côté de ces établissements, les centres éducatifs fermés font chaque jour leurs preuves.

Il convient d'ajouter un autre point s'agissant de la justice des mineurs. Actuellement, lorsqu'un mineur commet une infraction, il faut compter environ dix-huit mois entre le moment où les faits sont commis et la sanction. Cela fait beaucoup, et le mineur a parfois de la peine à rattacher la sanction aux faits. C'est pourquoi une procédure de convocation directe devant le tribunal pour enfants, par un officier de police judiciaire, est prévue, tout en étant strictement encadrée, conformément aux exigences posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 mars dernier.

Telles sont, mesdames et messieurs les députés, les dispositions essentielles de ce texte, qui nous permet d'aller plus loin dans le sens d'une justice plus proche, plus accessible, plus réactive, dans le respect des droits et principes qui font la qualité de notre modèle judiciaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Sébastien Huyghe, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui, après son adoption par le Sénat le 19 mai dernier et par la commission des lois de notre assemblée le 15 juin, est un texte qui marquera une évolution très positive pour notre justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Il fait participer les citoyens au fonctionnement de la justice, beaucoup plus largement qu'aujourd'hui, en matière de jugement des délits et d'exécution des peines.

À travers un allégement du fonctionnement de la cour d'assises, il apporte une réponse à l'engorgement des cours d'assises, cause, pour une large part, du phénomène de correctionnalisation.

Il renforce la sécurité de nos concitoyens en rendant plus progressive la libération des criminels dangereux condamnés aux peines les plus lourdes et en améliorant l'exécution des peines.

Il accélère la réponse à la délinquance des mineurs, favorise la qualité de la prise de décision, grâce à l'amélioration de la connaissance de la personnalité du mineur, et diversifie les réponses à la disposition des magistrats, notamment par l'extension de la possibilité de placer un mineur en centre éducatif fermé.

Enfin, il a été complété en commission des lois par des dispositions visant à améliorer les droits des victimes, dont l'une, le droit de la partie civile d'interjeter appel d'une décision d'acquittement, soulève de très sérieuses questions sur la fonction même du procès pénal. J'y reviendrai plus longuement tout à l'heure.

Ce texte concrétisera deux engagements de campagne du Président de la République. Celui-ci souhaitait en effet que les citoyens participent au jugement des affaires délictuelles les plus graves et que le droit pénal des mineurs soit réformé pour faire face aux nouvelles formes de ce type de délinquance.

Ce texte n'a pas pour vocation de régler tous les problèmes que connaît la justice de notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vidalies

C'est un truisme ! On s'en était rendu compte !

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Il veut permettre de réconcilier nos concitoyens avec leur justice, cette justice qui est rendue en leur nom.

Les citoyens assesseurs n'ont pas vocation à se transformer en magistrats ni à se substituer à ceux-ci, car, dans ce cas, nous aurions prévu l'instauration de deux magistrats professionnels supplémentaires. Ils ont pour vocation d'apporter un regard citoyen sur la justice, avec tout ce que cela suppose de fraîcheur, de candeur, parfois de naïveté, bref un regard extérieur pour poser des questions que parfois, avec la routine, on oublie de se poser.

Par ailleurs, une fois leur mission achevée, les quelque 9 000 citoyens assesseurs par an en rythme de croisière diffuseront dans la société, en parlant à leurs amis, à leurs proches, à leur famille, la manière dont la justice est rendue dans notre pays. Ils seront les meilleurs ambassadeurs pour dire à nos concitoyens qu'au vu de leur expérience la justice est rendue dans notre pays avec sérieux, avec un sens de l'équilibre, après avoir entendu les parties et vérifié les pièces du dossier. Ils seront les meilleurs défenseurs des magistrats professionnels qu'ils auront vu fonctionner de près et avec lesquels ils auront pu travailler. Bref, ils diffuseront dans notre société une image positive de notre justice.

Certains ont voulu instrumentaliser ce texte pour en faire le symbole d'une défiance vis-à-vis de nos magistrats professionnels.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Je m'inscris en faux contre ce genre de procédé. Ce texte est tout le contraire : en associant les citoyens à l'oeuvre de justice, il constitue un formidable outil de promotion de l'institution judiciaire.

Il balaiera cette impression fausse qu'ont certains de nos concitoyens que la justice est rendue par un petit groupe de personnes qui fonctionne en vase clos, une caste en quelque sorte, dont ils ignorent les ressorts et les modes de fonctionnement.

En ce qui concerne la réforme de la justice des mineurs, que n'ai-je entendu comme absurdité ou contre-vérité : nous voudrions mettre à mal par ce texte les principes fondamentaux qui ont présidé à l'élaboration de l'ordonnance de 1945 ; certains, avec un sens aigu de la nuance, sont allés jusqu'à dénoncer un assassinat de la justice des mineurs, alors que ce texte ne fait que répondre à une constatation que chacun peut faire dans notre pays : la délinquance des mineurs évolue, les chiffres sont là pour le démontrer. La réponse vis-à-vis de cette nouvelle forme de délinquance doit donc, elle aussi, s'adapter.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Ce texte met à la disposition des magistrats de notre pays un éventail de mesures éducatives et judiciaires des plus larges afin de leur permettre d'apporter la réponse la plus adaptée à la fois à la situation et à la personnalité du mineur qu'ils ont en face d'eux. Cela va dans le sens de favoriser l'application de l'un des principes fondamentaux de notre système judiciaire français : celui de l'individualisation de la peine. Faites donc confiance aux magistrats pour trouver la réponse la plus adaptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Ils pourront le faire d'autant mieux que nous mettons à leur disposition un outil sans précédent pour leur permettre de mieux connaître le mineur : le dossier unique de personnalité.

Par ailleurs, avec le tribunal correctionnel pour mineur, le texte qui nous est soumis crée une juridiction adaptée aux mineurs récidivistes âgés de seize à dix-huit ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

La procédure, la composition et le quantum des peines aménagées conservent à cette juridiction le caractère spécialisé de la justice pour mineurs, mais elle constituera un sas efficace entre le tribunal pour enfants que nous connaissons aujourd'hui et le monde de la justice des majeurs. En effet, comment un jeune peut-il comprendre qu'un délit commis quelques semaines avant sa majorité sera traité de la même manière que celui commis par un enfant de treize ans, et que le même délit commis quelques jours après ses dix-huit ans le fera tomber dans le monde complexe et difficile de la justice des adultes ? (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Enfin, je tiens à vous rappeler, mes chers collègues, que cette juridiction devrait connaître de l'ordre de 600 dossiers par an, à mettre en rapport avec les 30 000 décisions rendues chaque année en matière de mineurs. Cela signifie qu'on est bien loin du démantèlement annoncé par certains de la justice des mineurs telle que nous la connaissons aujourd'hui, mais bien dans l'adaptation de notre justice à un type de délinquance qu'il est de notre devoir de tout faire pour enrayer.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Je me demande d'où vient la provocation, monsieur Roman. Cela vous gêne parce que je vous dis la vérité. (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Chers collègues, je vous rappelle qu'il y a deux motions de procédure et beaucoup de temps de parole prévu pour ceux qui souhaitent s'exprimer. Il serait donc souhaitable, afin que les débats se déroulent normalement, que M. le rapporteur puisse continuer son intervention.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Non, monsieur Urvoas, jamais ; et c'est mieux ainsi, ne serait-ce que pour la clarté des débats. L'opposition aura tout à l'heure tout loisir d'exprimer son point de vue sur le sujet, ce qui est parfaitement légitime et justifié, mais, pour le moment, seul M. le rapporteur a la parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Après cette introduction, je ne présenterai pas dans le détail l'ensemble des dispositions du projet de loi – M. le ministre l'a déjà excellemment fait –, je me concentrerai sur chacun des cinq volets que comprend le projet après son adoption par notre commission des lois, sur la présentation des principales difficultés qu'il pose et sur les solutions que nous y avons apportées.

Premier volet : la participation des citoyens à la justice correctionnelle et à l'application des peines. L'objectif de la réforme est de rapprocher les Français de leur justice en les associant à l'oeuvre de justice. Ainsi, ils siégeront demain dans des juridictions correctionnelles, y compris au tribunal de l'application des peines et au tribunal correctionnel pour mineurs, à côté des magistrats professionnels, en qualité de citoyens assesseurs. En dépit des améliorations apportées par le Sénat sur ce premier volet, certaines incertitudes devaient être levées.

En premier lieu, la procédure de désignation des citoyens assesseurs, si elle s'inspire très largement de la procédure de désignation des jurés, ne saurait se confondre avec elle. En effet, les citoyens assesseurs seront deux à siéger dans chaque affaire : une éventuelle inaptitude ne pourra pas faire l'objet des correctifs que l'effet du nombre peut apporter dans le cadre du jury d'assises.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Dufau

Si aucun assesseur n'est prévu, il n'y a aucun risque !

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Or le droit à un procès juste et équitable, exigence conventionnelle et constitutionnelle, suppose une impartialité objective et une probité incontestable des membres de la juridiction. C'est la raison pour laquelle la commission des lois a ouvert la possibilité à la commission départementale d'exclure de la liste annuelle des citoyens assesseurs les personnes tirées au sort dont certains éléments font apparaître des raisons de contester leur impartialité, leur honorabilité ou leur probité.

En deuxième lieu, le texte qu'avait adopté le Sénat prévoyait que le citoyen assesseur serait appelé à siéger huit jours dans l'année. Cette durée m'a semblé trop courte pour qu'il puisse se sentir pleinement associé aux affaires qu'il aura à connaître. C'est pourquoi cette durée a été portée à dix jours. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

En troisième lieu, le Sénat avait supprimé la contravention de cinquième classe – 1 500 euros d'amende –, qui sanctionnait initialement le fait pour toute personne tirée au sort de refuser de se prêter aux opérations permettant d'être désigné citoyen assesseur ou de refuser de se présenter à l'audience. Or l'exercice des fonctions de citoyen assesseur constitue un devoir civique au même titre que l'exercice des fonctions de juré. C'est pourquoi notre commission a prévu dans de tels cas, comme cela est aujourd'hui prévu pour les jurés, une peine d'amende délictuelle de 3 750 euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

En quatrième lieu, il était indispensable de rétablir la disposition introduite, puis supprimée, par le Sénat, exigeant une absence complète de condamnation pour crime ou délit au casier judiciaire. Notre texte exclut, fort justement, que toute personne dont le casier comporte mention d'une condamnation délictuelle ou criminelle, quelle que soit la durée de la peine prononcée, puisse exercer les fonctions de juré ou de citoyen assesseur.

En cinquième et dernier lieu, l'extension opérée par le Sénat du champ de compétence du « tribunal correctionnel dans sa formation citoyenne » – appellation que notre commission a préférée à celle de « tribunal correctionnel citoyen », qui pouvait laisser penser que le projet de loi créait une nouvelle juridiction distincte du tribunal correctionnel – aurait risqué de compromettre la pérennité de la réforme. C'est pourquoi notre commission a exclu de son champ de compétences les infractions les plus complexes et qui peuvent nécessiter, à ce titre, des semaines, voire des mois d'audiences, à savoir celles prévues par le code de l'environnement.

Deuxième volet : le fonctionnement de la justice criminelle. L'introduction de la motivation des décisions d'assises et les divers allégements à la procédure criminelle – suppression du régime des sessions trimestrielles, suppression de la lecture exhaustive de la décision de renvoi – méritent d'être salués.

Cependant, le texte voté par le Sénat à l'article 8, qui, dans le projet de loi initial, visait à lutter contre le phénomène de correctionnalisation de certains crimes par la création d'une cour d'assises simplifiée, ne m'a pas paru aller assez loin pour atteindre l'objectif du Gouvernement : la seule réduction du nombre de jurés à six en première instance et à neuf en appel n'aurait pas été une mesure suffisante pour assurer un gain en fluidité et en temps d'audiencement permettant réellement de mettre fin à l'évitement de la cour d'assises par la qualification de certains crimes en délit. C'est la raison pour laquelle notre commission a adopté un amendement qui, tout en conservant la réduction du nombre de jurés, prévoit la création d'une formation simplifiée de la cour d'assises, composée de trois magistrats professionnels et de trois jurés, qui sera compétente pour les crimes punis de quinze ans ou vingt ans de réclusion criminelle, sous réserve que l'accusé ou le ministère public ne demandent pas le renvoi devant la cour d'assises composée de six jurés. Le temps maximal de la détention provisoire entre le renvoi devant la cour d'assises et le début du procès sera réduit de moitié – comme le prévoyait le projet de loi initial –, ce qui améliorera le droit à être jugé dans un délai raisonnable. Une telle solution constitue un équilibre satisfaisant entre le maintien d'une représentation du peuple dans la cour d'assises au moins égale à celle des magistrats – à la différence du texte initial du Gouvernement, où les citoyens devenaient minoritaires – et la nécessité d'alléger significativement le fonctionnement de la cour d'assises pour enrayer véritablement le phénomène de correctionnalisation. Le Gouvernement a exprimé, lors de l'examen en commission, des réserves sur l'opportunité, voire sur la constitutionnalité de cette modification,…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Oui, monsieur le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Troisième volet : l'amélioration de l'exécution des peines. Le Sénat a adopté trois nouveaux articles, 9 bis à 9 quater, visant à améliorer l'exécution des peines. Les modifications apportées par ces articles sont très pertinentes et contribueront à une meilleure exécution des décisions de justice pénale, amélioration à laquelle l'ensemble de nos concitoyens et chacun d'entre nous est éminemment attaché.

Parmi ces dispositions, l'article 9 bis soulevait toutefois une difficulté quant à son application pratique. Il prévoyait en effet que tous les condamnés à une peine supérieure ou égale à dix ans d'emprisonnement et pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru ne pouvaient bénéficier d'une libération conditionnelle qu'après une évaluation de leur dangerosité et après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté. Si le développement des évaluations pluridisciplinaires préalablement à une libération conditionnelle est évidemment souhaitable et nécessaire, son extension au niveau de peine retenu par le Sénat aurait risqué d'entraîner un engorgement des structures actuelles et à venir : alors que le Centre national d'évaluation de Fresnes a évalué environ cinquante détenus par an préalablement à l'octroi d'une libération conditionnelle au cours des trois dernières années, le texte adopté par le Sénat aurait soumis à l'obligation d'une évaluation par le CNE 1 200 détenus effectuant une demande de libération conditionnelle ! Certes, l'ouverture d'un deuxième CNE est prévue pour la fin de l'année 2011 à Réau, mais cela n'aurait pas été suffisant pour absorber ce surcroît d'évaluations à réaliser si nous souhaitons que ces évaluations demeurent réelles et sérieuses. C'est pourquoi notre commission a limité le caractère obligatoire de ces évaluations avant l'octroi d'une libération conditionnelle aux personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité ou à une peine supérieure ou égale à quinze ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, ainsi qu'à celles condamnées à une peine d'une durée supérieure à dix ans pour une infraction pour laquelle le placement en rétention de sûreté serait possible. Je précise que ce relèvement du seuil de l'évaluation obligatoire par rapport au texte du Sénat n'exclut pas la possibilité pour l'autorité judiciaire d'ordonner une telle évaluation, qui sera toujours possible, même pour des condamnés à des peines inférieures ; l'article 712-16-1 du code de procédure pénale le prévoit sans ambiguïté.

Quatrième volet : la justice des mineurs. Notre commission a adopté deux modifications principales au texte adopté par le Sénat – lequel va, je le répète, dans le bon sens.

Il s'agit tout d'abord de l'article 14, qui crée le dossier unique de personnalité. Cet article prévoit que ce dossier comprendra non seulement les informations issues de procédures pénales concernant le mineur, mais aussi des informations issues de procédures d'assistance éducative. Mais ces informations sont susceptibles de contenir des secrets de famille dont la révélation à des tiers – y compris la partie civile – pourrait porter atteinte au droit au respect de la vie privée de la famille du mineur poursuivi. C'est pour mieux protéger ces secrets de famille que notre commission a adopté des amendements permettant de trouver un meilleur équilibre entre la recherche de la meilleure connaissance de la personnalité du mineur et la protection de la vie privée.

En second lieu, le texte adopté par le Sénat a prévu, pour le recours aux procédures dites « rapides » que sont la présentation immédiate – procédure déjà existante – et la nouvelle convocation par officier de police judiciaire – la COPJ – devant le tribunal pour enfants, de nouvelles conditions de connaissance de la personnalité du mineur. Mais le texte adopté par le Sénat exigeait systématiquement une enquête de personnalité complète sur le mineur, ordonnée par le juge des enfants, et excluait toute prise en compte du recueil de renseignements socio-éducatifs – le RRSE –, une enquête sociale rapide, mais néanmoins précise, établie par les éducateurs de la PJJ lors du défèrement d'un mineur au tribunal. Notre commission a quelque peu assoupli le dispositif en permettant qu'une procédure rapide soit engagée lorsque seul un RRSE est disponible et quand c'est en raison de l'absence du mineur aux mesures d'investigations ordonnées par le juge que lesdites investigations n'ont pu être réalisées.

Cinquième et dernier volet : les droits des victimes.

Notre commission a adopté plusieurs nouveaux articles relatifs aux droits des victimes. Certaines de ces modifications sont tout à fait opportunes et méritent d'être pleinement approuvées : ainsi des nouveaux articles 9 quinquies et 9 sexies, issus d'amendements de M. Marc Le Fur, qui améliorent le droit de la victime ou de la partie civile à l'information préalablement à la fin de l'incarcération du condamné et à la fin d'un sursis avec mise à l'épreuve lorsque celui-ci comprenait l'interdiction pour le condamné de rencontrer la victime.

En revanche, le nouvel article 1er quater, également adopté à l'initiative de M. Le Fur, mais contre mon avis de rapporteur et l'avis du Gouvernement, ne me paraît pas pouvoir être approuvé. Cet article reconnaît à la partie civile le droit d'interjeter appel ou de se pourvoir en cassation contre les décisions d'acquittement rendues en matière criminelle – droit qui n'existe pas aujourd'hui, la partie civile ne pouvant interjeter appel que de ses intérêts civils.

Deux raisons me conduiront à vous demander de ne pas voter cet article.

Premièrement, une telle disposition ne me paraît pas avoir sa place dans un projet de loi relatif à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs, dont l'objet premier n'est pas de redéfinir les prérogatives respectives des différentes parties à l'instance pénale. Le risque que cette disposition fasse l'objet d'une censure en raison de l'absence de lien avec le texte en discussion ne saurait être négligé.

Secondement, il me paraît nécessaire d'attirer fortement l'attention sur les implications que l'introduction d'un droit d'appel de la partie civile contre une décision d'acquittement aurait sur la nature même de notre procédure pénale.

Avec une telle disposition, le risque que la partie civile ne devienne un second accusateur, placé quasiment sur le même plan que le ministère public, serait réel. Cela ne reviendrait-il pas alors à faire de la procédure pénale l'instrument d'une justice privée, dont le développement des règles de vie en société nous a progressivement éloignés ?

Plusieurs députés du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Très bien ! Nous sommes d'accord !

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Nous allons le marquer d'une pierre blanche !

Par ailleurs, le risque de donner à la victime de faux espoirs, en lui permettant de faire appel contre l'avis du ministère public, n'est pas mince.

Enfin, la motivation des jugements criminels, avancée qui est prévue à l'article 7 du projet de loi, permettra désormais aux victimes et aux parties civiles de comprendre les raisons qui ont mené à la condamnation ou à l'acquittement de leur agresseur. Elles seront ainsi mieux en mesure d'accepter la décision du parquet général de faire ou non appel de la décision.

Nous reviendrons naturellement sur ce point au cours de la discussion des articles, mais il me paraissait indispensable de l'évoquer dès le début de nos débats.

Voilà, mes chers collègues, les principaux points que je souhaitais aborder sur ce projet de loi, que je vous demanderai tout naturellement d'adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche une motion de rejet préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 5, du règlement.

La parole est à M. Dominique Raimbourg.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Vous avez raison, monsieur le rapporteur, ce n'est pas bon d'être contre tout.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Aussi, à chaque fois que j'ai à défendre une motion, j'essaie de faire l'effort de comprendre la logique du texte qui m'est opposé.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

J'ai fait cet effort ; il est vain. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Dans ce dossier-là, l'effort est vain.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

J'ai persévéré ! Devant la commission, j'ai exprimé le regret d'avoir à être un peu désagréable et je vais devoir faire de même à cette tribune.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Je ne forcerai pas mon caractère, mais ce texte ne présente aucune qualité. Pourtant, personne ne peut être contre son but affiché : rapprocher la justice des citoyens. Tout le monde est pour une justice proche des citoyens et comprise par eux. Ensuite, il s'agit de s'en donner les moyens, ce que ne fait pas ce texte.

D'abord, un non-dit, un inconscient, un métalangage – qui n'est sans doute pas le vôtre, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur – transparaît dans ce texte : méfions-nous des magistrats et accolons-leur des vrais gens qui vivent dans la vraie vie ! Ils auront la naïveté, la candeur, la fraîcheur de ceux qui sont confrontés pour la première fois au monde judiciaire, dites-vous, monsieur le rapporteur.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est vrai !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Votre présentation est formidable, mais je crains que l'esprit du texte, insufflé de l'Élysée, soit bien différent. J'y décèle une attaque particulièrement néfaste et malvenue, à la limite du respect de la Constitution en matière d'indépendance de la magistrature. Les attaques réitérées auxquelles nous avons assisté au cours des cinq dernières années – elles ne viennent pas de vous, j'en conviens – s'apparentent à un non-respect de la Constitution.

Vous avez raison, monsieur le ministre, le Président de la République se trompe : les citoyens sont plus indulgents que les professionnels.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Chaque fois qu'on veut rendre la justice plus sévère, on enlève les jurés, les amateurs qui sont sensibles, qui font preuve de cette candeur, de cette fraîcheur et de cette naïveté dont vous avez parlé, monsieur le rapporteur, et qui sont accessibles à la souffrance et aux difficultés de l'autre.

À cause de ce non-dit que l'on ne peut écarter malgré tous vos efforts méritoires, je pense que ce texte n'est pas bon.

Deuxième raison : ce texte prévoyant l'adjonction de deux jurés pendant huit ou dix jours à un tribunal correctionnel va avoir des conséquences terribles. Lorsque les jurés siègent en cour d'assises, on prend la précaution de mettre en scène – et ce mot n'a aucune connotation péjorative dans ma bouche – le dossier : on fait venir à la barre des témoins, des enquêteurs, des experts qui détaillent leurs opérations et leurs expertises, qui expliquent ce qu'ils ont vu ; on refait l'enquête à leur intention.

Rien de tel dans un tribunal correctionnel où il faudra nécessairement trouver du temps pour donner des explications aux jurés. Un tribunal correctionnel ordinaire qui peut juger sept ou dix dossiers d'importance moyenne dans l'après-midi ne pourra plus en juger que la moitié ou le tiers. Il y aura donc un effet extraordinaire de ralentissement des dossiers.

À cela s'ajoute un effet lié au triage des dossiers, selon qu'ils seront destinés à être jugés par un tribunal correctionnel avec ou sans jurés.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Certes, mais l'audiencement est une opération compliquée. Rien ne dit que nous serons à l'abri d'un phénomène de « sous-correctionnalisation » : pour se simplifier la vie, on reverra devant le tribunal correctionnel sans jurés des dossiers qui auraient mérité une formation avec jurés. Sans vouloir noircir le tableau, rien n'interdit d'y penser.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Une telle réforme induirait aussi un gaspillage phénoménal des fonds publics. L'étude d'impact prévoit des investissements de l'ordre de 30 millions d'euros pour aménager les locaux et des coûts de fonctionnement d'une trentaine de millions d'euros par an ainsi détaillés : un million d'euros pour les postes de travail ; pratiquement 7,9 millions d'euros d'indemnités pour les jurés ; l'embauche de 155 magistrats et de 109 greffiers.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Vous ne pouvez être contre !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Une estimation rapide permet de penser que le recrutement de 155 magistrats coûtera environ 17 millions d'euros par an, soit 100 000 euros par poste…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Vous n'allez pas baisser les salaires !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

..et que les 109 greffiers coûteront environ 6 millions d'euros.

Ces 155 magistrats et ces 109 greffiers auraient pu renforcer efficacement les tribunaux pour enfants dont nous allons reparler et qui, effectivement, ont du mal à juger dans les délais prévus, qui tardent à rendre leurs décisions. Or l'on sait combien il est néfaste qu'un mineur qui a commis des faits délictueux ou même d'une moindre gravité attende pour être jugé.

Quant au volet sur la cour d'assises, il est très intéressant.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Il illustre la difficulté de ce texte. La cour d'assises souffre d'une difficulté ancienne, la correctionnalisation – nous sommes d'accord avec vous sur ce point.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est juste le contraire de vos propos précédents !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

En raison du recours à la correctionnalisation, entre 70 % et 80 % des crimes ne sont pas jugés par une cour d'assises, une juridiction criminelle. C'est en partie lié à la lenteur de la production et au fait que des jurés, qui n'ont jamais jugé de leur vie, ont besoin qu'on leur explique les dossiers. Il s'agit de leur faire comprendre qu'un rapport psychiatrique c'est compliqué, qu'un psychopathe n'est pas un psychotique, même si les mots se ressemblent, ce qu'est un rapport balistique et que tirer à balle brenek n'a pas tout à fait le même sens que tirer avec du petit plomb.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Jacob

Il faut faire attention avec les balles brenek, ça rebondit !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Exactement ! Vous me permettez de rebondir : effectivement, il faut du temps pour l'expliquer, et l'audience s'écoule. Merci de m'avoir aidé dans ma démonstration, cher collègue. Le volet sur la cour d'assises fait la démonstration de cette difficulté.

Nous sommes dans une situation invraisemblable : le projet gouvernemental est modifié par le Sénat ; quand il renvient devant l'Assemblée nationale, le rapporteur le modifie. Nous avons trois versions d'un texte qui va finalement diminuer le nombre de jurés sous prétexte de rapprocher la justice du citoyen.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Sous ce même prétexte, vous allez supprimer en partie les assesseurs, ceux qui siègent dans les tribunaux correctionnels qui jugent les mineurs de seize à dix-huit ans. Vous n'allez pas retenir les deux assesseurs qui siègent actuellement en chambre d'application des peines, l'un représentant les associations de victimes, l'autre les associations de réinsertion.

Sous prétexte d'introduire des jurés citoyens, vous refusez les citoyens, les volontaires qui se sont inscrits comme assesseurs et qui viennent, semaine après semaine, participer à l'oeuvre de justice et expliquer autour d'eux le fonctionnement de cette institution, ce qui est un objectif effectivement souhaitable visant à rapprocher les citoyens de la justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

En ce qui concerne la cour d'assises, à l'évidence la question n'est pas mûre. La cour d'assises a deux siècles d'ancienneté, ce n'est pas qu'un problème technique de correctionnalisation. Y toucher soulève une difficulté politique : il faut que ce soit accepté et compris par le pays.

Ce n'est pas au détour d'un texte sur les citoyens assesseurs que l'on peut régler la question d'une juridiction aussi ancienne et symbolique, quand bien même elle est affectée de défauts importants et quand bien même les propositions de réformes sont pour certaines techniquement acceptables – ce qui ne suffit pas. Cette question-là n'est pas politiquement mûre.

Le dernier volet de mes explications porte sur le jugement des mineurs. Premier de ses deux aspects principaux : la comparution la plus rapide possible du mineur devant son juge. Vous mettez en place un système copié sur la convocation par officier de police judiciaire, qui aboutit à faire comparaître le mineur devant un tribunal pour enfants, et qui donne l'impression qu'il s'agit toujours d'une procédure pour mineurs.

Or la spécificité de la justice des mineurs est de leur affecter un juge particulier. Votre volonté louable de raccourcir les délais conduit à faire comparaître le mineur devant un juge qui n'est pas le sien, son juge habituel. Vous touchez ainsi à la spécificité de cette juridiction.

Même si le changement peut sembler très léger en apparence, il entraîne des conséquences car un acte s'apprécie dans sa gravité, mais aussi dans un continuum. Un juge qui ne connaît pas le mineur et qui va le juger rapidement sera un peu désarmé face à des explications qui lui paraîtront neuves et crédibles, alors que le même mineur aura tenu cinquante fois le même discours à son précédent juge, sur le thème : cette fois-ci, c'est vraiment la dernière, je ne recommencerai pas.

C'est la fonction même de la justice des mineurs qui est atteinte par le fait qu'on ne confie pas le mineur au juge qui le suit habituellement. Chacun sait combien le lien entre les deux est important. Outre la question de la constitutionnalité, il me semble qu'il y a là une difficulté majeure.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

L'autre aspect du volet de la justice des mineurs est le renvoi de ceux-ci devant les tribunaux correctionnels spécialement constitués.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Je vais y venir, monsieur le rapporteur.

Le texte qui nous est soumis est en violation complète de ce que le Conseil constitutionnel demande en ce qui concerne la justice des mineurs, parce qu'il n'y a plus de juridiction spécifique.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Comment cela ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Quand bien même, cette juridiction est présidée par un juge des enfants, elle n'a plus la spécificité suffisante.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Les mineurs entre seize et dix-huit ans sont actuellement renvoyés devant la cour d'assises des mineurs, laquelle est composée d'un président, qui n'est pas un juge des enfants, et de deux assesseurs, qui sont des juges pour enfants. On prend donc la précaution de constituer cette cour avec une majorité de juges pour enfants.

Le tribunal correctionnel pour mineurs que vous prévoyez ne présente pas une spécificité suffisante. Il y a donc là une atteinte au principe constitutionnel de la spécificité.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Mais non !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Non seulement c'est contraire à la Constitution et aux principes, mais encore cela affecte l'efficacité de la juridiction elle-même. Il est important que le mineur soit toujours suivi par le même juge. Or, si on le renvoie devant une autre juridiction, même si elle est présidée par un juge des enfants, celui-ci ne sera sans doute pas, compte tenu de l'organisation des audiences, celui qui suit habituellement le mineur. On porte, de ce fait, atteinte à l'efficacité du texte proposé et à l'efficacité de la justice des mineurs.

J'ajoute que les difficultés d'audiencement seront exactement les mêmes que pour les majeurs.

Votre texte présente un aspect quelque peu dérisoire – excusez l'expression, je ne souhaite pas être désagréable – mais vous nous avez expliqué que la réforme avait pour but de juger 635 mineurs par an, correspondant au nombre de récidivistes qui auraient été justiciables d'un renvoi devant le tribunal correctionnel au cours de l'année 2009. Cela signifie que vous prévoyez de créer une chambre de tribunal correctionnel sans juré pour les mineurs de seize à dix-huit ans et une autre chambre de tribunal correctionnel avec juré, dans les 156 tribunaux pour enfants qui existent en France, pour juger 635 mineurs !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Votre réforme est lourde et peu efficace. De plus, elle coûte cher et ne nous garantit contre rien du tout. Ce grand désordre ne peut pas être accepté par notre assemblée.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Par ailleurs, votre texte manifeste une certaine désinvolture à l'égard du Parlement.

En effet, il est présenté en urgence, alors qu'il va faire l'objet d'une expérimentation dans deux cours d'appel et qu'il ne trouvera sa pleine application qu'en 2014.

L'expérimentation est sage, mais, s'il est prévu que le texte ne soit vraiment appliqué qu'en 2014, nous aurions dû pouvoir l'examiner selon une procédure ordinaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Le fait d'appliquer une procédure d'urgence pour l'examen d'un texte qui va faire l'objet d'une expérimentation – expérimentation avec laquelle nous sommes d'accord car c'est une bonne méthode –…

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

…laisse penser qu'il est porté atteinte aux droits du Parlement. Cette atteinte est d'ailleurs peut-être également justiciable du Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, votre texte dénote un certain mépris à l'égard de tous ceux qui travaillent régulièrement sur la question des mineurs et de leur place dans la société.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Ce mépris est général. Il touche aussi les parlementaires de la majorité, car il ne tient pas compte des rapports qui ont été rédigés sur le sujet, comme ceux de M. Schosteck ou de Mme Tabarot.

M. Bénisti, quant à lui, préconisait dans son rapport de créer un statut pénal pour les mineurs de dix-huit à vingt-cinq ans, ce qui va complètement à l'encontre de ce que vous proposez.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Dans son rapport, M. Zumkeller propose, pour remédier au peu de connaissance que nous avons du monde des mineurs, qu'on se dote de statistiques permettant de mieux appréhender la question.

Enfin, en 2004, M. Perben confie au juge des enfants la compétence en matière d'application des peines. En d'autres termes, il concentre entre les mains de celui-ci la totalité de la faculté de juger les mineurs : c'est-à-dire non seulement le jugement, mais, également l'instruction, en amont, et l'application des peines, en aval.

Or, curieusement, vous allez retirer une partie de cette faculté pour la confier à un tribunal correctionnel qui statuera en matière de mineurs récidivistes de seize à dix-huit ans.

Il faut certainement voir en cela une volonté d'afficher une certaine fermeté, afin de rassurer la fraction de l'électorat qui vous échappe, et échappe à de nombreux partis, et se dirige vers le parti d'extrême droite.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

C'est légitime et il est sain que les électeurs se dirigent vers des partis de gouvernement.

Cela étant, je crois que votre manoeuvre est vouée à l'échec car votre loi n'aura aucun effet : d'une part, elle n'est destinée qu'à traiter le cas de 635 mineurs, d'autre part, elle ne trouvera sa pleine application qu'en 2014.

Nous ne sommes pas opposés à tout changement. On pourrait définir des pistes de travail, comme repenser l'indépendance de la magistrature, revoir le statut du parquet, prévoir un rattrapage financier en matière de justice,…

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Des idées plus neuves vont suivre, cher collègue.

On pourrait, par exemple, prévoir la mise en place de véritables assesseurs – ce qu'on appelait, dans un langage peut-être un peu vieilli, des échevins –, et la participation des citoyens aux tribunaux au sein de sortes de conseils d'administration qui donneraient leur avis sur la façon dont les gens sont reçus et jugés. On éviterait peut-être ainsi les longues attentes auxquelles sont soumises les personnes qui viennent pour divorcer, alors que c'est particulièrement pénible, ou encore ceux qui, convoqués à quatorze heures, ne sont toujours pas passés à vingt heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Le fonctionnement de la justice pourrait, à mon sens, progresser.

L'amendement de M. Warsmann concernant la césure est identique à celui qui nous avions déposé : il tend à s'emparer de la césure qui permet de distinguer le prononcé de la culpabilité du prononcé de la peine et de profiter du délai qui s'écoule entre les deux pour mettre en place une épreuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

On pourrait encore envisager de donner des pouvoirs plus importants au juge statuant en audience de cabinet afin qu'il puisse à la fois juger plus vite et prononcer des sanctions, qui seraient visibles à l'extérieur.

Pour améliorer la visibilité à l'extérieur, qui fait défaut actuellement dans la justice des mineurs, on pourrait organiser une communication du magistrat coordonnateur, comme cela est prévu par un décret de 2007 : celui-ci viendrait expliquer à nos concitoyens comment fonctionne la justice des mineurs. Il pourrait également venir travailler régulièrement dans les instances participatives de la politique de la ville.

La justice des mineurs se heurte également à une autre difficulté : le suivi et l'exécution des peines des mineurs réitérants mettent, en effet, en difficulté à la fois l'institution et l'ensemble des acteurs à qui ils sont confrontés. Il faudrait prévoir une sorte de plateforme d'exécution des peines, associant à la fois la justice, la police et sans doute les élus locaux, de façon à suivre ces mineurs.

Voilà des pistes qui auraient permis de se tourner vers l'avenir. Malheureusement, votre projet s'en détourne résolument, en restant tourné vers le passé.

C'est pourquoi nous appelons à voter cette motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Dumont

La droite est abasourdie et convaincue par un tel raisonnement !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

M. Raimbourg a essayé de nous montrer que ce texte n'était pas le bon.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Nous avons entendu beaucoup de critiques. Le sens de la nuance qui caractérise d'habitude M. Raimbourg semble l'avoir quitté lorsqu'il est monté à la tribune, ce que je regrette un peu.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Vous êtes particulièrement en forme, monsieur Dufau. Je ne vous ai pas vu en fin de semaine dernière. Mais je suis heureux de vous voir aujourd'hui.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Oh, vous en êtes loin !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Si M. Raimbourg a émis beaucoup de critiques, il a fait peu de propositions et proféré quelques inexactitudes.

Tout d'abord, revient comme une ritournelle le fait que le texte serait une attaque contre les magistrats. Il faut vraiment cesser avec une telle allégation. Ce texte n'est en aucun cas une attaque contre les magistrats. C'est au contraire la reconnaissance du rôle difficile qu'ils ont à jouer et le souci de faire partager par un plus grand nombre de citoyens la difficulté qu'il y a à juger.

Lorsque, aujourd'hui, il y a à peu près 2 400 affaires jugées devant les cours d'assises, c'est-à-dire auxquelles participent les citoyens, il y en aura demain…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

…plus de 42 000, qui seront jugés dans des formations où il y aura des citoyens juges, qu'ils soient jurés ou assesseurs. Ce sera forcément mieux. On peut être contre, mais on ne peut nier cette évidence. Faire participer les citoyens à l'acte de justice est un acte civique qui devrait tous nous rassembler.

Très honnêtement, pour soutenir, comme vous l'avez fait, monsieur Raimbourg, que le tribunal correctionnel pour mineurs que nous prévoyons n'aura pas la spécificité suffisante pour répondre aux conditions posées par le juge constitutionnel,…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

…en vous appuyant, qui plus est, sur la composition de la cour d'assises pour mineurs, il faut un certain culot. Et vous l'avez eu. Je m'incline devant votre talent en la matière.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Je rappelle que la cour d'assises pour mineurs est présidée par le président de la cour d'assises, qu'il peut y avoir, sans que cela soit obligatoire – le texte précise « en fonction du possible » – deux assesseurs juges pour enfants et que les jurés sont ceux de la cour d'assises normales.

Entendre dire que cette cour d'assises présente plus de spécificités que n'en présentera le tribunal correctionnel pour mineurs tel que nous le prévoyons dépasse tout ce que j'ai entendu jusqu'à présent. Vous êtes allé un peu loin et votre critique tombe, parce que la cour d'assises pour mineurs n'a pas une très grande spécificité.

Cela montre justement le but de l'excuse légale de minorité, qui est de jouer à plein pour les mineurs les plus jeunes et pour les fautes les moins graves. Plus le mineur se rapproche de la majorité, et plus la faute se rapproche de la faute commise par des adultes, et moins l'excuse légale de minorité a d'autorité dans notre système pénal. C'est l'un des fondements de l'ordonnance de 1945.

Le texte qui vous est soumis est, je veux le rappeler, conforme à l'esprit de cette ordonnance et à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Telles sont deux raisons, parmi beaucoup d'autres, sur lesquelles j'aurai l'occasion de revenir dans le courant de la discussion, pour lesquelles je ne peux que demander à l'Assemblée nationale de rejeter cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Dans les explications de vote sur la notion de rejet préalable, la parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons évidemment voter la motion de renvoi…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Urvoas

…que Dominique Raimbourg vient de défendre avec le talent que chacun lui reconnaît dans cet hémicycle et la compétence dont il a déjà fait preuve et dont il ne manquera pas de faire preuve dans les jours qui viennent.

Non seulement votre texte, monsieur le ministre, est inutile, mais encore il est contre-productif. Il nous paraît même préoccupant pour la cohérence de notre système institutionnel.

Ce ne sont pas tant les modalités techniques ou juridiques qui posent problème que la philosophie générale à laquelle il est soumis. Deux idées sous-tendent la réforme. On imagine d'abord que le renforcement de la légitimité de la justice pénale passe nécessairement par l'intervention de citoyens assesseurs. Cette vue est erronée. Toutes les décisions de justice, dans tous les tribunaux, sont rendues « au nom du peuple français ». Dans ces conditions, pourquoi ne pas remettre en cause toutes les juridictions civiles et administratives, puisqu'il n'existe pas en leur sein de citoyens assesseurs ? Si la légitimité d'une institution se mesure à la part directe qu'y prennent les citoyens aléatoirement désignés, alors notre hémicycle n'est pas légitime, puisque les lois qui s'y votent ne doivent rien à des « parlementaires assesseurs ».

Si les juges professionnels ne sont plus assez légitimes, alors ce projet doit aller plus loin encore et envisager que des citoyens assesseurs siègent dans d'autres formations de l'ordre judiciaire, comme dans les pays anglo-saxons.

La seconde idée qui sous-tend votre texte, c'est la défiance à l'encontre des juges professionnels en tant que tels. Votre réforme repose sur le fait que leurs décisions ne seraient pas suffisamment sévères ou qu'elles seraient difficilement compréhensibles pour l'opinion publique. Le Président de la République, en tout cas, l'a déclaré à deux reprises : le 16 novembre 2010, puis en décembre 2010, à l'occasion de ses voeux. Or ce point de vue est également très contestable. Les statistiques du ministère de la justice ne permettent pas de confirmer ce mécontentement à l'égard de la justice pénale. La faiblesse du taux d'appel en matière correctionnelle le dément même. Seuls 4,5 % des peines prononcées émanent de cour d'appel. Selon les chiffres que vous avez publiés en février 2011, monsieur le garde des sceaux, dans le numéro 112 d'Infostat justice, une victime de délit sur deux estime que justice lui a été rendue.

On peut aussi faire un rappel historique : à l'origine, le législateur a considéré que les jurés populaires seraient garants d'une justice moins sévère et la loi du 5 mars 1932 les associa à la cour pour éviter que des sanctions trop graves ne soient infligées aux accusés.

Votre réforme risque d'altérer la cohérence de notre système institutionnel. Quand bien même certaines décisions correctionnelles seraient-elles critiquables, cela ne peut légalement justifier une intrusion des pouvoirs exécutif et législatif au sein de l'autorité judiciaire.

Votre réforme soulève évidemment une importante question de constitutionnalité, et nous saisirons d'ailleurs le Conseil constitutionnel à ce sujet. L'exécutif critique les décisions de justice des juges et envisage une loi pour modifier sur le fond le contenu de ces décisions. C'est une atteinte à la séparation des pouvoirs constitutive de ce que l'on pourrait qualifier, en droit public, de détournement des pouvoirs. En donnant l'impression qu'il est destiné à déposséder les juges professionnels de leur compétence naturelle à juger les affaires correctionnelles, le projet pourrait justifier le soupçon d'une atteinte à l'indépendance des juges. Il n'engage donc pas seulement une réforme de la procédure de jugement de quelques infractions pénales. Il touche à la philosophie même de notre système juridictionnel. Voilà pourquoi nous allons voter la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Dolez

Le groupe GDR votera la motion de rejet préalable défendue par notre collègue Raimbourg qui a, je crois, parfaitement souligné les dangers, les incohérences, voire les paradoxes du texte. Il a également dénoncé les conséquences qui vont en résulter : conséquences sur le déroulement même de la justice, avec, en correctionnelle, un ralentissement de la procédure dû à la nécessaire oralité des débats ; conséquences paradoxales qui feront que moins de jurés siégeront en cour d'assises, alors qu'on dit vouloir que les citoyens participent davantage ; conséquences gravissimes pour la justice des mineurs, que déplorent tous les professionnels. Bref, il s'agit d'un texte de circonstance, élaboré à la hâte, sans aucune concertation, dont on a bien compris qu'il était dicté par le calendrier électoral. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Sur le vote de la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe SRC d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Bernard Gérard, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Gérard

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, chacun, ici, a du respect pour notre collègue Raimbourg, mais, en présentant cette motion de rejet préalable, le parti socialiste témoigne une nouvelle fois de sa difficulté, voire de son incapacité, à faire preuve de pragmatisme et de responsabilité. Le projet de loi adopté sans difficulté au Sénat poursuit deux objectifs principaux : rapprocher les citoyens de leur justice et oeuvrer contre la dérive de certains mineurs dans la spirale de la délinquance. Ces deux objectifs, le parti socialiste ne les partage pas, peut-être en raison d'un double déni de réalité : il ne voit pas qu'une majorité de nos concitoyens s'interroge sur le fonctionnement de la justice, et il ne reconnaît pas que la délinquance des mineurs monte et que certains s'enferment dans la violence. Il est facile de réfuter les arguments selon lesquels ce texte serait de circonstance, en rappelant que ses deux objectifs figuraient dès 2007 parmi les engagements de campagne du Président de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Gérard

Ces objectifs sont d'ailleurs partagés par de grandes organisations représentatives des magistrats qui se sont prononcées en faveur de la participation des citoyens à la justice pénale, mais aussi par des parlementaires de talent, parmi lesquels André Vallini, qui s'est déclaré favorable à une association plus large des citoyens à l'oeuvre de justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Gérard

Certains, sur les bancs de l'opposition, ont estimé que la participation des citoyens à la justice pénale allait remettre en cause le fonctionnement de l'institution et contribuer à la désacralisation de l'acte de justice. Il s'agit d'un procès d'intention : cela revient à sous-estimer la capacité de nos concitoyens à prendre part à l'oeuvre de justice et à oublier que cela a déjà cours, notamment aux assises. En outre, il est inexact de prétendre que ce projet entend sanctionner les magistrats, jugés trop laxistes, puisque l'on peut observer que, aux assises, les citoyens sont souvent plus indulgents que les magistrats professionnels.

Par cet acte de civisme, nos concitoyens pourront au contraire prendre pleinement conscience du fonctionnement de l'institution judiciaire, en mesurer la complexité et constater le sens des responsabilités des professionnels qui la servent, leur travail, leurs compétences. Tout cela fait de ce projet de loi un bon texte, car je suis convaincu que ces réformes vont dans le sens d'une justice mieux comprise par nos concitoyens.

Le Gouvernement a fait le bon choix en présentant un texte expérimental. Le Parlement aura l'occasion d'évaluer sa mise en oeuvre, d'envisager son éventuelle généralisation, le cas échéant avec les adaptations nécessaires. Cette expérimentation est bonne, avez-vous dit : peut-être cela vous incitera-t-il à voter ce texte dans quelques jours. Elle témoigne en tout cas des précautions qu'a prises le Gouvernement pour la mise en oeuvre d'une réforme qui soit aussi adaptée que possible.

Vous avez également dit que ce texte vous paraissait pécher par le fait qu'il manquerait de moyens ou que, en tout état de cause, il entraînerait sans doute un gaspillage d'argent public. Cet argument n'est ni raisonnable ni constructif. Au législateur d'élaborer et de voter la loi, à l'exécutif d'en assurer la mise en oeuvre. M. le garde des sceaux a déjà démontré sa pugnacité et sa volonté de faire en sorte que des moyens soient dégagés pour que la justice puisse mettre cette réforme en place. Il a ainsi annoncé que 263 postes de magistrats et de greffiers seront créés. Cette importante décision était très attendue.

Il convient également de souligner la détermination du Gouvernement à adapter la justice criminelle en allégeant le fonctionnement de la cour d'assises afin de lutter contre le phénomène de correctionnalisation des crimes. Vous l'avez dit, cher collègue Raimbourg, il s'agit d'un point d'accord entre nous. Chacun s'accorde à reconnaître qu'il y a là quelque chose d'inacceptable et de difficilement compréhensible tant par nos concitoyens que par les victimes. Comment accepter qu'un viol soit jugé comme un crime dans certains départements, alors qu'il est requalifié en agression sexuelle dans un autre ? Cela n'est pas admissible. Dès lors que tout le monde a constaté ces défauts anciens, que vous-même les avez reconnus, je ne vois pas pourquoi nous devrions nous satisfaire de ne rien changer, de perpétuer les mêmes lourdeurs et de ne pas prendre les mesures qui s'imposent.

Vous avez également parlé de la justice des mineurs. Je ne vois vraiment pas en quoi la juridiction des mineurs ne resterait pas une juridiction spécifique, en quoi la procédure ne serait pas respectée, puisque c'est celle du tribunal pour enfants qui est utilisée et que l'éducatif en reste la marque privilégiée. Il convient de reconnaître – chacun le constate, chacun s'en alarme – que le nombre de mineurs mis en cause dans des faits de délinquance progresse. Dans toutes les villes où nous exerçons des responsabilités, nos concitoyens viennent nous en parler et les infractions commises par les mineurs s'aggravent. Plus les faits s'aggravent, plus la réponse judiciaire paraît lente à nos concitoyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Gérard

Une réponse efficace, adaptée, doit donc être apportée à cette situation insatisfaisante.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Gérard

Le texte propose donc une personnalisation de la justice des mineurs par la création du dossier unique de personnalité – grand progrès –, une adaptation des modes de poursuite pour les mineurs ayant déjà fait l'objet de poursuites pénales et qui sont poursuivis pour des délits d'une certaine gravité, ainsi qu'une adaptation des mesures pouvant être prononcées, en renforçant notamment les centres éducatifs fermés qui ont prouvé leur efficacité et qui sont indispensables.

Dans ce texte, je ne vois aucun mépris, aucune précipitation, aucune inconstitutionnalité, mais du pragmatisme, du réalisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Gérard

Ces éléments sont mis au service d'une justice plus efficace et mieux comprise. Je vous invite donc à rejeter la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Nous allons maintenant procéder au scrutin public sur la motion de rejet préalable.

(Il est procédé au scrutin.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants 122

Nombre de suffrages exprimés 122

Majorité absolue 62

Pour l'adoption 40

Contre 82

(La motion de rejet préalable n'est pas adoptée.)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

J'ai reçu de M. Yves Cochet et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission déposée en application de l'article 91, alinéa 6, du règlement.

La parole est à M. François de Rugy.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j'ai l'honneur de défendre la demande de renvoi en commission du projet de loi qui nous est aujourd'hui proposé. Avant d'exposer les arguments qui nous amènent à demander ce renvoi en commission, je voudrais faire quelques remarques personnelles. Nul ne peut ignorer le climat assez lourd dans lequel nous légiférons. Des faits divers fréquents – ces jours derniers, une jeune collégienne est morte des coups que lui a donnés un adolescent – résonnent avec nos préoccupations d'aujourd'hui. Pour ma part, j'essaye d'avoir un regard distancié par rapport à la justice. Avant d'être député, je n'étais pas un professionnel de la justice. Je n'oublie pas, cependant, que, comme mon collègue Dominique Raimbourg, je suis député de Nantes.

Ce n'est peut-être pas tout à fait un hasard si nous sommes les deux premiers intervenants de l'opposition sur ce sujet. C'est à Nantes, monsieur le ministre, vous le savez pour y être venu rencontrer les professionnels de la justice mais aussi les parlementaires que nous sommes, qu'a éclaté la crise qui couvait déjà depuis quatre ans au sein de la justice. Cette crise a été marquée par une manifestation inhabituelle : plusieurs milliers de magistrats qui prennent la responsabilité de descendre dans la rue, cela ne s'était pas produit depuis vraiment très longtemps. L'ampleur de cette crise est également inhabituelle : c'est l'ensemble des professionnels qui travaillent à la bonne justice de notre pays qui se sont révoltés, qui ont exprimé leur sentiment de révolte à la suite des déclarations du Président de la République, dont la Constitution fait le garant de l'équilibre des pouvoirs et donc le garant de l'indépendance de la justice.

Le Président de la République a cru bon, à l'occasion d'un autre fait divers, qui nous avait également marqués parce qu'il s'était déroulé à quelques kilomètres de Nantes, l'assassinat d'une jeune fille, d'attaquer l'ensemble des professionnels de la justice,…

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

…de s'en prendre quasi nommément à l'ensemble des professionnels de la justice.

Monsieur Huyghe, vous contestez mes propos. Le 25 janvier de cette année, M. le Président de la République, Nicolas Sarkozy, est venu à Saint-Nazaire, dans le département de Loire-Atlantique, pour faire un discours sur la politique industrielle de la France aux chantiers navals de l'Atlantique. Pour ma part, comme d'autres collègues, je suis allé l'écouter, même si c'était un mardi matin, car je suis toujours soucieux d'entendre ce que le Président de la République a à dire, notamment sur ce sujet de la politique industrielle, particulièrement lorsqu'il s'agit de l'éolien offshore. Las, il a tenu, avant de prononcer le discours qu'il avait préparé, à faire une remarque, que certains ont d'ailleurs jugée par trop théâtralisée sur cette affaire terrible de l'assassinat de Laëtitia Perrais, commis à quelques kilomètres de là.

Il a tenu à dire cette phrase, étrange quand on pense à la justice, quand on pense qu'il est censé être un ancien professionnel du droit ou, du moins, qu'il a exercé un temps la profession d'avocat. Il a dit : « Je n'accepterai pas que cette affaire reste sans suite. » Je pense que beaucoup de professionnels du droit ont dû, au minimum, froncer les sourcils, car on sait ce que veut dire l'expression « classer sans suite ». Quand on dit qu'une affaire est classée sans suite, cela veut dire qu'elle ne sera pas jugée, que l'on considère finalement qu'il n'y a pas de délit constitué. En osant dire cela au peuple français, puisqu'il s'adressait à travers les personnes présentes – cette visite était très médiatisée – à l'ensemble du peuple français, il laissait entendre qu'un crime de cette nature, aussi odieux, aussi atroce, dont je ne crois pas nécessaire de rappeler les circonstances – tout le monde a pu les lire dans la presse –, pouvait, dans la justice de la République française, être classé sans suite !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Voilà l'amalgame auquel il se livrait en utilisant cette expression. Pour un Président de la République, qui exerce la magistrature suprême, comme on dit parfois, qui est lui-même, par ailleurs, un ancien professionnel du droit, ce n'est pas un hasard !

Il n'en est cependant pas resté là.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Vous pouvez relire les minutes de son discours, monsieur Huyghe. Elles se trouvent sans aucun doute sur le site internet de la Présidence de la République, de l'Élysée, où tous les moyens de l'État sont convoqués pour faire la propagande du chef de l'État.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Christophe Lagarde

Monsieur de Rugy, ne vous laissez pas interrompre et continuez votre propos, cela me paraît préférable.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Oui, je ne vais pas me laisser impressionner par des interpellations aussi virulentes qu'inutiles.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Je continue mon raisonnement.

M. le Président de la République a dit ensuite, lors d'un autre déplacement, qu'il considérait qu'il y avait eu des dysfonctionnements dans l'ensemble de la chaîne judiciaire. Il s'en est d'abord pris aux policiers et aux gendarmes. Il a nommément dit : « Les policiers et les gendarmes auront des comptes à rendre sur les dysfonctionnements qu'il y a eu dans cette affaire. »

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Ensuite, il s'en est pris au personnel de probation, au service pénitentiaire d'insertion et de probation. Il s'en est pris aux magistrats. Il s'en est pris au personnel pénitentiaire. D'ailleurs, les sanctions sont ensuite tombées sur le directeur de l'administration pénitentiaire dans l'Ouest. Il s'en est donc pris à l'ensemble de ceux qui concourent à la bonne justice de notre pays. Jamais il n'y avait eu un tel excès, jamais aucun Président de la République, quelle que soit sa couleur politique, depuis que ce poste existe, avant même l'avènement de la Ve République, n'avait prononcé de tels mots. Jamais, monsieur le rapporteur, il n'y a eu une telle mise en cause directe, nominative et frontale des professionnelles de la justice par un Président de la République. C'est d'une exceptionnelle gravité ; en tous cas, c'est comme ça que je le perçois.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

De deux choses l'une, mes chers collègues.

Soit il y a des dysfonctionnements très graves au sein de la justice,…

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

…mais alors il est un peu étonnant d'attendre quatre ans pour le découvrir, car cela fait quatre ans que le Président de la République gouverne le pays. En outre, c'est l'une de ses plus proches collaboratrices, Mme Dati, que le Président de la République a nommé ministre de la justice au début de son mandat. Ensuite, il a nommé une personne de grande expérience, notre collègue Michèle Alliot-Marie, puis vous-même, monsieur le ministre. Il est donc étonnant qu'il ne découvre de tels dysfonctionnements graves qu'au bout de quatre ans, d'un seul coup.

Soit le Président de la République – je crains que cette hypothèse ne soit plus pertinente – a décidé de livrer à la vindicte populaire l'ensemble des professionnels qui concourent à la justice : policiers, gendarmes, personnels de l'administration pénitentiaire, magistrats.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Il a oublié les avocats dans son élan, mais il aurait pu les mettre dans le même panier, on sait que sa capacité à faire des amalgames est sans limites, et c'est particulièrement choquant.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Je tenais à le dire car c'est tout de même, je le crois, à la source des problèmes que vous rencontrez, chers collègues de la majorité, avec la justice en France. Il sont d'une ampleur inédite, et, pourtant, il y en a déjà eu, des crises, dans la justice, et des problèmes liés à l'indépendance des magistrats ! Jamais, cependant, 2 000 magistrats n'étaient descendus dans la rue. Vous l'avez d'ailleurs vous-même reconnu, monsieur le ministre.

Je suis d'ailleurs étonné car on se demande souvent à qui vous vous adressez.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

À vous, en général !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

En réalité, on a l'impression que vous vous adressez au Président de la République lui-même lorsque vous dites que la justice demande de la sérénité. Le Premier ministre aussi dit souvent cela. Or qui manque de sérénité dans ses propos sur la justice sinon le Président de la République lui-même ?

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Vous !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Non, non, monsieur le ministre. Je suis très prudent sur ces questions. Je dis les choses telles que nous les avons entendues dans la bouche du Président de la République.

J'ai encore rencontré il y a quelques jours des avocats, des magistrats et des gens de l'administration pénitentiaire dans ma ville de Nantes, et je vous en dirai quelques mots tout à l'heure. Je rencontre aussi régulièrement les responsables de la police et de la gendarmerie, et je puis vous dire que, lorsque nous avons des conversations privées, ils sont excédés par la façon dont ils ont été mis en cause et traités dans cette affaire, car, vous le savez, ils ont quasiment été traités comme des criminels. C'est un comble, s'agissant de nos forces de police et de gendarmerie ! Vous pouvez vérifier comment les enquêtes internes se sont déroulées, comment les personnels ont été convoqués, le samedi soir, comme s'il y avait urgence. On sait très bien le message qu'il y avait derrière cela : il fallait trouver un bouc émissaire, il fallait trouver un coupable dans le système judiciaire. Tel était votre projet, telle était la démarche que le Président de la République vous a demandé, monsieur le ministre, de suivre à cette occasion.

Malheureusement, le poids et la valeur de la parole politique s'en trouvent considérablement amoindris, car, lorsque vous avez rendus publics – vous avez bien dû le faire – les deux rapports que vous aviez commandés, vous avez dû reconnaître que les propos du Président de la République étaient infondés, que tout cela était de l'esbroufe médiatique, de l'esbroufe politique, que tout cela était sans doute plein d'arrière-pensées politiciennes et électoralistes. Il est tout de même très grave d'instrumentaliser ainsi la police, la justice ou l'administration pénitentiaire à des fins électoralistes ! Vous avez eu bien du mal à dire où se situaient les dysfonctionnements pourtant dénoncés, presque en donnant des noms, par le Président de la République.

Revenons à ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Je veux dénoncer une forme – vous excuserez cette expression qui n'est pas très élégante ; malheureusement, elle résume bien la situation – d'« incontinence législative » qui caractérise la politique du Gouvernement et de la majorité en matière de justice.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Malheureusement, elle résume bien la situation. Si elle vous fait rire, tant mieux, monsieur Huyghe, mais j'espère que vous n'aurez pas à exercer un jour de hautes fonctions en cette matière, ce ne serait pas très rassurant.

Monsieur le garde des sceaux, on ne compte plus les projets de loi relatifs au fonctionnement de la justice, au droit pénal, au code de procédure pénale, au code pénal qui se sont succédé depuis 2002. On ne peut effectivement pas faire comme si tout cela ne durait que depuis quatre ans. M. Sarkozy, Président de la République, a été pendant quasiment cinq ans ministre de l'intérieur ; il y eut un tout petit intermède pendant lequel il fut ministre de l'économie, personne ne s'en souvient et cela vaut mieux.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Il a été ministre de l'intérieur, chargé de la sécurité, chargé de diriger les services de police et de gendarmerie de notre pays, pendant presque cinq ans ; maintenant qu'il est Président de la République, ce sont les plus proches de ses proches qui sont à la tête du ministère de la justice et du ministère de l'intérieur. Or, au bout de neuf ans, le bilan est catastrophique, vous le savez très bien ! Il est très mauvais en termes de résultats, mais il est aussi très mauvais en termes d'empilement législatif !

Pour tout dire, on souhaiterait que la frénésie législative – vous ne pouvez pas contester le bien-fondé de cette expression-ci – à l'oeuvre depuis 2002, qui a conduit à cet empilement de textes dont je parlais, sans évaluation préalable, sans concertation, cessât enfin.

Ses résultats sont effectivement déplorables, avec une confusion qui insécurise l'ensemble de la chaîne judiciaire, qui ajoute la désorganisation à la pénurie des moyens – vous avez d'ailleurs été obligé, parfois, de le reconnaître à demi-mots, monsieur le ministre – et, surtout qui n'apporte aucune amélioration à un certain nombre de problèmes qui avaient été constatés.

La multiplication des textes préparés par le Gouvernement dans l'urgence sonne d'ailleurs comme un aveu d'impuissance. Si, au bout de neuf ans, vous en êtes encore à dire « mon Dieu ! mon Dieu ! c'est la législation qu'il faut changer ! », vous avouez que votre bilan est presque nul ou, en tout cas, que toutes les législations que vous avez voulu adopter, à chaque fois dans l'urgence, à chaque fois à la suite de faits divers, n'ont servi strictement à rien ! C'est le message que vous délivrez aux Français : toute votre agitation législative depuis neuf ans n'aura donc servi à rien !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Je crois d'ailleurs avoir remarqué, non seulement dans les études d'opinion mais aussi en discutant avec mes compatriotes, mes concitoyennes et mes concitoyens de ma circonscription, que de plus en plus de Français en sont conscients et vous en font le grief, que c'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles le soutien populaire vient à vous manquer, élection après élection.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Straumann

Vous n'avez pas de leçons à nous donner en la matière !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Je ne sais pas ce qui vous permet de dire cela, je ne suis pas aux responsabilités depuis neuf ans, mon cher collègue. Je ne siège d'ailleurs pas sur les bancs de cette assemblée depuis neuf ans, je n'y siège que depuis quatre ans, et je me soumettrai – comme vous, je l'espère – au verdict des urnes, et nous verrons bien. Je suis très prudent et très respectueux du verdict populaire qui s'exprime au moment des élections. Chacun s'y soumettra, donnons-nous rendez-vous dans un an pour en reparler.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

C'est donc là, à nos yeux, le premier motif de renvoi de ce texte en commission.

Après la première lecture au Sénat, les propositions du rapporteur ont été plutôt positives sur certains points contestés comme le rééquilibrage entre jurés citoyens et juges professionnels. Au lieu de nous permettre de continuer ce effort de lissage d'un texte trop rapidement présenté et qui donnera lieu à des contestations devant le Conseil Constitutionnel – on le sait très bien et Dominique Raimbourg en a parlé avant moi, il y a beaucoup de motifs de s'inquiéter de la décision que rendra le Conseil constitutionnel –, vous choisissez, une fois de plus, le passage en force.

Le chantier législatif aurait dû être entrepris dans le respect du débat parlementaire, mais vous avez fait le choix d'une procédure accélérée et cédé, une fois de plus, à l'urgence et à l'électoralisme. Je considère pour ma part que l'on devrait y réfléchir à deux fois avant de toucher à l'architecture même de la justice. On devrait être très prudent, c'est comme la Constitution ; ce ne sont pas des choses banales, on ne parle pas de la couleur des gommes et des crayons, on parle quand même de l'une des choses les plus fondamentales pour la vie en société.

Or vous avez opté pour une procédure parlementaire d'urgence, sur un texte visant à réformer en profondeur notre procédure et notre droit pénal. Là où l'évaluation, la confrontation des points de vue, la recherche du consensus républicain devraient être de mise, vous optez pour l'urgence. J'allais dire, « comme d'habitude ». Avez-vous totalement abandonné ce qui, en matière de justice, devrait être un objectif prioritaire ?

L'an passé, la réforme de la procédure pénale nous était présentée, là aussi, comme une urgence. Il s'agissait, à la demande du Président de la République – encore lui ! – à qui en était venue l'idée à l'occasion d'un discours, de supprimer le juge d'instruction et de mettre en place une procédure accusatoire.

En juillet dernier, le Conseil constitutionnel imposait une autre urgence, que vous auriez pu voir venir, cette fois, car nous avions été nombreux à donner l'alerte sur la question de la garde à vue. Mais, pendant très longtemps, nous avons eu les réponses de ministres successifs, car, monsieur le ministre, vous avez eu beaucoup de prédécesseurs…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est vrai !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

…qui n'ont pas « tenu » longtemps et n'ont pas été très crédibles. J'espère pour vous que vous le serez un peu plus au moment de faire le bilan !

Lorsque nous posions des questions, vos prédécesseurs disaient systématiquement qu'il n'y avait rien à changer dans la garde à vue et que tout allait bien. Évidemment, lorsqu'il y a eu une décision du Conseil constitutionnel et des plus hautes autorités judiciaires, vous avez dû, monsieur le garde des sceaux, vous y soumettre.

Mais maintenant, vous nous dites qu'il faut absolument réformer dans l'urgence, avant la fin de la session, la procédure d'audience et la justice des mineurs. Quelle peut en être la raison ? Votre seule urgence en la matière, tout le monde l'aura compris, c'est celle du calendrier électoral. Qu'est-ce qui justifierait de se précipiter de cette façon, sinon la perspective de l'élection présidentielle d'avril 2012 ?

En renvoyant ce texte en commission, notre assemblée remettrait les choses à leur juste place et renouerait avec les conditions d'un débat serein et fructueux non soumis aux stratégies électoralistes d'un pouvoir de plus en plus en perdition, qui cherche dans les textes d'affichage l'assentiment populaire que son absence de résultats en matière économique, sociale, écologique, ne lui permet pas d'obtenir.

De toutes vos promesses électorales, telles que « je serai le Président du pouvoir d'achat »,…

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

…« travailler plus pour gagner plus », le partage de la valeur ajoutée, tous ces grands discours ronflants, le Grenelle de l'environnement, il ne reste plus rien ! Les Français l'ont constaté, et c'est pour cela qu'ils vous sanctionnent.

Vous essayez de vous réfugier dans l'affichage concernant quelques sujets sur lesquels vous espérer polémiquer, ce qui est un comble en matière de justice. Vous ne devriez pas essayer de polémiquer sur le bon fonctionnement de la justice.

Pour notre part, nous considérons que notre assemblée ne saurait légiférer sereinement et efficacement, au regard de l'ignorance et du mépris dans lesquels vous tenez les acteurs mêmes de notre système judiciaire. La justice française n'a sans doute jamais connu une crise aussi profonde et persistante. Le mouvement d'humeur de Nantes n'était pas ponctuel. Les causes et les effets de cette crise demeurent et sont profondément présents dans notre système judiciaire. Le service public de la justice est sous-doté en moyens et en personnel, et vous le savez.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Je l'ai dit à des magistrats que j'ai rencontrés récemment, je pense que les deux sont intimement liés. Dès lors que vous faites subir une crise morale à la justice, vous lui faites également subir une crise de moyens. Quand on passe son temps à décrédibiliser et à attaquer les magistrats, on ne leur donne pas de moyens. Et on leur demande d'en faire de plus en plus !

Je vous entends bien : vous dites que le niveau global du budget a augmenté. J'en suis d'accord, mais si ce n'est pas en rapport avec le nombre d'affaires traitées, c'est comme en matière pénitentiaire : s'il y a plus de personnes incarcérées, on veut des conditions d'incarcération correctes, comme l'encellulement individuel. Or tout cela demande des moyens. Et même si l'on augmente un petit peu le budget, ce n'est pas en rapport avec l'activité de la justice.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

En toute occasion, à la faveur de chaque fait divers, les principes d'indépendance et de sérénité sont profondément transgressés par le pouvoir politique que vous incarnez actuellement…

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Straumann

Et les victimes ? Vous ne dites pas un mot pour elles !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

…qui ne cesse d'intervenir – cela n'est jamais arrivé à ce point en matière de justice – et de déprécier le travail des magistrats aux yeux de nos compatriotes.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Donnez-nous un exemple précis !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Monsieur le garde des sceaux, vous essayez peut-être de rééquilibrer les choses. J'en suis désolé, et il n'y a rien de personnel dans ce que je dis, mais c'est la réalité institutionnelle : vos propos ne pèsent pas lourd à côté de ceux du Président de la République ! Lorsque celui-ci s'exprime, nos compatriotes se disent que c'est la parole de la majorité. En outre, il s'est lui-même quasiment autoproclamé Premier ministre, ministre dans tous les domaines et président du parti majoritaire. M. Copé fait semblant d'être secrétaire général de l'UMP, mais on sait bien qui dirige le parti majoritaire !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Vous n'avez décidément pas le sens de la nuance !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Dès lors que le Président de la République s'exprime, vous aurez beau dire, monsieur le garde des sceaux, même très discrètement, le soir, à l'Assemblée nationale, avec votre petite voix douce, ou lors des questions au Gouvernement : « Il faut que la justice soit sereine, et moi, je ne dis jamais de mal des magistrats. », cela ne change rien aux faits. Cela étant, il est heureux qu'il se trouve encore une personne dans ce gouvernement pour ne pas dire de mal des magistrats ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

À minuit moins dix, dans cet hémicycle, vous pouvez dire que c'est ridicule, monsieur Huyghe, mais nos concitoyens, pour leur malheur, savent de quel côté est le ridicule !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

En la matière, les discours toujours plus excessifs du Président de la République ont déprécié la fonction elle-même, ce qui est particulièrement grave.

Ce malaise, d'une ampleur rarement atteinte, a entraîné, au tout début de l'année 2011, une mobilisation massive des professionnels de la justice. Pour toute réponse à cette crise, le Gouvernement propose, dans sa frénésie législative, ce projet de loi qui combine remise en cause du travail des magistrats professionnels – eux-mêmes transformés en boucs émissaires d'une politique en échec – et durcissement du droit pénal des mineurs.

Votre texte, monsieur le ministre, entretient la défiance à l'égard des magistrats professionnels.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Absolument pas !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Le soubassement idéologique et politique de votre texte est celui-là.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Non !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Si, monsieur le garde des sceaux, et vous ne pouvez pas dire le contraire ! Vous savez bien d'ailleurs que tous les magistrats de France l'ont pris comme tel, quelle que soit leur sensibilité politique.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Fort heureusement, vous n'êtes pas leur porte-parole !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Vous allez faire campagne sur l'insécurité et l'immigration – elle a d'ailleurs commencé – et vous avez besoin, en raison de votre échec sur la sécurité, de trouver des boucs émissaires. Je reviendrai sur les violences faites aux personnes, y compris celles qui sont le fait de mineurs. C'est un échec patent, car on constate une hausse régulière des faits de violence aux personnes.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Vous devriez vous interroger sur les causes profondes de cette inflation – je pense notamment aux vols avec violence.

Pour vous, les boucs émissaires tout trouvés – c'est d'ailleurs un propos ancien du Président de la République –, ce sont les juges. Vous vous souvenez sans doute de ce qu'il avait dit, monsieur le garde des sceaux… Certains magistrats vous en ont peut-être parlé. Le Président avait dit : « lorsque je vois les magistrats alignés comme des petits pois » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)…Si l'on me disait : « je vois des députés alignés comme des petits pois dans l'hémicycle », je ne le prendrais pas comme une réflexion ! Si l'on parlait des enseignants alignés comme des petits pois dans la cour de l'école, je ne pense pas qu'ils le prendraient pour un regard très positif ! Pourquoi pas non plus les salariés alignés comme des petits pois ? Je pourrais multiplier les exemples. C'est une vielle antienne du Président de la République que de trouver un bouc émissaire, et, en l'occurrence, ce sont les juges et les magistrats.

J'ai organisé avec Eva Joly, elle-même ancienne magistrate (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)…

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Oui, lorsqu'elle était magistrate, vous la trouviez très bien. Aujourd'hui, alors qu'elle a d'autres activités, vous l'aimez moins…

Cela étant, chacun le reconnaît, elle a une crédibilité incontestable sur le sujet. J'ai organisé, la semaine dernière, à Nantes, une table ronde qui réunissait des syndicats de magistrats, le représentant du bâtonnier, des représentants des personnels de la pénitentiaire, des associations de victimes et des associations de réinsertion de détenus. On sait qu'il y a des oppositions entre les personnels de la pénitentiaire, par exemple, et les magistrats ou les associations, ou encore entre les avocats et les magistrats. Mais j'ai été frappé par le fait que des acteurs censés porter des points de vue différents sur la réalité – puisque leur fonction diffère – convergent aussi fortement dans leur diagnostic de la situation sur le terrain. Et dans leur sentiment – qui n'a jamais été aussi fort – d'être tenus dans le mépris par votre gouvernement et votre majorité. Et ce quelle que soit leur sensibilité politique.

Examiner un texte aussi important dans une telle impréparation et une telle absence de concertation – en témoigne la rapidité avec laquelle vous avez dû travailler – est tout simplement inacceptable.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

C'est là un motif supplémentaire de lui donner une nouvelle chance, en le renvoyant en commission.

Votre texte, monsieur le garde des sceaux, n'est pas seulement le fruit d'un calcul insupportable, il est également frappé du sceau de l'absence de sincérité politique. Sous couvert de faire davantage participer les citoyens à la justice, vous en profitez pour procéder, dans le même texte, à une réforme du droit pénal des mineurs.

Ce dernier thème, pourtant extrêmement important, a été en partie occulté : la communication gouvernementale s'est concentrée sur la seule question des jurés populaires, obérant volontairement la partie cachée de l'iceberg, celle de la réforme de l'ordonnance de 1945. Votre texte propose de procéder à la trente-cinquième réforme de l'ordonnance de 1945 sur les mineurs.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Je note tout d'abord que cette frénésie législative n'a pas réussi à enrayer, de quelque manière que ce soit, la délinquance des mineurs.

En avril 2008, un autre de vos prédécesseurs, Mme Dati,…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

C'est une excellente juriste.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

…soulignait que trente-trois modifications avaient été apportées depuis la guerre à l'ordonnance de 1945 et que ces retouches successives nuisaient à la clarté et à la compréhension de la justice des mineurs. Vous désavouerez peut-être les propos de Mme Dati, monsieur le garde des sceaux, mais c'est ce qu'elle disait à l'époque. Mme Dati avait donc constitué la commission Varinard, dont le rapport préconisait bien plus qu'une simple modification partielle de l'ordonnance du 2 février 1945.

Mme Alliot-Marie, lorsqu'elle était ministre de la justice – avant qu'elle n'aille faire des affaires en Tunisie –, considérant la situation à son tour, avait jugé que l'ordonnance du 2 février 1945 était devenue « illisible », ajoutant que cet état de fait était « contraire au rôle et au but de notre droit ».

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Aujourd'hui, vous venez pourtant défendre devant nous l'addition d'une nouvelle couche. Je renouvelle donc ma question : quel est le sens de ce double projet de loi ? Je le disais tout à l'heure : l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est révisée tous les ans, ou presque. Ce texte a été soumis, au fil du temps, à des modifications incessantes, au point que personne – sinon les spécialistes – ne sait réellement ce qu'il contient. Le législateur aurait-il ainsi oublié que le droit, et peut-être plus encore le droit pénal, ne saurait être sans cesse remanié, et qu'il nécessite une certaine stabilité – serait-ce désormais un gros mot en la matière que celui de « stabilité » ? – pour être compris par nos concitoyens et appliqué efficacement par les magistrats ?

« Nul n'est censé ignorer la loi. » Cette maxime est censée être le soubassement du pacte républicain, c'est ce que l'on dit à tout le monde, dès le plus jeune âge. Pourtant, en la matière, même les professionnels du droit ont le plus grand mal à connaître la loi au fur et à mesure de ses modifications.

Le Gouvernement, et le Président de la République, répètent à toute occasion que les mineurs d'aujourd'hui ne sont plus ceux de 1945. C'est une lapalissade comme tant d'autres, car on pourrait dire la même chose des majeurs. Comment justifier alors que l'ordonnance ait été révisée chaque année depuis 2007 ? En quoi un mineur de 2011 différerait tant d'un mineur de 2007 ou de 2008 ? Il faut se méfier des fausses évidences !

Pour notre part, nous pensons que les mineurs, terme générique désignant les enfants et les adolescents, restent par nature différents des adultes. Que l'on soit en 1945, en 2007 ou en 2011 ne change rien à cette idée à laquelle nous tenons fortement.

Comment pouvez-vous être à ce point infidèle à l'esprit de l'ordonnance de 1945, prise, je le rappelle, sous l'autorité du général de Gaulle, dont vous aimez par ailleurs vous réclamer ? Sans parler des engagements internationaux plus récents de la France ! Comment peut-on les ignorer à ce point ?

La société que vous imaginez et que vous essayez d'organiser par bricolages législatifs successifs, bien loin d'offrir sa protection à tous les enfants – alors que c'est ce que l'on devrait faire avant tout – semble ne songer qu'à se protéger elle-même, comme si nos enfants étaient, par avance, considérés comme une menace et, en priorité, disons-le, les moins favorisés d'entre eux, tenus pour des sujets dangereux, voire irrécupérables. Dans un rapport rédigé voici quelques années, un parlementaire de la majorité considérait que l'on pouvait détecter, dès l'âge de deux ans, ceux qui étaient récupérables et ceux qui ne l'étaient pas. On se souvient du Président de la République qui avait tenu, alors qu'il était candidat, des discours pour le moins étranges sur la génétique. Il considérait alors que certains aspects de la criminalité, tels que la pédophilie, relevaient de la génétique, ce qui est tout de même particulièrement grave. Telle n'est pas notre conception du droit et de la justice. Nous tenons à le rappeler à cette occasion. C'est d'ailleurs un des points les plus flagrants de votre texte, lequel ne contient pas une seule fois, alors même qu'il traite du statut des mineurs, le mot « enfant ». Or notre débat devrait pourtant porter sur les enfants, car c'est bien d'eux qu'il est question. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Lorsqu'il s'agit de juger des enfants, la première préoccupation, tout en formulant la sanction, est de préparer le retour au respect de la loi. Nous ne considérons pas, pour notre part, qu'un enfant de onze, douze, voire treize ans, ou un adolescent est irrécupérable pour la vie…

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

…et qu'il est condamné pour toujours à être un criminel ou un délinquant. Pour ces enfants, un mois ou une année peut, en effet, changer beaucoup de choses.

Le Gouvernement tente, aujourd'hui, par ce projet de loi, de réintroduire certaines dispositions de la loi dite LOPPSI 2 censurées par le Conseil constitutionnel.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Mais non !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

L'habillage est, bien sûr, quelque peu différent, mais la nature des dispositions et l'objectif du Gouvernement sont identiques. Il s'agit bien d'aligner progressivement le droit pénal des mineurs sur celui des majeurs. Aux termes des articles 13 et 17 du projet de loi, les mineurs de treize ans, pour les délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, et les mineurs de seize ans, pour les délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement, peuvent être poursuivis par le procureur de la République devant le tribunal pour enfants en comparution immédiate. Nous sommes bien d'accord, monsieur le rapporteur !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Ces garde-fous ne changent pas grand-chose : confrontez-les aux types de délits constatés, et vous vous rendrez à l'évidence. L'adoption de votre texte ferait de la comparution immédiate la règle pour les mineurs.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Mais non ! C'est faux !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

C'est le risque ! Or, si le prononcé d'une réponse pénale dans des délais raisonnables est nécessaire, chacun le reconnaît, l'immédiateté, en revanche, se révèle négative et contraire aux objectifs de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation édictés par l'article 2 de l'ordonnance de 1945. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Délais raisonnables et immédiateté sont, en effet, deux conceptions différentes. La saisine directe du tribunal pour enfants, s'apparentant à une forme de comparution immédiate, réduit à sa portion congrue la phase pré- sentencielle, qui fait la spécificité du droit pénal des mineurs et constitue la phase cruciale de la mission du juge des enfants. Cette étape qui précède la sanction est, de l'avis des professionnels, essentielle au travail de réflexion du jeune, quant au fait qu'il a commis, sur son rapport à la loi et à l'autorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Straumann

À condition qu'il s'en souvienne, si ce n'est pas immédiat !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Sous-entendez-vous qu'un enfant de treize ans aurait tout oublié dès le lendemain ? Je ne comprends même pas ce que vous voulez dire !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Si l'on peut dire ! Mais peut-on plaisanter sur cette question ?

Aussi, monsieur le garde des sceaux, de quels éléments, de quelles études disposez-vous pour considérer que cette phase préalable à la sentence n'est pas utile à la lutte contre la délinquance et doit être supprimée ? Vous faites, dans l'opacité, le choix de la dépossession du juge des enfants au profit du parquet, donc d'un réel déséquilibre au détriment des mineurs jugés. Comment un tel bouleversement de notre doctrine judiciaire pourrait-il s'opérer dans l'urgence et en catimini ? C'est inacceptable et c'est une raison supplémentaire de renvoyer ce texte en commission. En vérité, et tel est mon sentiment, vous voulez faire l'impasse sur la globalité du problème ! Vous le savez parfaitement ! Si nous sommes des députés, nous sommes aussi des élus de terrain, tout comme les sénateurs – et vous étiez sénateur auparavant, monsieur le garde des sceaux ! – et nous connaissons ces problèmes comme les élus locaux. Nous nous rendons dans les écoles. Nous rencontrons les enseignants. Nous sommes peut-être ou avons été parents d'élèves. Nous savons donc que ces questions ne peuvent être traitées d'une seule manière. La violence, plus ou moins dramatique, est présente dans les cours d'école et de collège. Je suis le premier à la dénoncer. Je considère que la progression des violences est inquiétante et que notre société connaît un climat de violence exacerbé. Mais vous savez que ce n'est pas en modifiant le droit pénal des mineurs que l'on changera beaucoup de choses. Je ne dis pas qu'il ne faut pas bouger, mais, et vous le savez, c'est un problème global, un problème éducatif. « Éducation » est-il un gros mot, quand on parle du traitement de la violence et de la délinquance ? Ce problème relève également des services sociaux qui sont nombreux à s'y intéresser. Beaucoup d'entre nous considèrent qu'il y a aussi la question des parents, qui ne se réduit pas à celle de la responsabilité des parents. Certains sont même allés jusqu'à évoquer, avec raison, je le pense, une école des parents.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Le problème – et je tiens à l'évoquer à l'occasion de la discussion de ce texte de loi – c'est que vous réduisez les budgets de tous ces services et associations. Vous diminuez le nombre de fonctionnaires. Vous parlez de la délinquance des mineurs ou du dérapage de certains et vous réduisez, dans le même temps, le taux d'encadrement des mineurs dans les écoles, les collèges et les lycées. C'est un comble !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Mais non ! Et tous les lycéens ne sont pas des délinquants !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

En dépit des annonces de non-suppression de classes, vous savez parfaitement que c'est ce qui s'est produit ces quatre dernières années.

«La justice est rendue au nom du peuple français, désormais elle sera rendue aussi par le peuple français », ainsi s'exprimait Nicolas Sarkozy dans son discours du 3 février. Il faudra bien, un jour, s'attacher à recenser tous ces truismes présidentiels qui ne provoqueraient que des sourires las, tellement ils sont devenus inutiles et inefficaces face à la situation de notre pays, s'ils n'avaient pour conséquence le dépôt de projets de loi d'affichage successifs. Il en va de même des propositions de loi et je pense à celle relative aux parents de notre collègue Ciotti. On dressera un bilan, mais tout cela n'aura été malheureusement que de l'affichage et n'aura sans doute servi à rien. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ces textes le plus souvent inutiles ne se contentent pas d'occuper la scène médiatique, ils ont des conséquences souvent dramatiques sur le fonctionnement de la justice. En effet, cette lubie présidentielle – car c'est bien de lubie qu'il faut parler et je sais qu'il n'y a pas que dans l'opposition que l'on parle de lubie à propos des discours du Président de la République – cette lubie présidentielle, disais-je, inventée, une fois de plus, au détour d'une énième déclaration compassionnelle au lendemain d'un drame – le meurtre d'une joggeuse, près de Lille – contredit les travaux et les réflexions alors en cours, y compris au sein de la majorité. En effet, quelques mois auparavant, notre collègue Jean-Paul Garraud, par ailleurs secrétaire national à la justice de l'UMP, et plusieurs de ses collègues de l'UMP à l'Assemblée nationale, avaient déposé une proposition de loi exactement opposée, puisque ses auteurs y préconisaient la suppression du jury populaire en cour d'assises, du moins en première instance. Souvenons-nous-en. Relisons donc quelques instants l'analyse de notre collègue Garraud : le système de double cour d'assises, qui date de 2000, s'avère, nous disait-il alors, « extrêmement lourd » et mobilise « beaucoup d'énergie, de temps et d'argent. » C'est dit en peu de mots, mais c'est bien dit. Il conduit, nous expliquait notre collègue censé être le spécialiste « justice » de l'UMP, à un phénomène contestable : la correctionnalisation des crimes. Il est vrai qu'aujourd'hui un très grand nombre d'infractions criminelles sont « déqualifiées ». On appelle cela la correctionnalisation judiciaire. Ainsi, un vol à main armée se transforme-t-il en vol avec violence ou un viol devient-il une agression sexuelle. Et, au lieu de passer devant une cour d'assises, la personne mise en cause est jugée en correctionnelle, donc, sans jury populaire. C'est, nous dit-on, un gain de temps et d'argent. Je ne crois pas me tromper beaucoup en disant que les trois-quarts des infractions criminelles sont ainsi passés au tamis. Nous savons que la police transmet, chaque année, à la justice près de 20 000 dossiers qu'elle qualifie de criminels et que la justice rend, chaque année, 2 500 arrêts criminels. Autrement dit, la proportion des affaires considérées comme criminelles par la police et correctionnalisées, ensuite, par la justice est de l'ordre de 80 % à 85 %. Pour mettre fin à cette situation, les responsables de l'UMP appelaient, alors, au principe de réalité et préconisaient la limitation des jurys populaires aux assises. Leur démonstration était sans doute discutable sur le fond – en tout cas digne d'être discutée – mais elle était étayée : réunir un jury n'est pas une mince affaire, et les cours d'assises se réunissent environ 3 000 fois par an. C'est beaucoup plus que ce que nous pouvons assumer, nous expliquait alors notre collègue Garraud. Aujourd'hui, un projet de loi de circonstance plus tard, vous nous proposez exactement le contraire de ce que vous préconisiez alors : l'introduction de jurés populaires dans la procédure correctionnelle. Or les tribunaux correctionnels prononcent environ 600 000 jugements par an, 200 fois plus que les tribunaux d'assises, ce que vous jugiez pourtant insupportable d'un point de vue financier et logistique, voici à peine un an ! Voilà ce que disent les collègues de l'UMP !

Pour gérer cette incohérence, vous opérez deux tours de passe-passe plus que douteux : l'un porte sur les conditions d'intervention des jurés, l'autre sur les délits soumis à votre nouvelle procédure. Votre projet de loi écarte ainsi délibérément un mode de désignation des citoyens assesseurs calqué sur celui des jurés d'assises, par simple tirage au sort sur les listes électorales. J'ajoute que les propositions du rapporteur de porter à dix jours les périodes pendant lesquelles les citoyens assesseurs pourront siéger et de les protéger du licenciement ne règlent pas, pour nous, la question de savoir comment ils pourront s'absenter de leur travail en toute sérénité, même si ces propositions améliorent le texte initial. Elles ne répondent pas non plus à notre préoccupation que les jurys ne soient pas principalement composés de chômeurs et de retraités – mais je pense que telle n'est pas l'intention du législateur – constituant alors une représentation qui ne pourrait pas être pleinement fidèle à la position du peuple français, puisque c'est de cela qu'il s'agit, au regard des délits qu'ils seront amenés à juger. C'était pourtant la seule option possible si l'on avait véritablement souhaité ouvrir la sélection des juges citoyens et assurer une représentation complète de la société. Il eut été indispensable également, pour s'assurer de l'impartialité de ces assesseurs, de prévoir un droit de récusation identique à celui en vigueur devant les cours d'assises. Cette option a été écartée pour des raisons pratiques, me dit-on. Il n'est « pas envisageable », suivant l'étude d'impact, de prévoir un droit de récusation qui « impliquerait que, pour chaque affaire à juger, un nombre suffisamment important de personnes tirées au sort soit convoqué ». Une telle réponse trahit, de fait, l'incapacité d'appliquer la loi présentée ici dans des conditions satisfaisantes et conformes à ce que vous affichez aux yeux de l'opinion publique, d'autant que cette réforme sera partielle et qu'il sera bien difficile de faire le tri, comme vous le proposez, entre les affaires selon qu'elles seront soumises à un tribunal correctionnel avec citoyens assesseurs ou à un tribunal correctionnel sans citoyens assesseurs. Aussi simple qu'il puisse paraître sur le papier, ce tri sera, en réalité, très compliqué. J'imagine que vous ne l'ignorez pas !

L'article 399-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue du projet pose le principe de la compétence du tribunal correctionnel comprenant des citoyens assesseurs pour le jugement, en première instance et en appel, de certains délits. Le choix de ces infractions n'est évidemment pas anodin. Il s'agit d'associer les citoyens au jugement des procédures concernant les affaires qui « portent atteinte quotidiennement à la sécurité et à la tranquillité de la population », si l'on en croit l'étude d'impact. L'établissement de la liste des infractions – article 399-2 du code de procédure pénale – répondant à ce critère est éminemment politique : le ministère de la justice a décidé qu'il devait s'agir de délits dits « sensibles » qui portent une atteinte particulièrement grave à la cohésion sociale du pays, notamment les violences, les vols avec violence, les violences conjugales habituelles et les agressions sexuelles. En sont donc exclues, en dépit des lourdes peines qu'elles font encourir à leurs auteurs, les infractions en matière de stupéfiants et celles relevant du domaine économique et financier. Les citoyens auraient pourtant leur mot à dire, si l'on se place dans votre logique, en matière économique et financière ! On peut même penser que leur jugement serait assez sûr et fiable. Mais y figurent les seuls homicides involontaires commis à l'occasion de la conduite d'un véhicule ou par un chien en raison de l'imprudence de son propriétaire, ainsi que les incendies de véhicules au titre des violences urbaines – lesquelles, reconnaissez-le avec moi, ne constituent pourtant pas une catégorie particulière d'infraction – certaines menaces et les faits d'extorsion pour répondre, est-il précisé, au phénomène du racket à la sortie des établissements scolaires.

(M. Marc Le Fur remplace M. Jean-Christophe Lagarde au fauteuil de la présidence.)

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Curieux raisonnement qui voit les affaires de corruption, les délits d'initié, les infractions économiques, les scandales financiers ou du monde des affaires échapper à vos yeux à la qualification de délits qui menacent la cohésion sociale de notre pays et dont le jugement ne requerrait pas la présence du peuple. Je ne suis pas sûr que les citoyens, dont vous prétendez vouloir vous rapprocher avec ce texte, s'y retrouvent.

Les délits pourront donc être désormais jugés par des juridictions fort différentes. En sus des procédures d'ordonnance pénale, sans audience, ou de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, à audience réduite, l'auteur d'un délit pourra se voir poursuivi devant un tribunal correctionnel siégeant à juge unique, avec trois magistrats, ou avec trois magistrats et deux citoyens assesseurs.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Nous sommes là pour l'étudier et voir s'il est constitutionnel.

Il est moins que sûr que la liste du nouvel article 399-2 réponde aux critères fixés par le Conseil constitutionnel, qui imposent une cohérence pour respecter les principes de proportionnalité. Quoi de commun entre l'homicide involontaire, la destruction de véhicule par moyens dangereux, ce qui peut également relever d'ailleurs de l'escroquerie à l'assurance, et l'embuscade ?

En pratique, en outre, l'usage des circonstances aggravantes par les parquets leur permettra plus encore qu'aujourd'hui de choisir la juridiction devant laquelle ils renverront le jugement des délits, et parfois pour de mauvaises raisons, vous le savez très bien : aspect médiatique d'une procédure, campagne d'opinion, etc.

Enfin, le tribunal correctionnel compétent pour juger ces délits que vous qualifiez de sensibles le sera également pour les infractions connexes, à l'exception de celles qui relèvent des juridictions spécialisées comme les tribunaux militaires ou les juridictions financières, qui seront jugées par le tribunal « normal », selon l'étude d'impact, pour « éviter une érosion de la peine pour des délits graves » à laquelle pourrait conduire, par le jeu des confusions de peines, la disjonction des procédures. Et vous allez prétendre après cela que le but de la réforme n'est pas d'avoir des condamnations plus sévères !

Au-delà de l'aveu ainsi révélé, cette disposition contrevient plus manifestement encore au principe de l'égalité des citoyens devant la justice, dont le Conseil constitutionnel rappelle qu'il est inclus dans le principe d'égalité devant la loi.

L'étude d'impact révèle, en effet, pour minimiser l'importance de cette entorse, qu'au titre des infractions connexes, 1 500 affaires relevant de la compétence d'attribution du tribunal correctionnel siégeant avec des citoyens assesseurs seront en définitive jugées par le tribunal correctionnel sans citoyens assesseurs.

Il n'en demeure pas moins qu'en l'état de ces 1 500 affaires, la comparution des prévenus devant l'une ou l'autre des formations du tribunal correctionnel dépendra uniquement de l'existence ou non de délits ou de contraventions connexes ne relevant pas de la compétence avec citoyens assesseurs.

Or il est extrêmement douteux, pour ne pas dire impossible, qu'un tel dispositif résiste aux exigences constitutionnelles selon lesquelles le principe d'égalité des citoyens devant la loi « fait obstacle à ce que des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés par des juridictions composées selon des règles différentes ». C'est ce qu'a jugé le Conseil constitutionnel à propos de la loi du 23 juillet 1975, aux termes de laquelle les affaires de même nature pouvaient être jugées par un tribunal collégial ou par un juge unique selon la décision du président de la juridiction. Il y a donc un précédent dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

On observera que si, en l'espèce, la comparution devant l'une ou l'autre des formations du tribunal correctionnel ne dépend pas de la décision du président du tribunal, elle dépendra néanmoins de circonstances, l'existence ou non d'infractions connexes, insuffisantes pour justifier le traitement différencié réservé aux prévenus dans l'un et l'autre cas.

Au surplus, elle pourrait également dépendre de la décision du parquet de viser ou non les infractions connexes dans les poursuites, ce qui rapprocherait encore de la situation déjà censurée par le juge constitutionnel.

Mais votre projet n'est pas seulement un trompe-l'oeil instable du point de vue de sa constitutionnalité. Il risquerait, s'il était appliqué, d'affaiblir considérablement le fonctionnement de la justice.

L'étude d'impact ne le cache pas : il faudra allonger les audiences pour expliquer aux jurés de quoi il s'agit. Une cour d'assises prend le temps de convoquer les témoins et d'entendre experts et directeur d'enquête. Tel n'est pas le cas d'un tribunal correctionnel. Il tranche sur un dossier, grâce aux professionnels membres du tribunal, qui jugent vite. Autant la justice est critiquable dans sa lenteur à traiter les dossiers, ou encore dans l'exécution des peines, autant le fonctionnement des audiences est ce qu'elle sait faire de mieux.

C'est enfin un texte hors de prix. Oui, ce projet de loi est coûteux, et il est inacceptable que nous soyons convoqués pour en débattre sans que la commission ait pu sérieusement en estimer l'impact budgétaire, contrairement à tous les engagements pris par le Président de la République ou le Gouvernement depuis quatre ans.

Nous savons que votre projet implique des investissements lourds pour créer ou agrandir des salles d'audience : combien, à quel rythme, au détriment – il faut être lucide – de quels autres investissements programmés, monsieur le ministre ? Il vous faudra bien répondre à ces questions.

En matière de fonctionnement, le rapporteur de la commission des lois évoque la somme d'un million d'euros pour l'aménagement des postes de travail, de presque 8 millions d'euros d'indemnités pour les citoyens assesseurs, et la création de 155 postes de magistrat et de 109 postes de greffier mais, bizarrement, l'étude d'impact ne chiffre pas le coût de ces emplois. Je me suis livré à un calcul comparable à celui qu'a fait tout à l'heure Dominique Raimbourg. Si l'on considère qu'un magistrat coûte environ 100 000 euros par an et un greffier 50 000 euros, l'on aboutit à un total d'environ 17 millions d'euros par an pour les magistrats et de 6 millions d'euros pour les greffiers.

Le coût prévisible de la réforme, uniquement en termes de fonctionnement, peut donc être évalué à 30 ou 35 millions d'euros par an. C'est extrêmement élevé quand on connaît la pénurie de moyens dans la justice française, et c'est totalement incohérent avec la réalité du budget de la justice, qui se situe déjà misérablement au trente-septième rang en Europe. Notre pays compte dix magistrats pour 100 000 habitants, soit la moitié de la moyenne européenne, et trois procureurs, contre huit chez nos voisins. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

C'est la réalité des chiffres et leur lecture lucide !

Plusieurs députés du groupe UMP. Hors sujet !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Aujourd'hui, vous nous proposez une réforme qui va augmenter le coût des procédures et allonger les délais. C'est exactement l'inverse de ce qu'il serait nécessaire de faire.

Plusieurs députés du groupe UMP. Arrêtez-le !

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Ce n'est pas vous qui décidez, c'est bien votre problème. Vous le leur confirmerez, monsieur le président.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

C'est le règlement, un très bon règlement d'ailleurs, que nous respectons.

Debut de section - PermalienPhoto de François de Rugy

Je vous invitais à le rappeler avec votre autorité à nos collègues, qui voudraient s'y soustraire.

En quatre ans, cinq lois ont limité le pouvoir des juges, cinq lois qui n'ont en rien fait reculer la délinquance dans notre pays, cinq lois largement inutiles, auxquelles vous ajoutez aujourd'hui un sixième texte, qui aura des effets dévastateurs, tant sur la réinsertion des majeurs que sur la prévention de la délinquance des mineurs.

En réalité, vous voulez encadrer les magistrats, que vous jugez trop laxistes, par des citoyens, que vous espérez plus sévères. La conséquence est immédiate, vous limitez le pouvoir du juge, qu'il s'agisse de prononcer des peines, d'accorder des libérations conditionnelles ou de juger des mineurs.

Le sentiment de nos concitoyens à l'égard de la justice est beaucoup plus complexe, il est même parfois contradictoire. Quand ils y sont confrontés directement, un grand nombre d'entre eux la trouvent en réalité trop sévère, nous en avons tous entendu dans nos permanences parlementaires nous expliquer qu'elle avait été trop dure avec eux. Combien de Français se passionnent pour ce qu'ils pensent être des erreurs judiciaires ! Et puis, quand ils entendent parler de loin de faits divers très résumés, ils trouvent alors qu'elle n'est pas assez sévère.

Le troisième volet de cette réforme, relatif à l'application des peines, est aussi scandaleux que les deux premiers.

En matière d'application des peines, l'assesseur citoyen assistera désormais les magistrats. En appel, il remplacera le représentant de l'association d'aide aux victimes et le représentant de l'association de réinsertion, qui interviennent déjà.

Je lis dans l'étude d'impact que l'impartialité des assesseurs aujourd'hui présents serait contestable, notamment quand l'association de réinsertion représentée à l'audience est précisément celle avec laquelle le projet de sortie est envisagé. La critique est pour le moins légère et, au-delà de l'affirmation, rien n'indique que cette partialité vienne contredire l'objectif d'une réinsertion réussie. Qui plus est, je ne vois pas de griefs qui puissent être retenus à l'encontre des associations de victimes, que vous prétendez défendre alors que vous les évincez.

Dans une matière aussi complexe, quel est l'intérêt de remplacer un citoyen qualifié, reconnu pour sa compétence et son intérêt pour la justice, par quelqu'un qui, au fond, n'aura ni cette expérience, ni cette compétence, ni peut-être même cet intérêt puisqu'il aura simplement été tiré au sort ? Nous n'en voyons qu'un : rendre plus difficiles les libérations conditionnelles.

Faut-il que le Gouvernement méconnaisse à ce point le fonctionnement de l'institution judiciaire, ses exigences, ses difficultés, pour choisir ainsi d'étendre la présence des citoyens assesseurs jusqu'au domaine de l'application des peines ?

Ainsi, aux termes de l'article 9 du projet de loi, le tribunal de l'application des peines comprendra, outre le président et deux juges assesseurs, deux citoyens assesseurs qui participeront aux décisions pour les libérations conditionnelles des personnes condamnées à des peines privatives de liberté supérieures ou égales à cinq ans et pour le relèvement des périodes de sûreté. La chambre de l'application des peines comptera également deux citoyens assesseurs lorsqu'elle statuera en appel.

On comprend bien la logique populiste qui guide ce choix : il s'agit de laisser croire aux Français que la présence de simples citoyens auprès de magistrats professionnels constituera un frein aux libérations conditionnelles et au relèvement des périodes de sûreté. Mais de deux choses l'une, monsieur le ministre : soit vous pensez que ces dispositifs de sortie préparée sont inefficaces et, dans ce cas, il faut aller jusqu'au bout et les supprimer ; soit vous les jugez utiles pour préparer la réinsertion du condamné et lutter contre la récidive, ce que nous pensons, et dans ce cas, je comprends mal la raison d'être de ce projet de loi, qui vise l'objectif contraire.

L'application effective des peines, l'insertion et la lutte contre la récidive sont des enjeux majeurs pour notre société. En quoi l'association de non-professionnels permet-elle de répondre à ces enjeux ?

L'application des peines, c'est un suivi de long terme du condamné, qui appelle des compétences techniques, juridiques, médicales, parfois même psychiatriques, ainsi qu'une connaissance du milieu pénitentiaire.

À la lecture de ce projet de loi, on s'interroge vraiment sur la cohérence de vos nouveaux dispositifs. Votre précipitation risque encore une fois de priver le pays et ses représentants d'un débat de fond pourtant indispensable : le jury populaire est-il un plus pour la démocratie ?

Si l'on regarde le système judiciaire des autres pays, on voit qu'aux États-Unis, par exemple, le jury populaire est très présent, mais, dans le fond, est-ce une si bonne chose ? Comme l'a souligné Dominique Raimbourg, n'est-ce pas parfois une source de manipulation, y compris, parfois, au bénéfice de personnes mises en cause qui sont peut-être coupables ?

Il est difficile en réalité de se faire une opinion sur le sujet. En France, la tradition républicaine veut que le peuple se prononce pour juger les affaires criminelles, mais il faut bien admettre que la réforme de l'an 2000 a remis en cause une sorte d'infaillibilité du verdict populaire en instituant la possibilité de faire appel d'une décision de cour d'assises. Où est la cohérence, lorsque l'on prétend créer des jurés pour les délits, après en avoir supprimé pour les crimes ? Tout cela n'a aucun sens.

Encore une fois nous n'étions en aucun cas contre la présence de représentants de la société civile dans le fonctionnement de la justice. Nous sommes par exemple favorables à la généralisation des échevins. Ce modèle, fondé sur des personnes qui se dévouent et participent régulièrement à ces institutions, fonctionnait, et nous paraissait devoir être développé. À l'inverse, la solution proposée de citoyens tirés au sort sans que soient prévus les moyens nécessaires pour les former pose plus de problèmes qu'elle n'en résout.

Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la seule cohérence dans le projet présenté ici est celle qui est dictée par la stratégie politicienne et électoraliste du Président de la République, qui entend encore une fois s'exonérer de ses propres responsabilités, et notamment de celle de garantir au service public de la justice les moyens indispensables à son fonctionnement.

De si mauvaises intentions ne peut pas naître une bonne loi. Parce que ces sujets sont trop sérieux pour être traités à la faveur d'une séquence de communication préélectorale concoctée en catimini, derrière un buisson, un Patrick Buisson, devrais-je dire, je vous demande de voter le renvoi de ce texte en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Huyghe

Quand j'ai vu que vous présentiez une motion de renvoi en commission, monsieur de Rugy, je me suis préparé à aller chercher des éléments précis dans mon rapport pour vous répondre ; mais, pendant une heure, je n'ai entendu que procès d'intention, approximations, grandes déclarations politiciennes, attaques ad hominem, à part quelques commentaires, à la fin, sur la mise en place des citoyens assesseurs. J'avais l'impression que vous étiez non pas à la tribune de l'Assemblée mais plutôt à la tribune d'un meeting politique à l'approche de l'élection présidentielle. J'y insiste : j'ai entendu de nombreuses attaques ad hominem contre le Président de la République, notamment au début – assez long – de votre intervention.

Vous avez prétendu que le chef de l'État s'en était pris à l'ensemble du corps judiciaire alors que vous ne faisiez référence qu'à l'une de ses interventions dénonçant un dysfonctionnement, dont nous avons tous pu vérifier la réalité. En aucun cas le Président n'avait pris à partie l'ensemble des magistrats.

L'approche de l'élection présidentielle provoque chez vous une certaine fébrilité et, à en juger par l'excitation qui vous étreint, j'ignore dans quel état vous allez terminer la législature.

Vous avez évoqué plusieurs réformes de la justice. Heureusement que la majorité a soutenu celles proposées par le Gouvernement : il s'agissait d'une nécessité pour lutter contre la délinquance. Or ce fut plutôt une réussite si l'on compare les chiffres actuels de la délinquance avec ceux de 2002 : elle a diminué dans des proportions très importantes.

Selon vous, nous aurions voté trop de lois. Si je vous comprends bien, au bout de deux années d'activité législative, nous aurions dû cesser de légiférer, plus rien ne restant à faire. Mais si nous voulons réformer en profondeur le pays, adapter la législation à la réalité, nous devons bien voter des textes en permanence. C'est aussi pour cela que nous avons été élus.

Enfin, vous avez critiqué plusieurs dispositions du projet mais sans faire de propositions alternatives qui nous permettraient de discuter du bien fondé de la réforme. Malheureusement, vous vous êtes contenté d'une critique générale, d'approximations. Aussi la nature même de votre intervention m'interdit-elle d'y revenir point par point. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Je voudrais dire à M. de Rugy combien je suis triste. J'attendais beaucoup de sa part ; or il n'a émis aucune proposition, rien d'autre que des critiques. Au moins aurait-il pu énoncer une idée : rien ! Vous avez illustré avec talent, monsieur de Rugy, la maxime selon laquelle ce n'est pas parce qu'on n'a rien à dire qu'il faut le dire en peu de mots. (Rires et applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

L'antisarkozysme primaire, absolu, définitif ne peut en aucun cas tenir lieu de politique.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Vous avez le droit de critiquer le Président de la République mais faites des propositions ! Nos concitoyens n'aiment pas qu'on critique uniquement les personnes,…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Dufau

M. de Rugy a critiqué en M. Sarkozy l'homme politique !

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

…ils aiment qu'on leur fasse des propositions et qu'on leur ouvre des voies. Vous vous en êtes tenu ce soir à la seule critique d'un homme et par là vous avez manqué le but que vous poursuiviez. Je suis sûr que l'Assemblée aura à coeur de repousser votre motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Dans les explications de vote, la parole est à Mme George Pau-Langevin.

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

…défendue par notre collègue de Rugy (Rires sur les bancs des groupes UMP et NC), j'aurai peu d'éléments à ajouter. Nos collègues de la majorité n'ont pas apprécié qu'il ait rappelé certains propos du Président de la République. Je vois toutefois mal comment, hélas, faire autrement que de voir en ce texte la conséquence très directe d'une volonté présidentielle.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Gosselin

Les dispositions prévues par le texte figuraient dans le programme de 2007 !

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

Le chef de l'État nous a en effet expliqué à plusieurs reprises qu'il s'agissait, selon lui, de remédier à ce qu'il considérait comme des comportements, de la part des magistrats, qui ne lui convenaient pas.

Je souhaite à mon tour vous rappeler une citation du Président, datée du 31 décembre dernier… (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C'est tout de même lui qui est à l'origine de ce texte que vous essayez de défendre avec beaucoup de bonne volonté alors que – reconnaissez-le – beaucoup d'entre vous s'en seraient bien passés.

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

Donc, le Président déclarait : « Nous allons continuer à réformer car c'est la seule façon de préserver notre modèle et notre identité, c'est la seule façon de protéger la France et les Français, de les protéger de la violence chaque jour plus brutale de la part de délinquants multiréitérants…

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

…en ouvrant nos tribunaux correctionnels aux jurés populaires. Ainsi, c'est le peuple qui pourra donner son avis sur la sévérité de la réponse à apporter à des comportements qui provoquent l'exaspération du pays. » (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

C'est très clair. C'est bien pour contrebalancer ce qu'il considère comme une attitude laxiste de la part des magistrats que le Président a proposé ce texte…

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

…et que vous « ramez » pour essayer de le défendre.

La difficulté à laquelle vous vous trouvez confrontés est que ce texte est soumis à la procédure accélérée. Était-il si urgent de revoir notre procédure criminelle, de revoir la justice des mineurs ? Pourquoi faut-il que nous devions examiner à toute allure une telle réforme ?

Vous devriez vous rappeler ce que déclarait la CNCDH dans un avis aussi important qu'argumenté, et qui va à l'appui de la motion de renvoi présentée par notre collègue de Rugy : nous sommes régis par le principe de légalité des délits et des peines. La loi pénale doit donc être précise et pouvoir être interprétée de manière restrictive. Or, poursuit la CNCDH, la qualité de nos débats influe sur la qualité de la loi. Et comme nous légiférons de manière accélérée en mélangeant des problèmes très différents – ainsi, ce soir, nous discutons en même temps de la justice des mineurs, de la cour d'assises et des jurys citoyens –, la qualité des textes que nous élaborons s'en ressent terriblement.

De surcroît, si l'on nous demande d'examiner ces textes en urgence, par conséquent de les voter rapidement, nous attendons par la suite indéfiniment qu'on veuille bien prendre les décrets d'application, si bien que, très souvent, les lois votées selon la procédure accélérée n'entrent jamais en application.

Debut de section - PermalienPatrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement

C'est faux !

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

Je n'aurai pas la cruauté de rappeler ce qui est arrivé au texte concernant les pôles de l'instruction, que nous avons voté en urgence mais dont l'application est reportée d'année en année. De la même manière, la qualité du présent projet laissera beaucoup à désirer. Aussi le principe constitutionnel d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, après le travail que nous sommes en train de mener, sera-t-il sans doute très difficile à respecter.

C'est la raison pour laquelle il vaudrait mieux, après les explications très complètes de M. de Rugy, que vous acceptiez sa motion et que nous renvoyions ce texte en commission car, tel que vous nous le proposez, il ne méritera pas de rester dans les annales. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Yvan Lachaud

Nous avons écouté pendant un certain temps, pour ne pas dire un temps assez long, M. de Rugy et je reste très admiratif devant ceux – et notre collègue en fait sans doute partie – qui ont rédigé une intervention…

Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Il avait un bon nègre !

Debut de section - PermalienPhoto de Yvan Lachaud

…qui ne nous a absolument rien apporté.

Je trouve qu'elle a atteint son paroxysme lorsqu'il a été question de la notion d'immédiateté concernant les adolescents. Nous avons tous été adolescents et chercher à nous faire croire que l'immédiateté, ici, n'a pas de sens, vraiment, c'est confiner à l'aberration politique ! Quel pédagogue, quel éducateur, de droite ou de gauche, pourrait avancer qu'un adolescent n'aurait pas besoin d'une réponse immédiate ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yvan Lachaud

Vos propos, d'ordinaire, m'inspirent du respect mais, ce soir, vous avez beaucoup parlé pour ne rien dire sinon des aberrations, si bien que le groupe Nouveau centre demande que l'on passe immédiatement à la discussion générale.

Ce pays a vraiment besoin qu'on prenne des mesures fortes, notamment en ce qui concerne la justice des mineurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de François Pupponi

Il serait donc temps que vous vous mettiez au travail !

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Notre collègue de Rugy a démontré ce soir son manque d'inspiration qui l'a d'ailleurs contraint à se référer, pour les trois quarts de son intervention, au Président de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Vous avez évoqué ses propos sur le pouvoir d'achat, son passage au ministère de l'économie, tout cela – le ministre et le rapporteur l'on déjà relevé – dans un élan d'antisarkozysme qu'on pourrait qualifier de…

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

…primaire si l'on ne voulait pas tomber au niveau où vous avez placé votre intervention.

Je ne partage pas, bien entendu, la position exprimée par notre collègue Dominique Raimbourg dans sa motion de rejet préalable. Mais au moins son argumentation était-elle structurée et au moins a-t-il ouvert un débat de fond. Il n'a pas pris une posture politicienne, la vôtre, au passage, vous ayant servi de faire-valoir auprès de la candidate que, semble-t-il, vous voulez soutenir aux primaires organisées par votre formation politique.

Ce débat mérite beaucoup mieux. Associer nos concitoyens aux décisions de justice n'est pas inconvenant et je ne reprendrai pas le terme grossier que vous avez utilisé pour qualifier le texte. Mieux associer les citoyens français aux décisions de justice constitue un moyen décisif de recoudre le lien, aujourd'hui distendu voire brisé, entre la justice et eux.

Une récente enquête d'opinion soulignait que 72 % des Français n'avaient pas confiance en la justice. Cela montre bien, au-delà des postures politiciennes, la nécessité de rétablir ce lien, de réhabiliter, restaurer cette confiance indispensable. Les Français doivent avoir confiance en leur justice. En les plaçant au coeur de la décision, on ne fait que revenir à l'un des principes fondamentaux de l'histoire de notre procédure pénale puisque, je vous le rappelle car vous semblez l'ignorer, les jurys populaires ont été instaurés sous la Révolution française en 1791.

Je dénoncerai ensuite les contrevérités que vous avez énoncées sur la question des moyens, posture assez récurrente après celle consistant à attaquer le Président de la République. Il convient certes de reconnaître objectivement les difficultés et le rapport que je viens de rédiger n'est pas forcément complaisant sur l'état de la justice ; il pointe des dysfonctionnements mais énonce des propositions alors qu'on attend toujours les vôtres. Sur la question des moyens, donc, c'est cette majorité qui, depuis 2002, a augmenté le budget de la justice de 58 %. En 2002, il représentait 1,7 % du budget général de l'État, contre 2,4 % aujourd'hui.

Certains peuvent considérer que ce n'est pas suffisant, que des progrès restent à réaliser, et nous ne nions pas l'existence de problèmes de moyens que j'évoque, d'ailleurs, j'y insiste, dans mon rapport. Convenez néanmoins que le chemin accompli par cette majorité, vous ne l'aviez pas fait quand vos amis étaient au pouvoir. Les personnels du ministère de la justice ont augmenté de 5 400 personnes, le nombre de magistrats a crû de 16 %, celui des conseillers d'insertion et de probation de 143 % – autant de réalités que vous ne pouvez contester.

J'invite mes collègues du groupe UMP à rejeter votre motion et j'insiste, en leur nom, sur l'inconsistance absolue de votre argumentation et sur l'indigence de vos positions. Je vous renverrai à notre collègue André Vallini selon lequel ce n'est pas parce que ce texte a été proposé par Nicolas Sarkozy qu'il n'est pas bon. Bien au contraire, ce texte est global, il retisse le lien entre la justice et les Français, il fait des propositions extrêmement concrètes sur la justice des mineurs. Comment peut-on nier ce problème, comme vous l'avez fait ? Je crois que c'est notre responsabilité collective que d'aborder ces questions.

Certes, l'ordonnance de 1945 a été maintes fois réformée. La situation actuelle de la justice des mineurs est-elle pour autant satisfaisante ? Bien évidemment non. C'est pour cela que ce texte a été conçu, et qu'il apporte des réponses concrètes, pragmatiques, pertinentes. Il fera en sorte que notre justice fonctionne mieux. C'est pour cette raison que nous rejetterons votre motion. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n'est pas adoptée.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Dans la discussion générale, la parole est à Mme George Pau-Langevin.

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment d'aborder la discussion de fond sur ce texte, je me permettrai de rappeler cette maxime que l'on attribue à Montesquieu : « S'il est parfois nécessaire de changer certaines lois, ce qui est rare, il ne faut y toucher que d'une main tremblante. »

Le Gouvernement aurait été bien inspiré de méditer cette maxime, car il nous présente aujourd'hui un texte particulièrement curieux. Ce sont en fait deux textes, qui n'ont rien à voir entre eux, sinon qu'ils sont présentés en urgence, en lieu et place de projets sur lesquels nous avions eu l'occasion de réfléchir, qui avaient donné lieu à des rapports, à des avant-projets. Je pense à la réforme de la procédure pénale et à celle du code de justice pénale des mineurs, qui nous avait été annoncée en 2009.

Le texte qui nous est soumis est un leurre. Le Gouvernement communique beaucoup sur une partie de ce texte, à savoir le pouvoir de juger, qui serait « rendu au peuple ». En réalité, son but réel est de changer considérablement, et dans un sens qui nous inquiète, la manière d'aborder la justice des mineurs.

Chaque fois que nous abordons ce sujet, nos collègues de l'UMP nous parlent toujours de la victime et encore de la victime. Je veux redire ici que nous aussi, nous sommes conscients du drame que vit la victime. Nous aussi, nous sommes parents d'élèves. Nous aussi, nous sommes citoyens. Par conséquent, si nous voyons des adolescents en difficulté, nous voyons aussi des gens qui ont perdu un enfant ou un compagnon. La compassion n'est pas présente d'un seul côté de l'hémicycle.

Mais justement, le rôle de la justice n'est pas d'adopter exclusivement le point de vue de la victime, mais de répondre de manière raisonnable au trouble qui a été causé à la société. Nous n'avons pas à nous laisser entraîner par une passion, celle de la victime, même si sa rage ou sa colère sont particulièrement compréhensibles.

Je rappelle également que l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. C'est donc au juge de dire s'il y a lieu de prononcer des mesures privatives de liberté. Ce qui est gênant dans votre texte, c'est qu'il se situe à mi-chemin entre un système où la décision appartient à un jury majoritairement composé de citoyens et un système où le prononcé de la peine, surtout si elle est privative de liberté, doit revenir à des juges professionnels. Le Conseil Constitutionnel a rappelé, dans sa décision de janvier 2005 sur les juges de proximité, que le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté ne peut être confié à une juridiction composée de juges non professionnels.

Contrairement à ce qu'affirme le ministre, et même si ce qu'il dit correspond sans doute à sa conviction, ce texte porte la marque d'une rhétorique insupportable, parce qu'elle reflète une méfiance à l'endroit des magistrats que l'on a du mal à comprendre. Pratiquement, aujourd'hui, dans la logorrhée que l'on entend dans certains cercles du pouvoir, s'il y a des crimes et des récidives, ce n'est pas parce que vous n'arrivez pas totalement à les réduire – si tant est qu'une société puisse y parvenir –, c'est parce que les magistrats ne font pas leur travail. C'est cela qui nous gêne beaucoup, monsieur le ministre, quand on vous entend et quand on entend le Président de la République. Je pourrais aussi citer ce qu'avait dit M. Hortefeux, alors ministre de l'intérieur, au lendemain du drame affreux qu'a été le meurtre de la joggeuse Natacha Mougel, tuée par un déséquilibré. Il nous avait fait un développement assez insupportable : « Lundi dernier, lorsque chaque membre de la famille de Natacha Mougel, avec sa petite bougie, a entouré son cercueil, ce fut un moment terriblement poignant. En quelques semaines, plusieurs faits montrent le décalage entre la souffrance des victimes et la réponse pénale apportée par une minorité de magistrats. »

« Si ce criminel n'avait pas été libéré avant la fin de sa peine, poursuivait-il, la vie de Natacha Mougel aurait été épargnée. Je n'ai pas peur de le dire : cette affaire pose la question du rôle du juge de l'application des peines et de la responsabilité que lui confie la loi. Est-il normal, aujourd'hui, que des assassins ou des violeurs, condamnés par une cour d'assises, puissent sortir de prison avant la fin de leur peine parce que des magistrats professionnels l'ont décidé ? »

On voit bien que chaque fait divers est l'occasion d'enfoncer le clou et d'imputer aux juges, parce qu'ils ne seraient pas suffisamment sévères, la responsabilité de tout ce qui peut se passer de dramatique.

Or nous savons tous ici que si nous sommes confrontés à tant de difficultés en matière judiciaire, c'est en raison d'une double crise.

La justice souffre d'une crise interne : elle est encombrée, il manque des professionnels, il manque des juges et des greffiers. On est ainsi quasiment obligé de procéder à une justice expéditive, qui doit parfois examiner une vingtaine d'affaires au cours d'une seule audience. Si on en est là – et ceci m'oblige, j'en suis désolée, à contredire les propos tenus par M. le garde des sceaux –, c'est parce que, même s'il y a augmentation des moyens de la justice, une augmentation qui n'est d'ailleurs pas extraordinaire,…

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Elle est réelle.

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

…elle concerne surtout les moyens alloués à l'administration pénitentiaire. Le budget de la protection judiciaire de la jeunesse est, lui, en diminution. Et le maintien des moyens des services ne leur permet évidemment pas d'absorber le surcroît d'activité que vous leur demandez en multipliant les incriminations de toute nature.

Récemment encore, dans la loi de finances rectificative, vous avez su trouver deux milliards d'euros afin d'alléger les impôts des contribuables les plus riches. Ces deux milliards vous auraient été particulièrement utiles si vous aviez voulu augmenter les moyens de la justice.

Vous nous proposez aujourd'hui un projet de loi qui part d'une idée avec laquelle tout le monde ne peut qu'être d'accord : augmenter la participation des citoyens au jugement des délits, c'est évidemment une idée à laquelle on ne peut pas s'opposer. Mais quand on entre dans le détail du texte, on voit que les choses deviennent beaucoup plus floues.

Le périmètre de cette participation des citoyens est très flou. Les infractions économiques et financières, notamment, qui causent pourtant un trouble important à l'ordre public, n'en font pas partie. Nous constatons également que le mode de désignation des assesseurs est tout à fait hybride. D'un côté, on nous dit qu'on va les choisir en les tirant au sort sur les listes électorales. Mais de l'autre, on leur fait passer un petit examen sous la forme d'un recueil d'informations qui semble destiné à apprécier dans quelle mesure ils seront capables de remplir la mission qu'on va leur confier. On peut également se demander si la commission chargée de recueillir ces renseignements ne va pas tenter de savoir si ces personnes tirées au sort n'auraient pas des idées subversives, des idées sur la justice qui ne conviendraient pas à ceux qui les ont choisies.

On ne comprend pas non plus pourquoi, s'agissant des mineurs, vous supprimez des assesseurs qui avaient été choisis parce qu'ils étaient compétents et intéressés par les questions concernant les mineurs, et ce pour pouvoir les remplacer par des gens tirés au sort, qui n'y connaissent rien.

Un autre problème se pose, qui est assez surprenant. L'un des reproches que l'on fait le plus souvent à la justice est sa lenteur. Or, cette nouvelle procédure allongera considérablement les délais de jugement en correctionnelle, puisque les magistrats devront non seulement s'acquitter de leur travail, mais aussi expliquer en permanence à des novices les raisons pour lesquelles on doit procéder à telle ou telle décision, que ces raisons tiennent à la jurisprudence ou à des règles de procédure. Les « élèves » qui seront à leur côté ne pourront évidemment pas avoir des réflexes aussi rapides que les magistrats professionnels.

Vous avez également prévu que les décisions devront se prendre séance tenante, ce qui obligera le jury, après chaque affaire, à s'interrompre pour délibérer. Cela conduira à allonger considérablement les procédures. À cela s'ajoute le fait que nous passerons, en matière correctionnelle, d'une procédure sur dossier à une procédure orale, qui sera manifestement plus longue.

S'agissant de la participation des citoyens au jugement des crimes, vous dites vouloir éviter la correctionnalisation. C'est là un argument que nul ne peut recevoir. Car la meilleure manière d'éviter la correctionnalisation, c'est de mettre les moyens suffisants pour que les cours d'assises puissent être plus nombreuses et siéger plus longtemps.

Debut de section - PermalienPhoto de George Pau-Langevin

On pourrait alors faire juger en cour d'assises tous les crimes qui le méritent. Nous savons très bien que si certains crimes sont requalifiés en délits pour être jugés en correctionnelle, c'est parce que les moyens alloués aux cours d'assises ne leur permettent pas de statuer sur toutes les affaires criminelles.

Les cours d'assises simplifiées que vous nous proposez ne sont absolument pas une solution. Vous n'empêcherez pas le parquet de qualifier comme il l'entendra, de retenir ou pas des circonstances aggravantes, et donc de faire juger l'affaire en correctionnelle ou en cour d'assises.

Vous nous dites, par ailleurs, que votre but est que tout le monde soit jugé de la même manière. Or vous n'empêcherez pas non plus que, selon les endroits, on sera relaxé ou acquitté ici, et condamné ailleurs. Cette idée que la justice pourrait être partout exactement la même est un rêve de technocrate, qui ne correspond pas à la réalité de ce que nous voyons dans les audiences.

Sous prétexte de mieux associer les citoyens à la justice, vous diminuez le nombre de jurés en cour d'assises. Dans certains cas, vous le diminuez pour la cour d'assises dans sa formation classique. Et pour la cour d'assises simplifiée, la diminution est encore plus forte : on aboutira à une situation pour le moins bizarre, puisque les jurés sont réduits au nombre de trois. Il s'agit vraiment, comme on l'a dit, d'une « cour d'assises light ».

À l'occasion de cette réforme, on a vu apparaître des idées tout à fait farfelues, comme la possibilité donnée aux parties civiles d'interjeter appel en cas d'acquittement. Fort heureusement, le rapporteur et le garde des sceaux ont dit eux-mêmes qu'une telle disposition n'avait pas grand-chose à faire dans un texte consacré à la justice des mineurs. Il reste que, à force de vouloir modifier la procédure pénale, on finit par perdre de vue les principes fondateurs, et notamment celui qui veut que, quelle que puisse être notre volonté de mettre en avant la victime, c'est le parquet qui, dans notre pays, porte l'accusation au nom de la société. Ce n'est pas à la victime de se transformer en second accusateur public.

Vous nous dites également que les citoyens seront associés à l'application des peines. C'est la raison principale pour laquelle M. Hortefeux avait voulu que les jurys populaires y soient davantage associés. Là encore, il est contestable d'opposer à la légitimité des magistrats une légitimité de citoyens qui auraient raison, simplement parce qu'ils sont issus du peuple.

Une chose semble sérieuse dans les motivations de cette réforme, c'est le sentiment qu'on peut avoir aujourd'hui d'une crise de la représentation et des institutions. Certains citoyens, qui n'ont plus confiance dans la justice ou dans les institutions, pensent peut-être que les décisions seront meilleures s'ils peuvent les prendre eux-mêmes plutôt que par l'intermédiaire de représentants. Cela correspond au débat passionné que nous avions eu récemment sur le traité de Lisbonne et la question de savoir si les traités devaient être ratifiés par la représentation nationale, ou directement par le peuple.

Cette question de la démocratie et de la représentation est fondamentale aujourd'hui, et ce n'est pas en poussant le peuple à se méfier de ses représentants ou des personnes qu'il a chargées d'une mission, ni en le poussant à se substituer à eux d'une manière maladroite et mal organisée que vous arriverez à régler ce problème de la représentation.

Au contraire, si nous voulons que nos institutions fonctionnent, et que le peuple ait la sensation d'être représenté d'une manière qui lui convienne, nous devons traiter ces sujets sérieusement et éviter démagogie et surenchère. J'ai parfois le sentiment que les projets de réforme que vous nous présentez, notamment celui dont nous parlons ce soir, partent d'une préoccupation que nous pouvons partager : faire en sorte que le peuple estime que la justice est bien rendue en son nom ; mais vous ne pouvez pas le faire en foulant aux pieds les principes fondamentaux de notre société. C'est la raison pour laquelle cette réforme, telle que vous la proposez, ne peut pas recueillir notre adhésion. Au contraire, elle risque d'accroître la crise de la représentation, ainsi que nous l'avons souligné. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe GDR.)

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Dolez

Disons-le d'emblée, le projet de loi dont nous avons entamé l'examen est un nouveau texte de circonstance, qui va compliquer encore un peu plus le fonctionnement de la justice. Pour notre part, nous considérons qu'il est irrecevable tant sur la forme que sur le fond.

Au prétexte de rapprocher les citoyens et la justice, de renforcer le lien devant exister entre la population et l'institution judiciaire, vous nous présentez un projet de loi élaboré à la hâte et sans aucune concertation, alors même que la réforme de la carte judiciaire aboutit à fermer des tribunaux et que le manque de moyens humains et matériels de la justice est patent.

Vous faites de ce texte une urgence, alors que nombre de ses aspects sont inquiétants, voire gravissimes s'agissant des dispositions concernant la justice des mineurs. Ce texte ne réglera rien, la question centrale des moyens réels dont dispose la justice n'étant pas au coeur de ce projet.

Si l'objectif principal est réellement d'ouvrir la justice sur la société, d'ouvrir les institutions judiciaires aux citoyens, pourquoi ne pas avoir pris le temps de mener une vraie concertation ? Pourquoi recourir à la procédure parlementaire accélérée qui ne permet qu'une seule lecture devant chaque assemblée ? Bref, pourquoi ne pas se donner les moyens d'une vraie réforme ?

Ce sont, en réalité, des considérations électoralistes à peine voilées qui, à moins d'un an de l'élection présidentielle, expliquent un projet de loi imprégné tant de cette défiance maintenant constante de l'exécutif à l'égard des magistrats que de la volonté de lutter contre le laxisme supposé des juges.

L'exposé des motifs ne laisse d'ailleurs guère de doute à cet égard, puisqu'il affirme que la participation des citoyens « assure que les décisions juridictionnelles ne sont pas déconnectées des évolutions de la société ». Il fait ainsi référence aux propos du Président de la République, souhaitant que le peuple puisse « donner son avis sur la sévérité de la réponse à apporter. »

Dans le cadre de notre discussion générale, et au nom des députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche, je souhaite plus particulièrement mettre l'accent sur quelques remarques sur chacun des trois volets du texte : participation de citoyens assesseurs en correctionnelle et à l'application des peines, nouvelle réforme des dispositions relatives au jugement des crimes, réforme de la justice des mineurs. Autant de modifications qui ne résoudront aucun des problèmes actuels de la justice, mais risquent au contraire de les aggraver.

Concernant d'abord la création des citoyens assesseurs, l'objectif de la participation de nos concitoyens, pour enrichir le débat judiciaire et leur permettre d'en avoir une meilleure compréhension, ne pourrait qu'être louable si les modalités de cette création le permettaient vraiment.

Mais ce n'est pas le cas, et le premier problème est celui des critères du recours aux citoyens assesseurs pour le jugement des délits, puisque le choix est fait de ne les associer que pour les affaires qui « portent atteinte quotidiennement à la sécurité et à la tranquillité de la population ».

Sont donc exclues, malgré les lourdes peines qu'elles font encourir à leurs auteurs, les infractions relevant du domaine économique et financier ou de la délinquance organisée.

Ces critères sont éminemment contestables, car cela revient à considérer que les juges doivent être encadrés et soumis à la pression populaire pour sanctionner les vols et les agressions, mais pas pour les délits économiques et financiers, pour lesquels, ces dernières années, se multiplient d'ailleurs les tentatives de dépénalisation ou de réduction du délai de prescription.

Il en résulte deux catégories de juridictions correctionnelles : celles comportant des citoyens assesseurs, et celles composées des seuls magistrats ; et donc une justice à deux vitesses en correctionnelle.

Les délits seront ainsi jugés par des formations différentes en fonction de la nature des faits et non du quantum de la peine encourue, ce qui pose assurément la question du respect du principe d'égalité des citoyens devant la loi.

Autre conséquence du recours aux citoyens assesseurs : une procédure plus lourde, plus lente, et qui va dégrader les conditions du jugement, en raison de l'oralité nécessaire des débats, pour que le citoyen assesseur comprenne la réalité des faits et les problèmes juridiques posés. Pendant le délibéré, il sera nécessaire de lui fournir davantage d'informations sur les points techniques afin qu'il puisse prendre sa décision en toute connaissance de cause. Au final, le temps ainsi passé conduira immanquablement à une réduction du nombre de dossiers traités par audience, et donc au ralentissement de la durée de traitement des affaires.

La réforme va ainsi au moins doubler le nombre d'audiences pénales, et pour reprendre les termes utilisés par le président de l'Union syndicale des magistrats : « Elle risque de faire exploser le système judiciaire. C'est une folie et tout le monde le sait ».

S'agissant de l'introduction de citoyens assesseurs pour l'application des peines, le projet de loi prévoit qu'ils siégeront aux côtés des magistrats du tribunal d'application des peines et des chambres d'application des peines pour toutes les décisions relatives notamment à la libération conditionnelle ou au relèvement de la période de sûreté, dès lors que la peine est supérieure à cinq ans d'emprisonnement. À vrai dire, l'intérêt de cette innovation est difficilement perceptible car la société civile est déjà représentée à la chambre de l'application des peines en appel, sa composition étant désormais élargie, en plus des trois magistrats professionnels, à deux personnes : un responsable d'une association d'aide aux victimes et un responsable d'une association de réinsertion des condamnés.

Nous ne comprenons pas la nécessité d'introduire des citoyens assesseurs non spécialisés. Nous le comprenons d'autant moins que la pratique de l'application des peines est une matière très complexe, qui suppose des compétences techniques et un suivi de la personne détenue. Les citoyens assesseurs auront évidemment le plus grand mal à s'intégrer dans un processus de suivi et d'évaluation d'un détenu, ce qui demande une culture à la fois juridique et pénitentiaire et ne se construit pas en quelques heures de formation.

À la différence de la détermination de la lourdeur d'une peine, qui fait appel à des notions morales et qui renvoie à des valeurs sociales dont chaque citoyen a vocation à être le porteur et l'interprète, la décision de libération conditionnelle s'appuie nécessairement sur des savoirs criminologiques, juridiques, sociologiques, médicaux et psychiatriques.

En bref, nous ne voyons qu'une seule raison à l'introduction de tiers dans le domaine de l'application des peines : la volonté de rendre plus difficiles les libérations conditionnelles, alors que la libération conditionnelle, bien encadrée, est un facteur de prévention de la récidive.

La mise en place progressive de ces nouvelles dispositions relatives aux citoyens assesseurs, telle que prévue à l'article 31 du projet, pose enfin la question de l'égalité des citoyens. Deux cours d'appel appliqueront le dispositif à titre expérimental en juillet 2012, dix au plus tard au 1er janvier 2014. À quelques kilomètres de distance, pour des faits identiques, des personnes pourront être jugées devant des formations différentes en attendant la généralisation de la procédure sur l'ensemble du territoire.

Si le débat peut exister sur le point de savoir si une telle expérimentation est rendue possible ou non par l'article 37-1 de la Constitution, il semble en tout cas évident que le choix de l'expérimentation ne vise rien d'autre qu'à concilier l'obligation de respecter la volonté présidentielle d'instituer le dispositif dès 2012, et l'obligation de dégager les importants moyens budgétaires qu'imposerait la généralisation immédiate.

Concernant le jugement des crimes et la composition de la Cour d'assises, je veux d'abord souligner l'incohérence de la version initiale du projet, même si celle-ci a un peu évolué depuis le début de la discussion parlementaire, au point que sur ce plan trois versions coexistent : celle du Gouvernement, celle du Sénat, et celle de notre commission des lois.

Avec la Cour d'assises simplifiée telle qu'elle était proposée par le Gouvernement, la composition de la juridiction destinée à juger les crimes était la même que celle destinée à juger les délits. Les infractions, qu'elles soient qualifiées de délit ou de crime, seraient toutes poursuivies, introduites et renvoyées selon la même procédure et sur le fondement des mêmes règles d'audiencement devant des instances différenciées par leur seul nom. La Cour d'assises classique, en sa formation actuelle, serait dès lors devenue exceptionnelle et imposée aux accusés poursuivis en état de récidive légale ou pour les crimes passibles d'une peine de réclusion criminelle supérieure à vingt ans.

En proposant un tel dispositif, le Gouvernement a introduit une différenciation en fonction de la qualité de l'auteur et non en fonction de l'infraction. Pour lutter contre la pratique de la correctionnalisation, le Gouvernement proposait ainsi de faire juger la grande majorité des crimes comme s'il s'agissait de délits, de mettre en place une forme de correctionnalisation des assises, et comme le souligne très justement le Syndicat de la magistrature, en quelque sorte, on correctionnalise au nom de la lutte contre la correctionnalisation.

Ces assises simplifiées n'ont pas rencontré l'accord du Sénat, qui a préféré une réduction du nombre de jurés, sans distinction des catégories de crimes. Mais notre commission des lois a repris l'inspiration du texte initial avec la création d'une formation simplifiée de la Cour d'assises, composée de trois magistrats professionnels et de trois jurés. Outre le problème d'inconstitutionnalité posé par cette disposition – problème que le Gouvernement a lui-même soulevé, mais qui existe aussi pour la disposition qu'il avait proposée –, ce détricotage du dispositif de la justice en matière criminelle ne réglera pas le problème de la correctionnalisation et, en définitive, le nombre de jurés aux assises sera diminué, ce qui entraînera une moindre représentation de la société. Ce n'est pas, vous l'avouerez, le moindre des paradoxes de ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Dolez

J'aborde maintenant le troisième et dernier volet du projet de loi relatif à la justice des mineurs, sur lequel mon collègue Michel Vaxès reviendra plus particulièrement dans son intervention. Je veux cependant, d'ores et déjà, faire part de notre opposition résolue aux dispositions proposées, qui conduisent à vider de leur sens les principes de priorité éducative et de spécialisation de la procédure applicable aux mineurs. Comme le déplore l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille : « le projet de loi achève la déconstruction de l'ordonnance de 1945 et la consécration d'une justice des mineurs qui ne s'intéresse plus qu'aux actes commis par ces derniers et non plus à l'évolution durable d'une personnalité en construction ».

Nous ne comprenons pas la nécessité de procéder à une énième réforme ponctuelle de l'ordonnance de 1945, qui ne sera que la trente-cinquième, alors même que tout le monde s'accorde sur le fait que ces modifications nuisent à la lisibilité et à la cohérence de l'ordonnance et contribuent à un état d'insécurité juridique, tant pour les professionnels que pour les justiciables.

Nous ne comprenons pas non plus le caractère urgent d'une telle réforme, alors qu'un code de la justice pénale des mineurs est en préparation depuis 2008, et que vous nous dites, monsieur le garde des sceaux, qu'il est « quasiment achevé ».

Nous ne sommes d'ailleurs pas les seuls à être dubitatifs, puisque, comme nous, tous les professionnels s'interrogent sur les raisons pour lesquelles on modifie les textes applicables aux mineurs, en urgence, partiellement et sans lisibilité d'ensemble. Vous avez répondu, monsieur le garde des sceaux, devant la commission des lois. que « le terme très proche de la législature » ne permettait pas d'envisager dans l'immédiat la discussion du code de la justice pénale des mineurs. C'est donc bien le calendrier électoral qui justifie cette réforme partielle. C'est là aussi tout simplement inadmissible, tant sur la forme que sur le fond.

Votre réforme vise à supprimer un droit pénal spécifique pour les mineurs. Les dispositions du projet de loi tendent à nier aux mineurs délinquants leur statut d'enfant, d'enfant « particulièrement vulnérable » selon le Comité des droits de l'enfant des Nations unies, et qui bénéficient, à ce titre, de droits spécifiques en justice : spécificité des juridictions et procédures, traitement éducatif adapté avant tout, détention comme mesure de dernier ressort.

En proposant de mettre en oeuvre une justice plus expéditive, axée sur la seule sanction pénale, le texte porte gravement atteinte à ces principes car, comme le souligne très justement la Défense des Enfants Internationale : « Ces jeunes ont besoin d'une prise en charge rapide et d'un accompagnement humain, pas d'une condamnation rapide et encore moins d'un enfermement plus fréquent. »

C'est ainsi que la création d'un tribunal correctionnel pour mineurs, qui statuera dans des délais plus brefs que le tribunal pour enfants, conçu pour les mineurs récidivistes de plus de seize ans, porte atteinte au principe fondamental d'une juridiction spécialisée pour les enfants et devient de fait une juridiction d'exception pour les adolescents de seize à dix-huit ans.

De plus, la composition de cette juridiction ne garantit en rien la spécialisation de la justice des mineurs puisqu'un seul juge des enfants est appelé à y siéger aux côtés de deux magistrats non spécialisés. Plus inquiétant encore, deux jurés citoyens pourront, dans le cadre des infractions visées à l'article 2 du projet de loi, composer cette juridiction, à l'instar du tribunal correctionnel pour majeurs.

De ce fait, alors que la spécialisation de la juridiction des mineurs est assurée au tribunal pour enfants par la présence de deux assesseurs choisis pour l'intérêt qu'ils portent aux questions de l'enfance et par leurs compétences, cette garantie disparaît purement et simplement : les assesseurs sont remplacés par des citoyens, dont il n'est absolument pas exigé un quelconque intérêt pour les problématiques spécifiques des mineurs.

En réalité, la création du tribunal correctionnel est une nouvelle tentative d'aligner le traitement des mineurs sur celui des majeurs et de parvenir à un abaissement déguisé de la majorité pénale.

Le projet prévoit également la convocation par officier de police judiciaire à comparaître devant le tribunal pour enfants et permet ainsi la saisine directe de cette juridiction, alors même que le Conseil constitutionnel a censuré, le 10 mars dernier, une disposition analogue de la LOPPSI 2, qui prévoyait que le Procureur de la République pouvait faire convoquer directement un mineur par un OPJ devant le tribunal pour enfants, sans saisine préalable du juge des enfants. Il s'agit là encore d'une disposition qui porte atteinte au principe fondamental de spécificité de la justice pénale des mineurs, reconnu par les lois de la République et par les engagements internationaux ratifiés par la France. Le recours accru au placement en centre éducatif fermé des délinquants de moins de seize ans, l'assignation à résidence sous surveillance électronique mobile des mineurs de treize ans, la stigmatisation des parents de mineurs délinquants, l'instauration d'un dossier unique de personnalité sous le contrôle du Parquet sont autant de mesures que nous refusons.

L'idéologie sécuritaire nous enferme dans un cercle vicieux de répression, alors que les professionnels ne manquent pas d'outils juridiques répressifs, mais plutôt de moyens pour faire correctement leur métier et mettre à exécution les décisions qu'ils croient bonnes.

Ce n'est pas d'une nouvelle réforme que ces professionnels ont besoin, mais de moyens en personnels, en temps, en places disponibles dans des structures, en possibilités d'insertion professionnelle. Là est la véritable urgence, et ce texte n'y répond pas. C'est pourquoi nous le combattons. C'est aussi pourquoi, dans la discussion des articles, nous défendrons des amendements de suppression et des amendements destinés à combattre les régressions introduites depuis dix ans dans la justice des mineurs.

Vous l'aurez compris, monsieur le garde des sceaux : les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche sont farouchement opposés à ce projet qu'ils jugent inutile et inquiétant ; un projet qui, pour reprendre, monsieur le garde des sceaux, l'expression de l'un de vos illustres prédécesseurs, « relève du populisme judiciaire ».

Notre assemblée s'honorerait à le rejeter. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Yvan Lachaud

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, suite au rapport que j'ai remis au Président de la République sur le traitement judiciaire de la délinquance des mineurs, vous comprendrez que mon intervention porte essentiellement sur les articles relatifs au jugement des mineurs. Mon collègue Michel Hunault traitera ultérieurement de la première partie.

S'il est, dans notre société, une institution qui doit faire l'objet de l'attention de tous les démocrates, c'est bien la justice. En tant que démocrates, nous n'avons pas le droit de laisser cette justice s'éloigner de la réalité vécue par nos concitoyens. En tant qu'élus de la République, nous avons le devoir de garantir cette autorité. Or, s'il est un domaine qui, aujourd'hui, ne va pas sans poser des questions à l'État, c'est bien celui de la justice des mineurs.

Les élus, notamment ceux du Sud de la France, de l'Île-de-France ou du Nord, ne me contrediront pas : les délinquants mineurs éprouvent un sentiment d'impunité, leurs victimes un sentiment d'abandon, les forces de l'ordre un sentiment d'impuissance.

Nos concitoyens ne comprennent plus pourquoi l'État n'est pas à même de garantir la sécurité de leurs enfants quand ils vont à l'école ou se promènent dans la rue.

Alors, certains diront que nous jouons sur les peurs, que ces lois sont des lois de circonstance, ou encore une « rente politique ».

Mais, chers collègues, ouvrez les yeux, et ouvrez votre presse quotidienne régionale. Hier encore, dans le Sud de la France, une jeune fille de treize ans est décédée sous les coups d'un jeune de quatorze ans et onze mois devant son collège, pour une histoire de vengeance, de dépôt de plainte.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation exige de nous : responsabilité et objectivité. Nous n'avons que trop tardé à redonner à l'État les moyens de son autorité. Et s'il est évident que parmi ces moyens, il y a des moyens financiers – ne le cachons pas – il est tout aussi évident qu'il doit exister des moyens juridiques, et des bonnes pratiques qui permettront à l'État de retrouver de la crédibilité dans le domaine de la justice des mineurs.

Au cours des nombreuses auditions que j'ai pu mener dans le cadre de la mission qui m'a été confiée par le Président de la République, j'ai pu identifier trois causes de cette perte de crédibilité qui font aujourd'hui consensus dans tous les corps de métier concernés. La justice des mineurs n'est pas assez rapide, elle n'est pas assez effective, et elle n'est pas assez lisible.

Nous avons tous été adolescents ; nous savons que les jeunes ont besoin d'une réponse claire, et que lorsqu'elle est apportée plus de six mois après les faits, ces jeunes ne savent plus de quoi on leur parle. Ils sont en situation d'échec scolaire ou d'absentéisme, ou totalement déscolarisés. Ils n'ont pas commis un ou deux délits supplémentaires pendant ce laps de temps, mais des dizaines ! Tout cela parce que nous n'avons pas pu ou pas su apporter la réponse adéquate dès le premier acte.

Dans les centres, combien de jeunes mineurs délinquants m'ont dit : « Si on nous l'avait dit avant, nous n'en serions pas là aujourd'hui ! Si, le jour où on a volé notre première voiture, on nous avait mis ici, nous n'aurions pas volé la deuxième ! » Monsieur le ministre, je sais que vous avez très bien compris ces enjeux et votre projet de loi va dans la bonne direction.

J'ai rencontré à la Protection judiciaire de la jeunesse, contrairement à ce que l'on peut dire ou penser, des hommes et des femmes qui travaillent avec un sérieux remarquable. Ils ont une conscience professionnelle hors du commun. Ils font aujourd'hui appel à nous, législateurs, pour qu'on leur donne les moyens d'éduquer les jeunes de ce pays.

J'ai également pu comprendre en quoi les centres éducatifs fermés constituent une réponse efficace pour un grand nombre de jeunes aujourd'hui.

Un an après leur sortie, les taux de récidive sont en effet très satisfaisants, au contraire de la prison, qui est autant un échec pour le jeune que pour la société.

Le recours plus facile aux centres éducatifs fermés que permet ce texte me semble donc nécessaire à l'établissement d'une justice des mineurs plus efficace dans sa mission éducative.

Plus efficace, parce que la réponse sera plus rapide, et nous approuvons, avec un certain nombre de dispositions relatives à la procédure pénale que je soutiens, la généralisation du Dossier unique de personnalité. L'expérimentation a démontré que cela fonctionnait.

Pour avoir pu constater à l'étranger, aux États-Unis notamment, l'efficacité de ce type de dispositif et la coordination qu'il permet entre différents acteurs de l'État, je souhaite que son ouverture puisse être beaucoup plus étendue, et contrairement à ce que prévoit ce texte, étendue même aux services de police et de gendarmerie spécialisés qui auront à prendre en charge les mineurs délinquants.

Comme le disait le professeur Jamet, pédopsychiatre, les enfants, pour comprendre la parole de l'adulte qui vit dans un monde dont la logique est différente de la leur, ont besoin d'une parole claire et univoque. Cela vaut pour ses parents, comme pour l'État. Tel est l'intérêt majeur du DUP.

De la même manière, il faut associer étroitement les parents à la justice. Il faudrait aussi les impliquer davantage dans les délits mineurs, afin, justement, de les aider à apporter la réponse à leurs enfants avant que l'État n'ait à le faire lui-même.

Cela permettra aussi de conserver la solennité que doit revêtir la sentence de la justice. C'était une des préconisations de mon rapport remis au Président de la République. Je soutiens donc la création des tribunaux correctionnels pour mineurs, qui permettra aux jeunes de comprendre l'importance du verdict mieux que dans le cadre d'une simple décision en Chambre du conseil.

Rapide, lisible, la réponse devra aussi être effective. Le rapport de notre collègue Zumkeller sur les bureaux d'exécution des peines pour mineurs est éloquent. Si le DUP permettra de mieux appréhender l'ensemble du parcours du jeune, il faudra également s'assurer que les décisions prises dans ce cadre seront respectées. Il est impératif qu'un mineur qui fait l'objet d'un contrôle judiciaire et d'une mesure éducative lui interdisant de quitter son domicile de dix-huit heures à huit heures du matin ne soit pas dans la rue à trois heures du matin. Dans le cadre de son contrôle judiciaire, le bracelet électronique pourra permettre à la justice de vérifier qu'il est chez lui, et non dans la rue. Nous ne pouvons plus accepter de prendre une mesure de contrôle judiciaire, sans la contrôler. C'est à nous législateurs de prendre des dispositions. Nous avons besoin de remettre ces jeunes dans le droit chemin. S'ils ne sont pas sanctionnés, tous leurs camarades se mettront à les imiter.

Enfin, les difficultés ne se posent pas partout avec la même acuité.

Sans déroger au principe constitutionnel qui veut que chacun soit jugé de manière uniforme dans tout le pays, le principe de l'expérimentation me paraît nécessaire à la définition empirique des procédures et structures pénales les plus appropriées. Vous le savez, monsieur le garde des sceaux, les députés du Nouveau Centre approuvent cette mesure pragmatique et souple.

Ce projet de loi, qui garantit la spécialisation de la justice des mineurs et la primauté de l'éducatif sur le répressif, est équilibré.

Debut de section - PermalienPhoto de Yvan Lachaud

Il ouvre la voie à une justice des mineurs juste et efficace, comme le souhaitent nos concitoyens, qui attendent des actes pour pouvoir vivre en sécurité, circuler librement dans le territoire, ce qui n'aurait jamais dû cesser. Par rapport aux discours extrémistes sur le sujet, nous disons que la sécurité est un acte social. Il y va de la protection des plus faibles d'entre nous, les jeunes, les personnes âgées, qui sont les premières victimes.

Pour toutes ces raisons, le groupe Nouveau Centre votera avec plaisir ce projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « La justice est rendue au nom du peuple français, désormais elle sera rendue aussi par le peuple français ». C'est ainsi que le chef de l'État, Nicolas Sarkozy, annonçait le 3 février dernier, la réforme essentielle dont nous abordons aujourd'hui l'examen.

Cette réforme s'inscrit au plus profond de notre histoire juridique. Les jurys populaires ont été introduits dans notre procédure pénale au lendemain de la Révolution française, en 1791. D'inspiration anglo-saxonne, la volonté des constituants était d'en finir avec les dérives du système judiciaire de l'Ancien régime.

Au fil des siècles, les jurys populaires, émanation du peuple, ont également permis des évolutions jurisprudentielles et législatives essentielles. L'histoire a démontré qu'en prononçant parfois des acquittements retentissants, ils ont contribué à la mise en oeuvre de réformes rendues nécessaires par l'évolution de la société comme pour la correctionnalisation de l'avortement en 1923. Le juriste et historien Bernard Schnapper affirmait : « Le peuple fait les lois par ses députés et rend la justice par ses jurés. »

Le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et sur le jugement des mineurs constitue une étape nouvelle et majeure, qui matérialise la volonté du Gouvernement d'établir une justice plus proche du citoyen, plus réactive, afin de mieux prendre en compte les attentes légitimes des Français à l'égard de leur justice. En février dernier, une enquête d'opinion indiquait que, pour 72 % de nos concitoyens, la justice fonctionnait mal. En mai 2008, ils n'étaient que 41 % à nourrir ce même sentiment. Parallèlement, selon un sondage datant du mois de novembre dernier, 68 % des Français étaient favorables à l'instauration de jurés populaires. En accomplissant la mission que m'a confiée le Président de la République sur l'exécution des peines, j'ai pu mesurer, au cours de nombreuses auditions, que ce qui nourrit le sentiment de dysfonctionnement et, parfois, de défiance à l'égard de notre système judiciaire est dû à la fois à un manque de transparence, mais aussi au besoin légitime d'une plus grande célérité dans le prononcé des décisions et, bien évidemment, dans la mise en oeuvre effective des sanctions prononcées.

Ce projet de loi répond à ces différents objectifs. Tout d'abord, il vise à permettre à nos concitoyens de mieux s'approprier leur justice et, ainsi, de rétablir le lien de confiance, indispensable. Ensuite, il engage une réforme majeure de la justice pénale des mineurs, en conciliant efficacité de la répression et primauté du suivi éducatif.

Il s'agit d'un texte qui accroît la confiance dans la justice pénale. Une confiance accrue par l'introduction de jurés en matière correctionnelle, d'abord.

L'association des citoyens au jugement des délits les plus graves et au suivi de l'application des peines conduira les auteurs présumés à être confrontés au regard de leurs concitoyens, émanation de la société, dont ils ont enfreint les règles.

Une confiance accrue par l'introduction de jurés dans le domaine de l'application des peines, ensuite.

Parallèlement, le projet de loi prévoit en effet la participation de citoyens assesseurs au suivi de l'application des peines : ils siégeront, ainsi, aux côtés des magistrats du tribunal d'application des peines et des chambres d'application des peines pour toutes les décisions relatives à l'aménagement de la peine prononcée.

Je souscris pleinement, monsieur le garde des sceaux, à ce dispositif qui permet de renforcer la cohérence de notre système pénal en garantissant une certaine continuité de notre chaîne pénale, puisque, comme vous l'avez rappelé, 80 % des dossiers soumis à ces juridictions concernent des personnes condamnées par une cour d'assises. Il est donc naturel que ces citoyens puissent participer à la décision qui conduira à aménager un verdict pris initialement par une juridiction composée de jurés.

Une confiance accrue par la lutte contre la correctionnalisation, enfin.

Dès le début du 19e siècle, les magistrats avaient pris l'habitude de correctionnaliser les crimes les moins graves en disqualifiant les faits ou en oubliant une circonstance aggravante. Selon les praticiens, cette technique retirerait 70 % des affaires aux cours d'assises, soit près de 6 000 affaires par an.

Pratique induite par l'encombrement des cours d'assises, cette méthode, quels qu'en soient les objectifs, est inacceptable à un double titre.

Premièrement, elle engendre une rupture d'égalité entre personnes poursuivies. En effet, en fonction du ressort territorial de la cour d'assises qui sera amenée à statuer, le criminel a plus ou moins de chances d'être jugé par un tribunal correctionnel et, donc, d'encourir une peine moins importante.

Deuxièmement, elle conduit la victime à disqualifier le préjudice qu'elle a subi, et cela, pour être certaine que son agresseur présumé sera plus rapidement sanctionné.

Ce dispositif doit être combattu. Aussi je salue ici votre volonté, monsieur le garde des sceaux, de réduire sensiblement le recours à ce mécanisme, notamment en permettant, avec la réduction du nombre de jurés, la réunion d'un tiers de cours d'assises en plus.

Ensuite, le projet de loi aborde la question de la justice pénale des mineurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Ce volet est extrêmement important. Notre société est en perpétuel mouvement, il nous faut donc adapter notre dispositif législatif. Nous avons entendu de multiples critiques, un peu comme un marronnier médiatique qui revient en boucle chaque année, sur la multiplication des textes mis en oeuvre depuis 1945.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

En 1945, 30 000 mineurs avaient été mis en cause dans des affaires pénales : 0,6 % des mineurs, soit un jeune sur 166.

En 2008, près de 4 % des mineurs sont mis en cause par la police ou la gendarmerie – 220 000 mineurs –, soit un jeune sur 30. La comparaison de ces chiffres, qui ne valent que ce que peuvent valoir des statistiques, démontrent néanmoins l'évolution de la délinquance

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Nous devons, les uns les autres, aborder avec beaucoup d'humilité la question de la délinquance des mineurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

Si nous arrivions à nous extraire des postures politiciennes dans lesquelles vous vous enfermez, nous avancerions. Mais ces postures sont peut-être de nature à nous rassurer quand je vois Mme Lebranchu demande la suppression de 20 000 places de prison ou M. Vaillant prôner la mise en culture de 50 000 hectares de cannabis. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Raimbourg

Non. Mais il ne faut pas caricaturer, cela mérite une explication.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

M. Raimbourg en convient, lui. C'est un fait. Ensuite, il revient à chacun de juger. Pour notre part, nous avons porté un jugement, mais la différence entre vous et nous est là.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

En fait, vous vous complaisez dans cette différence. En tout état de cause, l'évolution que certains appellent de leurs voeux est loin d'être d'actualité. Je le regrette, même si, sur un plan politicien, je pourrais m'en réjouir.

Le texte prévoit des avancées majeures en termes d'adéquation entre la sanction prononcée et la personnalité du mineur, mais aussi pour une plus grande implication des parents.

Personnalisation, tout d'abord, en raison d'une sanction mieux adaptée.

Une première amélioration tient à la création d'un dossier unique de personnalité qui permettra aux différents acteurs de disposer d'informations précises sur la personnalité et le parcours du mineur.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit de renforcer le recours aux centres éducatifs fermés, les CEF. La prise en charge pluridisciplinaire au sein de ces structures produit de très bons résultats en termes de lutte contre la récidive.

Faut-il encore rappeler qu'en 2009, plus de 300 mineurs ont été jugés en état de récidive légale et plus de 7 500 en état de réitération ?

Les CEF m'apparaissent comme des structures très pertinentes : plus de 66 % des jeunes qui en sortent ne récidivent pas. J'ai d'ailleurs souligné, dans le cadre du rapport que j'ai remis au début du mois au Président de la République, la nécessité de généraliser la présence de CEF sur l'ensemble du territoire national, à tout le moins dans chaque ressort de direction régionale de protection judiciaire de la jeunesse, notamment dans le département que j'ai l'honneur de présider, avec une solution toute faite à Cagnes-sur-Mer.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Tout à fait.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Ciotti

J'ai également proposé de nouvelles formes de prise en charge, comme l'instauration d'un service citoyen. Je déposerai dans les prochains jours, une proposition de loi sur ce thème.

Enfin, tirant les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel d'invalider la procédure de convocation par officier de police judiciaire prévue dans la LOPPSI 2, je ne peux que me réjouir de voir cette procédure réinstaurée, tout en respectant strictement les conditions posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 mars dernier.

Personnalisation ensuite, en raison d'une plus grande implication des parents.

J'avais, il y a près d'un an, évoqué la nécessité de replacer l'autorité parentale au centre de la lutte contre la délinquance des mineurs. Caricaturée, ma proposition de loi avait néanmoins été largement soutenue.

Et pour cause : on constate que les mineurs développent d'autant plus facilement des comportements délictueux que leurs parents ne les surveillent plus, voire « démissionnent ». Il convient de souligner d'ailleurs que réhabiliter la responsabilité parentale est une ambition actuellement poursuivie par de nombreux États. Le Conseil de l'Europe s'est ainsi prononcé en faveur de mesures de responsabilisation des parents d'enfants mineurs délinquants.

Je me félicite que ce projet de loi intègre dans notre droit positif cette exigence, en imposant notamment aux parents de comparaître lors du jugement statuant sur les délits commis par leurs enfants.

Monsieur le Président, monsieur le Garde des sceaux, ce texte sera une réussite dans la mesure où il contribuera fortement à rétablir le lien de confiance quelque peu distendu entre les citoyens et notre justice.

Ce texte sera une réussite, car il apportera des solutions concrètes au drame de la délinquance des mineurs. Tels sont les objectifs qui doivent nous guider lors de l'examen de ce projet de loi auquel le groupe UMP apportera son total soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

Monsieur le Président, chers collègues, votre affabilité, monsieur le Garde des sceaux, ne peut pas cacher une cruelle réalité. L'institution judiciaire est affaiblie moralement et matériellement. Alors que la justice est « rendue au nom du peuple français », les citoyens doutent de leur justice. Les nombreuses interventions du pouvoir exécutif dans les affaires de justice mettent en cause la séparation des pouvoirs. Le contrôle des nominations, particulièrement des procureurs – mais pas seulement – porte atteinte à l'indépendance de la justice. Depuis 2002, la législation par l'émotion – un fait divers donne une loi – a fait de la justice un outil de communication politique. La politique des gouvernements depuis cette date se résume en une succession d'effets d'annonce qui ne produisent malheureusement aucun résultat.

Classée trente-septième sur quarante-trois au sein du Conseil de l'Europe pour le budget consacré à la justice, la France continue de chuter dans les classements européens. Alors qu'en un siècle la population a doublé, le nombre de magistrats n'a pas augmenté dans notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

La misère des tribunaux, nous le savons, est intolérable. Le délabrement des locaux, la pénurie des moyens matériels les plus élémentaires n'ont cessé de s'aggraver.

Votre gouvernement se vante d'avoir augmenté les budgets. C'est vrai, mais ceux-ci sont allés essentiellement à l'administration pénitentiaire au détriment des services judiciaires et de la protection judiciaire de la jeunesse.

À ce manque de moyens qui affecte la qualité de la justice, s'ajoute le dénigrement permanent des professionnels du monde judiciaire par celui que la Constitution désigne pourtant comme le garant du respect de la justice. M. Sarkozy n'a en effet cessé depuis 2002, et, plus choquant encore, depuis 2007, d'exprimer sa défiance à l'égard du monde judiciaire dans son ensemble.

Alors que l'urgence serait de donner les moyens à l'ensemble des professionnels de justice pour que la justice soit rendue vite et bien et que ses décisions soient exécutées, vous ne trouvez rien de plus urgent que de proposer des jurés dans les tribunaux correctionnels et aussi – mais vous en parlez moins – de vous attaquer à l'un des piliers du consensus national depuis 1945 : la justice des mineurs.

De prime abord, l'introduction de jurés dits populaires paraît être une idée sympathique. On ne peut qu'être favorable à un rapprochement de la justice et des citoyens. Mais j'ai le regret de vous dire que votre projet a tout de la fausse bonne idée.

Tout d'abord, vos jurés populaires vont désorganiser les tribunaux et paralyser la justice, comme l'étude d'impact l'a montré. À la différence de la procédure en cour d'assises, la procédure en correctionnelle est essentiellement écrite et exige souvent une grande technicité. Juger est un métier. Il faudra donc mobiliser des professionnels, qui ne sont déjà pas assez nombreux, pour former ces jurés. Cela va gravement ralentir la procédure et provoquer un engorgement des tribunaux alors que les audiences sont déjà surchargées. Il va y avoir un effet de bouchon après la phase policière alors même, ne l'oublions pas, que la France fait régulièrement l'objet de condamnations pour absence de jugement dans un délai raisonnable.

Je crois donc que votre projet va détériorer les conditions de jugement au détriment des personnes jugées et des victimes.

Pour ce qui est des décisions d'aménagement des peines, nous savons qu'elles sont déjà le résultat d'un travail d'équipe et qu'elles doivent être l'aboutissement d'un long suivi du parcours des détenus dont les jurés ne pourront être les témoins. Votre réforme ne répond donc à aucun vrai besoin, non plus qu'à aucune demande, ni des victimes, ni d'ailleurs des citoyens eux-mêmes, dont je doute qu'ils soient enthousiastes à l'idée de devoir abandonner leurs activités huit jours ou plus pour siéger dans un tribunal.

Plus grave encore, cette réforme instaurera une justice correctionnelle à deux vitesses : des jurés populaires pour la délinquance quotidienne et une justice sophistiquée pour la délinquance en col blanc, les infractions économiques et financières qu'on estime trop compliquées pour le peuple, des prévenus à qui l'on offre de surcroît la commodité du « plaider coupable », c'est-à-dire d'un arrangement loin de toute publicité.

En vérité, votre projet de loi, monsieur le ministre, répond à une obsession présidentielle : stigmatiser l'action des magistrats en prétextant qu'ils seraient laxistes, ce qui est faux, et en jetant le soupçon sur l'ensemble de l'institution. Cette attitude est insupportable. La Constitution est bafouée. Le parquet est contrôlé tous les jours à travers les instructions, le morcellement des affaires et leur dépaysement mais aussi à travers le jeu des nominations partisanes, la marginalisation des magistrats du siège et la tentative, heureusement avortée sous la pression du scandale, de supprimer le juge d'instruction.

Votre projet ne fera que compliquer le fonctionnement de la justice. On se demande d'ailleurs si vous y croyez vous-même puisque vous avez décidé de l'expérimenter d'abord et dans deux cours d'appel seulement.

Soyez certain que nous ferons tout pour que cette malheureuse expérimentation soit sans lendemain et que de vraies mesures efficaces et économes en moyens soient prises pour améliorer le fonctionnement des tribunaux et rapprocher la justice des citoyens.

Puisque vous réclamez des propositions, en voici.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Quand même !

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

Nous voulons faire figurer la justice au premier rang de nos priorités budgétaires. Notre objectif est simple et sera poursuivi sans faiblesse : remettre la France aux premiers rangs des pays d'Europe pour le budget de la justice par habitant, engagement pris solennellement lors d'un récent forum de mon parti consacré à la justice.

Nous mettrons en place dans les juridictions des lieux de consultation composés de professionnels et de représentants d'usagers.

Nous créerons aussi des instances de dialogue social avec les personnels de chaque tribunal, structures inexistantes aujourd'hui.

Nous généraliserons les bureaux d'exécution des peines.

Nous créerons une véritable justice de proximité en rassemblant des pôles multidisciplinaires, tenus par des magistrats, dans les tribunaux d'instance et dans les maisons de la justice et du droit.

Nous lancerons un plan de développement de la justice numérique pour la durée de la législature.

Nous limiterons la durée des audiences, comme le prévoyait la circulaire Lebranchu.

Pour les victimes, nous créerons des cellules d'accueil dans les commissariats et dans les tribunaux. Nous renforcerons le soutien matériel et financier aux associations d'aide aux victimes. Nous rétablirons une possibilité directe de constitution de partie civile par les victimes et faciliterons leur indemnisation. Nous introduirons l'action de groupe pour protéger les droits des individus face à la puissance de groupes industriels, financiers ou commerciaux, notamment en matière de droit de la consommation, de droit de l'environnement ou de santé publique.

Enfin, bien sûr, nous revaloriserons substantiellement l'aide juridictionnelle.

Voilà ce que nous ferons pour rapprocher la justice des citoyens. Mais j'en viens à votre autre cible car votre projet s'attaque à un pilier du consensus républicain : la justice des mineurs.

Après le Front populaire, le Conseil national de la Résistance a, dans l'ordonnance du 2 février 1945, mis en exergue deux principes cardinaux : la protection et l'éducation des enfants. Considérant qu'un mineur ne dispose pas de la maturité d'un adulte et que sa personnalité est en construction, ce texte organise la spécificité de la justice des mineurs dans des juridictions spécialisées, avec des procédures spécifiques et dans un but éducatif. Et, contrairement aux idées reçues, la justice française des mineurs est efficace : 80 % des enfants qui y sont confrontés ne récidivent pas.

Cette ordonnance de 1945 a d'ailleurs inspiré d'autres démocraties : l'Allemagne, sortant du nazisme et l'Espagne, du franquisme. La Suisse vient d'adopter une loi qui reprend ces principes. L'Allemagne prévoit même d'allonger la majorité pénale à vingt et un ans. Et pour avoir beaucoup de contacts à l'étranger, je peux vous dire que lorsque nos interlocuteurs se rendent compte de ce qui est en train de se passer en France, ils n'en croient pas leurs oreilles.

Or depuis 2002, votre majorité n'a eu de cesse de malmener ces principes en alignant la justice des mineurs sur celle des adultes. Vous revenez une nouvelle fois à la charge en proposant la création d'un nouveau tribunal correctionnel pour les mineurs de plus de seize ans composé par une majorité de juges non spécialisés et écartant le juge des enfants.

Debut de section - PermalienMichel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés

Non !

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

Par ailleurs, le recours systématique aux centres d'éducation fermés conduit à une impasse, comme le montrent la multiplication des incidents qui se produisent dans ces établissements et l'augmentation de l'incarcération des mineurs. Vous justifiez votre texte en prétendant que les jeunes d'aujourd'hui seraient différents de ceux de 1945. Mais si je veux bien admettre qu'ils ont pris quelques centimètres, ils restent des adolescents et des êtres en devenir. Vous devriez vous souvenir que la loi LOPPSI 2 a été censurée précisément pour protéger la spécificité de la justice des mineurs qui a été élevée au rang de principe constitutionnel. Les arguments qu vous avez employés tout à l'heure ne m'ont pas convaincue. Nous déférerons votre projet de loi devant le Conseil constitutionnel car il est non seulement contraire à la Constitution française, mais aussi contraire à nos engagements européens et internationaux sur les droits de l'enfant.

Aux antipodes de la politique du coup par coup actuellement conduite par votre gouvernement, voici les propositions que nous faisons pour obtenir des résultats en matière de délinquance des mineurs qui, en effet, est une grave question.

Mais d'abord regardons la réalité en face : les trois quarts des mineurs délinquants proviennent du prolétariat urbain ; un tiers de ces enfants n'a pas de père présent ! Tout comme en 1945, la délinquance des mineurs ne peut se réduire à une somme de problèmes d'individus n'appelant que des réponses individuelles. Elle révèle aussi un dysfonctionnement social qui appelle des réponses politiques à la hauteur des questions réellement posées. Pour cela, il faut du temps et du travail social en direction du jeune et de son environnement.

Il faut aussi une réflexion sur notre société : pourquoi génère-t-elle tant de violences ? Ce n'est pas simplement la responsabilité du jeune qui est en cause mais la responsabilité de l'ensemble de notre société.

Conformément à l'ordonnance de 1945, le parti socialiste considère qu'une véritable politique globale de prévention de la primodélinquance est un préalable absolu. N'oublions jamais qu'avant la récidive, il y a toujours une première infraction et une première victime.

Nous développerons une échelle de sanctions pénales diversifiées et proportionnées et multiplierons les alternatives à la prison et les mesures de réparation, mesures éducatives qui permettent aux mineurs de prendre conscience de leurs actes.

Nous créerons des délégués du juge pour enfants, sur le modèle des délégués du procureur, chargés de mettre en oeuvre pour la première infraction les mesures alternatives aux poursuites pénales.

Nous donnerons des moyens pour renforcer l'exercice de l'autorité parentale en soutenant les réseaux et structures d'aide à la parentalité. Cela nous paraît beaucoup plus important que d'imaginer de sanctionner des parents défaillants.

Nous développerons la spécialisation des acteurs dans le traitement de la délinquance des mineurs avec, par exemple, des officiers de police judiciaire spécialisés dans le traitement des infractions commises et subies par des mineurs.

Nous créerons des lieux de réparation dans les villes qui pourraient être confiés à des associations ou au secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse en lien avec les mairies. Nous rapprocherons les interventions de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'aide sociale à l'enfance.

Nous restaurerons les centres de placement immédiat, que nos avions créés et qui ne fonctionnent plus, pour prendre en charge sans délai les mineurs délinquants.

Pour les multirécidivistes sur lesquels les mesures prises en milieu ouvert sont demeurées sans effet, nous aurons recours à des centres de discipline et de réinsertion. Lorsqu'un suivi intensif sera nécessaire après le jugement, une mesure de tutorat judiciaire et éducatif sera créée pour suivre le mineur dans toutes les étapes de son parcours.

Monsieur le ministre, je crois qu'il ne faut pas oublier que la justice est une institution particulière dans l'État : elle est un des trois piliers de la démocratie. À la fois contre-pouvoir et service public, la justice de notre pays a besoin d'indépendance, de moyens matériels adéquats, de lois claires et applicables, de respect de ses missions et de tous ceux qui la servent. La droite a fait perdre dix ans à la justice en France ….

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

…en annulant les réformes votées entre 1998 et2002, sur lesquelles il conviendrait de revenir – pensons à la garde à vue. La droite a fait perdre des dizaines d'années à la justice par son retour à des pratiques des années soixante et soixante-dix de pressions sur la justice. Elle l'a même fait régresser de plus de deux cents ans avec la loi sur la rétention de sûreté qui bafoue les principes républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Guigou

Aujourd'hui, devant l'Assemblée nationale comme nous l'avons fait lors du forum consacré à la justice, nous prenons l'engagement de respecter la justice, de garantir son indépendance, de lui donner les moyens de sa mission de protection des citoyens, de lui rendre son fonctionnement normal et sa sérénité pour que les citoyens retrouvent la confiance qu'ils peuvent avoir en la justice de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaxès

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur l'ensemble du projet de loi. Mon collègue Marc Dolez a parfaitement exposé nos positions, en détaillant nos principales objections et inquiétudes relatives à ce texte.

Je concentrerai mes propos sur le dernier volet de ce projet de loi, consacré au jugement des mineurs, lequel est venu se glisser dans le projet sur les jurés populaires.

Une fois encore, votre réforme entend durcir la justice des mineurs en poursuivant l'entreprise de déconstruction de l'ordonnance de 1945, qui a fait déjà l'objet de trente-quatre modifications, dont douze ces deux dernières années

Avec les dispositions que vous proposez, vous rompez définitivement avec les principes fondamentaux posés par le Conseil constitutionnel et les textes internationaux. Vous optez pour l'alignement de la justice pénale des mineurs sur celle des majeurs. Ce faisant, vous niez tout simplement aux mineurs concernés leurs droits spécifiques, liés à leur statut d'enfant ou d'adolescent.

Ce projet de loi s'inscrit dans la lignée des précédents. Comme le souligne la Défenseure des enfants, Dominique Versini, dans son ultime rapport annuel : « Depuis cinq ans, les reculs successifs de la justice des mineurs, notamment pour les adolescents, conduisent à une sévérité accrue alors que tant le Conseil constitutionnel que la Convention internationale des droits de l'enfant de l'ONU imposent que prime l'éducatif sur la réponse répressive. »

Mais dans un contexte de plus en plus sécuritaire, vous arguez des statistiques policières indiquant que le nombre de mineurs mis en cause par les forces de l'ordre ne cesse d'augmenter pour justifier votre volonté de sanctionner de la façon la plus précoce, la plus rapide et la plus sévère possible.

Or, cette affirmation d'une augmentation continue est à tout le moins « une vérité totalement tronquée », selon le sociologue Laurent Mucchielli, dont je vous cite la démonstration : « Primo, si le nombre de mineurs “mis en cause” par la police et la gendarmerie ne cesse effectivement d'augmenter – il a doublé entre 1990 et 2010 –, c'est également le cas des majeurs, et dans des proportions à peu près équivalentes. Ce n'est donc en rien une spécificité des mineurs.

« Secundo, personne ne semble remarquer le véritable cercle vicieux que traduisent ces statistiques. En effet, lorsque l'on élargit la définition de la délinquance et que l'on donne des consignes pour poursuivre toutes les infractions, même les plus bénignes, la conséquence fatale est une augmentation des procédures réalisées par les policiers et les gendarmes […] Or la statistique policière est précisément un comptage de ces procédures administratives, et non une sorte de sondage permanent sur l'état réel de la délinquance. Dès lors, plus l'on poursuit la délinquance des mineurs, plus elle augmente dans cette statistique, mais cela ne veut pas forcément dire qu'elle augmente dans la réalité.

« Tertio, cet argument pseudo-statistique parle d'un volume mais ne dit rien de la nature de cette fameuse délinquance des mineurs. À partir de chiffres, l'on peut fantasmer tout et n'importe quoi quant aux types d'actes délinquants réellement constatés chez les mineurs. Et de fait, l'évocation de ces chiffres, appuyés par quelques faits divers, suffit généralement pour embrayer sur des affirmations relatives à l'aggravation perpétuelle de cette délinquance, affirmations qui sont purement gratuites. »

Quel est donc le véritable sens, quelle est l'utilité de cette nouvelle réforme ? Pour notre part, nous en contestons à la fois l'opportunité et le contenu.

Sur l'opportunité d'une énième réforme de l'ordonnance de 1945, nous sommes dubitatifs. Alors qu'un code de la justice pénale des mineurs est, nous dit-on, quasiment achevé, il est incompréhensible d'opérer de nouvelles modifications partielles qui ne pourront que nuire à la cohérence et à la lisibilité de l'ordonnance. De plus, déclarer l'urgence pour l'adoption de ces modifications est absolument injustifiable.

Sur le fond, la création d'un tribunal correctionnel pour mineurs, l'instauration d'une procédure de jugement accélérée, le renforcement des mesures de sûreté et l'aggravation des peines apparaissent dès à présent comme des atteintes graves aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et rappelés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 mars 2011. C'est un constat partagé par l'ensemble des professionnels de la justice des enfants : l'UNICEF, l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, le Conseil national des barreaux, le Syndicat de la magistrature, l'Union syndicale des magistrats, Défense des enfants internationale dénoncent tous ces dispositions régressives.

Or, si une modification du régime pénal applicable aux enfants s'avère nécessaire, elle ne peut être réalisée que dans le cadre global de l'enfance en concertation avec toutes les parties.

Pour parvenir à un traitement juste et efficace de la délinquance juvénile, la justice des mineurs doit pouvoir s'appuyer sur une prévention sociale et éducative forte, en aval et en amont de l'action judiciaire.

L'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille a élaboré un projet de réforme du traitement judiciaire de l'enfance délinquante. Je regrette, monsieur le ministre, que vous ne vous en soyez pas inspiré.

Je vais vous en livrer ici le contenu, auquel je souscris pleinement.

Voici le préalable posé par l'association : « une réflexion globale sur le renforcement de la prévention est indissociable d'une réforme de la justice des mineurs. » Elle fait le constat que l'activité des juridictions pour mineurs, en particulier dans les ressorts très urbanisés, atteste d'un engorgement qui conduit à une gestion anarchique et à une perte de sens.

Aujourd'hui, le dogme de la tolérance zéro aboutit à un taux de poursuites contre les mineurs supérieur à celui atteint pour les majeurs – plus de 90 %. L'orientation donnée aux procédures se fait « en temps réel », sur la base d'un rapport policier téléphonique par extension du traitement de l'urgence à toutes les situations.

Dans ces conditions, la réponse judiciaire se fonde sur des critères systématiques, trop simples pour s'ajuster à la complexité de la compréhension des besoins des adolescents. Elle ne permet pas d'orienter vers d'autres instances – familiales, sociales, scolaires – les procédures de moindre gravité, qui viennent encombrer inutilement les tribunaux.

Face à un tel constat, l'AFMJF considère qu'il est nécessaire d'inscrire la réponse judiciaire dans une logique réfléchie, lisible et comprise par le mineur, sa famille et les professionnels.

Tout d'abord, par transposition de la règle applicable en matière de finances publiques, le nombre d'affaires traitées ne devra pas dépasser les moyens alloués à la justice.

Par ailleurs, le juge des enfants doit pouvoir maîtriser l'audiencement des affaires, pour veiller à une cohérence des réponses données et les adapter au mieux au parcours et à l'évolution du mineur.

Ainsi, le mineur faisant l'objet de poursuites sera convoqué par le juge des enfants avec sa famille et son avocat dans un délai raisonnable et contraint – deux mois au maximum – pour une audience au cours de laquelle seront examinés les éléments de fait et de personnalité ; elle permettra de déterminer l'orientation de la procédure. Le mineur sera donc rapidement confronté à son juge ; le parquet, avisé à chaque étape, exercera son rôle d'impulsion et de contrôle.

Ensuite, l'AFMJF appelle à une réponse judiciaire réellement éducative. Elle propose ainsi l'adoption d'une procédure qui puisse s'adapter à la fois à la majorité des mineurs qui occupe les juges des enfants et à la minorité de ceux en grande difficulté, qui les préoccupe. Elle oppose la recherche de la « progression » d'une personnalité en construction, à la prise en compte, à titre principal, de la « progressivité » des actes.

Elle propose de concilier une intervention judiciaire rapide tout en ménageant une phase d'investigation et un accompagnement éducatif dans le cadre d'une mise à l'épreuve d'une durée de six mois modulable. Durant cette période déterminée, l'ensemble des infractions – dans l'hypothèse d'une réitération – sera réunie dans une procédure unique. Les mesures d'investigation et d'éducation, ainsi que les mesures répressives s'il y a lieu, seront ordonnées et modifiables dans ce cadre, en fonction de l'évolution du mineur.

À l'issue d'un délai de six mois, renouvelable une fois, l'orientation de la procédure et le jugement du mineur s'appuieront sur l'évaluation d'un parcours. L'objectif sera donc de juger un cheminement, soutenu par un suivi éducatif, tout en réagissant aux événements qui peuvent le jalonner. Cette procédure sera appliquée par un juge des enfants qui doit être spécialisé, sa formation et sa sensibilisation aux enjeux de l'enfance en difficulté offrant la garantie d'un suivi attaché à la personne du mineur.

L'AFMJF entend également concilier une juste réparation des droits des victimes et le temps de l'évolution du mineur. Il faut à la fois concilier des rythmes et des attentes différents et veiller à ce que le mineur bénéficie d'une période suffisante pour évoluer et réparer, en s'appuyant sur un soutien éducatif soutenu dans un délai néanmoins contraint.

Dans ce sens, l'intervention du juge des enfants à l'égard de l'enfance en danger, dans le cadre de l'assistance éducative, complète naturellement sa compétence en matière pénale et constitue un des leviers essentiels dans le champ de la prévention.

Il s'agit d'un projet très intéressant que je ne vous ai exposé que très partiellement.

Ce projet, à l'opposé du vôtre, monsieur le ministre, tient compte des attentes sociales et des préoccupations dont l'actualité se fait l'écho, tout en tirant les conséquences des dysfonctionnements que les praticiens constatent quotidiennement dans la prise en charge des mineurs délinquants.

Il s'inscrit donc dans une tradition et cherche à remédier aux incohérences induites par une succession de réformes impulsives qui ont apporté des mauvaises réponses à un vrai questionnement.

Ces propositions opposent à la fuite en avant de lois de circonstances un projet souple, pragmatique, conforme aux valeurs d'une justice des mineurs humaniste, éducative et spécialisée.

Elles entendent concilier des intérêts régulièrement présentés comme contradictoires : l'intérêt du mineur, l'intérêt de la victime et l'intérêt de la société.

Au final, permettez-moi de vous renvoyer à la lecture attentive du projet de l'AFMJF. Vous vous reprochiez tout à l'heure à l'un de mes collègues, monsieur le ministre, de critiquer beaucoup et de proposer peu : voilà des propositions ; je vous invite à les examiner avec attention, car elles me paraissent dignes d'un grand intérêt.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Le Fur

Prochaine séance, mercredi 22 juin à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Troisième lecture du projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge ;

Suite de la discussion du projet de loi relatif à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 22 juin 2011, à deux heures dix.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale,

Claude Azéma