La Commission examine, sur le rapport de M. Pierre-Alain Muet, la proposition de loi relative aux hauts revenus et à la solidarité (n° 1544).
Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi relative aux hauts revenus et à la solidarité, présentée par les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. Cette proposition fera l'objet d'un examen en séance publique le jeudi 30 avril à 9 heures 30. Trois articles sont proposés à notre discussion. Le premier a trait à l'abrogation du bouclier fiscal, les deux autres à l'encadrement des rémunérations des dirigeants d'entreprises bénéficiant d'aides publiques sous forme de recapitalisation.
Cette proposition de loi s'inscrit pleinement dans les réponses à apporter à la crise actuelle, qui comporte deux faces : les exigences de rentabilité incompatibles avec l'économie réelle n'ont pu se maintenir que par les dérives d'une mondialisation financière incontrôlée ; elles ont aussi provoqué, dans tous les pays, une explosion des inégalités. La faiblesse des rémunérations salariales a nourri le recours à l'endettement et gonflé la bulle financière. L'écart entre les rémunérations dans les entreprises, qui était de l'ordre de 1 à 20 dans les années 1960-1970 dans la plupart des pays, est souvent passé de 1 à 300, ce qui nous ramène à la période qui avait précédé la crise de 1929. Le phénomène a été observé aussi bien aux États-Unis qu'en France et au Royaume-Uni.
En France, alors que 90 % des salariés les plus modestes ont vu leur revenu stagner depuis 2002, la rémunération moyenne des chefs d'entreprise du CAC 40 est passée de 550 000 euros en 1999 à 4,7 millions d'euros en 2007, soit près de dix fois plus. Il n'existe aucune justification économique à cette dérive : ni le risque pris, puisque les revenus de ces dirigeants reposent en grande partie sur des rémunérations variables, en particulier des stock-options qui ne sont exercées que lorsque les conditions sont favorables, et s'accompagnent de parachutes dorés et de retraites chapeaux ; ni la performance de l'entreprise, puisque ces revenus reflètent essentiellement les mouvements généraux de la bourse. Le PDG de Merrill Lynch était, en 2007, le dirigeant le mieux payé de Wall Street, avec 83 millions de dollars.
Comment justifier une rémunération de près de 5 millions d'euros pour les dirigeants du CAC 40 alors que le salaire net d'un dirigeant d'une entreprise de moins de 10 salariés est en moyenne de 36 000 euros, c'est-à-dire trois SMIC, et que celui d'une entreprise de moins de 500 salariés est de 70 000 euros ? On le voit, l'explosion des rémunérations des dirigeants des grandes entreprises n'a que peu de rapport avec ce que les économistes appellent la « productivité marginale du travail ». Elle est particulièrement choquante dans le cas d'entreprises qui font appel à l'argent public. Peut-on accepter que cet argent serve à verser des rémunérations excessives à des dirigeants dont l'entreprise a été sauvée de la faillite par le contribuable ?
Ces considérations ont conduit le président Obama à limiter à 500 000 dollars la rémunération des dirigeants des entreprises qui ont fait appel aux subventions publiques.
Cette proposition de loi a exactement le même objectif.
L'article 3 interdit l'attribution de stock-options et d'actions gratuites – qui représentent la moitié des rémunérations des dirigeants – aux dirigeants d'entreprises recapitalisées. Il s'agit, d'une certaine façon, d'un approfondissement de la disposition prévue dans le collectif budgétaire.
L'article 2 instaure un plafond à la rémunération des dirigeants des entreprises recapitalisées, fixé à 25 fois la rémunération nette la plus basse dans l'entreprise. C'est une mesure comparable à celle qui a été prise aux États-Unis par le président Obama, cohérente avec la situation qui prévalait avant la dérive des rémunérations patronales et compatible avec le niveau des rémunérations les plus élevées dans le secteur public – celle du Président de la République, par exemple s'élevant à 295 000 euros.
Si l'on retient cette formule, un dirigeant ne pourra s'augmenter que s'il augmente les plus bas revenus. Nous proposons également un article additionnel tendant à plafonner les rémunérations des dirigeants des grandes entreprises, également par le biais d'un rapport à la rémunération la plus basse, qui serait proposé par le conseil d'administration et validé par l'assemblée générale des actionnaires.
Enfin, comment prétendre moraliser le capitalisme tout en conservant le bouclier fiscal ? Comment parler de solidarité nationale quand les bénéficiaires de ce dispositif sont en fait exonérés de toute hausse de la fiscalité ? Cette question a été soulevée lors du débat sur l'instauration de la taxe additionnelle à la CSG et la CRDS, assise sur les revenus du patrimoine, pour financer le RSA. Cet argument de justice fiscale a été repris par M. Philippe Séguin lors de son audition par notre commission à l'occasion de la présentation du rapport du Conseil des prélèvements obligatoires. Il a été évoqué également par M. Philippe Marini dans son rapport sur la proposition de loi du groupe CRC du Sénat visant à abroger le bouclier fiscal.
L'article 1er vise donc à supprimer le bouclier fiscal. Les données disponibles pour 2007 et 2008 montrent clairement que ce dispositif concerne essentiellement les contribuables aisés : 8 euros sur 10 versés au titre du bouclier vont aux 10 % des ménages ayant les plus hauts revenus, 2 euros sur 3 vont aux ménages disposant de plus de 15 millions d'euros de patrimoine. La réforme de 2007 a encore accentué son caractère inéquitable : la dépense fiscale a doublé alors que le nombre de bénéficiaires est resté quasiment constant, passant de 13 700 à 13 900.
L'argument selon lequel le bouclier fiscal permet d' « éviter que l'on travaille un jour sur deux pour l'État » ne tient pas, car il est impossible d'atteindre par les seuls revenus du travail la limite prévue dans le dispositif. Le bouclier fiscal ne joue qu'à raison de la détention d'un patrimoine : s'il est actionné par seulement 0,08 % des contribuables se situant dans la première tranche d'imposition de l'ISF, en revanche il l'est par 39 % de ceux qui atteignent la dernière tranche.
L'argument du bénéfice qu'en tireraient les contribuables modestes ne tient pas non plus. Certes 60 % des personnes concernées par le bouclier ne paient pas l'ISF, mais elles se partagent seulement 1 % des sommes versées, et les montants qui leur sont restitués sont passés de 9,6 millions en 2007 à 4 millions en 2008. En outre, précédemment, l'administration fiscale réglait elle-même ce type de problème par les demandes de remise gracieuse.
Le bouclier fiscal instaure un double bonus car le revenu retenu pour le calcul n'est pas le revenu réel du contribuable, mais un revenu diminué de l'usage de dispositifs fiscaux dérogatoires, notamment des niches d'assiette qui, du moins jusqu'en 2010, ne sont pas plafonnées. En 2007, 27 contribuables disposant de plus de 15 millions d'euros de patrimoine ont déclaré un revenu fiscal de référence de 1 000 euros par mois seulement, soit moins que le SMIC ; 36 sont dans cette situation en 2008, grâce à l'optimisation des niches.
Le rapport sur les niches fiscales montre d'ailleurs que 1 % des foyers fiscaux ont imputé un déficit moyen de 400 000 euros. Un contribuable dont le revenu réel serait de 400 000 euros pourrait ainsi ramener son impôt sur le revenu à 0. Non seulement il aurait économisé 148 000 euros au titre de l'IR, mais le bouclier fiscal lui rembourserait toute imposition sur le patrimoine !
Certaines niches d'assiette ont certes été encadrées par la loi de finances pour 2009. Cependant, plusieurs dispositifs permettront toujours de diminuer le revenu imposable dans des proportions parfois très importantes. C'est le cas du dispositif « monuments historiques », qui n'est pas limité, des revenus placés pour se constituer une retraite par capitalisation, des plus-values de cession sur les valeurs mobilières inférieures à 25 000 euros et de certaines plus-values immobilières.
Les bénéficiaires du bouclier fiscal ne sont pas concernés par le plafonnement des niches fiscales puisqu'ils sont de toute façon exonérés de tout prélèvement supplémentaire. Chers collègues de la majorité, vous dites souvent que la morale en matière fiscale, c'est de conjuguer plafonnement des niches et maintien du bouclier fiscal. Or le résultat est que seul un contribuable ne disposant pas d'un patrimoine important sera demain appelé à payer plus d'impôts au titre du plafonnement des niches. La morale, c'est donc certes de plafonner les niches, mais surtout de supprimer le bouclier fiscal.
Depuis l'examen de la loi TEPA en juillet 2007, le groupe Nouveau Centre n'a cessé de formuler des interrogations et de proposer des améliorations du bouclier fiscal. La nécessité de montrer davantage de solidarité est encore plus forte depuis que la crise mondiale s'est installée. Notre divergence ne porte pas donc sur l'objectif, mais sur les moyens car une nouvelle fois, on marche sur la tête !
Je rappelle à nouveau à mes collègues de l'opposition que, lorsqu'ils ont recréé l'ISF dans la loi de finances pour 1989, ils ont institué un système de plafonnement. Un amendement cosigné par le rapporteur général Alain Richard et par le président de la commission des finances Dominique Strauss-Kahn avait même ramené à 70 % le plafonnement, au lieu des 80 % proposés par le Gouvernement ! Que l'on parle de « plafonnement » ou de « bouclier », aucune personne raisonnable ne peut soutenir que l'on peut se passer d'un tel dispositif. Le débat ne peut porter que sur deux éléments : le niveau du plafonnement et le mode de calcul du ratio, autrement dit les éléments que l'on fait figurer au numérateur et ceux que l'on retient au dénominateur. La question n'est donc pas de savoir s'il faut abroger le bouclier fiscal, mais comment on peut l'adapter.
S'agissant de l'article 2 de la proposition de loi, est-il raisonnable de plafonner la rémunération des dirigeants des entreprises bénéficiant d'une aide publique sous forme de recapitalisation à vingt-cinq fois la rémunération la plus basse – soit, si on multiplie le SMIC par 25, à 300 000 euros – au moment où Mme Merkel fixe le plafond à 500 000 euros ? Par ailleurs, qu'entend-on ici par « recapitalisation » ? Certaines augmentations de capital n'en constituent pas. L'article 2, donc, ne tient pas plus que le premier.
Quant à l'article 3, il est superfétatoire puisque nous allons examiner demain en séance publique le texte de la CMP sur le projet de loi de finances rectificative, qui donne à l'État la possibilité de négocier les contreparties à ses aides.
Ce texte est donc inutile, mal fait et en contradiction avec les positions traditionnelles de la gauche – qui n'a pas touché, entre 2002 et 2007, au plafonnement institué en 1989.
Je remercie M. de Courson d'avoir montré que la gauche n'est nullement en faveur d'un impôt confiscatoire. C'est bien pour cette raison qu'elle a adopté, en son temps, le principe du plafonnement. Mais tout dépend du contenu : à l'époque, le plafonnement concernait l'impôt sur le revenu et l'impôt sur la fortune ; aujourd'hui, beaucoup ici conviennent que le bouclier fiscal n'est pas synonyme de justice fiscale, compte tenu de ses effets pervers particulièrement importants.
En effet. Le plafonnement n'est cohérent que s'il s'applique à une imposition cohérente. Ce que nous reprochons au bouclier fiscal, c'est de s'appliquer à tous les prélèvements, CSG et CRDS comprises, lesquels sont rapportés non pas au revenu réel, mais au revenu fiscal. Il est scandaleux que les contribuables qui n'ont pas un patrimoine élevé soient les seuls concernés par les augmentations de la fiscalité, les plus fortunés se trouvant épargnés. Ce système est profondément incohérent et injuste.
Autant que je sache, le code général des impôts comporte toujours un article permettant à l'administration fiscale d'intervenir en cas de rémunération exagérée. Je crois qu'il est assez souvent utilisé et que la référence retenue est en général le rapport avec la rémunération la plus basse. Pourquoi ne pas s'en tenir à ce qui existe déjà ?
Nombreux sont les députés, y compris dans la majorité, qui pensent que ce bouclier, qui mélange toutes sortes d'impôts et qui admet toutes sortes de dérogations dans le calcul du revenu, n'est pas acceptable. Cela n'a rien à voir avec le plafonnement de tel ou tel impôt. Il est tout à fait cohérent de notre part de demander la suppression du bouclier fiscal et le retour au système antérieur.
Si, la première chose à faire, c'est de supprimer le bouclier.
TITRE I
ABROGATION DU « BOUCLIER FISCAL »
Article 1er : Abrogation du bouclier fiscal
La Commission examine l'amendement CF 6 du rapporteur général.
Cet amendement vise à supprimer cet article relatif à l'abrogation du bouclier fiscal.
Le dispositif du bouclier doit être envisagé sous deux aspects bien distincts, celui du principe et celui des modalités.
Par la loi TEPA, nous avons introduit à l'article 1er du code général des impôts un principe fondateur : l'impôt ne peut être confiscatoire. Ce faisant, nous avons rejoint la plupart des pays européens. Nous avons voté dans la loi de finances pour 2009 un autre élément fondamental : nul ne peut s'exonérer de l'impôt s'il a des revenus confortables. À cet effet, nous avons établi un plafonnement global et rigoureux des niches fiscales. A compter de l'impôt payé en 2010 sur les revenus 2009, la défiscalisation ne pourra pas dépasser un montant annuel de 25 000 euros plus 10 % du revenu imposable. Du point de vue des principes, nous avons donc un équilibre.
Pour ce qui est des modalités, nous avions souligné dès l'origine certains vices de fabrication. Ainsi, la notion de revenu imposable peut être vidée de sa substance par des défiscalisations en amont : toutes les défiscalisations d'assiette diminuent le revenu imposable et augmentent la restitution au titre du bouclier. Nous avons également corrigé ce défaut dans la loi de finances pour 2009, qui transforme toutes les mesures de réduction d'assiette en réductions d'impôt.
S'agissant de l'inclusion des cotisations sociales dans le bouclier, vous connaissez mon point de vue personnel. J'ai expliqué dès 2007 que l'augmentation rapide des dépenses sociales nous conduirait forcément à augmenter telle ou telle cotisation. Le problème s'est posé dès le mois de septembre dernier avec le financement du RSA – ce qui, par ailleurs, a eu l'effet positif d'accélérer la mise en place du plafonnement global des niches fiscales.
J'observe qu'en 1989 et 1990 la majorité de l'époque a non seulement institué un plafonnement, mais inclus dans ce « bouclier » la CSG ; en revanche, elle n'avait pas inclus les impôts locaux, ce qui est un peu curieux d'un point de vue de l'équité fiscale : sur les 200 000 contribuables potentiellement concernés par le bouclier actuel, 180 000 le sont uniquement au titre des impôts locaux.
Dans le rapport sur l'application de la loi fiscale que je vous présenterai en juin prochain, je procéderai à une analyse approfondie du bouclier, en mettant en évidence à la fois l'intérêt du principe et les correctifs qu'il est nécessaire d'apporter. Sur ces questions, j'aimerais que nous sortions des débats idéologiques stériles pour faire un travail constructif. On ne peut être opposé à l'idée que l'impôt ne doit pas être spoliateur, et c'est pourquoi je vous invite à adopter cet amendement de suppression.
Après cette intervention, Monsieur le rapporteur général, je ne doute pas que vous proposerez très prochainement d'exclure du bouclier fiscal la CSG et les autres prélèvements sociaux !
À l'origine du bouclier et des incessantes discussions qu'il suscite, il y a l'ISF. Le rapporteur montre bien que ce dispositif représente des montants importants pour un petit nombre de personnes et de faibles montants pour beaucoup de personnes. Faut-il protéger plus de monde ou libérer plus d'argent ? Si l'on se mettait d'accord, sur tous les bancs de l'Assemblée, pour supprimer l'ISF, le problème du bouclier tomberait de lui-même. C'est l'ISF qui génère toutes sortes de dispositifs visant à protéger le contribuable. La gauche devrait se montrer raisonnable sur ce point et ne pas en faire un argument politique.
Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CF 6. En conséquence, l'article 1er est supprimé.
TITRE II
EXIGENCES APPLICABLES AUX REMUNERATIONS DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISES BENEFICIANT D'AIDES PUBLIQUES SOUS FORME DE CAPITALISATION
Article 2 : Plafonnement de la rémunération des dirigeants des sociétés aidées par l'État
La Commission examine l'amendement CF 7 du rapporteur général.
Depuis le dépôt de cette proposition de loi, il s'est passé quelque chose d'important : Assemblée et Sénat ont souhaité introduire dans le collectif budgétaire un dispositif tendant à limiter les éléments de rémunération des dirigeants d'entreprise. L'Assemblée a voté à l'unanimité un amendement qu'avait déposé Didier Migaud pour que les conventions signées par l'État avec les banques bénéficiant de l'aide de la SFEF mentionnent les conditions d'exercice de leurs activités dans les paradis fiscaux. À la suite des informations relatives à la Société générale, j'ai proposé d'ajouter, et le sous-amendement a été adopté, que ces conventions précisent également les conditions d'attribution des stock-options et des actions gratuites. Au Sénat, Jean Arthuis a proposé un amendement tendant à prendre en compte tous les éléments de rémunération. On a pu en effet constater qu'au fur et à mesure des contrôles institués sur l'un de ces éléments, s'opérait un transfert sur un autre : du bonus vers la part variable, de la part variable vers le parachute doré, du parachute doré vers les rémunérations différées, des rémunérations différées vers les retraites chapeaux… Nous avons donc adopté en CMP la définition la plus large possible des éléments de rémunération.
Il convenait également de définir les entreprises « soutenues par l'État » – qui sont seules concernées par cette proposition de loi. Celle-ci ne vise que les « aides publiques sous forme de recapitalisation » ; la rédaction de la CMP est meilleure car elle couvre les aides apportées par la SFEF, la SPPE et le Fonds stratégique d'investissement. Elle vise également la filière automobile – qui bénéficie de prêts directs – et s'étend aux entreprises publiques. Le texte de la CMP renforce le décret du Gouvernement, qui, nous l'avons appris hier en réponse à une question de Charles de Courson, l'acceptera demain lors du vote final. Dans ces conditions, les articles 2 et 3 de cette proposition de loi sont plus que satisfaits. C'est pourquoi nous défendons des amendements visant à les supprimer.
Avis défavorable. Votre argument peut valoir pour l'article 3, mais l'article 2 est bien différent puisque nous proposons de fixer un rapport entre la plus haute rémunération et la plus basse. De l'après-guerre jusqu'au début des années 1980, dans la plupart des pays, le ratio était de un à vingt ou trente. À partir de la fin des années 1990, les plus hautes rémunérations ont progressé vers des niveaux extravagants. Pourquoi la valeur travail d'un dirigeant d'une très grande entreprise du CAC 40, payé trois cents fois le SMIC, serait-elle cent fois supérieure à celle du dirigeant d'une PME de cinquante salariés, dont la rémunération est de l'ordre de trois SMIC ? Dépourvue de justification économique, cette dérive des rémunérations est encore plus scandaleuse dans les entreprises qui font appel à l'argent public. C'est pourquoi nous voulons dans ce cas fixer un ratio, et celui que nous retenons correspond à celui qui a pu être observé dans le monde lorsque l'économie était saine. Dans les autres entreprises, nous proposons de laisser au conseil d'administration le soin de faire des propositions sur le ratio à retenir. Au-delà de la moralisation du capitalisme, il s'agit de garantir le bon fonctionnement de l'économie de marché. Le texte de la CMP est utile, mais il ne va pas aussi loin.
L'internationalisation des entreprises empêche de prendre ce genre de dispositions car il est toujours possible de faire rémunérer les dirigeants par les filiales.
Par ailleurs, la notion de rémunération que vous retenez dans ce texte est trop étroite : c'est l'ensemble des éléments de rémunération et avantages qui doit être pris en compte, comme dans le texte de la CMP.
La dérive des rémunérations est incontestable, mais elle est d'origine systémique : en droit français, les éléments de rémunération des mandataires sociaux sont fixés par le conseil d'administration. Nous, centristes, préférons le schéma que les Anglais viennent d'adopter, qui laisse à l'assemblée générale des actionnaires le soin de fixer l'ensemble des éléments de rémunération et avantages des mandataires sociaux. Croyez-vous que Daniel Bouton aurait osé venir devant l'assemblée générale des actionnaires, dont les actions ont perdu 65 % de leur valeur, expliquer que sa rémunération était insuffisante ?
Si les rémunérations ont subi de telles dérives, c'est parce qu'elles sont fixées par des comités de rémunérations composés toujours des mêmes personnes. Il faudrait appliquer les mêmes dispositifs dans toutes les entreprises, qu'elles soient aidées ou non. Si nous voulons faire une vraie réforme, attaquons-nous aux causes du phénomène ! En assemblée générale des actionnaires, en présence de journalistes de la presse économique, il serait malvenu pour un dirigeant de demander des avantages supplémentaires alors que l'entreprise est en mauvaise santé.
Je comprends le désir de plafonner les revenus des dirigeants, mais en tant que député de la commission des affaires étrangères, je vous rappelle l'existence de la mondialisation : ce plafonnement conduirait les dirigeants à se faire rémunérer par des filiales étrangères, et la France serait perdante. Plutôt que de se donner bonne conscience, il faut faire preuve de réalisme.
Je compte sur Charles de Courson pour voter celui de nos amendements qui tend à ce que le conseil d'administration propose à l'assemblée générale des actionnaires un ratio limitant l'écart entre les rémunérations.
Si la plupart des pays du monde ont maintenu un ratio de un à vingt pendant une cinquantaine d'années, ce n'est pas un hasard : après la crise de 1929, Roosevelt a très fortement relevé le taux d'imposition sur les hauts revenus, en le portant de 25 % à 60 %, puis à 70 %, puis à 91 % en 1941 ; en moyenne, pendant toute cette période, ce taux a été de 80 %, et le capitalisme américain ne s'en est pas mal porté. Dans le même esprit, nous demandons qu'on rétablisse un rapport cohérent entre les rémunérations au sein de l'entreprise. Le G 20 s'est lui-même préoccupé des dérives constatées ces dix dernières années, et il faut poursuivre la réflexion au niveau international. M. Obama a également pris des mesures fortes en limitant à 500 000 dollars les rémunérations des dirigeants d'entreprises recapitalisées et nationalisées.
La Commission adopte l'amendement CF 7. En conséquence, l'article 2 est supprimé.
Article 3 : Interdiction de l'attribution d'options sur actions aux dirigeants des sociétés aidées par l'État
La Commission examine l'amendement CF 8 du rapporteur général.
Contre l'avis du rapporteur, la Commission adopte l'amendement CF 8. En conséquence, l'article 3 est supprimé.
Après l'article 3 :
La Commission examine l'amendement CF 1 de M. Pierre-Alain Muet.
Cet amendement vise à instaurer au sein du conseil d'administration un comité des rémunérations indépendant, qui devra remettre un rapport à l'assemblée générale des actionnaires sur les rémunérations des dirigeants et la politique de rémunération, passée et à venir, de la société.
Les comités de rémunération se sont généralisés dans les grandes entreprises, et il n'y a pas lieu de rigidifier le dispositif en lui donnant une base légale.
La Commission rejette l'amendement CF 1.
Puis elle examine l'amendement CF 2 de M. Pierre-Alain Muet.
Cet amendement, qui devrait satisfaire M. de Courson, vise à assurer la transparence des rémunérations des dirigeants. Le plafond, fixé sous la forme d'un ratio entre rémunérations la plus haute et la plus basse, serait proposé par le conseil d'administration, soumis à l'avis du comité d'entreprise et validé par l'assemblée générale des actionnaires.
Cet amendement ne va pas assez loin ! Pourquoi ne pas adopter le système anglais, qui charge l'assemblée générale des actionnaires de fixer, en toute transparence, l'ensemble des éléments de rémunération et avantages ?
Nous avons déjà fait progresser la transparence puisque, depuis 2006, les rémunérations différées et les parachutes font l'objet de conventions réglementées. Mais il faut en effet aller plus loin, et comme M. de Courson, je souhaite que tous les éléments de rémunération des dirigeants soient validés par l'assemblée générale des actionnaires.
La Commission rejette l'amendement CF 2.
Puis elle examine l'amendement CF 3 de M. Pierre-Alain Muet.
Nous proposons de limiter les indemnités de départ, dites « parachutes dorés », en plafonnant l'indemnité totale de départ à deux fois la plus haute indemnité de départ prévue en cas de licenciement d'un salarié.
Ce plafonnement fait partie des recommandations AFEP-MEDEF. Les protocoles signés par la plupart des grandes entreprises énumèrent en outre les situations pouvant donner lieu à une telle indemnité, excluant les départs liés à un échec de l'entreprise. Les conventions passées entre l'État et les banques, en octobre dernier, prévoient que celles-ci signent un protocole avant le 31 décembre 2008 ; mais faute de mention des stock-options, il est advenu ce qu'on sait à la Société générale. Néanmoins ces protocoles sont efficaces.
Parmi les recommandations AFEP-MEDEF, il y a aussi celle de mettre fin au cumul d'un contrat de travail et d'un mandat social.
La Commission rejette l'amendement CF 3.
Elle examine ensuite l'amendement CF 4 de M. Pierre-Alain Muet.
Cet amendement tend à limiter les retraites chapeaux des dirigeants à 30 % de la rémunération de la dernière année d'exercice de leur fonction.
La Commission rejette l'amendement CF 4.
Puis elle examine l'amendement CF 5 de M. Pierre-Alain Muet.
Cet amendement a pour objet d'interdire les stock-options dans les sociétés de plus de cinq ans. La formule est pertinente pour aider les sociétés qui viennent de se créer, mais au-delà elle conduit à des abus.
Je vous renvoie au débat sur la loi sur les nouvelles régulations économiques : la majorité de l'époque était la première à reconnaître les vertus de cette forme de rémunération que constituent les stock-options, qui permet à des entreprises de réinvestir davantage dans l'entreprise. Il n'y a pas lieu d'en restreindre l'utilisation aux entreprises de moins de cinq ans.
La Commission rejette l'amendement CF 5.
La suppression des articles et le rejet des articles additionnels valent rejet du texte. En conséquence, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de la proposition de loi.
Le second point de l'ordre du jour est une communication de M. Gaëtan Gorce relative aux perspectives et au financement de la formation professionnelle.
Merci, Monsieur le Président. Je m'exprimerai brièvement compte tenu des incertitudes qui pèsent encore sur la réforme de la formation professionnelle tant que le projet de loi, annoncé pour la mi-avril, n'a pas été déposé.
J'ai organisé une série d'auditions au cours des dernières semaines, réunissant les représentants des employeurs et des organisations de salariés qui ont signé unanimement le nouvel accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009 sur le développement de la formation tout au long de la vie professionnelle, la professionnalisation et la sécurisation des parcours professionnels. Cet accord a été bien accueilli par les partenaires sociaux qui l'ont signé à l'unanimité. Sa transposition est désormais conditionnée par le dépôt et l'examen du projet de loi.
Des responsables des régions ainsi que des experts ont également été entendus. J'ai pu m'entretenir avec le directeur de cabinet du Secrétaire d'État à l'emploi, M. Laurent Wauquiez.
Deux enquêtes de la Cour des comptes, l'une réalisée à la demande de notre commission des Finances sur le droit individuel à la formation et l'autre publiée sous la forme d'un rapport thématique sur la formation professionnelle tout au long de la vie, avaient déjà proposé des pistes de réformes. Elles ont analysé les financements mobilisés en faveur de la formation professionnelle, et évalué à 34 milliards d'euros pour 2006 les sommes consacrées à la formation initiale et à la formation continue, dont 27,1 milliards d'euros pour la formation continue et l'apprentissage.
Cet accord national interprofessionnel comprend des points très positifs. Plusieurs dispositifs de formation professionnelle, comme le congé individuel de formation ou le droit individuel à la formation, sont simplifiés et leur efficacité est renforcée. De nouveaux dispositifs sont ajoutés, tels que la formation initiale différée ou le bilan d'étape professionnelle.
Le nouvel accord se fixe comme objectif de former chaque année 500 000 salariés supplémentaires parmi les moins qualifiés et 200 000 chômeurs de plus. Il prévoit en outre la création d'un Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels, destiné à remplacer le Fonds unique de péréquation et doté de missions plus larges en faveur des publics cibles.
En outre, le texte restructure la gouvernance de la formation professionnelle en redéfinissant les missions des organismes collecteurs et en prévoyant la composition du Comité paritaire national pour la formation professionnelle, instance stratégique qui définira les orientations de la formation professionnelle.
Je dois néanmoins vous faire part de plusieurs regrets. Ces avancées réelles ne se sont malheureusement pas inscrites dans la perspective d'une réforme plus ambitieuse, incluant l'association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) et les régions. La première voit son destin réglé par des initiatives gouvernementales décidées sans véritable concertation. Les secondes ont été tenues à l'écart d'un processus dont elles continuent pourtant à être des acteurs majeurs.
La « brusquerie » avec laquelle, enfin, a été imposée la création d'un Fonds d'investissement social et la difficulté de l'articuler avec le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels prévu par l'accord sont malheureusement révélateurs du manque de cohérence du dispositif mis en place. Pour financer le Fonds d'investissement social, les partenaires sociaux seraient contraints de mobiliser le fonds d'urgence de 200 millions d'euros créé par l'accord de janvier et, surtout, le fonds de sécurisation des parcours professionnels qui devait être abondé à hauteur de 900 millions d'euros en 2010. Au cours des auditions, les partenaires sociaux m'ont paru très réservés sur cette idée. Les dernières annonces entretiennent cette confusion alors que l'idée de créer un fonds d'investissement social est intéressante : s'il s'agit d'un authentique fonds, la ponction réalisée sur les sommes gérées par les partenaires sociaux sera contestable, et si une simple coordination est mise en place entre les deux fonds, l'idée se résumera à un simple effet de communication.
Je forme le voeu que ces sujets ne soient pas débattus seulement par quelques spécialistes, à l'extérieur du Parlement. L'examen du projet de loi à venir doit être l'occasion d'une mobilisation sur tous les bancs de notre Assemblée en faveur d'une formation professionnelle ambitieuse et solidaire, au service de l'emploi.
On ne peut que déplorer le climat de défiance qui a présidé à l'élaboration de ce texte, ce qui n'est satisfaisant ni pour l'AFPA, ni pour les régions. La marginalisation des partenaires sociaux est d'ailleurs préoccupante, et on assiste à un véritable retour en arrière par rapport aux acquis de la loi de 1971.
Si je ne peux qu'adhérer à ce constat s'agissant de l'AFPA et du rôle des régions, en revanche, s'agissant des partenaires sociaux, il convient de faire preuve d'un peu de patience, car le dialogue se prolonge actuellement, et il faudra attendre le dépôt du projet de loi pour en juger. Un travail considérable a été effectué, mais sous la pression du Gouvernement, les partenaires sociaux n'ont pas eu le temps d'aller jusqu'au bout de leur réflexion. C'est pourquoi la réforme proposée n'est pas satisfaisante, que ce soit pour l'AFPA ou pour les régions.
Monsieur le Rapporteur spécial, souhaiteriez-vous que le document présenté à l'appui de votre intervention soit publié sous forme de rapport d'information, afin de concourir à informer notre assemblée, conformément à l'article 145 de son règlement ?
J'y serais très favorable. Il conviendrait alors d'y faire figurer en annexe le texte de l'accord national interprofessionnel.
La Commission approuve la publication du rapport d'information relatif aux perspectives et au financement de la formation professionnelle.