Cette proposition de loi s'inscrit pleinement dans les réponses à apporter à la crise actuelle, qui comporte deux faces : les exigences de rentabilité incompatibles avec l'économie réelle n'ont pu se maintenir que par les dérives d'une mondialisation financière incontrôlée ; elles ont aussi provoqué, dans tous les pays, une explosion des inégalités. La faiblesse des rémunérations salariales a nourri le recours à l'endettement et gonflé la bulle financière. L'écart entre les rémunérations dans les entreprises, qui était de l'ordre de 1 à 20 dans les années 1960-1970 dans la plupart des pays, est souvent passé de 1 à 300, ce qui nous ramène à la période qui avait précédé la crise de 1929. Le phénomène a été observé aussi bien aux États-Unis qu'en France et au Royaume-Uni.
En France, alors que 90 % des salariés les plus modestes ont vu leur revenu stagner depuis 2002, la rémunération moyenne des chefs d'entreprise du CAC 40 est passée de 550 000 euros en 1999 à 4,7 millions d'euros en 2007, soit près de dix fois plus. Il n'existe aucune justification économique à cette dérive : ni le risque pris, puisque les revenus de ces dirigeants reposent en grande partie sur des rémunérations variables, en particulier des stock-options qui ne sont exercées que lorsque les conditions sont favorables, et s'accompagnent de parachutes dorés et de retraites chapeaux ; ni la performance de l'entreprise, puisque ces revenus reflètent essentiellement les mouvements généraux de la bourse. Le PDG de Merrill Lynch était, en 2007, le dirigeant le mieux payé de Wall Street, avec 83 millions de dollars.
Comment justifier une rémunération de près de 5 millions d'euros pour les dirigeants du CAC 40 alors que le salaire net d'un dirigeant d'une entreprise de moins de 10 salariés est en moyenne de 36 000 euros, c'est-à-dire trois SMIC, et que celui d'une entreprise de moins de 500 salariés est de 70 000 euros ? On le voit, l'explosion des rémunérations des dirigeants des grandes entreprises n'a que peu de rapport avec ce que les économistes appellent la « productivité marginale du travail ». Elle est particulièrement choquante dans le cas d'entreprises qui font appel à l'argent public. Peut-on accepter que cet argent serve à verser des rémunérations excessives à des dirigeants dont l'entreprise a été sauvée de la faillite par le contribuable ?
Ces considérations ont conduit le président Obama à limiter à 500 000 dollars la rémunération des dirigeants des entreprises qui ont fait appel aux subventions publiques.
Cette proposition de loi a exactement le même objectif.
L'article 3 interdit l'attribution de stock-options et d'actions gratuites – qui représentent la moitié des rémunérations des dirigeants – aux dirigeants d'entreprises recapitalisées. Il s'agit, d'une certaine façon, d'un approfondissement de la disposition prévue dans le collectif budgétaire.
L'article 2 instaure un plafond à la rémunération des dirigeants des entreprises recapitalisées, fixé à 25 fois la rémunération nette la plus basse dans l'entreprise. C'est une mesure comparable à celle qui a été prise aux États-Unis par le président Obama, cohérente avec la situation qui prévalait avant la dérive des rémunérations patronales et compatible avec le niveau des rémunérations les plus élevées dans le secteur public – celle du Président de la République, par exemple s'élevant à 295 000 euros.
Si l'on retient cette formule, un dirigeant ne pourra s'augmenter que s'il augmente les plus bas revenus. Nous proposons également un article additionnel tendant à plafonner les rémunérations des dirigeants des grandes entreprises, également par le biais d'un rapport à la rémunération la plus basse, qui serait proposé par le conseil d'administration et validé par l'assemblée générale des actionnaires.
Enfin, comment prétendre moraliser le capitalisme tout en conservant le bouclier fiscal ? Comment parler de solidarité nationale quand les bénéficiaires de ce dispositif sont en fait exonérés de toute hausse de la fiscalité ? Cette question a été soulevée lors du débat sur l'instauration de la taxe additionnelle à la CSG et la CRDS, assise sur les revenus du patrimoine, pour financer le RSA. Cet argument de justice fiscale a été repris par M. Philippe Séguin lors de son audition par notre commission à l'occasion de la présentation du rapport du Conseil des prélèvements obligatoires. Il a été évoqué également par M. Philippe Marini dans son rapport sur la proposition de loi du groupe CRC du Sénat visant à abroger le bouclier fiscal.
L'article 1er vise donc à supprimer le bouclier fiscal. Les données disponibles pour 2007 et 2008 montrent clairement que ce dispositif concerne essentiellement les contribuables aisés : 8 euros sur 10 versés au titre du bouclier vont aux 10 % des ménages ayant les plus hauts revenus, 2 euros sur 3 vont aux ménages disposant de plus de 15 millions d'euros de patrimoine. La réforme de 2007 a encore accentué son caractère inéquitable : la dépense fiscale a doublé alors que le nombre de bénéficiaires est resté quasiment constant, passant de 13 700 à 13 900.
L'argument selon lequel le bouclier fiscal permet d' « éviter que l'on travaille un jour sur deux pour l'État » ne tient pas, car il est impossible d'atteindre par les seuls revenus du travail la limite prévue dans le dispositif. Le bouclier fiscal ne joue qu'à raison de la détention d'un patrimoine : s'il est actionné par seulement 0,08 % des contribuables se situant dans la première tranche d'imposition de l'ISF, en revanche il l'est par 39 % de ceux qui atteignent la dernière tranche.
L'argument du bénéfice qu'en tireraient les contribuables modestes ne tient pas non plus. Certes 60 % des personnes concernées par le bouclier ne paient pas l'ISF, mais elles se partagent seulement 1 % des sommes versées, et les montants qui leur sont restitués sont passés de 9,6 millions en 2007 à 4 millions en 2008. En outre, précédemment, l'administration fiscale réglait elle-même ce type de problème par les demandes de remise gracieuse.
Le bouclier fiscal instaure un double bonus car le revenu retenu pour le calcul n'est pas le revenu réel du contribuable, mais un revenu diminué de l'usage de dispositifs fiscaux dérogatoires, notamment des niches d'assiette qui, du moins jusqu'en 2010, ne sont pas plafonnées. En 2007, 27 contribuables disposant de plus de 15 millions d'euros de patrimoine ont déclaré un revenu fiscal de référence de 1 000 euros par mois seulement, soit moins que le SMIC ; 36 sont dans cette situation en 2008, grâce à l'optimisation des niches.
Le rapport sur les niches fiscales montre d'ailleurs que 1 % des foyers fiscaux ont imputé un déficit moyen de 400 000 euros. Un contribuable dont le revenu réel serait de 400 000 euros pourrait ainsi ramener son impôt sur le revenu à 0. Non seulement il aurait économisé 148 000 euros au titre de l'IR, mais le bouclier fiscal lui rembourserait toute imposition sur le patrimoine !
Certaines niches d'assiette ont certes été encadrées par la loi de finances pour 2009. Cependant, plusieurs dispositifs permettront toujours de diminuer le revenu imposable dans des proportions parfois très importantes. C'est le cas du dispositif « monuments historiques », qui n'est pas limité, des revenus placés pour se constituer une retraite par capitalisation, des plus-values de cession sur les valeurs mobilières inférieures à 25 000 euros et de certaines plus-values immobilières.
Les bénéficiaires du bouclier fiscal ne sont pas concernés par le plafonnement des niches fiscales puisqu'ils sont de toute façon exonérés de tout prélèvement supplémentaire. Chers collègues de la majorité, vous dites souvent que la morale en matière fiscale, c'est de conjuguer plafonnement des niches et maintien du bouclier fiscal. Or le résultat est que seul un contribuable ne disposant pas d'un patrimoine important sera demain appelé à payer plus d'impôts au titre du plafonnement des niches. La morale, c'est donc certes de plafonner les niches, mais surtout de supprimer le bouclier fiscal.