COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LA MANIÈRE DONT A ÉTÉ PROGRAMMÉE, EXPLIQUÉE ET GÉRÉE LA CAMPAGNE DE VACCINATION DE LA GRIPPE A (H1N1)
Mercredi 7 avril 2010
La séance est ouverte à dix-neuf heures cinq.
(Présidence de M. Jean-Christophe Lagarde, président de la Commission d'enquête)
La Commission d'enquête sur la manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) entend M. Laurent Degos, président du collège de la Haute Autorité de santé (HAS).
Nous terminons maintenant les auditions de cette journée par celle de M. Laurent Degos, président du collège de la Haute Autorité de santé (HAS).
M. Laurent Degos prête serment.
Je vous rappellerai tout d'abord rapidement les attributions de la Haute Autorité de santé. Elle évalue les médicaments, les dispositifs médicaux et les actes professionnels en vue de leur remboursement et de leur bon usage. C'est la commission de la transparence qui évalue les médicaments, et c'est son président, Gilles Bouvenot, présent à mes côtés, qui répondra, si vous le permettez, à toutes vos questions sur les médicaments. La Haute Autorité de santé formule également des recommandations de bonnes pratiques de sécurité et de santé publique, ainsi que pour la prise en charge à 100 % de certains produits dans le cadre des affections de longue durée. Enfin, elle certifie les établissements de santé, l'information médicale, comme les sites « e-santé », et accrédite les médecins.
Dans le cadre de la campagne de vaccination contre la grippe A, elle n'a été saisie qu'une fois, le 6 janvier 2010, par le directeur de la sécurité sociale et la ministre de la santé qui ont sollicité son avis pour le remboursement de la vaccination par les médecins libéraux, à un tarif précis. Elle a donné sa réponse dans l'heure, qu'elle a fait porter par coursier.
Ayant été averti le week-end précédent de l'éventualité de cette saisine, j'ai immédiatement pris contact avec la direction de la Haute autorité, afin de pouvoir réunir très rapidement et le collège et la commission d'évaluation des actes professionnels. Nous avons ainsi pu répondre que oui, les généralistes pouvaient pratiquer la vaccination – il me paraissait évident que les médecins pouvaient faire une injection sous-cutanée mais il n'en a pas moins fallu l'avis de la haute autorité ! En revanche, nous avons répondu que nous n'avions aucune compétence pour fixer la tarification de l'acte, sur lequel notre avis était également sollicité.
À cette période, le pic de l'épidémie était passé. J'en veux pour preuve l'interview de Frédéric Keck le 9 janvier 2010 dans Le Monde et l'article de Thierry Saussez, directeur du Service d'information du Gouvernement, en réponse dans le même quotidien le 14 janvier 2010. La Haute Autorité de santé n'a reçu aucune autre demande de la part de quiconque dans cette campagne. Alors qu'elle évalue tous les vaccins, elle n'a pas eu à évaluer ceux contre la grippe A, puisqu'ils n'étaient pas remboursés par l'assurance maladie, mais fournis par les pouvoirs publics. Quant aux antiviraux, elle les a évalués selon son calendrier habituel.
Elle n'a formulé aucune recommandation particulière sur le sujet de la grippe A afin de conforter le ministère comme émetteur unique d'information, ce qui est notre règle en cas de crise.
Nous n'avons aucun rôle dans la gestion des crises ni de l'urgence. En cas de crise, tout doit être géré par le ministère. Nous lui répondons lorsqu'il le faut mais nous ne nous auto-saisissons jamais, ne formulons pas de recommandations et le laissons seul en charge de l'information.
Nous nous sommes trouvés, durant cette campagne, dans une position privilégiée pour comprendre certains événements, du fait que la population était beaucoup moins sévèrement touchée qu'attendu. En tant que médecin, je suis toujours attristé par une mort, notamment provoquée par la grippe. Toute mort liée à la grippe est une mort de trop, mais force de constater pour la grippe A que la catastrophe prédite n'a, heureusement, pas eu lieu. En fait, il y a eu crise sans crise. Nous connaissons bien à la Haute Autorité de santé ces situations qu'on appelle « le presque accident », auxquelles nous nous intéressons beaucoup avec les professionnels.
Dans ces circonstances, les praticiens peuvent prendre part à la recherche des causes de l'événement sans arrière-pensée, sans chercher à se justifier ni se défendre. On a parfois été très proche de l'accident, sans qu'il arrive jamais, ce qui a permis de privilégier la recherche des causes, plus que des responsabilités, mais aussi d'identifier la barrière qui a précisément permis d'éviter l'accident, afin d'en tirer des leçons pour l'avenir. La crise attendue pour la grippe A n'a pas eu lieu. Tant mieux, il ne s'agit pas maintenant de démontrer que chaque action était justifiée mais d'en profiter pour permettre d'améliorer les campagnes futures. Le virus H1N1, que l'on attendait très virulent, ne l'a pas été autant qu'attendu. Peut-être serait-il utile pour l'avenir de mener une étude scientifique afin de mieux comprendre pourquoi.
Nous avons bien compris que la Haute Autorité de santé était arrivée un peu après la bataille. Je souhaiterais néanmoins vous poser quelques questions. Elle n'a pas évalué les vaccins contre la grippe A, contrairement à tous les autres, uniquement parce qu'ils étaient distribués gratuitement et qu'elle n'évalue que les produits dont est sollicité le remboursement. Il n'existe pas d'autres vaccins gratuits ? Le remboursement donne toujours l'illusion de la gratuité aux patients.
La Haute Autorité de santé aide à la décision au remboursement et au bon usage ensuite ; dans le cas d'espèce, le vaccin étant gratuit, il n'y avait pas de remboursement. On a sollicité notre avis seulement au moment où la vaccination allait aussi pouvoir être effectuée par les médecins libéraux.
Les antiviraux Tamiflu et Relenza, eux, sont remboursés. Vous nous avez dit avoir procédé à leur évaluation selon votre « calendrier habituel ». Vu le contexte, votre avis sur ces produits n'aurait-il pas été plus urgent que d'habitude ?
La haute autorité a rendu des avis successifs dans lesquels sa commission de la transparence a jugé le service médical rendu (SMR) de ces antiviraux modéré, voire insuffisant. Un large débat a eu lieu sur leur usage. Lors d'un colloque organisé à l'initiative de notre rapporteur, nous avons même appris qu'il existait un débat chez les scientifiques sur le fait de savoir si l'utilisation systématique du Tamiflu faisait ou non courir le risque d'une adaptation du virus, à l'instar de la résistance de certaines bactéries aux antibiotiques. Avez-vous eu aussi des débats et rendu des avis sur le sujet ?
Permettez-vous que ce soit Gilles Bouvenot qui réponde à cette question qui relève de la commission la transparence ?
En théorie, ce n'est pas possible puisque vous êtes le seul à avoir prêté serment. En pratique, nous allons demander à M. Bouvenot de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de dire « Je le jure ».
M. Gilles Bouvenot prête serment.
Voyons d'abord le calendrier. La commission de la transparence est appelée à se prononcer lors de la première demande de remboursement d'un médicament par une firme, c'est ce qu'on appelle la première inscription. Pour le Tamiflu, cette première inscription a eu lieu en 2004 et pour le Relenza, en 1999. La commission a ensuite l'obligation réglementaire de réévaluer cinq ans plus tard les produits dont elle a proposé l'inscription. Mais elle est habilitée, entre temps, à revoir un médicament, à la demande des firmes ou de sa propre initiative, si elle pense que le contexte médical ou scientifique a évolué et surtout si de nouvelles données sur le produit sont disponibles.
Nous avons procédé à la première inscription du Relenza le 21 novembre 1999, alors qu'il avait obtenu son autorisation de mise sur le marché (AMM) le 26 juillet, nous l'avons revu à une date intermédiaire que je n'ai plus en tête, puis pour la dernière fois le 26 septembre 2007.
Pour ce qui est du Tamiflu, nous l'avons évalué de nombreuses fois sans jamais changer d'avis depuis sa première inscription en 2004. Nous l'avons revu en 2006 pour une extension d'indications chez l'enfant ; en 2007, à la demande de la Direction générale de la santé pour la prise en charge en prophylaxie de la grippe chez certaines populations à risques, plus exposées à des complications ; une nouvelle fois encore en 2007, de nouveaux dosages à 30 mg et 45 mg ayant été mis sur le marché alors que le dosage lors de la première inscription était de 12 mg ; le 16 avril 2008, la Direction générale de la santé nous ayant demandé de réexaminer son SMR ; le 13 mai 2009 en raison d'une modification du résumé des caractéristiques du produit qui contraignait la firme à solliciter cette réévaluation – des effets indésirables nouveaux avaient été notés. Enfin, nous l'avons revu le 21 octobre 2009 pour sa réévaluation quinquennale classique, sans précipitation ni saisine particulière, car telle est la procédure normale.
Pour déterminer le SMR du Tamiflu, nous avons distingué les propriétés curatives –raccourcit-il la durée de la grippe et évite-t-il les complications, en particulier les surinfections comme les otites ou les pneumonies ? – des propriétés prophylactiques – évite-t-il que des personnes ayant été au contact de sujets grippés contractent la grippe ? Sur le plan curatif, nous avons toujours dit que son SMR était insuffisant – insuffisant ne signifiant pas inefficace. Nous avons considéré que le raccourcissement de la durée des signes cliniques de la grippe, d'environ un jour, n'était pas suffisant pour que joue la solidarité nationale, d'autant que les essais présentés ne démontraient pas de manière formelle que ce produit réduisait l'occurrence des surinfections.
Comme toujours, monsieur le député.
La firme ne pouvait pas en octobre 2009 fournir de données nouvelles qui nous auraient conduit à modifier la note attribuée au produit sur le plan curatif.
Sur le plan prophylactique en revanche, nous avons été surpris du pourcentage de sujets qui, prenant du Tamiflu dans les 36 ou 48 heures après le premier contact avec un sujet grippé, pouvaient être protégées. Et nous avons distingué trois cas. Pour le sujet jeune, bien portant, sans risques particuliers de complications, même si le Tamiflu peut éviter un certain nombre de grippes, nous avons considéré, là encore, le SMR insuffisant. Pour les sujets à risques, très jeunes enfants, personnes de plus de soixante-cinq ans ou présentant des comorbidités comme une insuffisance respiratoire, un asthme, une bronchite chronique, nous avons estimé qu'il y avait lieu, pour le bénéfice des patients, d'être plus généreux dans notre note, et lui avons reconnu un SMR faible – un SMR faible différant à l'époque fort peu d'un SMR modéré, l'incidence sur le remboursement étant la même. Je rappelle pour mémoire que le remboursement est de 65 % lorsque le SMR est important, qu'il était de 35 % en cas de SMR modéré ou faible et qu'il a maintenant été ramené à 15 % en cas de SMR faible, ce taux de 15 % n'étant d'ailleurs pas encore entré en vigueur, le texte n'ayant été publié qu'en janvier.
Nous avons reconnu le SMR du Tamiflu modéré chez des patients à risques dont il nous semblait qu'il fallait éviter à tout prix qu'ils contractent la grippe – patients « institutionnalisés », patients immuno-déprimés, patients ayant une protection vaccinale incomplète par rapport à la souche circulante – sur ce plan, nous faisions presque de l'anticipation en nous demandant si la vaccination couvrirait le virus de l'année prochaine car nous avons toujours raisonné en termes de grippe saisonnière – , adolescents ou personnes de plus de soixante ans avec des comorbidités, patients présentant une contre-indication au vaccin. J'insiste sur ce dernier point : le collège de la Haute Autorité de santé a toujours eu le souci que les médicaments contre la grippe ne servent pas d'alibi pour ne pas vacciner. Pour nous, le traitement de la grippe, c'est la vaccination. Ni les professionnels de santé ni les patients ne devaient un seul instant penser que le Tamiflu pouvait remplacer la vaccination.
Vous le voyez, notre position sur le Tamiflu n'a jamais varié, non plus que sur le Relenza qui s'est vu reconnaître le même niveau de SMR.
Notre commission a eu la possibilité le 21 octobre 2009, à l'échéance quinquennale normale de réévaluation, de se prononcer sur le Tamiflu, alors qu'une pandémie avait menacé – ou menaçait encore, nous n'en savions rien à l'époque. Eh bien, vous serez sans doute déçus que la commission ait déclaré ne disposer d'aucune donnée permettant de dire quelle serait l'utilité, même potentielle, du Tamiflu dans un contexte de pandémie. La question nous préoccupait, elle taraudait même les infectiologues de la commission, mais nous étions dans l'incapacité d'y répondre, ne disposant pas notamment des données concernant l'hémisphère Sud, que d'autres peut-être avaient. La question ne nous a d'ailleurs pas été posée, ce que je comprends parfaitement. La commission de la transparence est composée de professionnels de santé pluridisciplinaires, apportant l'expertise de spécialistes de très haut niveau, mais elle n'est pas l'instance publique décidant d'une politique vaccinale.
Pour conclure, le Tamiflu nous a paru utile dans un certain nombre de cas ciblés, mais, je le rappelle, nous avons réalisé son évaluation en raisonnant en termes de grippe saisonnière traditionnelle. Nous ne pouvions pas dire si le Tamiflu aurait un SMR plus important lors d'une pandémie. Nous n'avions pas d'éléments pour nous prononcer, autres que des supputations ou des craintes éventuelles.
Personne dans votre commission ne s'est demandé comment, s'il vous avait été soumis, le vaccin contre la grippe H1N1 aurait été évalué, en fonction des données fournies par les laboratoires ?
Vous avez dit que vous ne vouliez rien dire laissant à penser aux professionnels de santé, voire aux médias, que le Tamiflu pouvait remplacer la vaccination. L'utilité de la vaccination faisait-elle l'objet d'un avis unanime parmi les membres de la haute autorité ?
Oui. Il est unanimement reconnu que la vaccination est très efficace pour la grippe saisonnière. Depuis sa création, la commission de la transparence a conscience du fait qu'il faut éviter que les Français, qui ont un attrait particulier pour les médicaments, ne recourent au tout-médicament quand ce n'est pas indispensable. Lorsqu'un médicament est moins efficace qu'un vaccin, il faut le dire haut et fort.
J'en viens à la procédure d'évaluation des vaccins. Ceux-ci obtiennent une autorisation de mise sur le marché ou AMM, après quoi ils sont évalués par le comité technique des vaccinations, qui est une structure du Haut conseil de santé publique. La commission de la transparence n'intervient qu'ensuite, pour répondre aux deux questions de savoir s'ils méritent d'être pris en charge par la solidarité nationale et s'ils constituent un progrès thérapeutique par rapport à l'existant, le SMR reconnu par la commission déterminant le prix qui sera accepté.
Lorsque le vaccin contre la grippe H1N1 est arrivé, nous ne disposions d'aucune donnée scientifique à son sujet, sauf à se plonger dans la littérature médicale internationale, ce que seuls nos infectiologues ont fait, les autres membres de la commission n'ayant aucune raison de le faire. Nous n'avons pas eu connaissance du dossier d'AMM, lequel ne nous est communiqué que lorsque nous avons à évaluer le produit pour que soit fixé son taux de remboursement. En l'espèce, il n'y avait donc pas lieu que nous en ayons connaissance. Nous n'avons pas eu non plus communication officielle de l'avis du comité technique, ce qui n'aurait d'ailleurs servi à rien. Dès lors que les pouvoirs publics prennent la main pour des raisons de santé publique et décident de fournir gratuitement un vaccin à la population, il n'y a pas lieu de demander à la Haute Autorité de santé s'il faut le rembourser ou non. Nous n'avons donc pas éprouvé la moindre frustration – si c'est ce terme que vous souhaitiez entendre de notre bouche. Attachés au strict respect de la réglementation, nous avons fait ce que nous devions faire. En l'occurrence, nous n'avions pas d'avis à donner et n'en avons pas donné.
Ainsi la Haute Autorité de santé n'a pas été saisie durant toute la gestion de la pandémie, hormis la saisine sur le remboursement éventuel de l'acte de vaccination par les praticiens libéraux, mais vous n'en avez pas été « frustrés ».
Mais je vous connais, monsieur le directeur. La Haute Autorité de santé est une autorité indépendante qui renseigne et conseille dans les domaines médical et médico-économique. Vous ne pouvez pas ne pas avoir de sentiment sur la campagne de vaccination telle qu'elle s'est déroulée, et s'il y avait des conseils à donner pour le futur, lesquels donneriez-vous ?
Monsieur le rapporteur, nous n'avons pas de « sentiment » à avoir en l'espèce. Nous devons regarder objectivement ce qui s'est passé. Il est très difficile de répondre à votre question au nom de l'ensemble de la Haute autorité de santé, dont chacun des membres peut avoir sa propre opinion sur cette campagne de vaccination.
Celle-ci s'est déroulée de façon logique par rapport à ce qui était attendu. C'est plutôt son résultat qui pose problème. Pourquoi y a-t-il eu finalement aussi peu de personnes vaccinées ? Je me plaisais à rappeler récemment à mes collègues ce qui s'était passé au XVIIIème siècle avec ce qu'on appelait alors l'inoculation. Alors qu'on avait clairement fait savoir qu'il était bénéfique d'être inoculé pour éviter la petite vérole, dix ans plus tard, pas plus de mille personnes avaient été inoculées en France, ce qui prouve bien tout l'irrationnel des comportements de la population.
S'agissant de la grippe A, trois conseils principaux ont été donnés pour éviter la contamination par le virus et la propagation de la maladie : se laver régulièrement les mains, porter un masque et se faire vacciner. Chacun s'est lavé plus fréquemment les mains, et il y a eu moins de gastro-entérites cet hiver. Personne en revanche n'a porté de masque, jugé inconfortable. Quant à la vaccination, seule une minorité, peut-être éclairée, y a eu recours.
Pourquoi cette attitude ? Simplement parce que les gens se demandaient s'il n'y avait pas un risque à se faire vacciner. Des rumeurs ont couru comme quoi une complication pourrait être l'apparition d'un syndrome de Guillain-Barré. Des questions ont été soulevées sur l'intérêt ou non des adjuvants. Tout cela a inquiété la population. Et les gens ont préféré courir le risque d'attraper la grippe plutôt que d'avoir l'impression de choisir délibérément un risque en allant se faire vacciner, aussi infime, voire nul qu'ait été ce risque. Cette attitude échappe à la raison.
Je souhaiterais revenir un instant sur le Tamiflu. La commission de la transparence a jugé le 21 octobre 2009 que son SMR ne s'était pas amélioré et demeurait insuffisant. La communauté médicale dans son ensemble ne s'y était pas trompée qui, hormis la première saison grippale après la sortie du médicament, en a peu prescrit, ayant vite compris que le produit n'était pas très efficace.
Pour rendre son avis du 21 octobre 2009, la commission de la transparence s'est appuyée sur des études présentées par l'industrie pharmaceutique, sur la validité desquelles on peut tout de même s'interroger. La première est celle de J. Gaillat. Elle a été menée en maison de retraite à Annecy où un essai a été réalisé sur 32 patients sur 81 résidents et 6 membres du personnel sur 48. La deuxième est celle de D. Vu et a porté sur 45 patients aux États-Unis. La dernière concerne l'administration en curatif chez des enfants à risques sur six saisons grippales aux États-Unis, n'ayant abouti à tester en six ans que 3 721 enfants.
Dans la mesure où le mode d'action du Tamiflu, qui est un inhibiteur de la neuraminidase, est identique quel que soit le virus, et sachant tout ce que la Haute Autorité de santé a dit, à juste titre, sur ce produit depuis 2004, que pensez-vous de l'injonction faite en décembre aux médecins généralistes – après que la vaccination s'était révélée un échec – de prescrire du Tamiflu à tout-va. Il suffisait d'avoir croisé sa concierge ayant éternué deux fois dans le hall de son immeuble pour s'en voir prescrire, alors que le rapport bénéficesrisques du produit est loin d'être positif, notamment chez les enfants où ont été observés de nombreux effets secondaires – des revues indépendantes des laboratoires l'ont établi. Je peux comprendre que le Tamiflu ait été prescrit chez des sujets à risques, comme les asthmatiques, les insuffisants respiratoires…, mais non à des enfants en bonne santé au simple motif qu'ils auraient pu contracter la grippe H1N1. Cette injonction n'était pas raisonnable. Quel est votre avis sur le sujet ?
Lorsqu'un laboratoire pharmaceutique demande au ministère le remboursement d'un médicament, lequel passe alors nécessairement devant la commission de la transparence, dont l'avis est consultatif, le dossier ne contient la plupart du temps que des études faites par le laboratoire lui-même. Cela peut paraître choquant mais je ne sache pas que les pouvoirs publics réalisent des essais de médicaments et effectuent des recherches en ce domaine ! Notre travail est d'examiner, avec la plus grande prudence, les dossiers qui nous sont soumis. L'honneur de la Haute Autorité de santé réside précisément dans sa totale indépendance intellectuelle. Nous travaillons à la croisée de desiderata non expressément formulés mais que nous connaissons : celui du décideur, qui n'intervient pas, celui du payeur qui a toujours l'impression qu'il va payer trop et trop cher, et celui de l'industriel qui pense naturellement que son médicament n'a pas été reconnu à sa juste valeur.
Il existe des études indépendantes, mais jamais avant l'AMM ou au moment de l'AMM. Elles ne sont toujours effectuées qu'après, comme cela a été le cas pour les statines. Il ne me choque pas que les dossiers ne contiennent que des études menées par les industriels, notre travail consistant précisément à les examiner avec distance et à faire preuve de l'esprit critique nécessaires. Les notes que nous avons données au Tamiflu l'ont été, pour l'essentiel, sur la base du dossier de première inscription, dont les études étaient beaucoup plus solides que les dernières que vous avez citées. Après que le résumé des caractéristiques du produit avait été modifié, le fabricant a dû nous fournir des études complémentaires. Ce fut celles que vous avez indiquées dont nous avons, comme vous, madame, considéré que, d'une très grande médiocrité et portant sur de trop faibles effectifs, elles ne nous permettaient pas de revaloriser le SMR du Tamiflu. Mais elles ne remettaient pas en cause pour autant les conclusions que nous avions rendues lors de la première inscription.
Pour ce qui est du rapport bénéficesrisques, ne croyez pas, madame, que je veuille me défausser. Mais ce n'est pas la Haute Autorité de santé qui octroie les AMM. C'est l'Agence européenne du médicament, l'EMA, basée à Londres, au niveau européen, et l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) au niveau national. La commission de la transparence n'est pas habilitée à remettre en cause une AMM, laquelle est par définition octroyée sur la base d'un rapport bénéficesrisques globalement favorable, ni à juger de sa pertinence. Lorsque nous considérons qu'un produit n'est pas extraordinaire, nous disons que son SMR est modéré ou faible.
S'agissant de « l'injonction » faite aux généralistes, je ne peux que vous répondre, non en tant que président de la commission de la transparence, mais en tant que professeur des universités-Praticien hospitalier (PU-PH) de thérapeutique à la faculté de médecine de Marseille. Ma conviction est que lorsqu'une pandémie est avérée ou menace, même de « petits moyens » peuvent avoir de l'efficacité, je dirai même une efficacité insoupçonnée, en tout cas insoupçonnable. Si nous avons renoncé à toute idée de nous prononcer sur l'intérêt de Tamiflu dans le contexte d'une pandémie, c'est que nous n'avions aucun élément nous permettant de l'évaluer. Mais cela ne signifie pas qu'en tant que professionnel de santé – je parle là en mon nom personnel – , je n'aurais pas utilisé ce « petit moyen » supplémentaire, surtout dans un contexte de couverture vaccinale insuffisante. Tant que l'on n'a pas atteint un certain seuil de population vaccinée, la protection est mauvaise, du moins insuffisante. À titre personnel, mais cela n'engage que moi, cette « injonction » – j'ignorais qu'il s'agissait d'une « injonction », vous me l'apprenez – ne me choque pas. Et c'est pourtant moi qui vous dis dans le même temps que le Tamiflu n'est pas un médicament extraordinaire. Mais lors d'une pandémie, n'y aurait-il qu'un peu d'efficacité, pardonnez-moi ma trivialité, à « gratter » au profit des patients, je ne le refuserai pas.
Il me choque, moi, que l'on ait incité à prescrire très largement et à distribuer gratuitement dans les pharmacies du Tamiflu à l'entourage de patients simplement suspectés d'avoir la grippe A, sans même que leur statut sérologique ait été contrôlé, alors que, de l'avis même de la commission de la transparence, ce produit ne présente pas d'intérêt sur le plan curatif et un intérêt faible sur le plan préventif. Car ce produit a des effets secondaires, psychiatriques notamment. Lors de la réévaluation des produits à l'échéance quinquennale, prenez-vous en compte les données de pharmacovigilance ?
Il est dommage que les gestes-barrières ne soient pas remboursés par la sécurité sociale car nous pourrions en connaître l'évaluation ! Saura-t-on jamais l'efficacité de se laver les mains, de mettre sa main devant sa bouche quand on tousse ou quand on éternue par rapport à la prise de Tamiflu ?
La Haute Autorité de santé a également une mission d'évaluation médico-économique. Avez-vous une idée du bénéfice retiré par rapport à l'investissement engagé lors de cette pandémie qui a été au total peu agressive ?
Monsieur Bapt, je vais vous redire d'une autre manière ce que j'ai déjà répondu à Mme Lemorton. Nous avons pris en compte les modifications du résumé des caractéristiques du Tamiflu lorsque des effets psychiatriques ont été ajoutés parmi les effets indésirables. Mais nous n'avions pas à remettre en question l'AMM du produit ni à contester le rapport bénéficesrisques indiqué : c'est à l'EMA et à l'AFSSAPS qu'il appartient de dire, si tel est leur avis, que les effets indésirables nouvellement découverts du Tamiflu sont assez préoccupants pour que le rapport bénéficesrisques ne soit plus positif.
Afin de ne pas vous paraître incohérent, je précise bien que pour nous, SMR insuffisant ne signifie pas inefficacité. Un médicament inefficace ne doit tout simplement pas avoir d'AMM. Dès lors qu'un médicament a une AMM, c'est qu'il a un principe actif, donc une certaine efficacité et d'ailleurs par conséquent aussi des effets indésirables. Notre rôle à nous est de dire si cette efficacité est remarquable ou non. Lorsque nous concluons que le SMR d'un médicament est insuffisant, nous ne disons pas qu'il est inefficace. Je rappellerai ici les déremboursements intervenus en 2005 et 2006 des veinotoniques et des vasodilatateurs, que nous avions demandés au ministre de la santé, parce que nous estimions que l'efficacité de ces produits était insuffisante pour qu'ils méritent d'être remboursés. On peut sourire de la modestie de leur efficacité. Pour autant, ils ne sont pas inefficaces, et ont manifesté une supériorité par rapport aux placebos. Je comprends vos questions sur le rapport efficacitéeffets indésirables mais c'est aux instances qui ont accordé son AMM à ce produit qu'il appartiendrait de la lui retirer.
La Haute Autorité de santé mène des études médico-économiques, mais selon un programme prédéfini car il s'agit d'études importantes qui ne peuvent être engagées à chaud. L'évaluation médico-économique du Tamiflu, distribué alors gratuitement, ne nous a pas été demandée. Elle ne nous a pas non plus paru utile alors qu'il était, comme le vaccin, fourni gratuitement.
La séance est levée à vingt heures.