Hôtel de Lassay
La séance est ouverte à onze heures quinze.
- Révision générale des politiques publiques : examen du rapport (M. François Cornut-Gentille et M. Christian Eckert, rapporteurs)
L'ordre du jour appelle la présentation du rapport sur l'évaluation de la Révision générale des politiques publiques, dite « RGPP ». Je rappelle que ce sujet a été inscrit au programme des travaux du Comité d'évaluation et de contrôle (CEC) au titre du droit de tirage annuel du groupe SRC.
Il s'agit d'un sujet d'actualité : le Conseil économique, social et environnemental et la Cour des comptes se sont récemment saisis de la question de la RGPP, qui a ainsi été évoquée lors du colloque sur le bilan de dix années de mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) récemment organisé à l'Hôtel de Lassay. En outre, les commissions permanentes des deux assemblées ont multiplié les travaux sur ce thème.
Nos deux rapporteurs, François Cornut-Gentille et Christian Eckert, ont été pour l'occasion assistés par un groupe de travail particulièrement nombreux, ce qui atteste du caractère totalement transversal du sujet, au coeur des attributions du CEC.
Le projet de rapport vous a été transmis au début de la semaine. Il est complété par une étude réalisée à la demande des rapporteurs, qui porte sur les nouvelles modalités de délivrance respectivement du passeport – dans les locaux des communes équipées – et du certificat d'immatriculation des véhicules (CIV), c'est-à-dire l'ex-« carte grise », parfois chez les professionnels de l'automobile. L'étude a été réalisée par le cabinet Ernst & Young, sur appel d'offres, au titre de l'accord-cadre dont bénéficie le CEC.
Avant de donner la parole à nos rapporteurs, je souhaite évoquer les informations parues dans la presse hier. Ces fuites sont d'autant plus regrettables que le Comité a pour mission d'autoriser ou non la publication du rapport. Ce manque de respect des règles résulte probablement d'une forte pression médiatique, mais il conviendrait qu'à l'avenir, cela ne se reproduise pas.
En ce qui concerne notre méthode de travail, je me permets d'ajouter, monsieur le Président, – outre l'étude que vous avez évoquée sur le passeport et le CIV – que nous avons interrogé tous les rectorats au titre des mesures mises en oeuvre au sein de l'Éducation nationale.
Nous avons au total procédé à de très nombreuses auditions, notamment des responsables de la direction du budget et de la direction générale de la modernisation de l'État (DGME). Nous avons également auditionné beaucoup des secrétaires généraux des ministères, et nous avons organisé une table ronde avec les représentants des organisations syndicales. Les auditions ont été complétées par des questionnaires écrits.
S'agissant des « fuites » dans les médias, je rappelle que le Gouvernement a fait mardi une communication sur la RGPP, à la suite de laquelle nous avons été fortement sollicités par la presse. Nous n'avons pas communiqué le rapport ici soumis au CEC ; nous avons répondu à des questions et transmis quelques tableaux et autres éléments d'information. Ensuite, les journalistes ont fait leur travail et certains on jugé opportun d'évoquer le rapport. Ce qui s'est passé semblait difficilement évitable compte tenu de l'actualité. Christian Eckert et moi avons tous deux cherché à en limiter les conséquences.
Notre rapport comporte trois parties : la première porte sur la méthode de la RGPP, la deuxième décrit les mesures prises, la troisième en étudie les impacts financiers.
La première partie est essentiellement factuelle. Nous y retraçons les différentes étapes de la RGPP, depuis ses prémices que sont les audits de modernisation commandés par Jean-François Copé lorsqu'il était ministre du Budget. Les choses se sont ensuite accélérées, notamment avec la mise en place, dès le début de l'été 2007, des « équipes mixtes d'audit », auxquelles ont participé des membres des corps d'inspection et des auditeurs de cabinets privés ; leurs travaux ont nourri les débats et les décisions du Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP), présidé par le Président de la République. Ce processus, portant sur des questions essentiellement techniques, a été conduit sans consultations, ni des usagers ni des agents, et sans y associer le Parlement – reconnaissons qu'il n'a pas beaucoup cherché à l'être.
La mise en oeuvre des décisions prises s'est faite par le haut. Les comités de suivi de la RGPP coprésidés par le secrétaire général de l'Élysée et par le directeur de cabinet du Premier ministre, se sont réunis très régulièrement, ce qui a permis d'assurer l'efficacité du dispositif. Les états-majors des ministères ont été fortement mobilisés. La DGME a d'abord vérifié l'implication des ministères, puis a joué un rôle d'accompagnement et de conseil, tout en commençant – de son côté – à prendre en compte les attentes des usagers. Au demeurant, la qualité discutable de l'information publique sur la RGPP a eu pour origine des modalités de communication elles aussi discutables ; le suivi technique par la DGME des mesures mises en oeuvre par les ministères a eu lieu.
Avant de céder la parole à Christian Eckert pour présenter les deux autres parties du rapport, je souhaiterais faire quelques commentaires personnels.
Tout d'abord, la RGPP marque indéniablement un tournant : on va vers plus de réactivité et d'efficacité des services de l'État. Il y avait bien eu auparavant des tentatives pour faire bouger les choses, mais elles avaient été parcellaires ; on trouvait toujours de bonnes raisons pour repousser les réformes. La RGPP, c'est 517 mesures faisant participer tous les ministères : c'est inédit ! On peut débattre sur un certain nombre de points, mais il est indéniable qu'une dynamique impliquant tous les ministère a été enclenchée.
Un secrétaire général a été nommé dans chaque ministère. Les auditions l'ont montré, on est passé, en l'espèce, d'une fonction essentiellement administrative, dans un contexte de directions extrêmement cloisonnées, à un rôle de pilotage opérationnel de l'ensemble de la gestion du ministère. Cela me semble un acquis important de la RGPP, bien qu'il ne soit pas quantifiable.
Comme je l'ai dit, beaucoup de réformes restaient dans les cartons des ministères. Le principe du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite – le« un sur deux » – et l'impératif de recherche d'économies ont joué un rôle moteur, dans la mesure où ils ont mis fin aux atermoiements et ont enclenché une dynamique de réforme, notamment dans le domaine de l'administration de l'administration, si l'on peut dire, c'est-à-dire les fonctions de support. On a réellement réussi, en la matière, à « faire plus avec moins ».
Quant au débat sur le bilan budgétaire de la RGPP, il peut se poursuivre indéfiniment ; tout dépend du périmètre et de la durée considérés. Intègre-t-on l'ensemble des réformes porté par un ministère ou s'en tient-on strictement aux mesures proprement dites de la RGPP ? Considère-t-on les économies brutes ou intègre-t-on a posteriori les mesures catégorielles ? Mesure-t-on les économies réalisées entre 2008 et 2010 ou entre 2009 et 2013 ? Tous les éclairages sont possibles, et il paraît hors de portée de se mettre d'accord sur un seul « bon » chiffre. Les données communiquées par le Gouvernement, qui se fondent sur la période 2009-2013, sont, de fait, des projections.
Il est en revanche un fait acquis : grâce au « un sur deux », la RGPP a permis de maîtriser et de commencer à rectifier la trajectoire de la masse salariale de l'État. Pour la première fois, on note dans le projet de loi de finances pour 2012 une inversion de la tendance haussière antérieure.
Il serait par ailleurs dommage de se focaliser sur une querelle de chiffres – qui, par nature, sont discutables –, quand le vrai acquis de la RGPP est l'évolution en profondeur des administrations et la révolution culturelle qu'elle a permise. Les auditions des secrétaires généraux des ministères l'ont confirmé : pendant les dix-huit premiers mois de la RGPP, les décisions ont été imposées, de manière quelque peu coercitive, par le haut ; puis les ministères sont devenus des forces de proposition. Les réorganisations n'ont plus été subies, mais mises en oeuvre par les ministères eux-mêmes. C'est inédit.
Par ailleurs, on a procédé à un changement considérable dans la gestion administrative de l'État sans que cela donne lieu à des mouvements sociaux d'envergure, ce qui montre que ce processus a été relativement bien accepté par les agents via peut-être le retour catégoriel. Au début, les choses se sont faites par la voie hiérarchique, mais, en fin de parcours, dans nombre de secteurs, y compris l'Éducation nationale, on a commencé à travailler autrement, sans doute de façon plus collégiale dans les états-majors administratifs déconcentrés.
Enfin, la table ronde avec les syndicats a certes donné lieu à des propos peu aimables à l'égard de la RGPP, mais bien des participants reconnaissent la nécessité de moderniser l'État. Je ne suis pas sûr qu'un tel consensus existait en 2007 ou en 2008. Certains syndicats nous ont même indiqué qu'ils n'étaient pas fermés à une forme de statut unique de la fonction publique permettant de passer d'un ministère à l'autre ou de la fonction publique de l'État aux fonctions publiques territoriale ou hospitalière.
Tel est le paradoxe de la RGPP : le mot est dénigré, mais, grâce à elle, la fonction publique est désormais en marche, capable de se livrer à une réflexion sur ses missions, tant au niveaux interministériel que territorial, et prête à une modernisation encore plus poussée. Selon moi, la RGPP était une étape indispensable de ce processus.
Avant de présenter les deux autres parties du rapport, je tiens à souligner que la collaboration des deux co-rapporteurs a été excellente, sur un sujet qui aurait pu être clivant. Nous avons travaillé en commun et, hormis sur un point ou deux, nous sommes parvenus à une rédaction commune – même si cela n'a pas toujours été sans difficulté.
Je voudrais en outre remercier l'ensemble des services qui ont travaillé, pendant plus d'un an, sur ce dossier, pour lequel nous avons procédé à de nombreuses auditions. Un grand merci donc au secrétariat du CEC, ainsi qu'à nos deux assistants.
J'en viens maintenant à la deuxième partie du rapport, qui présente les mesures de la RGPP. Notre principal constat, c'est que la RGPP n'a pas conduit à une revue et à une réflexion, d'ensemble et de détail, sur l'opportunité des missions de l'État. Les mesures qui modifient le périmètre des missions sont peu nombreuses ; la suppression de l'ingénierie concurrentielle en constitue l'un des rares exemples. Quelques autres mesures ont modifié l'ampleur de certaines interventions de l'État, en matière d'aides agricoles, d'aides aux entreprises ou de dépenses fiscales ; cela reste marginal.
En revanche, la RGPP a constitué une mise en oeuvre du « faire mieux avec moins ». Beaucoup de fonctions support des ministères et des opérateurs de l'État, ainsi que certaines fonctions métier, ont été réformées ou sont en voie de l'être. Plusieurs mesures ont consisté à optimiser, rationaliser, mutualiser, fusionner, moderniser ces fonctions. En la matière, force est de constater que l'adossement de la RGPP à une baisse des moyens a contraint à des choix rapides, parfois discutables en termes d'efficience.
De nombreux acteurs s'interrogent sur la possibilité de poursuivre, à missions de l'État quasi inchangées, un processus de réforme qui conduit à supprimer des effectifs par l'intermédiaire de réorganisations administratives. Beaucoup ont souligné que cela menait d'ores et déjà à l'abandon de certaines missions sur le terrain, à charge parfois pour l'encadrement déconcentré de définir celles qui devaient rester prioritaires pour l'État. Certains ministères, notamment celui de l'Éducation nationale, se montrent sceptiques quant à leur capacité à court terme à poursuivre ce processus ; un grand nombre de rectorats nous ont notamment fait part de leurs inquiétudes.
Enfin, l'objectif d'amélioration de la qualité du service rendu, même s'il a été renforcé depuis 2010, a été au moins initialement secondaire. Des méthodes de mesure de la satisfaction des usagers ont été élaborées, mais il reste à faire en la matière.
Nous considérons que le « faire mieux avec moins » a sans doute atteint ses limites et qu'il serait opportun de stabiliser les nouvelles organisations administratives issues de la RGPP, de manière à s'assurer un temps d'analyse et d'évaluation.
S'agissant de l'étude réalisée par Ernst & Young sur les modalités de délivrance des passeports et des certifications d'immatriculation des véhicules (CIV), elle aboutit à la conclusion qu'il y a eu initialement des difficultés de mise en oeuvre, mais qu'aujourd'hui les choses fonctionnent. Le bilan financier global est toutefois plus contrasté. On constate certes des gains d'efficience dans les préfectures, notamment pour ce qui concerne la délivrance du passeport biométrique, mais ceux-ci ne viennent que partiellement compenser les charges nouvelles supportées par l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) pour réaliser le déploiement du passeport biométrique et du CIV, charges qui sont largement financées par l'usager, via notamment l'augmentation des droits de timbre. L'étude recommande également de renforcer la lutte contre la fraude, notamment en matière de délivrance des CIV.
J'en viens à la partie concernant les impacts financiers de la RGPP. Malgré tous nos efforts, le bilan budgétaire de la RGPP reste une énigme. Certaines informations furent particulièrement difficiles à obtenir ; nous avons par ailleurs constaté des différences notables entre les chiffres avancés par Bercy et ceux communiqués directement par les ministères. S'agissant des dépenses de personnel, il convient de souligner les différences de traitement d'une catégorie de fonctionnaires à l'autre en matière de « un sur deux » : les suppressions de postes ont davantage concerné les personnels de catégorie C que ceux des catégories A et B, ce qui a probablement contribué à renforcer la mauvaise perception de la RGPP par les usagers, qui sont, sur le terrain, plus souvent en contact avec des agents de catégorie C.
S'agissant du retour catégoriel, nous avons constaté de fortes inégalités entre les ministères. Globalement, il est affiché à 50 % du montant des économies brutes issues de la baisse des effectifs. Il est probable que l'on a inclus dans le retour catégoriel des mesures qui avaient été décidées avant la mise en oeuvre de la RGPP et que l'on a financées par cette voie.
S'agissant de l'Éducation nationale, le non-remplacement d'un enseignant sur deux a été partiellement compensé par l'augmentation considérable du nombre des heures supplémentaires effectuées : en moyenne, environ une demi-heure supplémentaire par enseignant dans le second degré. Or – c'est le sujet sur lequel il existe une divergence entre nous –, le coût de ces heures supplémentaires est très élevé, en raison de la majoration de salaire et de la défiscalisation auxquelles elles ouvrent droit. Notons à ce propos que la dépense fiscale est rarement intégrée dans le calcul des économies, brutes ou nettes, réalisées grâce au « un sur deux ».
Globalement, le problème, c'est que le Gouvernement a décidé d'évaluer a priori l'économie dégagée par la RGPP à 15 milliards d'euros sur 2009-2013. Tout est fait ensuite pour justifier ce montant, y compris en incluant désormais dans le périmètre la RGPP un certain nombre de mesures qui, initialement, n'y étaient pas.
Aujourd'hui, la pratique budgétaire est de s'engager par des lois de financement pluriannuelles. Son effet pervers, c'est que, lorsque le périmètre d'une politique est flou - c'est le cas de la RGPP –, la tentation est forte de le modifier pour atteindre les objectifs affichés en matière d'économie.
Quelles sont nos recommandations ?
D'abord, le suivi budgétaire de la réforme de l'État doit s'appuyer sur une mesure méthodique de l'efficience de chacune des mesures mises en oeuvre.
Ensuite, le suivi budgétaire global doit tenir compte de la dépense fiscale.
Enfin, il n'est pas opportun de comptabiliser au titre des économies issues de la RGPP un certain nombre de gains en intervention, qui relèvent davantage de choix politiques ponctuels.
Je considère que sur ces questions – comme sur les autres – notre rapport est demeuré plutôt factuel et s'est essentiellement appuyé sur des analyses et des auditions.
Je terminerai moi aussi par quelques réflexions personnelles.
Le point qui me paraît essentiel, c'est que toute réforme de l'État doit procéder d'une réflexion sur les missions de l'État et sur la manière dont il doit les exercer. Doit-il utiliser ses moyens propres, transférer certaines missions aux collectivités territoriales, les faire exercer par des opérateurs publics ou les externaliser ? Toutes les solutions sont possibles, à condition que l'on ait mené une analyse préalable et que l'on ait pris une décision politique.
Pour prendre un exemple polémique, lorsque nous avons auditionné le secrétaire général du ministère de la Défense, celui-ci nous a annoncé qu'un partenariat public-privé (PPP) allait être signé pour le regroupement des services parisiens du ministère à Balard et qu'en termes de gestion, cela ne coûterait pas plus cher qu'avant. Lorsque nous lui avons demandé si l'on avait comparé le coût d'un PPP avec celui d'une procédure traditionnelle, avec maîtrise d'ouvrage par l'État, sa réponse fut négative : la commande était de faire un PPP.
On voit là les limites d'un exercice décisionnel ex abrupto et la nécessité d'une réflexion préalable aux décisions. On me rétorquera que, dans ces conditions, on ne ferait jamais rien, et qu'une telle opération permet de mettre l'administration « sous tension ». Certes, mais gare au court-circuit ! On a l'impression que, dans bien des domaines, notamment pour les missions de l'État qui sont territorialisées, la RGPP a conduit à de tels courts-circuits, par absence d'examen des choix possibles en amont de la décision politiques.
Quoi qu'il en soit, il me semble sain d'ouvrir un débat sur le sujet, à la veille d'échéances électorales qui nous amèneront à discuter du rôle de l'État et des moyens d'exercice de ses missions. Nous apportons notre contribution sous la forme de ce rapport, auquel nous proposons de donner un titre simple, correspondant à son plan : « Une évaluation de la RGPP : méthode, contenus, impacts financiers ».
Je remercie et je félicite les deux rapporteurs de ce travail considérable sur un sujet qui ne l'est pas moins. Ces explications et cette évaluation sont indispensables à l'exercice de notre pouvoir de contrôle et d'évaluation, mais aussi de notre mission de législateur. Vous vous êtes, mes chers collègues, particulièrement concentrés sur deux domaines en particulier, ce qui est bien compréhensible sur un sujet d'une telle ampleur. Nous pourrons en tirer des leçons pour redresser la barre, ce qui est manifestement nécessaire. Sur l'essentiel, vous posez le même diagnostic – bien que vous ayez eu l'honnêteté d'expliciter ici vos divergences, et de préciser dans le rapport vos points de vue respectifs sur un constat. Ce diagnostic partagé devra fonder nos réflexions à venir. Il faudra en effet, plus encore qu'à d'autres, donner une suite à ce rapport qui intéresse toutes les commissions et pourra nourrir la discussion budgétaire, même s'il est un peu tard pour cela cette année.
Quant au fond, le rapport confirme que la RGPP est venue d'en haut, dominée par une vision budgétaire et comptable telle que le « faire mieux avec moins » est vite devenu « faire – tant bien que mal – avec moins ». D'ordinaire, réformer les outils des politiques publiques demande du temps, et ceux qui conduisent les réformes ne sont pas toujours ceux qui en voient les conséquences. Ici, on a privilégié le court terme parce qu'on a voulu obtenir des résultats très vite, non sans faire preuve de cécité, comme en témoigne l'application du « un sur deux ». Sur le terrain, les administrations déconcentrées sont affaiblies : restructurées certes, mais de manière illisible, y compris pour les agents qui y travaillent, sans parler du public. L'administration de l'équipement en fournit un exemple patent.
Même si le bilan budgétaire de la RGPP reste « énigmatique » – pour reprendre les termes du rapport –, les éléments dont nous disposons ici suffisent à nourrir le débat et contribuent à nous indiquer comment remettre la RGPP sur ses pieds. Les deux rapporteurs l'ont dit, chacun à sa manière : le service public devant répondre aux besoins, c'est des besoins que nous devons partir et c'est pour les satisfaire que nous devons rendre les outils du service public plus efficients, cela dût-il être long, douloureux et parfois décevant.
Les faiblesses de la RGPP m'évoquent celles du Parlement. Nous sommes peu nombreux à écouter ici les débats ; nous faisons des propositions de loi sans cesse mais nous nous intéressons moins à la mission parlementaire d'évaluation. Les travaux du CEC ne passionnent pas suffisamment les présidents de commission. Combien de personnes liront le rapport, qui est une mine d'informations ?
Quant à la RGPP, l'idée était bonne, elle a permis de mettre des mécanismes en marche ; mais ses faiblesses sont grandes, du point de vue des agents, pour qui tout est venu d'en haut, comme des élus locaux, qui sont complètement perdus face à des structures nouvelles où l'on ne comprend pas qui fait quoi. Et qu'en est-il des questions que nous avons posées à l'origine du dispositif et que vient de reprendre Christian Eckert : telle ou telle mission est-elle accomplie par l'État ? À quel coût ? Pourrait-elle être assumée par d'autres administrations ou par le secteur privé, au vu, des expériences internationales ?
Dans certaines administrations, le progrès est perceptible. Ainsi de la réunion des services fiscaux et de la trésorerie, qui forment désormais une unité et ont pu être regroupés physiquement. En revanche, dans bien d'autres domaines, généralement plus techniques, c'est encore très désorganisé ! On peut citer l'exemple de la fusion des directions départementales de l'équipement et des directions départementales de l'agriculture et de la forêt. Je partage donc le jugement mesuré des rapporteurs et m'interroge : « peut-on infléchir la démarche ? que corriger ? »
Je remercie à mon tour les deux rapporteurs de ce travail utile à long terme – sinon à court terme, notamment peut-être pour les débats budgétaires en cours.
Vos commentaires personnels témoignent d'une forme de complémentarité. Selon François Cornut-Gentille, la RGPP a pour principal mérite d'avoir donné l'impulsion du changement à un domaine caractérisé par un certain conservatisme. Quant à Christian Eckert, il a insisté, comme Pierre Méhaignerie après lui, sur la nécessité de donner un sens à la RGPP afin que celle-ci, mieux comprise de nos concitoyens et des agents, devienne plus efficace. Dans les réflexions qui prolongeront ce rapport, nous devrions distinguer l'aspect financier de la dimension structurelle et opérationnelle des réformes. Le gain financier n'est sans doute pas l'intérêt essentiel de ce processus un peu rude et ne devrait pas être l'objectif principal des décideurs publics que nous sommes.
Les rapports du CEC, que j'ai rejoint après sa création, sont excellents, plus encore sans doute que ceux des autres commissions ; plus volumineux, ils traitent de sujets transversaux, irréductibles aux clivages partisans. Comment exercer notre mission d'évaluation de la manière la plus efficiente possible ? Il faudra y réfléchir lors de la prochaine législature. La contribution de la Cour des comptes à notre travail d'évaluation, par exemple sur la médecine scolaire, pourrait nous fournir une piste pour améliorer notre pratique. Le Président Accoyer avait envisagé ici que le CEC étudie prochainement les travaux d'évaluation à l'Assemblée nationale, et leurs suites. De fait, pourquoi nombre de nos rapports, pourtant très intéressants, connaissent-ils une destinée si éphémère ?
L'efficience de la dépense publique est essentielle dans une période où l'argent public se fait rare. Qui peut s'opposer à une révision générale des politiques publiques ? Le problème réside plutôt dans la manière dont elle a été menée et dans le bilan que l'on peut en dresser aujourd'hui. Nous en avons fait l'expérience comme élus locaux, la révision des politiques publiques permet de dépasser certains blocages, certains conservatismes. Au niveau national, elle pose le problème de la place de l'État, de son rôle et de ses moyens. Ce sera l'un des enjeux de l'élection présidentielle, voire des élections législatives.
D'où la question suivante : si les politiques publiques peuvent être menées par des opérateurs privés, quels moyens l'État conserve-t-il pour vérifier que ces opérateurs suivent l'orientation voulue et que leur intervention permette de réduire les coûts ? La Cour des comptes a montré que le recours au partenariat public-privé pour la construction, dans ma commune de La Courneuve, du magnifique centre des archives diplomatiques du ministère des affaires étrangères est bien plus coûteux que ne l'aurait été une maîtrise d'ouvrage publique. Les PPP pourraient constituer un sujet de réflexion en soi. Comment venir en aide aux collectivités et aux élus de plus en plus confrontés à des opérateurs privés dont les moyens techniques et l'expertise financière sont très supérieurs aux leurs ?
Je m'associe aux remerciements et aux félicitations adressés aux deux rapporteurs et aux services de l'Assemblée. Nous sommes au coeur de la mission du CEC avec ce sujet transversal, d'une portée considérable et qui n'a pas fini de faire parler de lui. En effet, il restera d'actualité quelle que soit la future majorité, car une réalité s'impose à tous : celle des chiffres. Or l'évolution du coût des services de l'État rejaillit sur celle de la dépense collective – de vieillesse, de solidarité, de maladie.
L'étude jointe au rapport, relative aux modalités de délivrance du passeport et du CIV, montre que l'on a gagné en efficience, notamment en temps. Au demeurant, le passeport biométrique est également beaucoup plus sûr que les documents qui l'ont précédé.
Notre mission d'évaluation et de contrôle progresse. Mais pour faire mieux encore, il nous faudra renoncer ici à ce qui est la marque de fabrique de l'Assemblée nationale : la politisation de notre travail. Car notre mission comporte deux aspects : d'une part, nous devons contrôler l'action des pouvoirs publics, conformément à la responsabilité que les Français nous ont confiée ; d'autre part, nous légiférons et nous accompagnons ou combattons telle ou telle politique. Un tel rapport nous fournit, si j'ose dire, une matière première qui devrait être de plus en plus consensuelle.
Un autre sujet qui me tient à coeur, comme à Pierre Méhaignerie, est la multiplication de nos initiatives, sous forme de rapports ou, plus récemment, de propositions de loi. Certes, faire de la politique, c'est communiquer. Pendant plusieurs décennies, nous avons publié des montagnes de rapports, qui n'ont pas débouché sur grand-chose. Que de temps perdu, pour les élus comme pour les fonctionnaires qui travaillent – remarquablement – avec nous ! Ces rapports sont des trésors, mais les suites qui leur sont données ne sont guère satisfaisantes. Nous devons lutter contre cette inflation. On ne peut pas, pour faire plaisir aux auteurs ou à leur formation politique, ouvrir quantité de chantiers qui ne serviront à rien. Le CEC doit veiller à la suite que les pouvoirs publics donnent à ses travaux, sans limite de temps, par-delà même les changements de législature.
Je vous suggère donc que nous consacrions un moment d'une séance, avant la fin de la législature, à notre méthode de travail et à la discipline dont nous devons faire preuve en la matière. Pierre Méhaignerie disait il y a peu que sa commission débordait de propositions de loi ; quel sens ont-elles sans étude d'impact, alors qu'une résolution ou une initiative politique suffirait ?
Conformément aux dispositions de l'article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport, auquel l'étude d'Ernst & Young sera annexée.
Le rapport sera distribué et publié sur le site internet. Il sera transmis au Gouvernement.
- Suivi des recommandations du rapport (n° 2925) sur les autorités administratives indépendantes : examen du rapport (M. René Dosière et M. Christian Vanneste, rapporteurs)
Nous allons maintenant procéder à l'examen des suites données aux recommandations du rapport sur les autorités administratives indépendantes (AAI).
M. Louis Giscard d'Estaing, qui préside actuellement la séance, m'a chargé de vous prier d'excuser son absence.
Je tiens à remercier les services pour leur contribution au suivi de notre rapport, qui a nécessité un travail méticuleux et efficace.
Notre rapport sur les AAI était l'un des premiers du CEC, lequel représente une nouvelle étape du rééquilibrage entre législatif et exécutif. Or un travail sur les autorités administratives indépendantes – quel oxymore ! – est particulièrement propice à la réflexion sur les progrès du pouvoir législatif, en particulier celui de l'Assemblée nationale.
J'évoquerai tout d'abord les réponses du Gouvernement à notre rapport, qui, en un mot, me semblent consternantes. Le Gouvernement pratique la sourde oreille avec une efficacité redoutable. Il a ainsi décliné avec une certaine désinvolture notre proposition d'intégrer une partie de l'activité de la Commission nationale du débat public à celle du Défenseur des droits, au motif que leur domaine d'intervention n'est pas du tout le même. Nous avions pourtant distingué les débats d'intérêt local relatifs par exemple aux infrastructures, lesquels relèvent du Défenseur des droits dans la mesure où ils engagent les droits des citoyens, des grands débats nationaux, que nous recommandions de confier au Parlement, manière d'en développer le rôle. L'échec du « grand débat » sur les nanotechnologies, dont les organisateurs avaient fini par se réfugier dans une sorte de bunker pour échapper aux pressions d'une association, n'a-t-il pas servi de leçon ?
Toujours au titre du rééquilibrage entre législatif et exécutif, l'une de nos propositions-phares était la désignation des présidents des AAI à la majorité qualifiée des trois cinquièmes des membres des commissions compétentes des deux assemblées. En effet, pour qu'une autorité soit indépendante, le choix de son président doit faire l'objet d'un large consensus. Le Gouvernement a écarté cette proposition, ainsi que – plus étonnant encore – la possibilité de saisine pour avis des AAI par une commission permanente des assemblées.
Toutes celles de nos propositions que le Gouvernement a acceptées sont de nature technique, et non politique : c'est le cas du regroupement d'autorités dans un même bâtiment, de la limitation du nombre d'emplois ou de l'encadrement budgétaire. En somme, on accepte volontiers que l'Assemblée serve d'agence de conseil au Gouvernement, mais qu'elle ne s'avise pas de formuler des propositions politiques ! À une seule exception : la présence d'un commissaire du Gouvernement dans chaque AAI…
Nos propositions ont été acceptées lorsqu'elles correspondaient à ce qui avait déjà été décidé, notamment la réunion de plusieurs AAI au sein du Défenseur des droits. En revanche, le Gouvernement a refusé de regrouper dans un premier temps le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et la Commission nationale de déontologie de la sécurité au motif que leurs domaines d'intervention étaient radicalement différents, alors que tous deux interviennent dans les lieux d'incarcération, auprès des personnels qui y travaillent. L'idée de regrouper l'Arcep, le CSA et la Hadopi a subi le même sort, sans que le Gouvernement ne dise un mot de la convergence pourtant déjà en oeuvre entre radio, cinéma, télévision et Internet, qui appellera évidemment une AAI unique. Il en va de même de la réunion de la Commission de régulation de l'énergie et du Médiateur national de l'énergie, ce qui est encore plus gênant.
Certains arguments sont d'une légèreté presque un peu blessante. Ainsi, le Gouvernement aurait pu objecter que le regroupement de l'Autorité de sûreté nucléaire et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, que nous préconisions, était techniquement délicat car toutes les personnes qui travaillent à l'IRSN ne travaillent pas pour l'ASN. Mais non : on nous répond qu'il s'agit de préserver l'indépendance de l'ASN et de l'IRSN, alors que celui-ci n'est pas une AAI mais un établissement public à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle conjointe de plusieurs ministères !
Enfin, on ne fait pas disparaître la Commission de privatisation et de transfert, qui n'a pourtant plus rien à faire.
D'autre part, on a encore créé, sans le dire, des ersatz d'AAI : le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et l'Autorité de régulation de la distribution de la presse. Il y a donc encore plus d'autorités qu'avant la remise de notre rapport : ce n'était pas l'effet escompté !
J'évoquerai ensuite les deux rapports qui ont suivi la présentation du nôtre.
Du rapport présenté par notre collègue Charles de La Verpillière au nom de la Commission des lois, il ressort surtout qu'il rejette la plupart de nos propositions, notamment la désignation des présidents des AAI à la majorité des trois cinquièmes des commissions compétentes.
Le rapport d'Yves Bur sur les agences sanitaires présenté au nom de la commission des Affaires sociales est plus intéressant. Nous avions mis en garde contre la coexistence dans le domaine de la santé de deux organismes entre lesquels la frontière était parfois floue, et qui entretenaient l'illusion de la sécurité par le nombre – illusion révélée par l'affaire du Mediator. Comme nous, Yves Bur propose de rationaliser cette situation. Nous constatons avec regret qu'aucune suite n'a pour l'instant été donnée à cette proposition, sinon le remplacement – essentiellement nominal – de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). La Cour des comptes a quant à elle signalé que la Haute Autorité de santé et le Haut Conseil de la santé publique étaient redondants ; elle n'a pas été davantage entendue.
Je signale enfin que vos rapporteurs ont rédigé ensemble – exemple rare de consensus – des amendements qu'ils ont présentés dans deux cadres différents. Seuls trois de leurs amendements au projet de loi organique créant le Défenseur des droits ont été adoptés : l'un tendait à remplacer les parlementaires siégeant dans les collèges par des personnalités qualifiées désignées par les présidents des assemblées, le deuxième visait à y améliorer l'assiduité et le troisième prescrivait l'irrévocabilité des mandats des adjoints du Défenseur. Les deux premières dispositions devraient permettre de lutter contre l'absentéisme au sein de ces collèges.
D'autre part, deux amendements au projet de loi de finances pour 2012 ont été récemment adoptés par l'Assemblée nationale et seront bientôt examinés par le Sénat. Ils tendent à consacrer une nouvelle annexe « jaune » du PLF aux AAI dotées de la personnalité morale – les API –, et à les soumettre à un plafond d'autorisation d'emplois. Cela mettra fin à une dérive budgétaire qui ne nous semble pas cohérente avec les orientations générales de l'administration de l'État, notamment la RGPP.
Notre grand regret est d'avoir manqué l'occasion historique de créer une Haute Autorité chargée de la transparence de la vie politique. Il s'agissait d'une proposition-phare de notre rapport, que l'on aurait pu intégrer au projet de loi relatif à la déontologie et à la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique. Elle était inspirée de l'exemple québécois : celui d'une vie politique pacifiée par l'intervention d'une autorité administrative issue d'un large consensus et chargée notamment du redécoupage électoral, ce qui lave celui-ci de tout soupçon dans un système de circonscriptions comme le nôtre.
Je partage le point de vue de M. Vanneste, à ceci près que je n'aurais pas qualifié de « consternante » la position du Gouvernement.
Notre rapport n'est pas passé inaperçu. Je vous remercie, monsieur le Président, de nous avoir permis de lui consacrer un débat fort utile au cours de la semaine de contrôle, même si les deux ministres présents ne lui ont pas donné suite, l'un d'eux ayant d'ailleurs rapidement quitté le Gouvernement. Surtout, les autorités administratives indépendantes, qui se sont senties attaquées par nos propositions, sont montées au créneau pour démontrer qu'il ne fallait rien changer. De fait, comme l'a dit Christian Vanneste, si le Gouvernement a approuvé nos propositions techniques, il s'est montré pour le moins réservé à l'égard de nos propositions politiques, qui sont plus « iconoclastes ».
J'évoquerai notamment la proposition-phare qui consiste à vouloir regrouper l'ensemble des autorités administratives chargées du contrôle de la vie politique au sein d'une Haute Autorité chargée de la transparence de la vie politique, qui serait personnifiée par un président nommé par le Parlement. Il me semble que Christian Vanneste l'enterre un peu vite, car elle reste, à mon sens, d'actualité.
La réponse du Gouvernement est significative. Il estime que les autorités administratives indépendantes étant une composante du pouvoir exécutif, le pouvoir législatif n'a pas à s'en mêler. Pourtant, s'il est un domaine qui se trouve au coeur de la fonction législative, c'est bien la réglementation de la vie politique, qui ne peut relever d'aucune autre compétence que de celle du Parlement, dans la mesure où celui-ci représente l'ensemble des forces politiques du pays.
Avec cette mesure, nous proposons précisément que ces forces se mettent d'accord pour nommer une personne qui disposerait d'une autorité égale à celle du Parlement et qui rendrait compte devant ce dernier des questions intéressant l'encadrement de la vie politique. Sinon, pour chaque problème se posant, on risque de proposer la création de nouvelles AAI. Si je comprends que de très hauts magistrats, comme le vice-président du conseil d'État ou le Premier président de la Cour de cassation par exemple,, aient le sentiment d'être parfaitement indépendants, toujours est-il que le pouvoir législatif, c'est le Parlement. Si l'on suivait notre recommandation, les choses se passeraient différemment.
Pour le reste, sans doute conviendrait-il de faire en sorte que certaines de nos propositions soient mises en oeuvre.
Je remercie les deux rapporteurs non seulement pour la qualité de leur travail, mais aussi pour leur persévérance. Qu'ils sachent que nous sommes à leurs côtés : il faut que, par-delà d'éventuels désaccords, nous maintenions collectivement la pression pour faire aboutir les préconisations du CEC, qui sont aussi celles de l'Assemblée nationale tout entière.
L'actualité économique, sociale et politique renforce encore l'intérêt de leur travail. Ainsi l'on peut dire, pour aller vite, que nous vivons actuellement sous l'emprise des marchés financiers. En conséquence, il conviendrait de conforter l'Autorité des marchés financiers, qui est une instance intéressante et de bien meilleur aloi que les agences de notation – qui ne semblent guère, quant à elles, « indépendantes ».
Deuxième exemple, nous sommes entrés dans une période électorale, au cours de laquelle la Commission des sondages devra exercer sa vigilance. Or je trouve qu'elle n'a pas assez fait entendre sa voix dernièrement, alors que les médias ont tendance à utiliser les sondages plutôt comme des prédictions auto-réalisatrices que comme des instruments d'analyse de l'opinion à l'instant t.
Tel était bien le sens de mon propos : cela vaut pour tout le monde. Je pense que la Commission devrait davantage intervenir en la matière.
Troisième exemple, la question des conflits d'intérêts s'est imposée dans le débat public. La Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, la MECSS, que je copréside, travaille actuellement sur la prévention sanitaire. La Cour des comptes a fait un rapport sur le sujet, qui sert de base à nos travaux. Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de lutter contre l'obésité, notamment chez les enfants. Or la Cour rapporte que le Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité administrative indépendante, est défavorable à l'interdiction de la publicité sur les produits alimentaires sucrés dans les programmes pour enfants, car cela provoquerait une diminution des ressources des chaînes de télévision ! On note là une forme particulière de conflit d'intérêts, d'une autre nature que ceux dont on parle habituellement, mais qui doit nous faire réfléchir.
Dernier exemple : on a un peu progressé sur la question des médicaments, puisque l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, qui va devenir l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, va voir son mode de financement changer ; alors qu'elle était jusqu'à présent financée par des taxes parafiscales perçues directement auprès des laboratoires pharmaceutiques, elle sera financée désormais par le budget de l'État.
Non, monsieur le Président, puisque les prélèvements effectués auprès des laboratoires pharmaceutiques iront dans les caisses de l'État, lequel donnera ensuite à l'Agence les moyens de fonctionner, suivant un mécanisme qui me paraît plus sain. Il s'agit d'une préconisation qui figurait dans le rapport sur les médicaments remis par Catherine Lemorton au nom de la MECSS en 2008. Il a fallu du temps pour qu'elle soit mise en oeuvre… Cela incite à la persévérance !
S'agissant de la suite donnée à nos travaux, il est en effet regrettable que l'exécutif ne s'y intéresse pas davantage et qu'il traite nos conclusions et nos préconisations avec une certaine distance, pour ne pas dire plus. On en revient d'ailleurs à ce que l'on évoquait au sujet de la RGPP : tout part du haut. L'exécutif sait tout, fait tout, n'écoute rien.
Les exemples que j'ai donnés, notamment le dernier, montrent toutefois qu'il est possible d'avancer, à condition de maintenir la pression, de faire connaître nos travaux au-delà du CEC et de persévérer dans nos amendements et nos interventions dans l'Hémicycle.
S'agissant des suites données au rapport, j'ai cru comprendre que le seul désaccord entre nos deux rapporteurs était sémantique…
Pour ce qui est de la création du Défenseur des droits, sans refaire le débat, je remarquerai juste que les fusions réalisées ont provoqué une perte de visibilité par rapport aux institutions précédentes. Ainsi, pour ce qui est de la Halde, les difficultés ne portent pas tant sur le traitement des demandes individuelles que sur la promotion de sujets dont l'ancienne autorité était chargée. De même, s'agissant de la collégialité et de l'indépendance de la nouvelle AAI, on ne peut pas dire que le Gouvernement ait écouté les propositions faites sur les différents bancs de notre assemblée, notamment celles de nos deux rapporteurs.
Enfin, le Gouvernement a décidé, rapidement et sans véritable justification, d'intégrer la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) dans le nouveau Défenseur des droits, alors que le regroupement qui était recommandé par le rapport du CEC avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté répondait à une réelle logique, dans la mesure où ces deux autorités étaient chargées d'examiner des cas individuels, à l'intérieur des prisons ou à travers leurs relations avec les forces de police. Le résultat ne me semble pas très efficace.
Le sujet mériterait donc d'être repris, afin que l'on arrive, sur des sujets importants pour notre pays, à se doter de la manière la plus consensuelle possible d'autorités capables de jouer pleinement leur rôle. De ce point de vue, certains exemples étrangers mériteraient d'être suivis.
L'avantage d'avoir deux rapporteurs, c'est que l'on bénéficie d'une diversité d'appréciation – et de nuances sémantiques… Toutefois, la « consternation » de Christian Vanneste me paraît devoir être relativisée, puisque le Premier ministre a tout de même fait une réponse d'une trentaine de pages sur les recommandations du rapport du CEC. Certes, le nombre pages ne signifie pas grand-chose en soi ; néanmoins, on ne peut pas dire que l'on nous a ignorés ! Par ailleurs, un certain nombre de recommandations ont été prises en compte – même s'il n'y en a jamais assez.
S'agissant de la création d'une autorité administrative indépendante qui aurait à se prononcer sur tout ce qui regarde la vie politique, il s'agit d'un projet de grande portée, qui exige un débat. Le problème ne pourra pas être résolu ce matin.
Il importe en tout cas de continuer à défendre les recommandations de ce rapport, et d'envisager une sorte de legs que notre CEC pourrait transmettre à celui de la prochaine législature, afin d'éviter que les pouvoirs publics ne soient tentés d'attendre la fin d'une législature pour enterrer nos préconisations. J'ai demandé aux services de réfléchir à une solution pour que tout ce qui a été fait ne reste pas sans suites. Cela fera l'objet d'une prochaine décision du CEC.
Peut-être pourrait-on recommander que, durant la prochaine législature, le CEC fasse l'évaluation du Défenseur des droits, afin d'assurer un suivi sur cette question ?
Sans aller jusqu'à ce niveau de détail, il faut en tout cas prévoir une continuité, sinon notre travail n'aurait aucun sens. On verra s'il nous reste suffisamment de temps d'ici à la fin de la législature pour continuer le suivi des conclusions de votre rapport. Quoi qu'il en soit, il sera possible de faire des recommandations pour la prochaine législature.
Conformément aux dispositions de l'article 146-3 du Règlement, le Comité autorise la publication du rapport de suivi de la mise en oeuvre des conclusions du rapport d'information (n° 2925) sur les autorités administratives indépendantes. Le rapport sera distribué et mis en ligne sur le site Internet de l'Assemblée nationale. Il sera transmis au Gouvernement.
Permettez-moi, monsieur le Président, de traiter un sujet annexe, mais qui regarde notre activité de contrôle. Depuis quelques mois, le Gouvernement ne répond plus dans les délais impartis aux questions écrites « signalées », qu'elles proviennent de l'opposition ou de la majorité. C'est d'autant plus surprenant qu'il n'y avait jamais eu de retards au cours des quinze années précédentes, alors que cette procédure n'était pas prévue par notre Règlement. Par ailleurs, si l'on peut comprendre que la multiplication des questions écrites fasse problème, le nombre des questions signalées reste très limité. S'il se confirmait, le non-respect des délais de réponse reviendrait à réduire le pouvoir de contrôle du Parlement, ce qui serait paradoxal.
- Prochaine séance
La prochaine séance aura lieu le jeudi 15 décembre à 10 heures avec l'ordre du jour suivant :
– audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, présentant le rapport de la Cour des comptes sur l'évaluation de la politique menée en matière d'hébergement d'urgence ;
– rapport sur la performance des politiques sociales en Europe (rapporteurs : MM. Michel Heinrich et Régis Juanico).
La séance est levée à douze heures quarante-cinq.