Avant de présenter les deux autres parties du rapport, je tiens à souligner que la collaboration des deux co-rapporteurs a été excellente, sur un sujet qui aurait pu être clivant. Nous avons travaillé en commun et, hormis sur un point ou deux, nous sommes parvenus à une rédaction commune – même si cela n'a pas toujours été sans difficulté.
Je voudrais en outre remercier l'ensemble des services qui ont travaillé, pendant plus d'un an, sur ce dossier, pour lequel nous avons procédé à de nombreuses auditions. Un grand merci donc au secrétariat du CEC, ainsi qu'à nos deux assistants.
J'en viens maintenant à la deuxième partie du rapport, qui présente les mesures de la RGPP. Notre principal constat, c'est que la RGPP n'a pas conduit à une revue et à une réflexion, d'ensemble et de détail, sur l'opportunité des missions de l'État. Les mesures qui modifient le périmètre des missions sont peu nombreuses ; la suppression de l'ingénierie concurrentielle en constitue l'un des rares exemples. Quelques autres mesures ont modifié l'ampleur de certaines interventions de l'État, en matière d'aides agricoles, d'aides aux entreprises ou de dépenses fiscales ; cela reste marginal.
En revanche, la RGPP a constitué une mise en oeuvre du « faire mieux avec moins ». Beaucoup de fonctions support des ministères et des opérateurs de l'État, ainsi que certaines fonctions métier, ont été réformées ou sont en voie de l'être. Plusieurs mesures ont consisté à optimiser, rationaliser, mutualiser, fusionner, moderniser ces fonctions. En la matière, force est de constater que l'adossement de la RGPP à une baisse des moyens a contraint à des choix rapides, parfois discutables en termes d'efficience.
De nombreux acteurs s'interrogent sur la possibilité de poursuivre, à missions de l'État quasi inchangées, un processus de réforme qui conduit à supprimer des effectifs par l'intermédiaire de réorganisations administratives. Beaucoup ont souligné que cela menait d'ores et déjà à l'abandon de certaines missions sur le terrain, à charge parfois pour l'encadrement déconcentré de définir celles qui devaient rester prioritaires pour l'État. Certains ministères, notamment celui de l'Éducation nationale, se montrent sceptiques quant à leur capacité à court terme à poursuivre ce processus ; un grand nombre de rectorats nous ont notamment fait part de leurs inquiétudes.
Enfin, l'objectif d'amélioration de la qualité du service rendu, même s'il a été renforcé depuis 2010, a été au moins initialement secondaire. Des méthodes de mesure de la satisfaction des usagers ont été élaborées, mais il reste à faire en la matière.
Nous considérons que le « faire mieux avec moins » a sans doute atteint ses limites et qu'il serait opportun de stabiliser les nouvelles organisations administratives issues de la RGPP, de manière à s'assurer un temps d'analyse et d'évaluation.
S'agissant de l'étude réalisée par Ernst & Young sur les modalités de délivrance des passeports et des certifications d'immatriculation des véhicules (CIV), elle aboutit à la conclusion qu'il y a eu initialement des difficultés de mise en oeuvre, mais qu'aujourd'hui les choses fonctionnent. Le bilan financier global est toutefois plus contrasté. On constate certes des gains d'efficience dans les préfectures, notamment pour ce qui concerne la délivrance du passeport biométrique, mais ceux-ci ne viennent que partiellement compenser les charges nouvelles supportées par l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) pour réaliser le déploiement du passeport biométrique et du CIV, charges qui sont largement financées par l'usager, via notamment l'augmentation des droits de timbre. L'étude recommande également de renforcer la lutte contre la fraude, notamment en matière de délivrance des CIV.
J'en viens à la partie concernant les impacts financiers de la RGPP. Malgré tous nos efforts, le bilan budgétaire de la RGPP reste une énigme. Certaines informations furent particulièrement difficiles à obtenir ; nous avons par ailleurs constaté des différences notables entre les chiffres avancés par Bercy et ceux communiqués directement par les ministères. S'agissant des dépenses de personnel, il convient de souligner les différences de traitement d'une catégorie de fonctionnaires à l'autre en matière de « un sur deux » : les suppressions de postes ont davantage concerné les personnels de catégorie C que ceux des catégories A et B, ce qui a probablement contribué à renforcer la mauvaise perception de la RGPP par les usagers, qui sont, sur le terrain, plus souvent en contact avec des agents de catégorie C.
S'agissant du retour catégoriel, nous avons constaté de fortes inégalités entre les ministères. Globalement, il est affiché à 50 % du montant des économies brutes issues de la baisse des effectifs. Il est probable que l'on a inclus dans le retour catégoriel des mesures qui avaient été décidées avant la mise en oeuvre de la RGPP et que l'on a financées par cette voie.
S'agissant de l'Éducation nationale, le non-remplacement d'un enseignant sur deux a été partiellement compensé par l'augmentation considérable du nombre des heures supplémentaires effectuées : en moyenne, environ une demi-heure supplémentaire par enseignant dans le second degré. Or – c'est le sujet sur lequel il existe une divergence entre nous –, le coût de ces heures supplémentaires est très élevé, en raison de la majoration de salaire et de la défiscalisation auxquelles elles ouvrent droit. Notons à ce propos que la dépense fiscale est rarement intégrée dans le calcul des économies, brutes ou nettes, réalisées grâce au « un sur deux ».
Globalement, le problème, c'est que le Gouvernement a décidé d'évaluer a priori l'économie dégagée par la RGPP à 15 milliards d'euros sur 2009-2013. Tout est fait ensuite pour justifier ce montant, y compris en incluant désormais dans le périmètre la RGPP un certain nombre de mesures qui, initialement, n'y étaient pas.
Aujourd'hui, la pratique budgétaire est de s'engager par des lois de financement pluriannuelles. Son effet pervers, c'est que, lorsque le périmètre d'une politique est flou - c'est le cas de la RGPP –, la tentation est forte de le modifier pour atteindre les objectifs affichés en matière d'économie.
Quelles sont nos recommandations ?
D'abord, le suivi budgétaire de la réforme de l'État doit s'appuyer sur une mesure méthodique de l'efficience de chacune des mesures mises en oeuvre.
Ensuite, le suivi budgétaire global doit tenir compte de la dépense fiscale.
Enfin, il n'est pas opportun de comptabiliser au titre des économies issues de la RGPP un certain nombre de gains en intervention, qui relèvent davantage de choix politiques ponctuels.
Je considère que sur ces questions – comme sur les autres – notre rapport est demeuré plutôt factuel et s'est essentiellement appuyé sur des analyses et des auditions.
Je terminerai moi aussi par quelques réflexions personnelles.
Le point qui me paraît essentiel, c'est que toute réforme de l'État doit procéder d'une réflexion sur les missions de l'État et sur la manière dont il doit les exercer. Doit-il utiliser ses moyens propres, transférer certaines missions aux collectivités territoriales, les faire exercer par des opérateurs publics ou les externaliser ? Toutes les solutions sont possibles, à condition que l'on ait mené une analyse préalable et que l'on ait pris une décision politique.
Pour prendre un exemple polémique, lorsque nous avons auditionné le secrétaire général du ministère de la Défense, celui-ci nous a annoncé qu'un partenariat public-privé (PPP) allait être signé pour le regroupement des services parisiens du ministère à Balard et qu'en termes de gestion, cela ne coûterait pas plus cher qu'avant. Lorsque nous lui avons demandé si l'on avait comparé le coût d'un PPP avec celui d'une procédure traditionnelle, avec maîtrise d'ouvrage par l'État, sa réponse fut négative : la commande était de faire un PPP.
On voit là les limites d'un exercice décisionnel ex abrupto et la nécessité d'une réflexion préalable aux décisions. On me rétorquera que, dans ces conditions, on ne ferait jamais rien, et qu'une telle opération permet de mettre l'administration « sous tension ». Certes, mais gare au court-circuit ! On a l'impression que, dans bien des domaines, notamment pour les missions de l'État qui sont territorialisées, la RGPP a conduit à de tels courts-circuits, par absence d'examen des choix possibles en amont de la décision politiques.
Quoi qu'il en soit, il me semble sain d'ouvrir un débat sur le sujet, à la veille d'échéances électorales qui nous amèneront à discuter du rôle de l'État et des moyens d'exercice de ses missions. Nous apportons notre contribution sous la forme de ce rapport, auquel nous proposons de donner un titre simple, correspondant à son plan : « Une évaluation de la RGPP : méthode, contenus, impacts financiers ».