La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'audition de M me Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale.
La séance est ouverte à seize heures trente.
Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir accepté de rencontrer la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. J'espère que vous pourrez apaiser les inquiétudes que nous nourrissons à l'égard des décrets d'application de l'article 99 de la loi portant réforme des retraites, dont la publication doit normalement intervenir à la fin du mois d'avril.
Par ailleurs, madame la ministre, je sais que vous partagez nos préoccupations quant à l'articulation des temps de vie, un de nos thèmes de prédilection – le temps partiel avait fait l'objet en 2004 d'un rapport de la délégation, qui formulait des préconisations sur ce sujet. Nous sommes à votre disposition pour faire de la table ronde qui doit être consacrée mi-juin à ces questions une pleine réussite.
Chère Marie-Jo Zimmermann, mesdames, monsieur le député, mon engagement dans le combat pour les droits des femmes est aussi intense que le vôtre, et je considère votre délégation comme un partenaire incontournable du ministère que j'ai l'honneur de servir.
En un quart de siècle, quatre lois ont fixé successivement le cadre juridique de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en France. J'ai déjà eu l'occasion de les citer en janvier dernier, lors de l'examen de votre proposition de loi, madame la présidente, mais je voudrais les rappeler aujourd'hui, car elles sont essentielles. Il s'agit de la loi du 13 juillet 1983, dite loi Roudy, de la loi du 9 mai 2001, que nous devons à l'initiative de Catherine Génisson, de la loi du 16 novembre 2001, qui protège les salariés contre les discriminations, en instaurant notamment un aménagement de la charge de la preuve, enfin de la loi du 23 mars 2006, dite loi Ameline, qui renforce l'obligation de négociation en matière d'égalité professionnelle en instaurant une obligation de négocier des mesures de suppression des écarts de rémunération avant le 31 décembre 2010.
Cette loi de 2006 faisait suite à l'accord national interprofessionnel du 1er mars 2004 relatif à la mixité et à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, accord signé par les cinq organisations syndicales représentatives de droit et par le MEDEF. Alors que jusqu'ici les partenaires sociaux ne s'étaient jamais vraiment impliqués dans le combat en faveur de l'égalité professionnelle, cet accord national interprofessionnel a marqué leur volonté de négocier dans le domaine de l'égalité professionnelle selon une démarche globale et systémique intégrant tous les aspects de l'égalité professionnelle : salaires, recrutement, formation, promotion, mais aussi orientation scolaire et articulation des temps de vie professionnelle et familiale. La loi tend à ce que les négociations entre partenaires sociaux couvrent tout le champ de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et non la seule politique salariale de l'entreprise.
Cette loi fixait une date butoir, imposant aux branches professionnelles et aux entreprises de négocier afin de définir et programmer des mesures de suppression des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes d'ici 2010, en envisageant une contribution assise sur les salaires à l'issue du bilan à mi-parcours de ces mesures. Malheureusement, ces dispositions ont été rejetées par le Conseil constitutionnel. En effet, ce n'est que depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 que le Parlement peut voter des mesures contraignantes en matière d'égalité professionnelle.
La loi du 23 mars 2006 a tout de même eu une vertu incitative, poussant les entreprises et les branches professionnelles à signer un plus grand nombre d'accords collectifs. Votre proposition de loi relative à une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration, madame la présidente, avait provoqué un phénomène similaire, certains préférant devancer la loi. À cet égard, les chiffres sont éloquents : alors qu'en 2005 on recensait 295 accords d'entreprise traitant de l'égalité entre les femmes et les hommes, on en recense 1 290 en 2009. De la même manière, alors que ce sujet faisait l'objet de 41 accords de branche en 2005, 107 y étaient consacrés en 2009.
Mais c'est l'éternelle histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein, selon le point de vue choisi : si la progression est indéniable, elle n'est pas complètement satisfaisante, et les inégalités professionnelles demeurent importantes. En un mot, l'égalité professionnelle est encore loin d'être réalisée. Je n'en donnerai qu'un seul exemple, auquel je sais que vous êtes sensible, madame Zimmermann : 55 % des entreprises n'effectuent pas de rapport de situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes, le RSC.
La date butoir fixée par la loi du 23 mars 2006 – le 31 décembre 2010 – pour que les entreprises négocient des mesures de résorption des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, a été supprimée par la loi portant réforme des retraites. En revanche, le défaut de négociation sera sanctionné par une pénalité financière, de caractère plus dissuasif.
De plus, en renforçant l'obligation pour les entreprises d'au moins cinquante salariés d'établir un rapport de situation comparée, cette loi constitue une nouvelle étape dans la lutte contre les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes, écarts qui stagnent à des niveaux beaucoup trop importants : tous temps de travail confondus, les salaires des femmes sont inférieurs de 27 % à ceux des hommes.
Cette loi fait obligation aux entreprises d'au moins cinquante salariés de conclure un accord d'égalité professionnelle ou, à défaut, un plan d'action en faveur de l'égalité professionnelle. En outre, l'entreprise doit assurer la publicité du plan d'action adopté. Les entreprises d'au moins cinquante salariés qui n'auraient pas satisfait à cette obligation sont passibles d'une sanction financière. Le montant de la sanction sera fixé par l'inspection du travail et pourra aller jusqu'à 1 % de la masse salariale des rémunérations et gains bruts, ce qui peut représenter une somme considérable. Ce montant sera modulé par l'autorité administrative, c'est-à-dire l'inspection du travail, en fonction des efforts consentis par l'entreprise en matière d'égalité professionnelle et des motifs des carences constatées, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État.
Comme toujours en ces sortes d'affaires, le diable est dans les détails, la mise en oeuvre effective d'une loi exigeant la mise en place d'une mécanique réglementaire très fine. C'est pourquoi je suis particulièrement attentive à ce que nous franchissions la dernière étape du long chemin qui nous a conduits jusqu'ici. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous avez souhaité m'auditionner aujourd'hui.
Je répète donc avec la plus grande fermeté que, premièrement, je veillerai scrupuleusement à ce que les décrets d'application définissent clairement les modalités de suivi de la réalisation des objectifs et des mesures de l'accord comme du plan d'action, ainsi que les critères de modulation des pénalités par l'autorité administrative. Deuxièmement, étant donné que l'article 99 est un mécanisme d'abord incitatif et à vocation pédagogique, l'employeur inspecté disposera d'une période de mise en demeure de six mois pour se conformer à ses obligations légales, qu'il s'agisse de l'accord ou du plan d'action. En cas de carence, la sanction s'appliquera. Troisièmement, et ce n'est pas la moindre des mesures, le dispositif entrant en vigueur à compter du 1er janvier 2012, c'est à compter de cette date que l'assiette de la sanction financière sera calculée. Une réunion interministérielle est prévue lundi prochain pour préciser les modalités de calcul de cette assiette.
Ces décrets seront publiés avant la fin du mois d'avril 2011.
Je m'inquiète des risques persistants de confusion entre rapport de situation comparée et plan d'action. J'aimerais qu'il soit bien clair pour tous, notamment pour les entreprises qui n'ont pas établi de rapport de situation comparée, qu'il ne suffit pas de produire un plan d'action : celui-ci doit être inclus dans un rapport de situation comparée pour être conforme à la loi.
Il risque effectivement d'y avoir là un problème de lisibilité, et il faudra veiller, Madame Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, à ce que la rédaction des décrets lève toute ambiguïté à cet égard.
C'est là en effet un point essentiel, une confusion entre plan d'action et rapport de situation comparée risquant d'atténuer significativement l'avancée que constitue cette disposition légale. À cet égard, la rédaction des projets de décret est extrêmement claire : le plan d'action est une des composantes essentielles du rapport de situation comparée, mais le champ du RSC est bien plus vaste, puisqu'il inclut un diagnostic de la situation, une analyse des causes des écarts constatés, une recension des actions menées pour les réduire et un plan prospectif, comportant des indicateurs et définissant des objectifs et un calendrier.
Je voudrais dire au préalable que nous partageons tous l'inquiétude dont Mme Zimmermann vient de vous faire part.
On n'a peut-être pas suffisamment mis en exergue le fait que les inégalités prennent leur source dans la division sexuée de la société et l'absence d'un véritable partage des tâches domestiques. Que Mme Parisot plaide pour la création d'un ministère du droit de la femme et propose de rendre le congé paternité obligatoire, fort bien. Mais ne serait-elle pas davantage dans son rôle en faisant pression sur les entreprises adhérentes du MEDEF pour qu'elles remplissent leurs obligations légales en matière d'égalité professionnelle ?
Comme l'avait pointé Mme Grésy lors de son audition par la délégation, c'est l'absence de partage des tâches qui constitue aujourd'hui l'obstacle majeur à l'égalité salariale, et ce dès l'embauche. J'en veux pour preuve ce qu'une inspectrice pédagogique régionale a osé répondre à une enseignante qui s'étonnait de ne pas avoir été informée qu'un poste en classe préparatoire se libérait dans son académie : « Ce n'est pas un oubli de ma part, ce poste demande une énorme charge de travail très peu compatible avec le métier de mère de famille ». Voilà ce qu'ose écrire aujourd'hui une fonctionnaire éminente de l'éducation nationale !
Valérie Pécresse a condamné ces propos.
Condamner ne suffit pas : il faut sanctionner. De tels faits sont révélateurs de la pollution mentale généralisée qui nuit à l'embauche et la carrière des femmes. Je peux vous citer le cas d'une jeune femme à qui on a refusé un poste de manager pour lequel pourtant, de l'aveu même de l'entreprise, elle présentait toutes les qualités, sous le prétexte qu'elle élevait seule ses deux enfants.
Les décrets d'application de l'article 99 sont le sujet de notre rencontre d'aujourd'hui, mais j'ai bien conscience que les inégalités professionnelles sont le produit de multiples facteurs, et qu'il faut s'attaquer à l'ensemble de ces causes. Ce sera l'objectif de la table ronde que nous consacrerons en juin, avec Xavier Bertrand, à ces questions de partage des responsabilités et d'articulation entre vie professionnelle et vie familiale. Il n'est pas acceptable que les femmes soient pénalisées dans leur vie professionnelle parce qu'elles sont seules à assumer les tâches domestiques. La participation des hommes aux tâches ménagères a augmenté de huit minutes en vingt-cinq ans : bel effort ! Force est de constater que les « nouveaux pères » tant vantés existent peu dans la vraie vie. Hormis dans les ménages les plus favorisés, qui peuvent se faire aider sur le plan domestique, ce sont principalement les femmes qui portent le poids des responsabilités familiales.
Pour l'heure, tout ce dont je peux vous assurer c'est que la rédaction des décrets d'application lèvera toutes les ambiguïtés que vous avez mises en exergue.
Le délai de six mois laissé aux entreprises pour se mettre en conformité avec leurs obligations légales s'inspire de celui prévu par le dispositif de pénibilité. Quant aux modalités de calcul de l'assiette de la sanction financière, elles sont encore en discussion. Mon ministère plaidera, avec votre appui, je l'espère, pour que cette assiette inclue les rémunérations versées à partir du 1er janvier 2012, et non à compter des six mois de mise en demeure seulement.
Si l'autorité administrative constate que l'entreprise ne s'est pas conformée à ses obligations légales, celle-ci sera mise en demeure de s'y conformer dans les six mois. À l'issue de cette mise en demeure, elle est passible de la sanction maximale. Mais l'inspecteur du travail gardera la possibilité de la minorer si l'entreprise peut justifier sa défaillance par des motifs recevables au regard du décret. L'appréciation de l'autorité administrative, même si elle n'exclut pas la considération de la bonne foi de l'entreprise, n'aura donc pas de caractère subjectif, mais se fondera sur un nombre limité de critères définis par voie réglementaire.
Ne pourrait-on pas, s'agissant du plan d'action et du RSC, imposer aux entreprises une obligation de publicité similaire à celle qui existe déjà pour les autres documents légaux ? Cela permettrait aux inspecteurs du travail de repérer plus facilement les entreprises qui ne satisferaient pas à leurs obligations. Le personnel est-il associé à l'élaboration de ces documents et jouit-il d'un droit de regard sur la réalisation concrète de ces obligations ?
Votre proposition est intéressante. Mais devrait-elle être reprise dans un décret ou ne relèverait-t-elle pas plutôt d'une circulaire ? Quant aux modalités d'association des représentants du personnel, je laisse à Mme Élisabeth Tomé-Gertheinrichs le soin de vous répondre.
En pratique, il y a toujours échange et discussion avec le personnel. En tout état de cause, le texte de loi prévoit déjà l'obligation d'afficher sur les lieux de travail une synthèse du plan d'action comprenant au minimum des indicateurs et des objectifs de progression. En outre, cette synthèse doit être tenue à la disposition de toute personne qui la demanderait.
Votre ministère a-t-il prévu de lancer une campagne d'information sur ces dispositions, au moins via l'Internet, à destination d'organismes tels que les chambres de commerce et d'industrie ?
C'est le rôle du ministère du travail, qui dispose pour ce faire de plus de moyens que notre ministère. Je proposerai cependant à Xavier Bertrand que le service des droits des femmes participe à une campagne nationale sur ce sujet via ce moyen de diffusion peu coûteux qu'est l'Internet, en direction des entreprises, des organisations professionnelles et syndicales, etc.
Une telle campagne donnerait du poids à ces décrets : il ne faudrait pas que les différents partenaires puissent exciper de leur ignorance pour ne pas remplir leurs obligations.
La table ronde prévue en juin sera une occasion de leur rappeler leurs obligations.
Une entreprise est contrôlée en moyenne une fois tous les dix ans.
Ne faudrait-il pas prévoir que le rapport sur la situation comparée soit intégré au bilan social de l'entreprise, dont la publication est obligatoire ?
La loi de 2006 en fait un document légal dont la publication est obligatoire, au même titre que le bilan social.
La séance est levée à dix-sept heures.