Commission des affaires économiques
La commission a entendu Mme Fadela Amara, secrétaire d'État chargée de la Politique de la ville.
Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Fadela Amara, secrétaire d'État chargée de la politique de la ville, pour l'entendre sur cette politique, à laquelle notre Commission est très attachée.
Madame la secrétaire d'État, vous avez lancé en 2008 le plan « Espoir banlieues » en 2008. En janvier dernier, le Comité interministériel des villes en a établi un premier bilan d'étape, positif. C'est ce bilan que nous souhaiterions que vous nous présentiez aujourd'hui.
Nous prêterons une attention particulière au volet économique de la politique de la ville. La revitalisation des quartiers par l'activité économique est-elle efficace ? À un moment où l'argent public se fait rare, et compte tenu de l'importance des montants engagés dans cette politique de la ville – 5,2 milliards d'euros selon le PLF 2010, dont 3,7 milliards d'euros de crédits budgétaires –, il nous paraît important de disposer d'informations chiffrées sur les résultats atteints. D'autre part, quelles sont les perspectives budgétaires pour 2011 ?
Plusieurs thèmes sont chers à notre Commission.
La compétitivité économique des entreprises, d'abord. Peut-on chiffrer les effets, en termes d'implantations nouvelles et d'emplois créés, de la politique des zones franches ? Observe-t-on un progrès notable des quartiers aidés par rapport aux autres ?
Le numérique ensuite, dont nous a entretenus ce matin M. Silicani, président de l'ARCEP. Comme nous, vous êtes soucieuse de réduire la fracture dans ce domaine et, en lançant le programme « Banlieue 2.0 » en juin 2010, vous avez même pour ambition de transformer les quartiers en lieux de l'innovation technologique. À quelle échéance ?
La rénovation urbaine, enfin. Les fonds dont dispose l'Agence nationale pour la rénovation urbaine – ANRU – lui permettront-ils de respecter ses engagements et de passer ce que l'on appelle communément la « bosse de l'ANRU » ? Dans quelles conditions les populations sont-elles relogées ? Le rapport du sénateur Philippe Dallier fait état d'un retard global de réalisation des conventions, dû pour partie à la complexité des procédures de l'ANRU. Où en est-on de la simplification de celles-ci ?
S'agissant de la question particulière des contrats de réussite éducative, nous sommes inquiets. En effet, dans les Hauts-de-Seine par exemple, les crédits qui leur sont consacrés ont baissé cette année de 20 %. Pouvez-vous nous apporter des garanties sur la poursuite de ces contrats ?
En dehors du « pilier » économique de la politique de la ville, plusieurs questions d'importance restent en suspens.
S'agissant de la rénovation de la géographie prioritaire, que pensez-vous des propositions de MM. Pierre André et Gérard Hamel, qui recommandent dans leur rapport que la solidarité nationale s'exerce en priorité en faveur des communes les plus en difficulté ?
À l'occasion de l'installation du Conseil national des villes, le 25 mai dernier, François Fillon a évoqué le dépôt, en 2011, d'un projet de loi qui concernerait à la fois le zonage de la politique de la ville, les modalités de contractualisation et la dotation de solidarité urbaine. Notre Commission étant appelée à être saisie au fond de ce texte, pouvez-vous nous en exposer les grandes lignes et nous communiquer les éléments de calendrier dont vous disposez ?
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi d'abord de saluer votre initiative d'organiser une audition sur la politique de la ville. Je remercie chacun d'entre vous d'être présent pour échanger sur ce sujet crucial pour notre cohésion sociale – mais je vous sais tous très soucieux du devenir de nos quartiers et de leurs habitants, qui constitue un enjeu national.
Afin de vous permettre de mesurer l'importance de mon champ d'action, je tiens d'abord à vous indiquer l'étendue des territoires dont j'ai la charge.
Les actuelles 751 zones urbaines sensibles, dont la liste a été arrêtée en 1996, concernent 491 communes où vivent près de 4 millions d'habitants. Si l'on y ajoute les quartiers non situés en zone urbaine sensible, mais couverts par les contrats urbains de cohésion sociale, ce sont 2 493 quartiers dans 917 communes, soit au total 26 millions d'habitants, qui sont concernés. Une telle étendue impose d'abord une identification des quartiers les plus difficiles, qui doivent recevoir, comme l'ont montré les incidents récents à Grenoble, des moyens plus concentrés.
La réforme qui sera menée en 2011 doit impliquer une redéfinition des zonages selon des critères affinés, collant mieux à la réalité d'aujourd'hui. Vous en conviendrez : ce n'est pas avec le seul budget de la politique de la ville, aussi important soit-il, que je peux faire face à toutes les difficultés que connaissent ces territoires. C'est pourquoi, dès ma nomination, j'ai fait du retour du droit commun le coeur de ma politique. C'est en réalité tout le sens de la dynamique « Espoir banlieues », qui consiste à mobiliser tous les acteurs – l'État, autrement dit chaque ministère, les collectivités locales, les entreprises et les associations – pour qu'ils répondent ensemble aux besoins spécifiques de chaque quartier relevant de la politique de la ville. Cette logique s'impose jour après jour, cette dynamique est à présent en marche, en parfaite conformité avec les priorités fixées par le Président de la République en février 2008.
Les résultats sont là, même s'il faut reconnaître que la mobilisation des ministères reste inégale – nous savons tous qu'il faut du temps pour changer les habitudes. Ainsi que je le dis souvent, la politique de la ville marche sur deux jambes : l'humain et l'urbain. L'un ne va pas sans l'autre.
La dynamique définie par le Président de la République s'applique à quatre grands domaines : la rénovation urbaine et le désenclavement, l'éducation, l'emploi et la sécurité.
En ce qui concerne l'éducation, la mise en place de l'accompagnement éducatif, financé à hauteur de 260 millions d'euros, est un premier exemple de mobilisation. Les programmes de réussite éducative sont par ailleurs un succès, comme en témoigne le nombre croissant des élus qui en sollicitent l'extension. Les 90 millions d'euros qui y sont consacrés permettent à près de 100 000 enfants d'être suivis cette année. Cette action sera reconduite l'année prochaine.
Agir pour la réussite éducative, c'est aussi aider ceux qui « décrochent ». D'où le développement des écoles de la deuxième chance et des centres EPIDE (établissement public d'insertion de la défense) qui accueillent aujourd'hui plus de 10 000 jeunes sortis du système scolaire sans diplôme et sans qualification.
Par ailleurs, afin d'accroître les chances de réussite des élèves méritants, 500 millions d'euros ont été débloqués dans le cadre du grand emprunt national pour développer les internats d'excellence annoncés par le Président de la République. En ce mois de septembre, ils ont reçu plus de 6 200 élèves. Onze nouveaux sites viennent d'être créés en lien avec l'Éducation nationale, répartis sur tout le territoire : ils sont situés à Barcelonnette, à Noyon, à Sourdun, à Cachan, à Douai, à Montpellier, à Metz, à Nice, à Langres, au Havre et à Marly-le-Roi. Les élèves méritants issus d'un milieu modeste y trouvent les conditions de travail optimales qu'ils n'ont pas chez eux, et bénéficient d'une pédagogie innovante et d'un accompagnement personnalisé.
La démocratisation de la réussite scolaire, c'est également l'égalité sociale pour l'accès aux filières d'excellence. On sait que l'origine sociale influe fortement sur la réussite des élèves et que les élites continuent de se reproduire. Nous avons voulu casser ce déterminisme pour donner corps à cette valeur fondamentale de la République qu'est l'égalité. Aujourd'hui, et nous ne pouvons que nous en féliciter, 30 % d'élèves boursiers ont accès aux grandes écoles : ENA, HEC, ESSEC. Grâce aux 250 « Cordées de la réussite », ce sont 14 000 élèves qui sont à même d'accéder aux filières d'excellence de l'enseignement supérieur. Je tenais à souligner ces résultats car l'on m'avait opposé, à mon arrivée au ministère, la difficulté de mettre en place un tel dispositif. Or ce gouvernement ne s'est pas borné à constater : il a agi pour ouvrir l'élite à la diversité sociale.
Avec l'éducation, l'emploi est une priorité absolue, d'autant que la crise frappe avant tout nos quartiers populaires et notre jeunesse. Parmi toutes les mesures que nous avons pries, je veux surtout insister sur celle, pragmatique et efficace, que constitue le contrat d'autonomie.
Reposant sur un partenariat public-privé, ce dispositif offre aux jeunes, en particulier à ceux qui étaient les plus éloignés de l'emploi et échappaient aux dispositifs d'insertion existants, une formation qualifiante ou un accompagnement dans leur insertion professionnelle. Après un démarrage difficile, plus de 32 000 jeunes ont bénéficié de ces contrats, dont 4 600 ont abouti à un emploi stable ou à une formation qualifiante, ou ont constitué une aide à la création d'entreprise.
Dans l'esprit de cette dynamique, j'ai souhaité mobiliser les entreprises. L'appel national pour l'emploi des jeunes des quartiers a été un succès. Aujourd'hui, 102 entreprises sont signataires, et nous comptabilisons 39 000 emplois créés, 10 000 contrats en alternance et 13 500 stages.
Le Conseil national des entreprises pour la banlieue (CNEB) sert le même objectif. Il a lancé plusieurs actions pilotes territorialisées, notamment à Creil et à Nice, en lien avec les universités de Picardie et de Sophia Antipolis, afin de construire un parcours professionnel sécurisé et adapté aux difficultés des jeunes des quartiers, leur permettant d'acquérir un diplôme et une qualification.
Par ailleurs, le CNEB a lancé des expérimentations sur le numérique, qui seront évaluées fin 2011. Le Gouvernement est très attentif à la fracture numérique. C'est pourquoi nous mettons actuellement en place, avec Nathalie Kosciusko-Morizet, un programme spécifique pour les quartiers les plus dépourvus à cet égard.
La lutte contre le chômage est inséparable de la question de la mobilité, indispensable pour casser les ghettos. C'est pourquoi le désenclavement constitue un volet essentiel de la politique de la ville. Nous y avons consacré 500 millions d'euros, dont 250 pour financer des infrastructures de transports en commun desservant les quartiers populaires en Île-de-France, cependant que 37 projets concernent le reste du territoire national.
La rénovation urbaine constitue la pierre angulaire la plus visible de la politique de la ville. Le programme national de rénovation urbaine – PNRU – défini par Jean-Louis Borloo en 2003 bénéficie de 12 milliards d'euros, qui génèrent 42 milliards de travaux et 400 000 emplois. Chaque mois, l'ANRU paie 110 millions d'euros pour les 375 projets, et ce seront 1,4 milliard d'euros qui seront mobilisés sur l'année 2010. C'est un chiffre colossal, sans précédent dans l'histoire du développement urbain. Pour la première fois, le rapport démolitions-constructions s'inverse : on produit aujourd'hui plus de logements sociaux qu'on n'en détruit, ce qui est une petite révolution !
Afin de conforter ces avancées, je souhaite enfin rendre opérationnelle la gestion urbaine de proximité. Cela passe par une vigilance accrue sur la question des halls d'immeubles, par la formation des gardiens et par l'implication du citoyen dans cette gestion de proximité.
Dernière priorité : la sécurité, qui est un droit fondamental que notre République doit garantir notamment aux familles les plus modestes. C'est pourquoi, dans le cadre de la dynamique « Espoir banlieues », nous avons lancé dès 2008 avec Brice Hortefeux les UTEQ (unités territoriales de quartier) ; 34 ont été mises en place. Cet été, à Toulon, le ministre de l'intérieur a annoncé la création de « brigades spéciales de terrain ». Deux sont en place, à Perpignan et à Toulon, et 24 le seront d'ici à la fin d'octobre, l'objectif étant d'en compter 60 à la fin de l'année.
J'en viens aux perspectives.
Je souhaite aujourd'hui aller plus loin dans la dynamique. Cela passe, en particulier, par le renforcement de la mixité sociale, par le développement de la démocratie participative au coeur des quartiers – priorité, à mes yeux, pour les prochaines années –, et par la réforme de la géographie prioritaires, dès 2011.
Dès ma prise de fonctions, j'ai favorisé toutes les mesures concourant à la mixité sociale, comme le « busing » – très décrié, mais qui s'est révélé être une belle réponse à la ghettoïsation de nos écoles dans nos quartiers – ou comme les « Cordées de la réussite ». À présent, il est nécessaire d'aller plus loin, afin de créer une nouvelle dynamique de peuplement des quartiers. Il faut arrêter de concentrer les populations pauvres ou les populations immigrées dans les mêmes villes et les mêmes quartiers, surtout quand ces derniers ont fait l'objet d'une rénovation urbaine.
Cet objectif implique une évolution de la loi DALO (droit au logement opposable). Si cette dernière représente une incontestable avancée pour les populations les plus fragiles de notre pays, il faut aussi s'interroger sur ses effets dans les quartiers rénovés, notamment sur le risque de ghettoïsation qui guette aujourd'hui certains d'entre eux. Ils ne peuvent être les seuls réceptacles de la loi DALO si l'on ne veut pas perdre d'ici à quelques années le bénéfice du plan Espoir banlieues et de la rénovation urbaine.
Comme vous le savez, je crois profondément à la démocratie participative. J'ai sollicité l'avis du Conseil national des villes sur les pratiques de participation des habitants dans les territoires de la politique de la ville. Il s'agit de savoir, par exemple, comment les associations peuvent être mieux et davantage impliquées dans ces processus de participation, compte tenu du taux d'abstention particulièrement préoccupant constaté dans les quartiers populaires lors des récents scrutins. Surtout, si les habitants ne prennent pas en charge eux-mêmes leur destinée économique, professionnelle, familiale et sociale, l'amélioration de leurs conditions de vie restera fragile et superficielle. L'adhésion à la vie de la cité est indispensable pour favoriser le sentiment d'appartenance à la Nation et l'adhésion aux valeurs de la République.
Au-delà de ces actions, il nous faut évidemment continuer à renforcer la solidarité financière avec les villes pauvres. Malgré le contexte budgétaire difficile, nous avons déjà consolidé la DSU (dotation de solidarité urbaine) et pérennisé la DDU (dotation de développement urbain), avec le soutien déterminé des parlementaires. Cette nécessité de conforter la solidarité entre les quartiers est au coeur de l'indispensable réforme de la géographie prioritaire que le Gouvernement mènera en 2011. Si mon souhait est de réaliser celle-ci dès 2010, je reste persuadée que, comme le Président de la République l'a rappelé dans son discours de Grenoble en juillet dernier, il est à présent nécessaire de concentrer notre action sur les territoires les plus en difficulté.
La dynamique est en marche. Vous et moi en avons conscience : il reste beaucoup à faire, mais c'est ensemble que nous pouvons réussir.
Je termine en répondant à deux de vos questions, monsieur le président.
D'abord à celle qui portait sur la « bosse de l'ANRU ». Le président Hamel le sait : en 2011, les besoins de financement de l'Agence seront très importants – de l'ordre de 250 millions d'euros. Ils seront couverts. Plusieurs pistes – financement par l'Union sociale du logement (USL), financement par un nouveau système de péréquation entre bailleurs… – sont actuellement à l'étude et nous travaillons sur le sujet en étroite collaboration avec le cabinet de Benoist Apparu et, bien sûr, avec les bailleurs sociaux.
Enfin, s'agissant des zones franches urbaines, appelées à disparaître en 2011, j'ai mis en place un groupe de travail qui, présidé par Éric Raoult, nous éclairera sur les décisions à prendre sur ce sujet ainsi que sur celui du développement économique dans les quartiers. Aujourd'hui, 50 000 établissements sont implantés dans les ZFU, dont 20 000 bénéficient de l'exonération des cotisations sociales. La réforme du dispositif en 2009, combinée à son extinction, va générer pour le budget de l'État une économie cumulée de plus de 216 millions d'euros sur la période 2011-2013. Je souhaite qu'une partie substantielle de cette somme soit affectée à l'emploi dans les quartiers : plus de 100 000 emplois sont en jeu.
Je suis d'autant plus sensible à vos derniers propos, madame la secrétaire d'État, que j'ai été, dans cette Assemblée, il y a de cela une vingtaine d'années, à l'origine de la zone franche de Corse, dont sont issues les zones franches urbaines. En outre, dans le cadre d'un texte sur l'aménagement du territoire dont j'étais rapporteur en 1994, j'ai créé les zones de revitalisation rurale et les zones de redynamisation urbaine. L'idée était déjà de faire en sorte que les inégalités territoriales donnent lieu à un traitement fiscal différencié, le dynamisme économique permettant de rétablir les équilibres.
Madame la secrétaire d'État, si la politique de la ville ne résout pas tous les problèmes et si elle nécessite en permanence des moyens, ainsi qu'une détermination de tous les instants, vous en avez dressé un premier bilan très positif. Les premières statistiques montrent que, dans les quartiers dits sensibles, les résultats sont encourageants.
En tant que président de l'ANRU, je vais évoquer plus précisément le cas des quartiers ayant bénéficié du programme de rénovation urbaine. C'est dans ces quartiers qu'on a constaté la plus forte baisse du nombre de faits délictueux constatée entre 2008 et 2009. Je ne citerai qu'Angers, Toulouse, Valenciennes, Grigny, Meaux, Clermont-Ferrand. A contrario, les dix quartiers qui ont connu la plus forte dégradation en matière de délinquance étaient pratiquement tous à l'écart de cette dynamique.
Autre exemple : à la suite de la rénovation urbaine, une baisse importante du taux de chômage a été enregistrée dans les quartiers de certaines villes, comme Trélazé, où ce taux est tombé de 28 % à 13 %, ou encore comme Meaux.
C'est ainsi que des quartiers qui faisaient peur, où personne ne voulait s'installer, sont redevenus fréquentables, voire recherchés, ne serait-ce que parce que les écoles y ont été refaites à neuf. Ainsi à Angers, à Belfort, à Lyon, à Grenoble, à Bordeaux, à Dreux, à Nantes, à Châteauroux, à Val-de-Reuil, au Havre.
On le voit : la rénovation urbaine, un des éléments de la politique de la ville, commence à produire ses effets. Néanmoins, beaucoup reste à faire, et il faut maintenant pérenniser les investissements réalisés dans ces quartiers, en les accompagnant d'une véritable gestion de proximité, au travers d'un programme complet qui prenne en compte les nouvelles manières de vivre des populations.
Si, quelles que soient leurs positions politiques, les élus que je rencontre régulièrement manifestent leur satisfaction, le plus important à mes yeux est la satisfaction des habitants eux-mêmes, qui ont vu leurs conditions de vie considérablement améliorées, même si l'emploi demeure un des problèmes prioritaires dans ces quartiers.
En septembre 2009, j'ai présenté au Premier ministre un rapport sur l'évolution de la géographie prioritaire de la politique de la ville. Dans le cadre du Conseil national des villes, le Premier ministre a annoncé une expérimentation dans cinquante villes. Madame la secrétaire d'État, sur quels critères celles-ci seront-elles choisies ? Le Parlement sera-t-il saisi avant 2011 d'un projet de loi autorisant cette expérimentation ?
En outre, avez-vous des éléments plus précis à nous fournir sur les modalités de sortie des zones franches urbaines ?
Enfin, si nous avons noté qu'il ne se poserait pas de problème particulier de financement en 2011, tout reste à discuter pour les années suivantes. Dans la mesure où la demande des élus se fait de plus en plus forte en faveur d'une poursuite de ces opérations dans les quartiers, peut-on envisager un PNRU 2 que, je le sais, vous appelez vous aussi de vos voeux ?
Qu'il s'agisse de l'éducation, de la rénovation urbaine, de l'emploi ou de la sécurité, la distance entre l'intention – dont je ne méconnais pas la sincérité – et la réalité est grande. Je pense qu'il y a une vraie difficulté dans l'analyse de la situation : si le résultat obtenu est celui qu'on espérait, il y a bel et bien catastrophe !
Commençons par la rénovation urbaine. Le problème vient de ce que le contrat de départ n'a pas été prolongé. Actuellement, ce n'est donc pas l'État qui finance le renouvellement urbain, d'où la fameuse « bosse » à surmonter qu'a évoquée le président Ollier. Que se passera-t-il à la cessation du conventionnement avec le 1 % ? J'ai frémi en vous entendant évoquer le débat avec les bailleurs sociaux et l'idée de prélever sur les « dodus dormants » – d'autant que vous êtes « en concurrence » avec d'autres ministres sur ces pistes…
Si j'en crois le ministre du logement, cela servirait « notamment à la construction du logement social ». Mais si les bailleurs sociaux sont ponctionnés à la fois pour la construction de logements sociaux et pour le financement des opérations de renouvellement urbain – auquel ils contribuent d'ailleurs déjà –, leur situation risque de devenir critique…
Il faut savoir qu'en matière de rénovation urbaine, beaucoup de projets doivent déjà être revus parce que, les contrats ayant été signés il y a plusieurs années, le coût du foncier et de bien d'autres postes a augmenté.
Je me réjouis que le nombre des démolitions et des reconstructions soit équivalent – je n'ai pas de raison de ne pas faire confiance à Gérard Hamel –, mais j'aimerais qu'on me le confirme. J'aimerais également savoir quel stock de logements nous avons constitué depuis 2003 pour compenser la réduction de l'offre sur ces territoires. Pendant deux ans, nous avons enregistré six reconstructions pour dix démolitions. L'année 2010 marque certes un retour à l'augmentation de la production, mais nous restons loin des objectifs fixés !
S'agissant des dispositifs de réussite éducative, je m'inquiète d'abord que beaucoup n'y aient pas accès. Prenons l'exemple des internats d'excellence : nous ne sommes pas capables d'aller jusqu'au bout du processus. Ma commune de Cachan en abrite un, mais aucun de ses jeunes habitants ne le fréquente, et pour cause : ce n'est que le deuxième d'une académie qui couvre quatre départements ! De nombreux travaux sont au demeurant nécessaires dans ces établissements. Vous devrez donc nous préciser comment l'Etat entend répondre aux besoins.
J'en viens à la mixité sociale. Personne ne mesure, je crois, la catastrophe à laquelle aboutit l'application de la loi DALO : les préfets utilisent exclusivement leur contingent préfectoral pour reloger les bénéficiaires prioritaires de la loi dans des territoires où il y a du logement social. Aidez-nous à attirer l'attention du ministre du logement sur ce problème ! Des territoires qui avaient des stratégies d'équilibre se retrouvent dans une situation très difficile, qui engendre une multiplication des incivilités et autres désordres. La loi DALO procède bien sûr d'une bonne intention, mais son application est une catastrophe !
En matière de sécurité, les solutions mises en oeuvre par la politique de la ville ne sont pas satisfaisantes – les confusions de cet été le prouvent assez. Les territoires qui cumulent les fragilités économiques, sociales, sociétales souffrent évidemment d'une concentration de tous les problèmes à cet égard. Or – et le maire de Grenoble ne dit pas autre chose – il y a des formes de délinquance qui méritent des solutions que les maires ne peuvent apporter seuls.
C'est donc une méprise de penser que quelques stratégies mises en oeuvre dans un certain nombre de territoires suffiront à changer la donne. À la vérité, le droit commun a régressé. Il n'y a plus de réhabilitation de logements sociaux, plus d'accompagnement des enseignants dans certains territoires en difficulté ; des classes sont fermées ; nous peinons à mettre en oeuvre des stratégies de prévention. Le droit commun, qui était le socle républicain, est en train de s'effriter. Et le tsunami budgétaire qui s'annonce n'apaise pas nos inquiétudes…
Présidence de M. Serge Poignant, vice-président de la Commission
Je voudrais d'abord, au nom de mon groupe, saluer la politique de la ville. Elle est souvent attaquée, y compris dans la majorité, sous prétexte qu'il y a aussi de la précarité en centre-ville ; mais si elle n'existait pas, on s'intéresserait encore moins qu'on ne le fait à ces quartiers. Je la soutiens donc tout comme je soutiens la dimension de discrimination positive sur laquelle elle se fonde.
Je m'associe à ce que vous avez dit sur le dispositif de réussite éducative. Nous nous félicitons de ses résultats à Agen. J'espère donc qu'il ne fera pas les frais des économies prévues !
Je suis plus inquiet en ce qui concerne le nouveau zonage et le recentrage sur des zones prioritaires. Il faut absolument résister à la tentation de ne s'intéresser qu'aux vastes quartiers et aux grandes villes. À Agen, par exemple, certains quartiers pourraient à la rigueur être exclus des zones prioritaires, mais dans d'autres, tous les voyants sont au rouge… Je vous conjure de vous fonder sur de vrais critères sociaux comme le taux de chômage pour établir le nouveau zonage. Prenez donc l'avis des maires !
La démocratie participative me semble également un aspect important. Elle est difficile à mettre en oeuvre dans ces quartiers où le tissu associatif s'est appauvri. Elle ne doit donc plus passer par les seules associations ; il faut tenter autre chose. À Agen, nous avons choisi de faire élire des conseils de quartier au suffrage universel. Non seulement le taux de participation a atteint 25 %, mais cela permet de faire émerger de nouvelles élites.
On ne peut cependant que constater la montée de phénomènes inquiétants pour les quartiers – économie parallèle, drogue –, y compris dans les villes moyennes comme Agen. La constitution des GIR était-elle bien la bonne réponse ?
La politique menée dans les quartiers est bonne et les priorités que vous avez rappelées – rénovation urbaine, sécurité, éducation, emploi – sont efficaces, même si l'ambition doit rester au rendez-vous. Gérard Hamel a dit l'essentiel. Pour ma part, j'aimerais savoir quel bilan vous dressez de la deuxième édition de l'opération « Des vacances, moi aussi ! » menée cet été à destination des jeunes des quartiers défavorisés.
Par ailleurs, Arte a déprogrammé la semaine dernière un documentaire intitulé « La Cité du mâle » et traitant de la place de la femme dans les quartiers sensibles. Qu'en pensez-vous ? Et qu'attendez-vous comme améliorations, s'agissant de la condition faite à ces femmes ?
Je m'étonne moi aussi du décalage entre ce que l'on pense mettre en oeuvre au niveau national et ce qui se passe concrètement sur le terrain. Ainsi, il n'est pas un élu qui ne s'inquiète aujourd'hui de la diminution annoncée – voire de la suppression – des crédits des PRE, les programmes de réussite éducative. Je prends un exemple. Il me manquait cette année 300 000 euros pour boucler le dispositif. Tout cela parce qu'ayant reçu 800 000 euros la première année et n'ayant pas tout dépensé, nous n'en avions obtenu que 500 000 la deuxième, avec l'assurance d'un retour à 800 000 l'année suivante… Promesse qui n'a pas été tenue, alors même que nous avions embauché cinq personnes pour faire fonctionner le PRE. Il a fallu se battre pour obtenir les 300 000 qui manquaient… Dans de tels dispositifs, c'est insupportable. Lorsqu'ils fonctionnent bien de l'avis général, nous devons au contraire être capables d'assurer leur financement et de les généraliser.
Même chose pour les zones franches urbaines : au moment même où l'ANRU monte en puissance et commence à construire des centres commerciaux dans les zones franches urbaines, celles-ci s'arrêtent ! Bref, c'est un problème de cohérence.
Trois questions pour finir. Pouvez-vous nous assurer qu'en 2011, l'augmentation de la DSU sera d'au moins 70 millions, fléchée sur les 150 premières communes ? Comment les fonds départementaux de péréquation seront-ils remplacés en 2011 ? Enfin, quand connaîtrons-nous le choix des zones prioritaires ?
Fin avril, vous avez saisi le Premier ministre du blocage, faute d'arbitrage, de plusieurs dossiers importants – révision de la carte des ZUS, avenir des contrats urbains de cohésion sociale. Le 25 mai, il annonçait un nouveau report de ces réformes. Quel sentiment vous inspirent ces reports successifs ? Ne traduisent-ils pas une absence d'engagement, au moment même où les maires sont de plus en plus nombreux à dénoncer la dégradation sociale et économique des quartiers ?
Vous vous êtes prononcée pour une réduction du nombre des ZUS. À partir de quels critères celle-ci se fera-t-elle ? Et n'est-elle pas avant tout la conséquence de l'insuffisance de vos moyens financiers ?
Je salue à mon tour votre engagement et celui du Gouvernement. Si la politique de la ville n'existait pas, il faudrait l'inventer ! Il est donc particulièrement important d'assurer la durée et la permanence de toutes ces actions.
Nous avons tous participé à la réforme de la DSU, qui a été recentrée pour partie sur les cas les plus difficiles. Pensez-vous que les villes moyennes doivent être prises en compte dans ce cadre ?
Compte tenu des contraintes qui pèsent sur nos finances publiques, la géographie prioritaire pose en effet inévitablement la question des critères. Nous avons pour l'instant fait le choix d'aides ciblées. Pourquoi ne pas développer une approche globalisée, avec une politique nationale, mais qui serait déclinée de manière contractuelle au niveau local ? Nous aurions ainsi des politiques des villes. Il n'est en effet pas certain qu'une politique uniforme réponde bien aux enjeux…
Enfin, et je reviens ici à mon point de départ, la lisibilité exige de la durée. Celle de trois ans est-elle vraiment adaptée à des politiques qui réclament souvent un effort à long terme ? Il me paraîtrait préférable de contractualiser sur cinq ou six ans.
Pas un mot n'a été dit de l'EPARECA – Établissement public d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux – que je préside. Je sais l'attention que vous lui portez, Madame la secrétaire d'État, puisque nous avons reçu votre visite cet été. Établissement public doté de prérogatives de puissance publique, l'EPARECA joue un rôle essentiel. Nous travaillons actuellement sur une centaine de sites, dont une dizaine de nouveaux par an. Ce travail considérable est à mon sens le coeur du réacteur – car sans commerces, il n'y a pas de lien social. Aussi aimerais-je être rassuré sur les financements à venir. Nous bénéficions actuellement de 11 millions d'euros par an via le FISAC, l'EPARECA s'autofinançant pour le reste. Je souhaitais que son travail et ses attentes ne soient pas oubliés…
Le volet emploi et insertion par l'économique de la politique de la ville est beaucoup trop faible.
À Grenoble, le quartier de l'Arlequin – devenu tristement célèbre – a été touché de plein fouet par la modification, en cours de route, des règles applicables aux ZFU. N'oublions pas que ce sont des PMI-PME qui s'installent dans ces zones franches et qui prennent des risques en embauchant des personnes éloignées de l'emploi. Nous nous sommes battus, à droite comme à gauche et avec le soutien de Mme Lagarde, mais semble-t-il sans succès, pour obtenir un retour à la situation antérieure. Assimiler les ZFU à des niches fiscales, qui plus est en période de crise économique, relève en effet de la provocation !
Nous nous féliciterions qu'une commission soit mise en place. Si vous pouviez nous y associer – puisque c'est un combat commun –, ce serait encore mieux.
J'aimerais dire que les jeunes des quartiers ne sont pas cantonnés aux emplois dans les hammams, dans les sociétés de gardiennage ou encore dans les services à la personne. On trouve par exemple dans les ZFU de nombreuses sociétés de logiciels qui ont intégré avec succès des jeunes sans diplôme.
J'en viens à l'école. Le quartier Teisseire a fait l'objet d'un très beau programme de l'ANRU. Et pourtant, on ne trouve qu'un seul nom d'origine française parmi les élèves de l'école maternelle ! Je pense qu'il faut être plus radical, afin de rétablir la mixité sociale. Refusons les classes de 34 élèves, encourageons l'accès à l'école dès le plus jeune âge ! Il faut aussi, bien sûr, un effort sur la pédagogie, et des actions à long terme – il est à cet égard dommage que la Caisse des dépôts ne puisse intervenir qu'en une seule fois.
Nous avons très mal vécu la stigmatisation éhontée dont a été victime le quartier de la Villeneuve, stigmatisation qui était d'ailleurs en contradiction avec vos propos. J'ajoute que la lutte contre la drogue et les armes lourdes ne peut être l'affaire de la seule police municipale…
La mixité sociale fait partie des objectifs de l'ANRU. Or la tentation des bailleurs sociaux est de reloger les habitants de leurs immeubles dans les opérations nouvelles. On passe donc à côté de l'objectif. Y a-t-il des critères de mixité sociale ? Comment en assure-t-on le respect ?
Vous avez été le premier membre du Gouvernement, Madame la secrétaire d'État, à soutenir le busing. Savez-vous combien de ces opérations ont été conduites ? Dans quel type d'agglomérations ont-elles été menées à bien ?
Vous avez raison, madame la secrétaire d'État : on ne peut dissocier l'humain et l'urbain dans la politique de la ville.
Lorsque je vous ai interrogée en février sur le nombre de contrats d'autonomie signés – l'objectif étant, je le rappelle, de 45 000 –, vous m'aviez parlé de 26 000. Tout à l'heure, vous avez donné le chiffre de 32 000. Pour ma part, j'ai d'autres chiffres.
Selon l'Observatoire des ZUS, les quartiers comptent cinq millions d'habitants, dont un sur trois vit sous le seuil de pauvreté ; 26 % des jeunes – et parfois plus de 40 % – y sont au chômage. Vos moyens sont-ils adaptés à cette situation ?
Vous avez évoqué la gestion urbaine de proximité, outil très intéressant mais délicat à mettre en oeuvre. Que pouvez-vous faire pour dynamiser cette politique ?
Je rejoins par ailleurs mon collègue Le Bouillonnec s'agissant des effets de la loi DALO. Celle-ci ne peut être appliquée sans un réel développement de la construction sociale.
La politique de la ville, c'est en fait la politique des villes. Aussi la manière dont les maires ont été montrés du doigt cet été par un ministre – qui n'est d'ailleurs pas en charge du sujet – est-elle inacceptable. Il est vraiment déplacé de prendre à partie ces « soutiers de la République ».
Quel est donc le constat ? Malgré votre engagement, Madame la secrétaire d'État, les inégalités entre ces quartiers et les autres continuent à se creuser, au point qu'on peut parler de « ghettoïsation ». La politique conduite actuellement est-elle apte à combattre ce phénomène ? Ne pensez-vous pas que la politique de la ville devrait aussi prendre en considération ce que j'appellerai les « quartiers insensibles », où l'on refuse la mixité, par exemple en relevant le taux de 20 % de logements sociaux fixé par l'article 55 de la loi SRU ?
En ce qui concerne l'accompagnement éducatif, je me souviens avoir entendu Xavier Darcos – il n'y a pas si longtemps de cela – évoquer les « orphelins de 16 heures », parler gratuité du soutien et embauche défiscalisée d'enseignants. Tout le monde avait approuvé… Le dispositif dit d'« ouverture sur le monde » avait ainsi été étendu à l'ensemble de la commune d'Aubervilliers. Las, à la rentrée 2010, les restrictions budgétaires ont abouti à réduire de quatorze à deux le nombre de groupes d'enfants concernés dans une école que je connais bien… De vrais engagements peuvent-ils être pris ?
Je ne partage pas l'optimisme de certains : maire d'une ville sinistrée, je constate chaque jour le décalage entre les déclarations empreintes de bonnes intentions et la réalité que vivent mes concitoyens. Denain est la commune la plus pauvre de France, tous les indicateurs l'attestent, mais elle a été totalement abandonnée par l'État depuis de nombreuses années : le plan Espoir banlieues ne la concerne pas et elle ne se trouve pas même éligible à la dotation de développement urbain – DDU –, malgré mes démarches et mes courriers, restés sans réponse de votre part, madame la secrétaire d'État. La réforme de la géographie urbaine prioritaire fait renaître des espoirs. Puissent-ils ne pas être, à nouveau, déçus car nous avons besoin d'un changement radical : il y va de la République !
On sait à quel point le logement peut être facteur de discrimination ou, à l'inverse, favoriser l'ascension sociale. La politique de rénovation urbaine, sans précédent, a profondément modifié les quartiers concernés ; ceux qui sont restés à l'écart du dispositif les regardent d'ailleurs d'un oeil jaloux et demandent aujourd'hui à bénéficier du même effort. Aussi, je me réjouis que 250 millions d'euros soient consacrés à la poursuite de cette politique.
Toutefois, elle ne peut se limiter au bâti. Elle doit s'accompagner d'actions visant à renforcer le lien social, ce qui suppose l'instauration d'une réelle démocratie participative : gardons-nous en effet de dispositifs qui, comme la création de conseils de quartier sans influence sur les décisions municipales, ne feraient qu'engendrer de nouvelles frustrations. Mais il faut aussi une politique de sécurité qui vise à l'éradication des phénomènes de territoires, chasses gardées des trafiquants de drogues. Enfin, dans les ZFU, le Gouvernement doit lutter contre la spéculation sur la défiscalisation. Êtes-vous en mesure de la prévenir, ou de la sanctionner rétroactivement, madame la secrétaire d'État ?
Ma circonscription se situe dans l'arrondissement d'Avesnes-sur-Helpe, qui connaît le taux de chômage le plus élevé de France. Les communes remplissaient jusqu'ici les critères leur permettant de bénéficier de la politique de la ville, voyant leur statut de secteur rural en difficulté ainsi reconnu. Sera-ce encore possible à l'avenir, la volonté étant de recentrer la politique de la ville sur les quartiers ?
Madame la secrétaire d'État, votre parcours et la fonction que vous occupez vous confèrent une responsabilité toute particulière. Le temps est venu d'engager une grande campagne de « déstigmatisation » des quartiers. Tant que la seule image de ces quartiers sera celle de la violence, que les médias monteront en épingle les seuls comportements déviants et que les jeunes n'auront comme perspective que celle de devenir « caïds », la désespérance sera la norme et toute l'énergie qui s'exprimera sera négative. Il vous faut aujourd'hui communiquer sur les initiatives qui sont prises dans ces quartiers et sur le travail de fond qui y est conduit. C'est ainsi que vous fournirez d'autres repères et d'autres références à ces enfants, qui, à 13 ans, insultent et menacent les policiers. Sans une telle campagne de marketing, il ne servira à rien de consacrer de l'argent aux quartiers : nous aurons perdu la bataille.
Madame la secrétaire d'État, je vous invite à répondre aux questions que mes collègues, forts de leur expérience d'élus locaux, ont bien voulu vous poser.
Pendant longtemps, ces quartiers et leurs habitants ont été considérés comme étant en dehors de la République et traités comme tels, ce qui a créé la fracture que l'on sait. Mon parcours, mon expérience font que j'ai toujours rejeté cette vision. J'estime, par exemple, que le fait de ne pas avoir veillé à la sécurité des personnes les plus modestes était une erreur, conduisant à l'enkystement des trafics de drogue. Pour l'avoir intimement vécu, je sais combien il est difficile de récupérer un jeune lorsqu'il a basculé dans la délinquance et adopté une hiérarchie inversée des valeurs, dominée par l'argent.
C'est précisément parce que ces quartiers ne doivent pas être traités comme des territoires hors de la République que la mobilisation de tous est nécessaire. Certes, une politique de la ville doit être pérenne et durablement financée – je comprends maintenant combien cela était difficile pour mes prédécesseurs –, mais cela ne suffit pas. Elle doit reposer sur une dynamique partagée. Or je constate encore ça et là des inerties, des blocages, parfois même une mauvaise compréhension des enjeux du plan Espoir banlieues.
Notre objectif, car je crois que nous le partageons tous, est de réduire les écarts territoriaux en luttant contre les inégalités sociales. D'où la nécessité de concentrer tous les efforts sur les territoires les plus en difficulté, qu'ils soient urbains ou ruraux, monsieur Pérat. Cela suppose de réformer la géographie prioritaire. Les statistiques montrent que certains quartiers classés en ZUS se portent mieux, tandis que d'autres quartiers, qui ne bénéficiaient pas d'actions spécifiques, sont aujourd'hui en proie à la décomposition sociale. Afin que la géographie prioritaire soit la plus adéquate possible, il convient de revoir les critères adoptés en 1996, en y intégrant, par exemple, la part des jeunes de moins de 18 ans dans la population, une donnée non négligeable pour les finances d'une ville. Mais il n'est pas question d'abandonner qui que ce soit. Les quartiers qui se verront refuser le classement en ZUS seront accompagnés dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale – CUCS.
Dans mes précédentes fonctions associatives, j'étais très critique à l'égard des médias. Ceux-ci donnent, comme M. Brottes l'a expliqué, une image négative des quartiers. Mais si nous savons que les talents et les compétences ne font pas défaut à ces territoires, l'existence de discriminations rend difficile leur valorisation. En me nommant avec Rachida Dati et Rama Yade au Gouvernement, le Président de la République a envoyé un signal fort à leurs habitants. Que cela plaise ou non, il a participé à cette stratégie de communication que nous souhaitons voir se mettre en place, qui consiste à sortir les mentalités de l'enfermement, à ouvrir des perspectives politiques, à « déghettoïser » les esprits.
Cette « déghettoïsation » doit aussi se traduire dans l'espace, grâce à la rénovation urbaine, à l'ouverture de commerces de proximité, monsieur Gérard, et à l'extension des réseaux de transports publics. Les blocages auxquels se heurte le projet de débranchement du Tram-train T4 vers le plateau de Clichy-Montfermeil illustrent la difficulté de l'exercice : après avoir exhumé ce projet des cartons et obtenu un financement de l'État, il faut maintenant affronter les égoïsmes territoriaux et l'irresponsabilité de certains élus – je mesure mes mots –, prêts à empêcher la mise en place de cette desserte. Pourtant, j'en suis convaincue, monsieur Goldberg, si une antenne du T4 permettant de désenclaver ces communes avait existé en 2005, il n'y aurait pas eu d'émeutes au mois de septembre. Voilà la réalité !
La dynamique du plan Espoir banlieues et les programmes triennaux des ministères reposent sur la mise en oeuvre du droit commun. Certains de mes collègues du Gouvernement sont profondément motivés et se sont fortement investis – ainsi le ministre de l'éducation nationale. Mais nous sommes dans le même bateau « France » et nous devons compter avec des restrictions budgétaires, de l'ordre de 10 %. Croyez néanmoins que notre détermination est intacte pour assurer le succès du plan « réussite éducative », notamment. Car, sachez-le, celui-ci sera reconduit !
Cela étant, il faut que vous ayez conscience des obstacles auxquels nous nous heurtons. Tout le monde se récrie : « Nos écoles deviennent des ghettos ethniques ! » Cependant, lorsque nous avons voulu mettre en oeuvre le busing pour sortir les jeunes des cités de leur enfermement et organiser la mixité sociale, nous n'avons pu mener à terme que neuf des cinquante projets annoncés. Ce n'était pas un problème d'argent, mais ce dispositif, posant indirectement la question de la carte scolaire, suscitait des résistances idéologiques. C'est pourquoi j'insiste avec tant de force sur la nécessité d'une mobilisation de tous. Les compétences des régions, en matière de formation et de développement économique, m'intéressent par exemple particulièrement, pour aider les jeunes à entrer dans des processus d'insertion. Nous allons ainsi conclure avec la région Île-de-France un partenariat portant notamment sur le dispositif « deuxième chance ».
Quant au contrat autonomie, si souvent décrié, c'est une réussite : grâce à un accompagnement individuel de six mois, le jeune peut définir un projet professionnel et préparer son entrée dans le monde de l'entreprise. Son conseiller peut l'aider à travailler sur son histoire personnelle, à valoriser ses compétences, à affronter un entretien d'embauche. On aboutit à des résultats difficilement chiffrables, mais extrêmement importants. Un contrat autonomie, surtout s'il débouche sur un emploi, peut changer la destinée d'un jeune, lui faire découvrir d'autres perspectives que le repli communautaire, la revendication d'une non-appartenance à la France et le rejet de nos valeurs.
Je suis profondément convaincue que l'on ne peut rien bâtir sur le chaos et que l'ordre républicain est émancipateur. Le rétablir dans les quartiers est la condition de la réussite des dispositifs. Cela suppose bien sûr une présence policière, mais aussi l'amélioration des rapports entre policiers et habitants. Avec Brice Hortefeux, nous avons donc installé, dans le cadre de la réserve civile, des délégués à la cohésion dont la mission est d'apaiser les tensions. Leur action commence à porter ses fruits.
À ce propos, M. Reynier m'a interrogée sur le documentaire La Cité du mâle, qui rend parfaitement compte de la dure réalité des rapports entre garçons et filles dans les quartiers. Sa déprogrammation par Arte me scandalise, certes, mais les raisons qui ont poussé la chaîne à cette décision – la « fixeuse » aurait reçu des menaces – semblent parfaitement recevables lorsque l'on connaît la capacité de représailles de certains individus de ces quartiers. Le travail de notre police est donc d'autant plus essentiel.
La dynamique engagée est réelle, comme le prouve l'annonce par le Premier ministre d'expérimentations sur cinquante sites – agglomérations ou villes. Certes, les moyens sont comptés et c'est aussi pourquoi je me bats au sein du Gouvernement en faveur d'un renforcement des politiques de droit commun et pour convaincre l'éducation nationale de ne pas se désengager des territoires prioritaires, ce qui ruinerait nos efforts. Ainsi les expérimentations « Cours le matin, sport l'après-midi », lancées dans les établissements scolaires à la rentrée, sont inspirées d'une préconisation du secrétariat d'État. Nous avons voulu, là encore, défendre une politique qui réponde aux besoins du terrain, et qui soit non seulement active, mais aussi réactive.
Il est certain que le budget dont je dispose est très insuffisant pour régler tous les problèmes sur tous les territoires couverts par la politique de la ville. C'est la raison pour laquelle j'estime nécessaire la mobilisation de tous – État et collectivités territoriales. Si la fracture devait s'aggraver et qu'une explosion sociale se produisait demain, le pays entier serait touché. La politique de la ville est l'affaire de tous, bien au-delà des appartenances politiques.
Elle est d'abord celle des habitants. Lors de mes déplacements sur le terrain, j'interpelle la population, l'invitant à prendre part à la vie de la cité, insistant sur la nécessité d'une démocratie participative plus juste, plus fine et plus forte – et à laquelle la politique de la ville n'a d'ailleurs qu'à gagner. Personne dans notre pays ne doit se sentir abandonné. Chacun doit se sentir considéré comme citoyen, en premier lieu par les élus. Comme l'a déclaré le président de la République : « Il faut donner plus à ceux qui ont moins ». Tel est le sens de la dynamique Espoir banlieues. Nous devons continuer sur cette voie.
Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions avec tant de conviction. Je veux vous féliciter ici pour votre engagement républicain et pour votre action au sein du Gouvernement.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Présents. - M. François Brottes, M. Jean Dionis du Séjour, M. William Dumas, Mme Geneviève Fioraso, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Bernard Gérard, M. Daniel Goldberg, Mme Pascale Got, M. Gérard Hamel, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Annick Le Loch, Mme Jacqueline Maquet, Mme Marie-Lou Marcel, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Marie Morisset, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Patrick Ollier, M. Daniel Paul, M. Michel Piron, M. Serge Poignant, M. Jean Proriol, M. François Pupponi, M. Franck Reynier, M. Francis Saint-Léger
Excusés. - M. Gabriel Biancheri, M. Antoine Herth, M. Michel Raison
Assistaient également à la réunion. - M. Daniel Garrigue, M. Jean-Patrick Gille, M. Marc Goua, M. Régis Juanico, M. Jean-Luc Pérat, M. Patrick Roy