La Commission examine le rapport de la mission d'évaluation et de contrôle relatif au crédit d'impôt recherche, sur le rapport de MM. Alain Claeys, Jean-Pierre Gorges et Pierre Lasbordes, Rapporteurs.
Je rappelle que le crédit d'impôt recherche est devenu la première dépense fiscale en 2009 pour un montant de 5,8 milliards d'euros en 2009, et d'environ 4,2 milliards d'euros en régime de croisière à compter de 2010, hors mesures de remboursement anticipé et accéléré en 2009.
En synthèse, la MEC constate un bilan nuancé selon l'objectif poursuivi, en particulier au regard de l'objectif de renforcement de la recherche privée, afin de parvenir à une dépense totale de recherche et développement – R&D – portée à 3 % du PIB, dont les deux tiers réalisés par les entreprises, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne.
En fait, la réforme du crédit d'impôt recherche, le « CIR », en 2008, semble avoir arrêté la baisse continue de la recherche privée en France depuis 1993. En effet, la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD), qui est l'indicateur mesurant l'effort de recherche d'un pays, a continuellement baissé depuis 1993, passant de 2,37 % du PIB à 2,06 % en 2007. La France se place ainsi en dessous de la moyenne de l'ensemble des pays de l'OCDE en 2007, ce qui n'est pas satisfaisant. Ce décrochage est à mettre sur le compte de la faiblesse de la DIRD des entreprises, passée de 1,46 % du PIB en 1993 à 1,29 % en 2007 et largement en dessous du niveau observé aux États-Unis, au Japon ou en Allemagne.
Avec la réforme du CIR, l'année 2008 semble marquer le début d'une légère reprise, la part des entreprises passant de 1,29 % à 1,31 %, et la DIRD a timidement progressé, de 2,06 % du PIB en 2007 à 2,07 %.
Il s'agit donc actuellement d'une dépense fiscale très lourde pour un effet assez faible sur la dépense de recherche. Pour autant, sachant que la DIRD des entreprises est par nature procyclique, la MEC considère que cet impact constitue en soi un résultat important au vu de la crise économique sans précédent à laquelle nous devons faire face et du processus de désindustrialisation croissant en France.
Pour autant, la MEC ne peut que constater que, malgré le coût de la réforme du CIR en loi de finances pour 2008, les objectifs de la stratégie de Lisbonne sont loin d'être atteints en 2010.
La MEC a néanmoins observé les effets positifs de la réforme de 2008. Premièrement, les PME profitent majoritairement de cette réforme : elles représentent 83 % du total des entreprises bénéficiaires en 2008 contre 69 % en 2007 ; le nombre de PME bénéficiaires a augmenté de 48 % ; le montant du crédit d'impôt recherche attribué aux PME a quasiment triplé entre les 2007 et 2008 ; enfin les PME ont recueilli 42 % du montant total du CIR, contre 35 % en 2007.
Deuxièmement, le secteur industriel a capté plus 68 % du montant du CIR en 2008, ce qui est une bonne nouvelle.
Troisièmement, la réforme du crédit d'impôt recherche en 2008 a renforcé l'attractivité de la France : 41 projets d'implantation de centres de R&D ont été annoncés en France en 2009, soit 64 % de plus qu'en 2008. Ces projets devraient permettre de créer 2 115 emplois, soit une progression de 142 % qui place la France en tête des pays européens créateurs d'emplois liés aux investissements internationaux dans la recherche. En outre, l'analyse des dépenses déclarées montre un doublement des sommes consacrées à l'embauche de jeunes docteurs entre 2007 et 2008. Cet excellent résultat devra néanmoins être confirmé dans les années qui viennent.
Pour être le plus bref possible, je vais présenter le bilan du coût de la réforme en 2008 et présenter les premières propositions y afférents. Tout d'abord quelques chiffres : en 2008, le coût du crédit d'impôt recherche est passé de 1,6 milliard d'euros à 4,15 milliards d'euros alors que le nombre d'entreprises bénéficiaires a augmenté de seulement 34 %. Il faut y ajouter un renchérissement temporaire en 2009 lié aux mesures de remboursement accéléré et anticipé votées dans le cadre du plan de relance de l'économie, si bien que la dépense de CIR a atteint 5,8 milliards d'euros en 2009 pour devenir la première dépense fiscale. Ce coût est comparable au coût des dispositifs de crédit d'impôt recherche au Japon et aux États-Unis, étant précisé que, dans ces deux pays, le crédit d'impôt n'est accordé qu'en cas d'accroissement des dépenses de R&D d'une année sur l'autre, ce qui n'est plus le cas en France depuis la réforme de 2008.
La MEC a cependant pu constater deux dysfonctionnements du dispositif de 2008 : une surévaluation des dépenses de fonctionnement prises en compte et l'existence de stratégies d'optimisation fiscale injustifiées.
S'agissant de la surévaluation des dépenses de fonctionnement, le mécanisme est simple : le poids des dépenses de personnel correspond à 45 % du total des dépenses de R&D déclarées – 7,05 milliards d'euros en 2008. Les dépenses de fonctionnement, quant à elles, sont calculées forfaitairement et représentent 75 % des dépenses de personnel, soit 33,8 % des dépenses de R&D déclarées – 5,2 milliards d'euros. Or, les investigations de la MEC ont montré que la réalité se situe à un niveau inférieur : en moyenne 60 % mais la proportion (dépenses de fonctionnement dépenses de personnel) est très variable selon les secteurs d'activité. Les chiffres montrent que l'application du forfait est largement défavorable au secteur industriel, pourtant soumis à la concurrence internationale, et très favorable au secteur des services, en particulier le secteur des services informatiques.
S'agissant des stratégies d'optimisation fiscale, le régime de l'intégration fiscale aboutit à ce que le CIR soit déterminé au niveau de chaque filiale de groupe et non au niveau de la société mère. Pour autant, celle-ci se substitue à ses filiales pour l'imputation des crédits d'impôt dégagés par chaque société du groupe. Or, il convient de rappeler que depuis la réforme du crédit d'impôt recherche en 2008, l'assiette du crédit d'impôt fonctionne par tranche : au-delà de 100 millions d'euros de dépenses, le taux de CIR passe de 30 % à 5 %. La stratégie d'optimisation consiste à créer des filiales intégrées fiscalement afin de répartir les dépenses de R&D entre ces filiales, et se soustraire ainsi à la limitation du taux à 5 % au-delà de 100 millions d'euros de dépenses déclarées. Pour un même volume de dépenses de recherche déclarées, le montant de crédit d'impôt recherche n'est évidemment pas le même selon que l'entreprise fait partie d'un groupe ou non. Or, dans les faits, le nombre de holdings bénéficiaires du CIR a plus que doublé entre 2007 et 2008, passant de 971 à 2 436 entre 2007 et 2008, tandis que la part des PME indépendantes a peu progressé – 6 314 en 2007 et 6 579 en 2008.
Les trois premières des neuf propositions de la MEC ont donc pour objet de limiter ces effets d'aubaine et ces stratégies d'optimisation fiscale.
Nous proposons tout d'abord d'abaisser le forfait applicable aux dépenses de fonctionnement de 75 % à 33 %, tout en instaurant un régime optionnel de frais réels au-delà du forfait. Cette mesure permettrait d'économiser jusqu'à 865 millions d'euros par an (hors prise en compte de dépenses de frais réels au-delà du forfait).
Nous proposons aussi de calculer le plafond de 100 millions d'euros de dépenses éligibles au-delà duquel le taux de CIR est réduit de 30 % à 5 % au niveau du groupe et non plus de chaque filiale. Cette mesure permettrait d'économiser 390 millions d'euros par an.
Au total, nous pouvons donc économiser jusqu'à 1,2 milliard d'euros sans remettre en cause l'architecture du crédit d'impôt recherche réformé en 2008.
Enfin, il nous semble important d'introduire une obligation légale de réemploi minimal des créances de crédit d'impôt recherche au profit des équipes de recherche, afin que le crédit d'impôt finance des activités de recherche.
La MEC a formulé trois propositions supplémentaires pour améliorer l'efficacité de la dépense en faveur des PME. Il s'agit de pérenniser le remboursement anticipé de la créance de crédit d'impôt recherche au profit des PME non fiscalement intégrées – et non pas à l'ensemble des PME, car celles qui appartiennent à un groupe d'entreprises fiscalement intégré n'ont pas les mêmes besoins de trésorerie. Il s'agit également de mieux caractériser les entreprises les plus intensives en R&D pour adapter les différents dispositifs d'aides publiques. Enfin, la MEC insiste pour que soient mis en place des outils quantitatifs et qualitatifs de suivi de la performance du crédit d'impôt recherche.
Trois autres propositions devraient permettre de mieux sécuriser le dispositif pour les PME et mieux le contrôler. Premièrement, il apparaît nécessaire d'améliorer l'information des entreprises sur les dépenses éligibles au crédit d'impôt recherche par l'intégration de la référence au manuel de Frascati, publié par l'OCDE, dans une nouvelle instruction fiscale. En effet, les utilisateurs du crédit d'impôt peuvent utiliser quatre documents de référence différents pour définir les dépenses éligibles, ce qui entraîne des confusions auxquelles il convient de mettre fin. Deuxièmement, il faut promouvoir le recours à la procédure de rescrit et au contrôle fiscal sur demande par la formation d'un correspondant « fiscalité des PME » au sein des chambres consulaires. Les réseaux consulaires doivent s'impliquer dans le dispositif. Troisièmement, il est aujourd'hui très important d'améliorer la qualité et l'efficacité du contrôle fiscal grâce à la création d'équipes de contrôle communes aux services du ministère de la Recherche et de l'administration fiscale.
Je reste perplexe devant les montants d'économie annoncés, qui me semblent extrêmement élevés. Les préconisations formulées ne mettraient-elles pas à mal l'équilibre du dispositif du crédit d'impôt recherche ? Je voudrais revenir en particulier sur deux d'entre elles : la réduction des dépenses de fonctionnement donnant droit à déduction, qui ne seraient plus évaluées forfaitairement à 75 %, mais à 33 % du montant des dépenses de personnel ; l'application du plafond de 100 millions d'euros non plus à l'échelle de chaque filiale, mais du groupe dont elles sont constitutives, ce qui rend ce mécanisme plus rigoureux.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 45 % du crédit d'impôt est alloué au titre des dépenses de personnel et 33 % au titre des dépenses de fonctionnement. Alors que les dépenses de fonctionnement sont évaluées de manière forfaitaire à 75 % des dépenses de personnel, tout le monde s'accorde à dire qu'elles n'en représentent souvent que 33 %. Revenir à la réalité sur cette évaluation permettrait en effet d'économiser de l'ordre de 800 millions d'euros. D'autre part, couper court à l'optimisation fiscale en matière de plafonnement rapporterait plus de 300 millions d'euros. Enfin, pérenniser le système de remboursement accéléré seulement pour les PME indépendantes permettrait aussi des économies substantielles, par rapport à une éventuelle pérennisation généralisée.
Ne remettez-vous pas en cause la distinction entre part en volume et part en accroissement ?
Au-delà de la méthode d'imputation, il faut dresser ce constat simple : à partir de 2008, le crédit d'impôt recherche a servi à de nombreuses entreprises d'instrument d'optimisation fiscale à vaste échelle…
…faute d'instrument de mesure et de contrôle approprié : chaises, tables, matériel de bureau, toutes ces dépenses ne devraient même pas pouvoir entrer dans l'assiette du crédit d'impôt recherche. Certes, le mécanisme de crédit d'impôt a empêché la délocalisation de certaines entreprises, et en a même ramené quelques-unes en France. Mais à quel prix ! L'effort total de recherche et développement n'a augmenté que de manière infinitésimale en 2008. Encore faudrait-il le décomposer de manière rigoureusement analytique, comme le suggère la Cour des comptes, qui, au cours de nos travaux, a proposé d'effectuer des vérifications qualitatives des dépenses déclarées. Les abus sont par exemple nombreux dans le domaine de l'informatique : les mathématiques appliquées ne sauraient être assimilées à une activité de recherche. Dans le domaine de la banque aussi, des irrégularités sont à relever, même si elles sont moins répandues qu'on ne l'a dit, et si finalement le crédit d'impôt recherche du secteur bancaire ne représente qu'un enjeu marginal.
L'Inspection des finances s'est-elle intéressée à la question ? D'autre part, le sénateur Christian Gaudin a rendu, il y a un mois, un rapport sur le sujet. Vos propositions sont-elles proches des siennes ?
Nous présentons nos propositions par le menu dans le rapport. Vous y verrez notamment que le taux forfaitaire de 75 % permettant d'évaluer les dépenses de fonctionnement s'applique au détriment des entreprises qui sont précisément exposées à la concurrence internationale la plus sévère.
Les propositions du sénateur Gaudin visent d'une part à supprimer le taux de CIR de 5 % au-delà de 100 millions d'euros de dépenses et d'autre part à consolider le calcul du plafond au niveau du groupe. Ces deux propositions combinées rapporteraient quelque 580 millions d'euros d'économie.
Sans remettre en cause l'objectif de soutien à la recherche, les nôtres visent à lutter contre les comportements d'optimisation fiscale et contre les effets d'aubaine, qui coûtent au total près d'un milliard d'euros. En revanche, nous ne proposons pas de supprimer le taux réduit au-delà de 100 millions d'euros, pour maintenir l'architecture du CIR réformé en 2008. Quant à l'Inspection des finances, nous avons rencontré au début du mois de juin l'un de ses membres, qui a pris note de nos pistes de travail.
Vous présentez dans votre rapport des statistiques qui mettent en regard les projets des holdings et ceux des PME. Disposez-vous d'une ventilation analogue par répartition géographique ?
Puisque notre collègue Jean-Pierre Gorges dit que les réseaux consulaires doivent s'engager davantage, je tiens à souligner qu'ils ne sont pas tous également armés pour cela, car ils ne disposent pas tous des mêmes moyens.
Les travaux de la mission d'évaluation et de contrôle nous ramènent à la question essentielle de la finalité du crédit d'impôt recherche. Son coût a explosé, sans que les dépenses de recherche aient augmenté. Les entreprises en conviennent elles-mêmes. Sous sa forme actuelle, le crédit d'impôt est émis à guichet ouvert. Devant cette situation, je ne suis pas certain qu'il suffise, ni même qu'il soit possible, de recentrer le dispositif au vu des résultats obtenus par les investissements ouvrant droit à déduction.
Beaucoup de pistes d'amélioration restent en effet difficiles à exploiter, tant que les renseignements appropriés ne sont pas disponibles. C'est pourquoi nous plaidons en particulier pour que des indicateurs budgétaires servent au suivi de la performance du dispositif. Les données font encore défaut pour répondre à des questions simples : combien de doctorants sont-ils employés dans le secteur privé ? L'effort de recherche s'observe-t-il principalement dans les secteurs d'avenir ?
Hier, au cours du débat de la MEC avec les représentants de la Cour des comptes, un accord s'est dégagé sur l'opportunité pour la Cour de conduire une enquête sur le ciblage du dispositif et sur ses effets qualitatifs. Quant à la répartition géographique de l'effort de recherche, vous pouvez vous reporter aux chiffres du ministère de la recherche qui ont été publiés en mai.
Le dispositif du crédit d'impôt recherche produit-il des effets bénéfiques sur les universités ?
Il a en effet favorisé une augmentation de la coopération des entreprises privées avec les laboratoires publics.
Comment évoluent les dispositifs analogues à l'étranger ? La question me semble essentielle si le nôtre a pour fin de maintenir les entreprises en France en évitant les délocalisations.
Il faut regretter que des éléments de comparaison exhaustifs fassent défaut bien que nous ayons demandé de telles informations au ministère de l'Économie.
Au Japon et aux États-Unis, les mécanismes sont différents. Ils retiennent en effet comme base de calcul la différence de volume d'investissement par rapport au volume d'investissement de l'année précédente, à l'instar de l'ancien mécanisme français. Quant aux montants, l'effort public est néanmoins équivalent.
Je trouve intéressant ce rapport, dont les conclusions me semblent directement opérationnelles. Il est cependant paradoxal de déplorer l'absence d'impact visible, tout en reconnaissant que les instruments sont encore à inventer qui permettraient d'en mesurer l'ampleur. Ces dispositions ne peuvent produire leur plein effet que dans le temps et nous ne disposons tout simplement pas encore du recul nécessaire.
Je remercie les co-présidents de la mission d'évaluation et de contrôle, sous la présidence de nos collègues David Habib et Georges Tron, puis Olivier Carré, du travail en effet très intéressant qu'ils ont effectué.
La Commission autorise la publication du rapport, en application de l'article 145 du règlement.
Puis elle autorise le Président Jérôme Cahuzac à en notifier les conclusions au Gouvernement, selon la procédure de l'article 60 de la loi organique relative aux lois de finances.
Membres présents ou excusés
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Réunion du mercredi 30 juin 2010 à 11 h 15
Présents. - M. Pierre Bourguignon, M. Michel Bouvard, M. Jérôme Cahuzac, M. Thierry Carcenac, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Alain Claeys, M. René Couanau, M. Charles de Courson, M. Richard Dell'Agnola, M. Yves Deniaud, M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Louis Dumont, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Jean-Pierre Gorges, M. Marc Goua, Mme Arlette Grosskost, M. Laurent Hénart, M. François Hollande, M. Jean-François Lamour, M. Hervé Mariton, M. Patrice Martin-Lalande, M. Pierre-Alain Muet, Mme Béatrice Pavy, M. Alain Rodet, M. Michel Sapin, M. François Scellier, M. Philippe Vigier
Excusés. - M. Dominique Baert, M. Jean-Claude Flory, M. Jean Launay, M. Jacques Pélissard
Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Lasbordes, M. Pascal Terrasse