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Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Séance du 22 juin 2010 à 16h15

Résumé de la séance

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La séance

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La Commission entend M. Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes, M. Philippe Parini, directeur général des Finances publiques, et M. Jacques Marzin, directeur de l'Agence pour l'informatique financière de l'État, sur le projet de loi de règlement pour 2009 : le système d'information financière Chorus.

PermalienPhoto de Jérôme Cahuzac

Monsieur le président de la première chambre de la Cour des comptes, monsieur le directeur général des finances publiques, monsieur le directeur de l'Agence pour l'informatique financière de l'État, chers collègues, je vous souhaite à tous la bienvenue.

Nous poursuivons aujourd'hui nos auditions dans le cadre de l'examen de la loi de règlement pour 2009.

Sur la suggestion des membres de la mission d'information sur la mise en oeuvre de la LOLF (MILOLF), Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Thierry Carcenac et Charles de Courson, nous allons vous entendre, messieurs, sur l'avancement du déploiement du système d'information financière Chorus. Nous sommes en effet nombreux à nous interroger sur la performance de ce système. Or la loi organique relative aux lois de finances ne produira ses effets bénéfiques que lorsque les administrations disposeront d'outils de gestion budgétaire et comptable adaptés. Il est vrai que le projet Chorus est d'une taille et d'une complexité considérables. Il est au coeur de ce qu'on appelle la « marguerite » des systèmes d'information financière, aux pétales multiples. Il doit remplacer pas moins de 600 applications ministérielles ou se combiner avec elles. C'est pourquoi la préparation de son déploiement est longue et difficile. La Cour et notre commission, en particulier la MILOLF, s'en inquiètent depuis 2006.

Dès le début de la législature, en septembre 2007, la Commission a demandé à la Cour une vision d'ensemble des problèmes des différents ministères. L'enquête de la Cour a permis de dresser un panorama complet, qui a été publié dans le rapport de la MILOLF de janvier 2009. Puis la MILOLF a poursuivi ses réflexions, et a publié en juillet 2009 un nouveau rapport comportant vingt et une propositions susceptibles de renforcer la gouvernance de Chorus, de maîtriser ses fonctionnalités, d'actualiser ses coûts et d'assurer le respect de son calendrier de déploiement, qui était alors prévu pour le début de l'année 2011.

Mais la situation demeure préoccupante. Le 19 février dernier, La Cour signalait par référé au Premier ministre des difficultés persistantes, constatées à partir d'audits réalisés fin 2009. Le Premier ministre a répondu le 28 mai à ces observations. Le texte du référé et la réponse du Premier ministre sont à votre disposition, chers collègues.

Il nous a paru important de faire le point sur le projet, à l'occasion de nos auditions sur l'exécution 2009. Je vous propose, monsieur le président Babusiaux, de nous faire part des principaux sujets sur lesquels la Cour a jugé nécessaire d'alerter le Gouvernement, avant que les membres de la MILOLF et le rapporteur spécial compétent, M. Pierre-Alain Muet, ne fassent part de leurs propres remarques et questions. La Commission pourra entendre ensuite les réponses de M. Parini et de M. Marzin.

PermalienChristian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes

L'enjeu des systèmes d'information financière et comptable de l'État est important pour la conduite des politiques publiques puisque ceux-ci sont le support de l'ensemble de la gestion financière de l'État. En 2008, la Cour des comptes avait déjà, à la demande de votre Commission, rédigé un rapport sur Chorus, et elle avait, en 2009, consacré un autre rapport au programme Copernic, cette fois-ci à la demande de la commission des Finances du Sénat. Elle a enfin adressé, le 19 février 2010, un référé au Premier ministre afin de l'alerter sur certaines difficultés.

En outre, dans l'acte de certification des comptes de l'État de 2009, que le Premier président vous a présenté le 26 mai dernier, la Cour a formulé pour la quatrième année une réserve substantielle concernant les systèmes d'information financière et comptable de l'État ; cette réserve est structurante puisque le système d'information touche au coeur des comptabilités de l'État.

Le chantier des systèmes d'information financière de l'État est considérable, et nous mesurons quel défi cela représente pour les administrations concernées. Il me faut cependant évoquer les insuffisances relevées par la Cour des comptes à l'occasion de ses différents travaux sur Chorus et sur son articulation avec les autres grands projets informatiques de l'État, notamment l'opérateur national de paie (ONP). J'évoquerai ensuite les risques que font peser ces insuffisances sur la qualité des comptes de l'État et, plus généralement, sur la gestion financière des administrations, ainsi que ce que nous jugeons être l'origine principale de ces insuffisances. Je formulerai en conclusion quelques recommandations visant à redresser la situation.

La première insuffisance significative est que la remise à plat des procédures comptables a été incomplète.

Chorus devant devenir à terme l'application unique de tenue des comptabilités de l'État, la décision de mettre au rebut Accord 1 et Accord 1 bis et de recourir à un progiciel de gestion intégré disponible sur le marché s'est imposée, pour avoir une vision de l'intégralité de la chaîne de la dépense comme de la tenue de la comptabilité concernant l'ensemble des acteurs de l'administration, y compris le ministère de la Défense. C'est dans cette optique que le progiciel de gestion SAP a été choisi : il proposait des fonctionnalités orientées vers les besoins du secteur public et, surtout, il était plus rigide et donc plus structurant que d'autres systèmes. Mais cela requérait trois préalables : éviter le plus possible des développements spécifiques générateurs de coûts récurrents ; revoir en profondeur l'ensemble des processus d'exécution de la dépense et de la recette ; optimiser les conditions de tenue des comptabilités.

Les orientations étaient donc claires : permettre la mise en oeuvre complète de la LOLF, supprimer le maximum d'applications informatiques anciennes, adapter les procédures budgétaires et comptables mises en oeuvre par l'administration à l'outil, et non l'inverse.

Mais la réingénierie des processus qui avait été engagée dès 2005 par la direction de la réforme budgétaire n'a pas été menée à son terme et très peu de procédures comptables ont été remises à plat.

Actuellement, l'État établit ses états financiers en agrégeant les comptes produits par les 153 comptables publics principaux. Or, comme le montre la Cour depuis 2006, cette procédure comporte trois difficultés. Premièrement, elle s'appuie sur des applications anciennes qui ne permettent pas de respecter tous les standards comptables de la LOLF – ce point est à l'origine de certaines des neuf réserves formulées par la Cour sur les comptes de l'État. Deuxièmement, cette procédure est coûteuse, car elle nécessite un grand nombre de retraitements, essentiellement manuels, pour pallier les insuffisances des systèmes d'information – ces retraitements sont sources d'erreurs, d'où la nécessité de développer un contrôle et un audit internes, inévitablement consommateurs de moyens. Enfin, elle réduit fortement l'auditabilité du système : parmi les quelque 35 millions d'écritures comptables réalisées chaque année par les comptables publics, les deux tiers ne concernent que des écritures techniques internes à l'État, qui ne devraient pas être portées par la comptabilité générale, mais par des comptabilités auxiliaires. Chorus aurait dû être l'occasion de remettre tout cela à plat. Or, à ce jour, cela n'a été fait que très partiellement.

Je souhaite au passage répondre à un argument parfois utilisé par l'administration pour maintenir l'essentiel de l'organisation existante, et selon lequel cette organisation tiendrait à la nécessité de répondre aux exigences de la Cour des comptes elle-même, qui certifie les comptes de l'État, mais qui doit également juger les comptes des comptables. En réalité, loin de souhaiter que soit conservé l'actuel modèle d'agrégation des comptes de gestion des comptables publics pour constituer les états financiers, la Cour pense qu'une concentration des postes comptables serait bénéfique à l'exercice de son activité juridictionnelle.

La tenue de la comptabilité générale dans Chorus demeure aujourd'hui largement au stade de la trajectoire, les travaux de conception détaillée étant loin d'être achevés. Nous sommes bien conscients de l'ampleur de la tâche à réaliser mais, à ce jour, nous n'avons pas de visibilité suffisante sur la cible, c'est-à-dire sur la capacité finale de Chorus, une fois qu'il sera totalement déployé dans sa version la plus aboutie, à répondre entièrement aux exigences comptables de la LOLF.

Deuxième insuffisance significative : le système d'information financière souffre d'un manque de cohérence globale.

Chorus doit à la fois devenir l'application de tenue de la comptabilité générale de l'État et de gestion de la dépense budgétaire, mais pas de la recette fiscale. Pour qu'il fonctionne de manière optimale, il faut supprimer le maximum d'applications, interfacer les applications remettantes qui ne sont pas frappées d'obsolescence technologique et, dans tous les cas, enrichir les données transmises et éviter les doubles saisies.

Les problèmes rencontrés par le ministère de l'Éducation nationale pour se raccorder à Chorus sont liés à un retard dans la conception de l'interface, à des défauts d'enrichissement des données et à des insuffisances de formation des services déconcentrés, ce qui a conduit à des retards de paiement.

Les difficultés rencontrées par le ministère de la Défense lors du déploiement de la version 4 de Chorus, en janvier 2010, et qui se sont traduites par d'importants retards de paiement des fournisseurs, s'expliquent principalement par des problèmes d'habilitation et des incidents techniques, liés notamment aux engagements repris et à ceux saisis dans les formulaires mis à disposition des services gestionnaires.

S'agissant des charges de personnel, le système d'information sur la paie des agents publics piloté par l'opérateur national de paye sera interfacé avec Chorus. Or, la conception de l'articulation de ces deux systèmes est encore loin d'être achevée. Je rappelle qu'on en attend une économie de 4 000 emplois.

Enfin, concernant les produits fiscaux, la redéfinition du périmètre du projet « Refonte des systèmes de paiement » (RSP), désormais centré sur la gestion du recouvrement forcé, va repousser la date de la mise en production de cet outil à l'année 2013.

Troisième insuffisance : des pratiques anciennes perdurent.

Nous avons constaté en 2009 que la comptabilité des engagements souffrait des mêmes défauts qu'antérieurement et que des paiements sans engagement juridique préalable étaient encore réalisés en grand nombre. Certes, il s'agit là plus d'un problème de pratique que de conception de l'outil, mais cela n'en est pas moins inquiétant. Il est indispensable – l'administration en est d'accord – de développer une véritable comptabilité des engagements, la connaissance des engagements étant absolument nécessaire au pilotage budgétaire, surtout dans les circonstances actuelles. Il y a là un enjeu de conduite du changement dans les administrations.

En matière de produits fiscaux, les pratiques anciennes ne sont pas près de disparaître. Du côté des applications de gestion de l'assiette de l'impôt et du recouvrement, la mise en oeuvre du projet « Refonte des systèmes de paiement », qui fait partie du programme Copernic, et les adaptations nécessaires des applications historiques pour déployer la nouvelle architecture ne débouchent sur aucune amélioration du processus de comptabilisation. Les insuffisances relevées depuis quatre ans dans les travaux de certification des comptes de l'État persisteront donc après la mise en production de ces nouveaux outils prévue pour 2013. L'objectif de comptabiliser les flux au fil de l'eau en se fondant sur le fait générateur défini dans les normes comptables, c'est-à-dire en amont de l'encaissement, ne sera toujours pas atteint à cette échéance. Ces insuffisances occasionnent des travaux manuels très lourds, qui ne peuvent avoir lieu qu'une fois par an, prennent beaucoup de temps et sont porteurs de risques significatifs, par exemple en matière d'obligations fiscales ou de pénalités. Les délais de production des comptes se trouvent allongés par la réalisation de l'ensemble de ces travaux manuels.

C'est au contraire dans le sens d'une diminution des délais d'établissement des comptes de l'État qu'il faut travailler : il est vraisemblable que le Gouvernement et le Parlement seront amenés à avancer d'un mois la date butoir de dépôt du projet de loi de règlement afin de pouvoir enchaîner sur le débat d'orientation des finances publiques, l'examen par les instances communautaires des bases sur lesquelles le Gouvernement prépare son projet de loi de finances pour l'année suivante et le vote sur le programme de stabilité, articulé avec celui sur la loi de programmation des finances publiques.

Quatrième et dernière insuffisance : des données non fiables sont présentes dans les référentiels et la piste d'audit est difficilement praticable. Lors de la bascule des programmes dans Chorus, les données des anciens systèmes ont été souvent transférées sans avoir été au préalable suffisamment contrôlées et enrichies, avec des conséquences sur la qualité des données in fine. C'est particulièrement visible en matière de gestion immobilière : la Cour a constaté une absence de mise à niveau des données dans les systèmes préexistants, couplée à un manque de contrôles automatiques dans l'application Chorus.

Pour les flux issus du système de gestion des impôts, la traçabilité des opérations comptables n'est pas non plus améliorée. Dans la nouvelle architecture, ces flux déversés dans Chorus restent produits par les applications historiques sans aménagements à court terme.

Je souhaite maintenant aborder les conséquences de ces insuffisances et leur origine.

Premièrement, des surcoûts importants sont à prévoir. En 2008, l'objectif affiché était que Chorus tienne toute la comptabilité de l'État en 2010. Fin 2008, cette échéance avait été repoussée à 2011. Début 2010, la bascule de la comptabilité générale est une nouvelle fois décalée d'un an, pour une échéance aujourd'hui fixée au 1er janvier 2012. Le report du déploiement complet de Chorus va entraîner des surcoûts, des études complémentaires et de nouveaux développements étant nécessaires, en particulier pour maintenir des applications anciennes. Pour le moment, nous n'avons pas de visibilité sur ces surcoûts puisqu'ils dépendront de l'ampleur des modifications qui seront apportées à Chorus dans les semaines qui viennent. Tout comme Chorus, la mise en place de l'ONP impose une cohérence entre l'organisation administrative et les prestations que l'application informatique peut fournir.

Deuxièmement, l'insuffisant avancement des travaux de conception comptable de Chorus fait peser un risque majeur sur sa capacité à tenir la comptabilité générale de l'État à un horizon déterminable. Si l'on veut que le Gouvernement et le Parlement puissent disposer d'une vue rapide de l'évolution des finances publiques, il sera nécessaire de développer des restitutions comptables infra-annuelles et de produire des arrêtés intermédiaires. Les données de base nécessaires seront toutes disponibles dans Chorus, mais la question de savoir comment y accéder et comment en tirer les informations utiles constitue un chantier dont l'ampleur est à l'image de la complexité du fonctionnement de Chorus.

La comptabilité analytique est, pour le moment, absente du projet Chorus : sur ce point, l'objectif de l'administration est aujourd'hui de remplir la case « comptabilité d'analyse des coûts » des rapports annuels de performances (RAP), ce qui est en soi nécessaire mais certainement pas suffisant pour piloter les coûts des politiques publiques.

Troisièmement, l'une des raisons majeures de ces difficultés est la faiblesse de la gouvernance globale de ces projets, celle-ci ayant été définie avant la création de la direction générale des Finances publiques (DGFIP).

Ma première recommandation visera donc à améliorer la gouvernance de ces projets.

Deuxième recommandation : il convient d'adapter les processus et l'organisation aux outils, et non l'inverse. Il faut favoriser la tenue d'une véritable comptabilité d'engagement, ce qui suppose une rationalisation de la chaîne de la dépense. Il est donc nécessaire de faire évoluer l'organisation comptable en fonction du progiciel, et non l'inverse. À défaut, les gains de productivité ne seront pas au rendez-vous.

De la même manière, les processus comptables gérés en amont de Chorus doivent faire l'objet d'une refonte systématique pour respecter les exigences de la LOLF et pour sécuriser l'environnement de production du compte général de l'État. C'est donc la gouvernance de l'ensemble des systèmes d'information financière de l'État qu'il convient de réformer.

Troisième recommandation : il importe d'améliorer la traçabilité des opérations, par la mise en place d'une piste d'audit praticable et automatisée sur l'ensemble de la chaîne des applications informatiques. On doit également travailler à l'amélioration de l'auditabilité des systèmes d'échanges actuels et futurs.

Quatrième recommandation : il faut sécuriser les outils, en recourant davantage aux contrôles automatiques et aux restitutions ad hoc permettant d'améliorer les pratiques comptables. Il est nécessaire d'adopter une démarche systématique de fiabilisation des données avant toute intégration dans un nouveau système d'information.

À la suite des audits de la Cour, la DGFIP a diligenté une mission d'expertise. Néanmoins, les délais sont très courts en dépit du report de la bascule à 2012, et il ne faudrait pas que la contrainte de calendrier conduise encore une fois à ne changer les processus qu'a minima, en renvoyant les améliorations substantielles, et les économies qui en découlent, à un horizon trop lointain.

Nous sommes persuadés qu'il est encore possible de prendre des décisions qui réorienteront rapidement dans le bon sens le projet Chorus. La Cour continuera pour sa part à auditer le système, dans ses versions successives, pour s'assurer qu'il permet aux différentes comptabilités de l'État de franchir une étape décisive.

PermalienPhoto de Jérôme Cahuzac

Pensez-vous que l'échéance du 1er janvier 2012 sera respectée ? Les retards constatés ne s'expliquent-ils pas par un empilement excessif de réformes administratives – je pense notamment à la réforme de l'administration territoriale de l'État et à la RGPP ?

PermalienPhoto de Pierre-Alain Muet

Vos propos, monsieur le président Babusiaux, n'ont rien pour nous rassurer, surtout après les difficultés du système d'information Accord. Il faudrait que Chorus, qui représente un investissement considérable, permette enfin de faire ce pour quoi il a été prévu.

Dans la réponse du Premier ministre au référé de la Cour, le déploiement du système en 2012 n'est garanti que « dans la mesure du possible ». Pourquoi cette réserve ? On a évoqué la simultanéité de la RGPP, et vous-même avez souligné le grand nombre de traitements manuels. À cela s'ajoutent des problèmes d'interface avec les nombreux logiciels existants. J'aimerais connaître la part de ces différents éléments dans les retards constatés.

Je souhaiterais également vous interroger sur le nombre considérable des procédures dérogatoires en matière de dépenses. Ce phénomène interfère-t-il avec le fait que les deux tiers des 35 millions d'écritures passées chaque année dans les comptes de l'État concernent des mouvements purement internes qui ne devraient pas figurer dans Chorus ?

Le Gouvernement s'était engagé par un décret du 28 avril 2008 à ce que les factures de l'État soient réglées au bout de trente jours. Les difficultés engendrées par la mise en place de Chorus au ministère de l'Éducation nationale et, surtout, au ministère de la Défense ne remettent-elles pas en cause cet engagement ?

À en croire la presse et la Cour des comptes, monsieur le directeur général des Finances publiques et monsieur le directeur de l'Agence pour l'informatique financière de l'État, une formation insuffisante n'a pas permis aux personnels de s'adapter à ce nouveau système d'information. L'usage d'un logiciel d'une telle complexité ne nécessite-t-il pas une formation approfondie ? Beaucoup se sont plaints de l'absence de manuel, déplorant d'avoir été obligés de « plonger dans le grand bain sans savoir nager ».

Le rapport de la MILOLF avait souligné la nécessité pour l'État de se doter d'une comptabilité analytique, et l'un des avantages de Chorus par rapport aux systèmes d'information précédents devait être de permettre une telle comptabilité, ou pour le moins une analyse des coûts. Or la Cour déplore dans son rapport l'utilisation a minima des possibilités offertes par Chorus en la matière.

PermalienPhoto de Michel Bouvard

La MILOLF partage une grande part des analyses de la Cour.

J'ai cru comprendre que la Cour ne pensait pas que l'échéance prévue pour le déploiement de Chorus pourrait être respectée. La volonté de respecter coûte que coûte ce calendrier ne risquerait-elle pas de générer des désordres encore plus graves, étant donné l'insuffisance de formation des personnels et la complexité du progiciel ?

Comme le président Cahuzac, nous nous demandons si la concomitance avec la réforme de l'administration territoriale et la RGPP n'a pas contribué au retard pris par le déploiement de Chorus, notamment par la mobilisation des effectifs qu'elles supposent.

Je me félicite de voir la Cour recommander la mise en oeuvre par l'État d'une comptabilité analytique dans les meilleurs délais. S'agissant plus précisément d'un sujet d'une actualité de jour en jour plus brûlante, j'aimerais savoir si la Cour pense que nous pouvons, avec les outils actuellement à notre disposition, identifier correctement le volume et l'efficacité de la dépense fiscale.

PermalienPhoto de Thierry Carcenac

Tout ce que vous venez de nous exposer, monsieur le président, confirme nos doutes et nos interrogations.

Vous nous avez expliqué comment les problèmes d'interface avec les applications des ministères, en particulier Copernic et le nouvel applicatif de recouvrement RSP, ou l'application MEDOC, qui n'a pas évolué, génèrent tout un travail de retraitement manuel et de ventilations ex post. Il semble par ailleurs qu'il y ait un défaut de cohérence entre la vision globale de l'AIFE et sa traduction par les différents ministères. Ce problème de management pourrait-il expliquer les retards dans la mise en oeuvre de Chorus ?

Nous n'avons pas non plus de vision très claire du coût complet du dispositif, de son impact sur le niveau des effectifs et de son retour sur investissement.

Reste également la question des conséquences des retards, notamment sur les délais de paiement, pour les ministères, d'une part, et les organismes payeurs, d'autre part. Il semblerait qu'il y ait là l'origine du retard avec lequel certains ministères honorent leurs factures, notamment les frais de déplacement.

Un tel sujet ne ressortit pas simplement à la DGFIP : il relève d'une vision d'ensemble de l'État, en particulier de l'interministériel.

PermalienChristian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes

En ce qui concerne le calendrier de déploiement du projet, nous ne faisions pas du respect de l'échéance de 2011 un point central de notre analyse : nous préférions le report à 2012, pourvu qu'il soit l'occasion de tout remettre à plat et de résoudre vraiment les difficultés. En revanche, un nouveau report risquerait d'engendrer d'autres problèmes, notamment quant à la maintenance des systèmes : il faudrait reporter également la date d'ouverture des centres de services partagés, prévue pour 2013. L'échéance de 2011 devrait être tenue pour le déploiement de la dépense, 2012 étant celle de la bascule de la comptabilité budgétaire.

Vous évoquez un problème d'empilement des réformes. Il est vrai que la concomitance de la mise en oeuvre de la RGPP, avec ses incertitudes et les reconfigurations extrêmement complexes qu'elle entraîne, a pu compliquer le déploiement de Chorus : je pense notamment aux problèmes qu'il a fallu régler fin 2008 et début 2009 et dont les gestionnaires du système ne peuvent en rien être tenus pour responsables. Sur le terrain, les difficultés techniques des procédures d'habilitation sont à l'origine des retards de paiement que l'on constate actuellement. Au-delà, le caractère massif des réorganisations et l'incertitude qui a longtemps pesé sur la reconfiguration de certains services déconcentrés ont perturbé les processus de contrôle internes aux administrations.

La question de la comptabilité analytique est majeure, la réforme des comptabilités de l'État n'ayant de sens que si elle débouche sur une comptabilité budgétaire permettant une connaissance réelle des coûts. La comptabilité analytique est, non pas « la cerise sur le gâteau », mais la finalité même du projet, conformément à la volonté des pères de la LOLF.

Sur la mesure des dépenses fiscales, c'est Copernic qui est concerné, plutôt que Chorus. Et la Cour des comptes va mener un audit sur le sujet.

La formation est en effet un enjeu majeur, compliqué au plan local dans le contexte de réorganisation territoriale.

PermalienPhoto de Jérôme Cahuzac

J'insiste moi aussi sur les moyens humains. Quels seront les moyens consacrés à la formation des agents ? Confirmez-vous l'impression de la MILOLF, selon laquelle certaines plateformes régionales et départementales connaîtraient des difficultés de recrutement ? Quel est l'impact de Chorus sur les effectifs ? Le secrétariat général pour l'administration de la police de Lyon a expliqué à la MILOLF que les effectifs chargés de l'exécution de la dépense étaient supposés passer de huit à soixante-neuf ! Le rapport annuel de performances correspondant fait état d'une diminution du nombre d'utilisateurs, donc de licences ? Combien seront-elles ? Quel en sera le coût unitaire ?

PermalienPhoto de Philippe Martin

Je voudrais commencer par recadrer quelque peu l'exercice pour éviter les confusions.

Le projet Chorus, qui est mis en place par une agence autonome sur le plan administratif, concerne tous les ministères et il est destiné à traiter l'engagement de la dépense, comme l'a écrit le Premier ministre dans sa réponse au premier président de la Cour des comptes. Sur cet aspect, la mise en place de Chorus sera achevée en 2011. Mais bon nombre des questions qui m'ont été posées s'adressent à la direction générale des finances publiques en tant qu'utilisateur.

Il y a un autre aspect, qui a été longuement développé par la Cour des comptes, mais dont je suis sûr que vous avez peu entendu parler au cours de vos déplacements : c'est la traduction comptable de Chorus.

Chorus, qui est à l'origine de l'engagement de la dépense, doit « se déverser » dans la comptabilité. Or personne n'est actuellement en mesure d'affirmer que Chorus sera mal traité en comptabilité. Il y a simplement des demandes de rectification de l'organisation comptable par la Cour des comptes qui n'ont pas été prises en compte par Chorus parce qu'il n'était pas fait pour cela.

L'organisation de l'État fonctionne, permet de rendre des comptes jugés sincères et fiables par la Cour des comptes, qui les a certifiés avec moins de réserves que précédemment. Le débat sur la date concerne exclusivement la conclusion comptable de Chorus, laquelle est bien distincte de l'engagement. Plus vite la comptabilité sera calée sur Chorus, mieux ce sera. En attendant, Chorus a commencé à fonctionner et ce qu'il produit se déverse dans une comptabilité. Quand toutes les administrations seront sous Chorus, avoir un système comptable qui accueille les données de Chorus sera d'autant plus souhaitable. Nous y travaillons avec la Cour des comptes et l'Agence pour l'informatique financière de l'État, et je n'ai pas de raison particulière de douter d'y arriver en 2012.

Doit-on à cette occasion transformer le projet Chorus quitte à allonger les délais et à accroître les coûts pour rénover le système comptable général de l'État ? Ce n'est pas le choix qui a été fait initialement. Doit-on adapter le projet pour que la Cour des comptes puisse mieux travailler ? Bien sûr. Des retraitements doivent être faits, notamment pour assurer un suivi des coûts à partir de la comptabilité, pour pouvoir les identifier. Et nous allons même aménager notre organisation comptable afin que certaines opérations internes ne viennent pas alourdir la comptabilité.

Il faut bien distinguer les deux problématiques, qui sont soumises à des calendriers différents. Les difficultés dont il est fait état actuellement sont liées à la mise en place du système Chorus pour comptabiliser les engagements – pour procéder, selon la terminologie traditionnelle, à l'ordonnancement des dépenses. C'est le cas à Lyon, où se sont déplacés les membres de la MILOLF. Les difficultés à passer en comptabilité générale sont la conséquence de la mise en place de Chorus.

PermalienJacques Marzin, directeur de l'Agence pour l'informatique financière de l'état, AIFE

J'insiste sur l'ampleur exceptionnelle du projet Chorus, laquelle explique en partie les difficultés.

Chorus, c'est la LOLF, toute la LOLF, rien que la LOLF ! Certes, il y a des débats entre la direction du Budget et la maîtrise d'ouvrage sur l'intégration de la comptabilité analytique dans Chorus. Mon avis est celui d'un technicien : pour avoir piloté la conception générale et détaillée de Chorus, je sais que les administrations ne sont pas prêtes à concevoir un plan de comptabilité analytique de l'État qui soit stable. Mais Chorus intègre la comptabilité d'analyse des coûts, conformément à mon cahier des charges.

Nous avons respecté les objectifs de contenu, qui sont même dépassés dans le champ de la dématérialisation, voire, au risque de vous faire sourire, dans le domaine de la gestion du patrimoine immobilier puisque nous ne nous sommes pas contentés d'une simple transposition comptable. Sur la base des applications existantes, il ne nous était pas possible de nettoyer les données avant de les injecter dans Chorus, sinon dans des délais incompatibles avec vos demandes.

Dès le lancement du projet, il est apparu clairement qu'il n'y avait pas de rentabilité à attendre sans réorganisation massive de la fonction de gestion budgétaire et comptable de l'État. Cette évidence a été plus nette encore avec les préconisations de la RGPP. La constitution de centres de services partagés, tout comme la généralisation à venir des services facturiers participent bien de cette modernisation. N'oublions jamais qu'avant Chorus, il y a 3 000 adresses où l'État peut recevoir des factures. Or le nombre de factures reçues est comparable à celui d'une très grande entreprise qui a, généralement, un point d'entrée unique. L'objectif est de ramener le nombre de ces adresses à moins de 500.

Chorus ne se résume pas à un outil informatique : il correspond à un projet de transformation qui s'accompagne d'un bouleversement majeur du métier de gestionnaire. De nouveaux concepts sont introduits.

Parmi les gestionnaires, rares sont ceux qui avaient entendu parler de la LOLF, et qui savent ce qu'est un engagement juridique. On continue de parler d'« engagement comptable ». De nouvelles organisations voient le jour, comme les plateformes, et de nouvelles procédures sont adoptées entre ces plateformes et les services prescripteurs.

Chorus est actuellement l'un des plus grands projets SAP au monde. Il n'est pas facile de gérer 25 000 utilisateurs directs, aux activités très diverses au sein d'une comptabilité unique et sur un seul système. Et les délais nous obligent à opter pour des déploiements massifs de plus de 10 000 gestionnaires d'un coup, ce qui est sans équivalent. Les difficultés de la V4, même si celle-ci est très lourde, sont en voie de résolution. Les trois expérimentations qui l'ont précédée nous ont permis de rôder les aspects techniques et organisationnels avant d'entamer la vague 4 – « V4 » – au début de l'année, qui a vu 10 000 utilisateurs directs du progiciel SAP basculer sur le système, mais aussi 10 000 utilisateurs de formulaires faisant la liaison entre les directions départementales et les plateformes régionales. Tout le ministère de la Défense a migré, le reste de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la recherche, deux des trois réseaux du ministère de la Justice, les programmes support du ministère de l'Intérieur, du ministère de l'Agriculture et du ministère de l'Environnement, de l'écologie, du développement durable et de la mer (MEEDDEM) ainsi que quelques programmes des administrations centrales des ministères financiers. Les jalons très précis qui avaient été posés n'ont pas tous pu être respectés en raison de décisions tardives d'ordre organisationnel. Le ministère de la Défense a dû bâtir une organisation intermédiaire à cause de la mise en oeuvre de son Livre blanc et de la généralisation de ses bases de défense. Le ministère de l'Agriculture et le MEEDDEM se sont associés assez tardivement au niveau régional, et, s'agissant des assignations comptables, la DGFIP a dû accompagner les services gestionnaires. Le non-respect des jalons ne s'est pas traduit par ce que l'on appelle un « no go » de la vague, mais il a fallu prendre le temps de vérifier la qualité des données de reprise ou le paramétrage de la bascule.

Quelles sont les raisons des difficultés rencontrées au premier semestre ?

Nous avons dû corriger 40 % des habilitations des utilisateurs parce que 4 000 utilisateurs déclarés ne se sont jamais connectés. Les agents ont été affectés tardivement, et il y a eu des mutations. L'outil s'est révélé trop complexe pour pouvoir rétablir rapidement la situation. Il a fallu en recréer 4 000 autres et les dernières rectifications ont eu lieu fin avril.

J'en viens à la reprise des marchés publics. Ne sont repris dans Chorus que les antérieurs vivants, soit, pour la vague 4, 95 000 marchés. Cette reprise a pu être automatisée à partir de nombreuses applications en amont – dont très peu tiennent compte de la LOLF –, mais elle a été tardive puisqu'il a fallu attendre la clôture de l'exercice précédent pour enrichir les données d'informations nécessaires au fonctionnement de Chorus et sécuriser les données reprises. De nombreuses rectifications manuelles ont été nécessaires de la part des gestionnaires, que l'enrichissement préalable à la migration n'a pas permis d'éviter.

La montée en compétence des services est normale, classique pour un progiciel SAP, c'est-à-dire qu'elle prend du temps. Elle a été trop lente pour ceux qui géraient les engagements les plus complexes et qui ont dû procéder à des rectifications manuelles dans Chorus. Mais 60 000 jours de formation ont été dispensés aux utilisateurs de la V4. Nous avons saturé toutes les salles de formation de l'administration et celles de la région parisienne en location parce qu'il faut former les gens au moment du démarrage, et non trois mois avant. Quant au manuel, dont vous déploriez l'absence, monsieur Muet, il existe, mais il compte plusieurs dizaines de milliers de pages : il n'est pas physique, c'est une aide en ligne. Il y a également des modes opératoires pour résoudre les principales difficultés.

Le recours à la commande urgente, procédure mise au point avant la bascule avec la DGFIP, a été faible en début d'année, sans doute en raison de la lourdeur des rectifications. Le ministère qui cumule les difficultés est celui de la Défense, puisqu'il se réorganise massivement, qu'il a 4 500 utilisateurs et 80 000 marchés sur les 95 000 de l'État, et parmi les plus complexes.

Malgré ces défauts de jeunesse, qu'il faut distinguer de ceux liés à la bascule, l'outil informatique fonctionne correctement. Les bogues ont été peu nombreux et rapidement corrigés. La gestion courante est assurée normalement et plus de 20 000 paiements sont traités quotidiennement. Chorus a traité 1,2 million de paiements depuis le début de l'année, pour 27 milliards d'euros, et a déjà engrangé 600 000 engagements juridiques, sans parler de ceux qui ont été repris.

Pour surmonter les difficultés, un plan d'action a été bâti afin d'aider les services qui avaient accumulé le plus de retard. Une équipe de traitement des urgences a été montée à la DGFIP, pour répondre aux demandes des entreprises. Nous les aidons à rechercher dans les dossiers les éléments susceptibles de justifier un traitement d'urgence. Nous avons identifié les services qui ont besoin d'un soutien particulier pour apurer les retards et nous traitons leurs demandes de support en priorité. Nous organisons des ateliers de perfectionnement pour diffuser les meilleures pratiques. Nous repérons et documentons tous les gestes techniques qui permettent aux utilisateurs de gagner du temps et d'être plus efficaces. Enfin, nous sommes en train de discuter de mesures d'exception pour fluidifier le circuit des paiements, notamment au ministère de la Défense, afin d'achever le rattrapage. Tous les ministères qui ont du retard – ce qui n'est le cas ni du ministère de l'Intérieur, ni de ceux de la Justice ou de l'Éducation nationale – indiquent qu'ils l'auront résorbé à la fin du mois de septembre. Aujourd'hui, il l'est à 80 %.

Notre objectif est bien de terminer la bascule de tous les programmes de dépense au 1er janvier 2011, et nous avons tenu compte de la V4 pour la préparer dans les meilleures conditions. La vague 5, qui couvre moins de 2 000 utilisateurs, devrait avoir lieu en juillet et elle a reçu le feu vert des ministères concernés – Agriculture et pêche, Environnement, Intérieur et Culture – ce qui montre qu'ils savent qu'en gestion, Chorus fonctionne.

Pour sécuriser la vague 6, qui concernera 12 000 utilisateurs, les mesures suivantes ont été adoptées par le comité d'orientation stratégique.

Premièrement, il n'y aura pas de concomitance entre une nouvelle version du logiciel et la vague de déploiement. Le report de la fin de la trajectoire comptable nous exonère d'avoir à prendre ce risque supplémentaire.

Deuxièmement, les jalons qui ont été définis sont intangibles car les programmes qui doivent basculer ont eu le temps suffisant pour s'y préparer.

Troisièmement, s'agissant des droits des utilisateurs, de nouveaux principes ont été arrêtés et ils simplifient pratiquement par dix la charge de gestion et de mise à jour des habilitations. Le progrès est considérable.

Quatrièmement, pour la reprise, il a été décidé de privilégier la saisie directe de l'engagement juridique dans Chorus, plutôt que la saisie dans un outil de collecte en amont, ce qui est souvent beaucoup plus facile et permet d'acquérir plus vite de l'expérience.

Cinquièmement, de nouveaux cursus de perfectionnement de la gestion des marchés se mettent en place dans le cadre de la formation continue. De la sorte, les responsables auront davantage de compétences en début d'exercice.

Sixièmement, on a anticipé, pour la vague 6, la montée en compétence des supports ministériels, qui a été un peu trop tardive pour que ceux-ci soient réellement opérationnels à la fin du premier trimestre de 2010, même si 200 millions d'euros ont été consacrés à la formation et à l'accompagnement des utilisateurs.

Enfin, le choix a été fait dès le début de terminer par la comptabilité générale.

PermalienPhoto de Gaël Yanno

En comptabilité privée, les informations contenues dans l'annexe prennent de plus en plus d'importance. Or la comptabilité publique tend à se rapprocher de la comptabilité privée. À la lumière de ces deux constats, Chorus améliorera-t-il l'information extra-comptable de l'État, notamment pour ce qui concerne les engagements hors bilan ?

Nous constatons parfois en tant qu'élus locaux que l'État admet s'être engagé contractuellement, mais se dit dans l'incapacité, faute de trésorerie, de nous rembourser. Ces dettes latentes seront-elles enregistrées en totalité dans Chorus ?

PermalienPhoto de Lionel Tardy

Je m'intéresse surtout aux acteurs, au pilote opérationnel qu'est l'AIFE, et aux intégrateurs.

La réalisation du progiciel Chorus a fait l'objet d'un marché public divisé en quatre lots. Le premier lot, concernant l'intégration des fonctions du coeur de Chorus et la tierce maintenance applicative, a été confié à Steria et Accenture ; le deuxième, portant sur l'infocentre, est revenu à Logica ; le troisième, comprenant les systèmes d'échanges de données avec les applications ministérielles et interministérielles, a été confié à Sopra et à sa filiale Axway ; le quatrième et dernier lot, correspondant à l'architecture technique, a été attribué à Bull.

Selon vous, quels sont le ou les lots responsables du retard ?

PermalienPhoto de Michel Bouvard

Je ne méconnais pas le travail accompli, ni les résultats obtenus. Vous avez foi dans l'achèvement de ce qui sera une cathédrale informatique. Toutefois, dans ses travaux, la MILOLF a eu à connaître le quotidien vécu par les agents de l'État et elle a été amenée à s'interroger sur le respect des engagements qui ont été pris.

Il y a à l'évidence un problème de gouvernance et nous devons savoir comment on entend piloter le projet à l'avenir.

Le dialogue entre la gouvernance de Chorus, les entités ministérielles et les responsables des administrations d'État sur le terrain est insuffisant. Il faut que les choses soient éclaircies ! Même si 200 millions ont été consacrés à la formation, même si 20 000 agents ont été formés et habilités, la MILOLF ne peut que prendre acte du constat qui est fait sur le terrain, je cite : « Toutes les directions estiment que le dispositif de formation n'a pas été satisfaisant, et n'a pas répondu aux attentes : sous-dimensionnement du nombre de formations, kits livrés tardivement, pas de nouvelles formations prévues, qualité de la formation critiquable, programmation inadaptée ». Telle est la conclusion de la direction régionale des finances publiques de Rhône-Alpes et du département du Rhône à partir d'une synthèse réalisée à partir des observations de toutes les directions de l'État, et pas seulement de la Défense et de l'Éducation nationale. Cela ne peut que susciter des questions.

De même, après la première phase de déploiement, sont apparus les insuffisances des contrôles bloquants, les manques de restitutions aux gestionnaires, l'insuffisance de disponibilité de l'outil à cause des horaires d'ouverture, la faiblesse des opérations de maintenance ainsi que des difficultés de connexion. Toutes ces perturbations sont en train, si j'ose dire, de saper la confiance des utilisateurs et de fragiliser le système.

Mais venons-en aux questions de fond.

Par rapport aux objectifs initiaux, combien de logiciels seront-ils abandonnés par les ministères ? Sommes-nous en ligne avec ce qui était prévu initialement ? Le nombre d'interfaces qu'il va falloir mettre au point est-il conforme aux prévisions initiales ? Sinon, quel sera le coût ? Enfin, les effectifs des plateformes sont-ils eux aussi conformes aux prévisions ? Nous avons compris que la réorganisation des services de l'État et les plafonds d'autorisation d'emploi par ministère font que les responsables manifestent plus ou moins de bonne volonté pour affecter des personnels, et qu'ils n'y envoient pas toujours ceux qui ont été les mieux formés. D'après nos différents contacts, les questions se posaient déjà il y a un an. Et elles se résument en une seule : y aura-t-il un retour sur investissement et, si oui, dans quel délai ?

PermalienPhoto de Pierre-Alain Muet

Le projet est incontestablement difficile et nous souhaitons tous qu'il réussisse.

Vous parliez, monsieur Marzin, de projet de transformation. Alors, il faut aller jusqu'au bout. Un bel avion doit aussi être piloté, et c'est la raison pour laquelle nous insistons sur la formation. Tous les services en région s'inquiètent de la complexité du système.

Le projet Chorus est, dites-vous, le plus grand projet SAP du monde. Selon vous, la montée en compétence des services est normale. À l'étranger, les autres projets étaient-ils comparables ? Ont-ils rencontré les mêmes difficultés ?

PermalienJacques Marzin, directeur de l'Agence pour l'informatique financière de l'état, AIFE

La décomposition en quatre lots a été décidée pour ne pas fragiliser juridiquement un projet trop gros pour être alloué à un seul opérateur et pour éviter les référés précontractuels. La contrepartie est que cela nous impose de faire l'intégrateur ultime, et c'est à l'AIFE qu'incombe la coordination. Nous avons également un marché séparé avec SAP. La segmentation complique la coordination, mais elle a l'avantage de nous permettre de savoir très tôt ce qui ne fonctionne pas, les fournisseurs se chargeant de nous informer de ce qui ne va pas chez leurs collègues. Pour atténuer la complexité, nous allons lancer le marché de maintenance. À part la trajectoire comptable, le projet se terminera en mars 2011.

S'agissant de la gouvernance qui a été mise en place, nous avons atteint un consensus interministériel qui nous a permis d'éviter la quasi-totalité des pièges qui font échouer ce type de projet une fois sur deux. Nous avons réduit la part des développements spécifiques à un minimum, qui fait que le produit est viable. Parmi les travaux spécifiques qui restent, je peux citer la présentation des comptes de l'État, les travaux de fin de gestion et, sans doute, le développement de contrôles complémentaires, qui ne font pas partie du produit standard mais qui sont nécessaires pour sécuriser le système. Il s'agit là d'un inconvénient lié au fait d'avoir tenu bon pour limiter les spécifiques. Pour ce qui nous reste à faire avec la DGFIP, la gouvernance se modifie : il y a un conseil d'orientation stratégique en formation spécifique sur la trajectoire comptable, qui fait appel en cas de besoin à la direction des douanes, ainsi qu'au ministère de l'Intérieur concerné par Colbert, qui traite des échanges avec les collectivités locales. La gouvernance s'adapte en fonction des besoins. Pour le reste, chaque ministère est responsable du déploiement de Chorus dans la mesure où il est responsable de ses moyens de gestion et de son organisation. Ce sont les ministères qui ont fait les propositions d'organisation des centres de services partagés, qui ont choisi la localisation géographique et qui mettent les moyens.

Ce qui vous est dit sur la formation est sûrement vrai. Nous avons, en ce qui nous concerne, un taux de satisfaction en retour de plus de 85 %. Cela étant, cinq jours de formation permettent de comprendre les concepts de base nécessaires pour s'auto-former sur l'outil. Personne n'a accepté d'envoyer les gestionnaires vingt-cinq jours en formation approfondie en fin d'année et au moment de la bascule. C'est la raison pour laquelle les deux tiers des 200 millions d'euros du budget formation ont financé des assistances de proximité : des consultants SAP sont allés dans les services, conformément à ce qui était prévu au début. Sur les 500 millions d'euros d'investissement de Chorus, 200 millions devaient être consacrés à la gestion du changement, selon une proportion classique entre informatique pure et soutien au changement. Il n'est pas question d'en rajouter.

PermalienJacques Marzin, directeur de l'Agence pour l'informatique financière de l'état, AIFE

Le problème vient de ce que la formation permanente ne peut pas commencer avant la fin des vagues de déploiement. Nous identifions les services en difficulté pour leur proposer des sessions de rattrapage et les aider à s'en sortir.

Quant aux restitutions, elles existent et elles sont bonnes. Mais les utilisateurs n'ont pas été formés pour comprendre qu'elles le sont, lorsqu'elles changent fondamentalement par rapport à leurs pratiques antérieures. Dans Chorus, les crédits sont consommés conformément à la LOLF, c'est-à-dire quand le comptable paie, mais il existe une restitution qui simule la consommation des crédits de paiement. Nous montons en ce moment avec la DGFIP des ateliers régionaux pour expliquer à tous les responsables qu'il faut arrêter de reconstituer des restitutions et faire en sorte que les restitutions globales soient bonnes. Mais il s'agit là d'une formation « métier » et non d'une formation « outil », à laquelle les 200 millions d'euros sont consacrés.

Les interfaces sont toujours délicates avec un progiciel de gestion intégré qui est fait pour ne pas dialoguer avec la concurrence, y compris avec les applications du client. Cela étant, nous avons mis un sas de sécurisation avec un système d'échange de SOPRA et nous déclassons quatre-vingts applications, soit le nombre exact fixé par l'inspection générale des finances. Nous avons avec chaque ministère des conventions de progrès, portant sur près de 500 applications, pour justifier le maintien de chacune, leur interfaçage avec Chorus ou leur suppression.

Il n'a jamais été question d'un « grand soir informatique » car débrancher une application qui fait à la fois des finances et de la gestion technique est une source de coût considérable. C'est pourquoi nous avons parfois préféré attendre pour déclasser certaines applications. À partir de la V4, toute application ou interface devra être en bon état de fonctionnement avant la bascule, ou il existera un plan de secours crédible, validé par la DGFIP. Nous n'avons donc pas basculé les bourses de l'Enseignement supérieur parce qu'il était impossible de faire 600 000 virements à la main chaque mois.

Il est beaucoup trop tôt pour faire le bilan des plateformes, qui sont en cours de constitution. Certaines d'entre elles annoncent plus d'utilisateurs que prévu, tandis que d'autres connaissent un sous-effectif de 20 à 30 %. Il est évident que le gréement de plateformes à des niveaux de gestion nouveaux génère forcément de la surcharge instantanée.

Il faut savoir qu'à ce niveau il n'y a qu'un projet sur deux qui sort, dans le public comme dans le privé. Aujourd'hui, Chorus compte 14 000 utilisateurs et gère 38 % du budget de l'État : ce n'est pas un échec ! Le projet est en cours de démarrage et il connaît quelques frottements. Partout, dans le privé comme dans le public, dans les PME comme dans les grands groupes, il y a trois mois de galère et il faut six mois pour stabiliser les opérations courantes, dix-huit mois pour se sentir à l'aise. Les gestionnaires qui utilisent le produit depuis cinq ans déclarent qu'ils ont autant de travail qu'avant, mais leur patron ajoute qu'ils sont deux fois moins nombreux. Parmi les exemples sur lesquels je me suis appuyé, il y a le gouvernement fédéral canadien, EDF, Dassault, le gouvernement autrichien.

Nous avons sûrement fait des erreurs dans la gestion du changement, mais nous sommes en train de les rectifier. Ce n'est jamais simple de mettre en place des centres de services partagés et un progiciel SAP en production six mois après les dernières décisions d'organisation.

PermalienPhoto de Thierry Carcenac

Sur le terrain, nous constatons un problème de management.

Le gouvernement canadien ne s'y est pas pris de la même façon.

En outre, certains paiements ne se font pas parce qu'on ne dispose pas du bon formulaire. La situation est inconfortable, non seulement pour le personnel qui n'arrive pas à se faire rembourser ses frais de déplacement, mais aussi pour les entreprises. Je ne suis pas sûr que l'on arrive à rattraper le retard très vite compte tenu du calendrier de déploiement de Chorus. Sans un travail important de management, on ira droit dans le mur. Mais cela a un coût.

Vous nous dites que l'on reste dans l'enveloppe. On nous avait dit la même chose pour Copernic. L'enveloppe reste constante, certes, mais on bascule telle dépense dans la maintenance, ou bien on renonce à certaines applications, mais il y a toujours un coût. Selon l'article paru dans un journal du soir daté du 16 juin, Chorus coûtera 1,1 milliard d'euros, soit le double des 500 millions d'euros annoncés. Il nous faut des explications.

En outre, même si l'outil fonctionne, la perception des personnels est différente. Il a fallu parfois refaire des tableaux Excel et prévoir une facturation à côté. Il y a forcément quelque chose qui cloche quelque part ! Nous demandons seulement comment les problèmes seront résolus.

PermalienPhoto de Michel Bouvard

Le nombre de logiciels qui seront supprimés est-il conforme aux prévisions ? Sinon, quelles seront les conséquences ? Même question pour le nombre d'interfaces entre Chorus et d'autres applications. Les coûts correspondent-ils à ce qui était prévu ?

PermalienPhoto de Jérôme Cahuzac

Nous avons compris, monsieur Parini, que vous considérez que la comptabilité d'engagement fonctionne et que les difficultés concernent l'exécution et la comptabilité. Mais la solidité d'une chaîne se mesure à celle de son maillon le plus faible.

PermalienJacques Marzin, directeur de l'Agence pour l'informatique financière de l'état, AIFE

Le nombre de logiciels supprimés sera celui qui a été annoncé dans le rapport de l'inspection générale des finances de 2006, soit 80 applications informatiques. Le coût d'interfaçage s'élève à 55 millions d'euros. Certaines applications techniques n'ont pas vocation à être interfacées.

Quant au 1,1 milliard d'euros, il s'agit toujours du coût global initial du projet sur dix ans. La somme englobe des coûts de fonctionnement récurrents inférieurs de 30 % aux évaluations faites par l'inspection générale des finances.

Pour le reste, j'ai détaillé les plans d'action destinés à résorber les indiscutables retards de paiement.

PermalienPhoto de Philippe Martin

Les engagements hors bilan sont joints à l'annexe qui accompagne les comptes certifiés, annexe qui est extrêmement fouillée puisqu'elle précise les engagements, les charges à payer et les provisions.

En tant qu'utilisateur du logiciel Chorus, j'ai plusieurs remarques à faire.

Premièrement, les difficultés rencontrées, qui sont bien réelles, devront être appréciées en fin d'année, et non au moment de la généralisation de l'application. En début d'année, il a fallu, pour réinjecter de l'argent dans le circuit économique, recourir au traitement classique hors Chorus. Mais les choses vont mieux et, si la tendance se poursuit, le retard devrait être comblé à l'été. S'il subsiste des difficultés à ce moment-là, on pourra penser qu'elles sont consubstantielles au système.

Un déploiement est toujours compliqué et il ne faut pas porter un jugement définitif trop tôt !

Deuxièmement, les administrations confrontées à des réductions d'emplois et de crédits attendent du système qu'il soit rentable. La nouvelle organisation devra donc économiser des effectifs en passant du niveau départemental au niveau régional, et du niveau ministériel au niveau interministériel, sans que la qualité du service se dégrade, en particulier pour ce qui concerne les délais de paiement.

J'ajoute – c'est une remarque personnelle – que la tentation existe, quand on monte ce type de projet, de l'exhaustivité cartésienne. On veut toujours plus : comptabilité particulière, statistiques, etc. Or le traitement du cas marginal coûte très cher en informatique et il faudrait toujours se poser la question du coût par rapport à l'utilité marginale. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire.

Pour faire des économies, il faut un logiciel structurant. Et la condition sine qua non est d'accepter d'entrer dans le moule. Ce n'est pas toujours agréable, mais il faut en passer par là pour atteindre l'objectif.

La gouvernance de Chorus a été conçue en réaction aux effets négatifs d'Accord, dont les utilisateurs n'avaient pas été associés à la mise en place. On a donc créé une structure indépendante avec un conseil d'administration composé des différents directeurs. Les différentes administrations centrales ont-elles bien relayé sur le terrain les contraintes du produit Chorus ? Quand on en sera à l'exploitation, et non plus au développement, il faudra revenir à une gestion plus classique dans laquelle les projets sont adossés à un ministère, ou une direction, qui en est responsable et qui a des services extérieurs, contrairement à l'AIFE.

Enfin, si l'on n'englobe pas les services facturiers, qui ne font pourtant pas partie du projet Chorus, on n'en tirera pas tous les bénéfices. On risque alors de perdre tout le temps qui aura été gagné au moment de l'engagement de la dépense à la réception des factures qui doivent, pour être réglées, remonter auprès de l'ordonnateur. C'est une vraie question d'organisation. Pour moi, le complément de Chorus, c'est de faire payer les factures directement par les comptables.

Information relative à la Commission