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Intervention de Christian Babusiaux

Réunion du 22 juin 2010 à 16h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes :

L'enjeu des systèmes d'information financière et comptable de l'État est important pour la conduite des politiques publiques puisque ceux-ci sont le support de l'ensemble de la gestion financière de l'État. En 2008, la Cour des comptes avait déjà, à la demande de votre Commission, rédigé un rapport sur Chorus, et elle avait, en 2009, consacré un autre rapport au programme Copernic, cette fois-ci à la demande de la commission des Finances du Sénat. Elle a enfin adressé, le 19 février 2010, un référé au Premier ministre afin de l'alerter sur certaines difficultés.

En outre, dans l'acte de certification des comptes de l'État de 2009, que le Premier président vous a présenté le 26 mai dernier, la Cour a formulé pour la quatrième année une réserve substantielle concernant les systèmes d'information financière et comptable de l'État ; cette réserve est structurante puisque le système d'information touche au coeur des comptabilités de l'État.

Le chantier des systèmes d'information financière de l'État est considérable, et nous mesurons quel défi cela représente pour les administrations concernées. Il me faut cependant évoquer les insuffisances relevées par la Cour des comptes à l'occasion de ses différents travaux sur Chorus et sur son articulation avec les autres grands projets informatiques de l'État, notamment l'opérateur national de paie (ONP). J'évoquerai ensuite les risques que font peser ces insuffisances sur la qualité des comptes de l'État et, plus généralement, sur la gestion financière des administrations, ainsi que ce que nous jugeons être l'origine principale de ces insuffisances. Je formulerai en conclusion quelques recommandations visant à redresser la situation.

La première insuffisance significative est que la remise à plat des procédures comptables a été incomplète.

Chorus devant devenir à terme l'application unique de tenue des comptabilités de l'État, la décision de mettre au rebut Accord 1 et Accord 1 bis et de recourir à un progiciel de gestion intégré disponible sur le marché s'est imposée, pour avoir une vision de l'intégralité de la chaîne de la dépense comme de la tenue de la comptabilité concernant l'ensemble des acteurs de l'administration, y compris le ministère de la Défense. C'est dans cette optique que le progiciel de gestion SAP a été choisi : il proposait des fonctionnalités orientées vers les besoins du secteur public et, surtout, il était plus rigide et donc plus structurant que d'autres systèmes. Mais cela requérait trois préalables : éviter le plus possible des développements spécifiques générateurs de coûts récurrents ; revoir en profondeur l'ensemble des processus d'exécution de la dépense et de la recette ; optimiser les conditions de tenue des comptabilités.

Les orientations étaient donc claires : permettre la mise en oeuvre complète de la LOLF, supprimer le maximum d'applications informatiques anciennes, adapter les procédures budgétaires et comptables mises en oeuvre par l'administration à l'outil, et non l'inverse.

Mais la réingénierie des processus qui avait été engagée dès 2005 par la direction de la réforme budgétaire n'a pas été menée à son terme et très peu de procédures comptables ont été remises à plat.

Actuellement, l'État établit ses états financiers en agrégeant les comptes produits par les 153 comptables publics principaux. Or, comme le montre la Cour depuis 2006, cette procédure comporte trois difficultés. Premièrement, elle s'appuie sur des applications anciennes qui ne permettent pas de respecter tous les standards comptables de la LOLF – ce point est à l'origine de certaines des neuf réserves formulées par la Cour sur les comptes de l'État. Deuxièmement, cette procédure est coûteuse, car elle nécessite un grand nombre de retraitements, essentiellement manuels, pour pallier les insuffisances des systèmes d'information – ces retraitements sont sources d'erreurs, d'où la nécessité de développer un contrôle et un audit internes, inévitablement consommateurs de moyens. Enfin, elle réduit fortement l'auditabilité du système : parmi les quelque 35 millions d'écritures comptables réalisées chaque année par les comptables publics, les deux tiers ne concernent que des écritures techniques internes à l'État, qui ne devraient pas être portées par la comptabilité générale, mais par des comptabilités auxiliaires. Chorus aurait dû être l'occasion de remettre tout cela à plat. Or, à ce jour, cela n'a été fait que très partiellement.

Je souhaite au passage répondre à un argument parfois utilisé par l'administration pour maintenir l'essentiel de l'organisation existante, et selon lequel cette organisation tiendrait à la nécessité de répondre aux exigences de la Cour des comptes elle-même, qui certifie les comptes de l'État, mais qui doit également juger les comptes des comptables. En réalité, loin de souhaiter que soit conservé l'actuel modèle d'agrégation des comptes de gestion des comptables publics pour constituer les états financiers, la Cour pense qu'une concentration des postes comptables serait bénéfique à l'exercice de son activité juridictionnelle.

La tenue de la comptabilité générale dans Chorus demeure aujourd'hui largement au stade de la trajectoire, les travaux de conception détaillée étant loin d'être achevés. Nous sommes bien conscients de l'ampleur de la tâche à réaliser mais, à ce jour, nous n'avons pas de visibilité suffisante sur la cible, c'est-à-dire sur la capacité finale de Chorus, une fois qu'il sera totalement déployé dans sa version la plus aboutie, à répondre entièrement aux exigences comptables de la LOLF.

Deuxième insuffisance significative : le système d'information financière souffre d'un manque de cohérence globale.

Chorus doit à la fois devenir l'application de tenue de la comptabilité générale de l'État et de gestion de la dépense budgétaire, mais pas de la recette fiscale. Pour qu'il fonctionne de manière optimale, il faut supprimer le maximum d'applications, interfacer les applications remettantes qui ne sont pas frappées d'obsolescence technologique et, dans tous les cas, enrichir les données transmises et éviter les doubles saisies.

Les problèmes rencontrés par le ministère de l'Éducation nationale pour se raccorder à Chorus sont liés à un retard dans la conception de l'interface, à des défauts d'enrichissement des données et à des insuffisances de formation des services déconcentrés, ce qui a conduit à des retards de paiement.

Les difficultés rencontrées par le ministère de la Défense lors du déploiement de la version 4 de Chorus, en janvier 2010, et qui se sont traduites par d'importants retards de paiement des fournisseurs, s'expliquent principalement par des problèmes d'habilitation et des incidents techniques, liés notamment aux engagements repris et à ceux saisis dans les formulaires mis à disposition des services gestionnaires.

S'agissant des charges de personnel, le système d'information sur la paie des agents publics piloté par l'opérateur national de paye sera interfacé avec Chorus. Or, la conception de l'articulation de ces deux systèmes est encore loin d'être achevée. Je rappelle qu'on en attend une économie de 4 000 emplois.

Enfin, concernant les produits fiscaux, la redéfinition du périmètre du projet « Refonte des systèmes de paiement » (RSP), désormais centré sur la gestion du recouvrement forcé, va repousser la date de la mise en production de cet outil à l'année 2013.

Troisième insuffisance : des pratiques anciennes perdurent.

Nous avons constaté en 2009 que la comptabilité des engagements souffrait des mêmes défauts qu'antérieurement et que des paiements sans engagement juridique préalable étaient encore réalisés en grand nombre. Certes, il s'agit là plus d'un problème de pratique que de conception de l'outil, mais cela n'en est pas moins inquiétant. Il est indispensable – l'administration en est d'accord – de développer une véritable comptabilité des engagements, la connaissance des engagements étant absolument nécessaire au pilotage budgétaire, surtout dans les circonstances actuelles. Il y a là un enjeu de conduite du changement dans les administrations.

En matière de produits fiscaux, les pratiques anciennes ne sont pas près de disparaître. Du côté des applications de gestion de l'assiette de l'impôt et du recouvrement, la mise en oeuvre du projet « Refonte des systèmes de paiement », qui fait partie du programme Copernic, et les adaptations nécessaires des applications historiques pour déployer la nouvelle architecture ne débouchent sur aucune amélioration du processus de comptabilisation. Les insuffisances relevées depuis quatre ans dans les travaux de certification des comptes de l'État persisteront donc après la mise en production de ces nouveaux outils prévue pour 2013. L'objectif de comptabiliser les flux au fil de l'eau en se fondant sur le fait générateur défini dans les normes comptables, c'est-à-dire en amont de l'encaissement, ne sera toujours pas atteint à cette échéance. Ces insuffisances occasionnent des travaux manuels très lourds, qui ne peuvent avoir lieu qu'une fois par an, prennent beaucoup de temps et sont porteurs de risques significatifs, par exemple en matière d'obligations fiscales ou de pénalités. Les délais de production des comptes se trouvent allongés par la réalisation de l'ensemble de ces travaux manuels.

C'est au contraire dans le sens d'une diminution des délais d'établissement des comptes de l'État qu'il faut travailler : il est vraisemblable que le Gouvernement et le Parlement seront amenés à avancer d'un mois la date butoir de dépôt du projet de loi de règlement afin de pouvoir enchaîner sur le débat d'orientation des finances publiques, l'examen par les instances communautaires des bases sur lesquelles le Gouvernement prépare son projet de loi de finances pour l'année suivante et le vote sur le programme de stabilité, articulé avec celui sur la loi de programmation des finances publiques.

Quatrième et dernière insuffisance : des données non fiables sont présentes dans les référentiels et la piste d'audit est difficilement praticable. Lors de la bascule des programmes dans Chorus, les données des anciens systèmes ont été souvent transférées sans avoir été au préalable suffisamment contrôlées et enrichies, avec des conséquences sur la qualité des données in fine. C'est particulièrement visible en matière de gestion immobilière : la Cour a constaté une absence de mise à niveau des données dans les systèmes préexistants, couplée à un manque de contrôles automatiques dans l'application Chorus.

Pour les flux issus du système de gestion des impôts, la traçabilité des opérations comptables n'est pas non plus améliorée. Dans la nouvelle architecture, ces flux déversés dans Chorus restent produits par les applications historiques sans aménagements à court terme.

Je souhaite maintenant aborder les conséquences de ces insuffisances et leur origine.

Premièrement, des surcoûts importants sont à prévoir. En 2008, l'objectif affiché était que Chorus tienne toute la comptabilité de l'État en 2010. Fin 2008, cette échéance avait été repoussée à 2011. Début 2010, la bascule de la comptabilité générale est une nouvelle fois décalée d'un an, pour une échéance aujourd'hui fixée au 1er janvier 2012. Le report du déploiement complet de Chorus va entraîner des surcoûts, des études complémentaires et de nouveaux développements étant nécessaires, en particulier pour maintenir des applications anciennes. Pour le moment, nous n'avons pas de visibilité sur ces surcoûts puisqu'ils dépendront de l'ampleur des modifications qui seront apportées à Chorus dans les semaines qui viennent. Tout comme Chorus, la mise en place de l'ONP impose une cohérence entre l'organisation administrative et les prestations que l'application informatique peut fournir.

Deuxièmement, l'insuffisant avancement des travaux de conception comptable de Chorus fait peser un risque majeur sur sa capacité à tenir la comptabilité générale de l'État à un horizon déterminable. Si l'on veut que le Gouvernement et le Parlement puissent disposer d'une vue rapide de l'évolution des finances publiques, il sera nécessaire de développer des restitutions comptables infra-annuelles et de produire des arrêtés intermédiaires. Les données de base nécessaires seront toutes disponibles dans Chorus, mais la question de savoir comment y accéder et comment en tirer les informations utiles constitue un chantier dont l'ampleur est à l'image de la complexité du fonctionnement de Chorus.

La comptabilité analytique est, pour le moment, absente du projet Chorus : sur ce point, l'objectif de l'administration est aujourd'hui de remplir la case « comptabilité d'analyse des coûts » des rapports annuels de performances (RAP), ce qui est en soi nécessaire mais certainement pas suffisant pour piloter les coûts des politiques publiques.

Troisièmement, l'une des raisons majeures de ces difficultés est la faiblesse de la gouvernance globale de ces projets, celle-ci ayant été définie avant la création de la direction générale des Finances publiques (DGFIP).

Ma première recommandation visera donc à améliorer la gouvernance de ces projets.

Deuxième recommandation : il convient d'adapter les processus et l'organisation aux outils, et non l'inverse. Il faut favoriser la tenue d'une véritable comptabilité d'engagement, ce qui suppose une rationalisation de la chaîne de la dépense. Il est donc nécessaire de faire évoluer l'organisation comptable en fonction du progiciel, et non l'inverse. À défaut, les gains de productivité ne seront pas au rendez-vous.

De la même manière, les processus comptables gérés en amont de Chorus doivent faire l'objet d'une refonte systématique pour respecter les exigences de la LOLF et pour sécuriser l'environnement de production du compte général de l'État. C'est donc la gouvernance de l'ensemble des systèmes d'information financière de l'État qu'il convient de réformer.

Troisième recommandation : il importe d'améliorer la traçabilité des opérations, par la mise en place d'une piste d'audit praticable et automatisée sur l'ensemble de la chaîne des applications informatiques. On doit également travailler à l'amélioration de l'auditabilité des systèmes d'échanges actuels et futurs.

Quatrième recommandation : il faut sécuriser les outils, en recourant davantage aux contrôles automatiques et aux restitutions ad hoc permettant d'améliorer les pratiques comptables. Il est nécessaire d'adopter une démarche systématique de fiabilisation des données avant toute intégration dans un nouveau système d'information.

À la suite des audits de la Cour, la DGFIP a diligenté une mission d'expertise. Néanmoins, les délais sont très courts en dépit du report de la bascule à 2012, et il ne faudrait pas que la contrainte de calendrier conduise encore une fois à ne changer les processus qu'a minima, en renvoyant les améliorations substantielles, et les économies qui en découlent, à un horizon trop lointain.

Nous sommes persuadés qu'il est encore possible de prendre des décisions qui réorienteront rapidement dans le bon sens le projet Chorus. La Cour continuera pour sa part à auditer le système, dans ses versions successives, pour s'assurer qu'il permet aux différentes comptabilités de l'État de franchir une étape décisive.

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