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Intervention de Jacques Marzin

Réunion du 22 juin 2010 à 16h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Jacques Marzin, directeur de l'Agence pour l'informatique financière de l'état, AIFE :

J'insiste sur l'ampleur exceptionnelle du projet Chorus, laquelle explique en partie les difficultés.

Chorus, c'est la LOLF, toute la LOLF, rien que la LOLF ! Certes, il y a des débats entre la direction du Budget et la maîtrise d'ouvrage sur l'intégration de la comptabilité analytique dans Chorus. Mon avis est celui d'un technicien : pour avoir piloté la conception générale et détaillée de Chorus, je sais que les administrations ne sont pas prêtes à concevoir un plan de comptabilité analytique de l'État qui soit stable. Mais Chorus intègre la comptabilité d'analyse des coûts, conformément à mon cahier des charges.

Nous avons respecté les objectifs de contenu, qui sont même dépassés dans le champ de la dématérialisation, voire, au risque de vous faire sourire, dans le domaine de la gestion du patrimoine immobilier puisque nous ne nous sommes pas contentés d'une simple transposition comptable. Sur la base des applications existantes, il ne nous était pas possible de nettoyer les données avant de les injecter dans Chorus, sinon dans des délais incompatibles avec vos demandes.

Dès le lancement du projet, il est apparu clairement qu'il n'y avait pas de rentabilité à attendre sans réorganisation massive de la fonction de gestion budgétaire et comptable de l'État. Cette évidence a été plus nette encore avec les préconisations de la RGPP. La constitution de centres de services partagés, tout comme la généralisation à venir des services facturiers participent bien de cette modernisation. N'oublions jamais qu'avant Chorus, il y a 3 000 adresses où l'État peut recevoir des factures. Or le nombre de factures reçues est comparable à celui d'une très grande entreprise qui a, généralement, un point d'entrée unique. L'objectif est de ramener le nombre de ces adresses à moins de 500.

Chorus ne se résume pas à un outil informatique : il correspond à un projet de transformation qui s'accompagne d'un bouleversement majeur du métier de gestionnaire. De nouveaux concepts sont introduits.

Parmi les gestionnaires, rares sont ceux qui avaient entendu parler de la LOLF, et qui savent ce qu'est un engagement juridique. On continue de parler d'« engagement comptable ». De nouvelles organisations voient le jour, comme les plateformes, et de nouvelles procédures sont adoptées entre ces plateformes et les services prescripteurs.

Chorus est actuellement l'un des plus grands projets SAP au monde. Il n'est pas facile de gérer 25 000 utilisateurs directs, aux activités très diverses au sein d'une comptabilité unique et sur un seul système. Et les délais nous obligent à opter pour des déploiements massifs de plus de 10 000 gestionnaires d'un coup, ce qui est sans équivalent. Les difficultés de la V4, même si celle-ci est très lourde, sont en voie de résolution. Les trois expérimentations qui l'ont précédée nous ont permis de rôder les aspects techniques et organisationnels avant d'entamer la vague 4 – « V4 » – au début de l'année, qui a vu 10 000 utilisateurs directs du progiciel SAP basculer sur le système, mais aussi 10 000 utilisateurs de formulaires faisant la liaison entre les directions départementales et les plateformes régionales. Tout le ministère de la Défense a migré, le reste de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la recherche, deux des trois réseaux du ministère de la Justice, les programmes support du ministère de l'Intérieur, du ministère de l'Agriculture et du ministère de l'Environnement, de l'écologie, du développement durable et de la mer (MEEDDEM) ainsi que quelques programmes des administrations centrales des ministères financiers. Les jalons très précis qui avaient été posés n'ont pas tous pu être respectés en raison de décisions tardives d'ordre organisationnel. Le ministère de la Défense a dû bâtir une organisation intermédiaire à cause de la mise en oeuvre de son Livre blanc et de la généralisation de ses bases de défense. Le ministère de l'Agriculture et le MEEDDEM se sont associés assez tardivement au niveau régional, et, s'agissant des assignations comptables, la DGFIP a dû accompagner les services gestionnaires. Le non-respect des jalons ne s'est pas traduit par ce que l'on appelle un « no go » de la vague, mais il a fallu prendre le temps de vérifier la qualité des données de reprise ou le paramétrage de la bascule.

Quelles sont les raisons des difficultés rencontrées au premier semestre ?

Nous avons dû corriger 40 % des habilitations des utilisateurs parce que 4 000 utilisateurs déclarés ne se sont jamais connectés. Les agents ont été affectés tardivement, et il y a eu des mutations. L'outil s'est révélé trop complexe pour pouvoir rétablir rapidement la situation. Il a fallu en recréer 4 000 autres et les dernières rectifications ont eu lieu fin avril.

J'en viens à la reprise des marchés publics. Ne sont repris dans Chorus que les antérieurs vivants, soit, pour la vague 4, 95 000 marchés. Cette reprise a pu être automatisée à partir de nombreuses applications en amont – dont très peu tiennent compte de la LOLF –, mais elle a été tardive puisqu'il a fallu attendre la clôture de l'exercice précédent pour enrichir les données d'informations nécessaires au fonctionnement de Chorus et sécuriser les données reprises. De nombreuses rectifications manuelles ont été nécessaires de la part des gestionnaires, que l'enrichissement préalable à la migration n'a pas permis d'éviter.

La montée en compétence des services est normale, classique pour un progiciel SAP, c'est-à-dire qu'elle prend du temps. Elle a été trop lente pour ceux qui géraient les engagements les plus complexes et qui ont dû procéder à des rectifications manuelles dans Chorus. Mais 60 000 jours de formation ont été dispensés aux utilisateurs de la V4. Nous avons saturé toutes les salles de formation de l'administration et celles de la région parisienne en location parce qu'il faut former les gens au moment du démarrage, et non trois mois avant. Quant au manuel, dont vous déploriez l'absence, monsieur Muet, il existe, mais il compte plusieurs dizaines de milliers de pages : il n'est pas physique, c'est une aide en ligne. Il y a également des modes opératoires pour résoudre les principales difficultés.

Le recours à la commande urgente, procédure mise au point avant la bascule avec la DGFIP, a été faible en début d'année, sans doute en raison de la lourdeur des rectifications. Le ministère qui cumule les difficultés est celui de la Défense, puisqu'il se réorganise massivement, qu'il a 4 500 utilisateurs et 80 000 marchés sur les 95 000 de l'État, et parmi les plus complexes.

Malgré ces défauts de jeunesse, qu'il faut distinguer de ceux liés à la bascule, l'outil informatique fonctionne correctement. Les bogues ont été peu nombreux et rapidement corrigés. La gestion courante est assurée normalement et plus de 20 000 paiements sont traités quotidiennement. Chorus a traité 1,2 million de paiements depuis le début de l'année, pour 27 milliards d'euros, et a déjà engrangé 600 000 engagements juridiques, sans parler de ceux qui ont été repris.

Pour surmonter les difficultés, un plan d'action a été bâti afin d'aider les services qui avaient accumulé le plus de retard. Une équipe de traitement des urgences a été montée à la DGFIP, pour répondre aux demandes des entreprises. Nous les aidons à rechercher dans les dossiers les éléments susceptibles de justifier un traitement d'urgence. Nous avons identifié les services qui ont besoin d'un soutien particulier pour apurer les retards et nous traitons leurs demandes de support en priorité. Nous organisons des ateliers de perfectionnement pour diffuser les meilleures pratiques. Nous repérons et documentons tous les gestes techniques qui permettent aux utilisateurs de gagner du temps et d'être plus efficaces. Enfin, nous sommes en train de discuter de mesures d'exception pour fluidifier le circuit des paiements, notamment au ministère de la Défense, afin d'achever le rattrapage. Tous les ministères qui ont du retard – ce qui n'est le cas ni du ministère de l'Intérieur, ni de ceux de la Justice ou de l'Éducation nationale – indiquent qu'ils l'auront résorbé à la fin du mois de septembre. Aujourd'hui, il l'est à 80 %.

Notre objectif est bien de terminer la bascule de tous les programmes de dépense au 1er janvier 2011, et nous avons tenu compte de la V4 pour la préparer dans les meilleures conditions. La vague 5, qui couvre moins de 2 000 utilisateurs, devrait avoir lieu en juillet et elle a reçu le feu vert des ministères concernés – Agriculture et pêche, Environnement, Intérieur et Culture – ce qui montre qu'ils savent qu'en gestion, Chorus fonctionne.

Pour sécuriser la vague 6, qui concernera 12 000 utilisateurs, les mesures suivantes ont été adoptées par le comité d'orientation stratégique.

Premièrement, il n'y aura pas de concomitance entre une nouvelle version du logiciel et la vague de déploiement. Le report de la fin de la trajectoire comptable nous exonère d'avoir à prendre ce risque supplémentaire.

Deuxièmement, les jalons qui ont été définis sont intangibles car les programmes qui doivent basculer ont eu le temps suffisant pour s'y préparer.

Troisièmement, s'agissant des droits des utilisateurs, de nouveaux principes ont été arrêtés et ils simplifient pratiquement par dix la charge de gestion et de mise à jour des habilitations. Le progrès est considérable.

Quatrièmement, pour la reprise, il a été décidé de privilégier la saisie directe de l'engagement juridique dans Chorus, plutôt que la saisie dans un outil de collecte en amont, ce qui est souvent beaucoup plus facile et permet d'acquérir plus vite de l'expérience.

Cinquièmement, de nouveaux cursus de perfectionnement de la gestion des marchés se mettent en place dans le cadre de la formation continue. De la sorte, les responsables auront davantage de compétences en début d'exercice.

Sixièmement, on a anticipé, pour la vague 6, la montée en compétence des supports ministériels, qui a été un peu trop tardive pour que ceux-ci soient réellement opérationnels à la fin du premier trimestre de 2010, même si 200 millions d'euros ont été consacrés à la formation et à l'accompagnement des utilisateurs.

Enfin, le choix a été fait dès le début de terminer par la comptabilité générale.

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