Consultez notre étude 2010 — 2011 sur les sanctions relatives à la présence des députés !

Mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes

Séance du 3 mars 2009 à 16h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • conjugale
  • couple
  • enquête
  • lesbienne
  • phénomène
  • psychologique
  • violence

La séance

Source

La mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a auditionné Mme Maryse Jaspard, maître de conférences à l'Institut de démographie de l'Université Paris I.

PermalienPhoto de Danielle Bousquet

Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Maryse Jaspard, socio-démographe, maître de conférences à l'Institut de démographie de l'Université Paris I et responsable de l'unité de recherche « Genre, démographie et sociétés » à l'Institut national d'études démographiques, auteure de nombreux ouvrages et articles portant sur les violences faites aux femmes, sujet dont elle est l'une des meilleures spécialistes françaises.

Vous avez notamment, Madame, assuré la direction scientifique de l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, l'Enveff. C'était la première étude d'ampleur portant sur toutes les formes de violences faites aux femmes. Elle a contribué à démontrer que les violences conjugales sont loin d'être un épiphénomène, puisque 10 % des femmes âgées de 18 à 59 ans vivant en couple en étaient victimes en 2000 ; la même année, 50 000 femmes avaient été violées. Nous vous entendrons avec grand intérêt nous présenter un état des lieux statistique et sociologique des violences faites aux femmes.

PermalienMaryse Jaspard

Il n'y a pas eu d'enquête de cette envergure depuis l'an 2000. Il en ressortait en effet qu'une femme sur dix était victime de violences physiques et sexuelles mais aussi psychologiques - je classerai à part les violences verbales. Cette proportion est d'autant plus considérable que l'on ne parle là que des femmes vivant en couple. De plus, la proportion de femmes victimes d'un cumul de violences – physiques, sexuelles et psychologiques – est de quelque 3%. Sur le plan statistique, c'est énorme, l'extrapolation à la population générale en fait prendre conscience. J'ajoute que les violences psychologiques ne sont pas moins graves que les coups, et que les femmes battues sont forcément victimes de cette autre forme de violence. L'important est de prendre la mesure des dégâts causés par le contrôle permanent, la pression psychologique incessante imposés à des femmes qui, aussi longtemps que leur conjoint n'en vient pas aux coups, n'ont pas toujours conscience de l'anormalité de ce qui leur est infligé, s'en jugent bien souvent responsables, et culpabilisent.

En 2000, les résultats de l'Enveff ont eu un fort impact, car la presse a décrit comme il le fallait les mécanismes et les conséquences des violences faites aux femmes. Puis, l'opinion publique s'est quelque peu endormie, jusqu'à la mort de Marie Trintignant, en 2003. Alors, les violences conjugales ont à nouveau fait la une des journaux, mais on a surtout parlé des décès sous les coups. Certes, 150 femmes meurent chaque année en France tuées par leur conjoint et ce chiffre est catastrophique, particulièrement si on le rapporte à ce qui se passe dans d'autres pays, mais je suis contre cette approche limitative. Focaliser l'attention sur les crimes de sang ne permet pas de prendre en compte l'ampleur du phénomène - le fait qu'un million de femmes vivent chaque jour dans la violence infligée par leurs conjoints.

En 2000, on en était au degré zéro pour la sensibilisation à ces questions. Depuis, des efforts manifestes de formation des médecins, des policiers et des gendarmes ont eu lieu, mais les moyens ne suffisent pas à former tous ceux qui devraient l'être, dans les services du ministère de la justice par exemple. Des progrès réels ont été accomplis, mais l'évolution est malheureusement assez lente, comme si la volonté d'agir n'avait pas été entièrement mise en oeuvre. Je le répète, chaque décès d'une femme sous les coups de son conjoint n'est qu'un très faible indicateur de l'étendue d'un phénomène que l'on cerne désormais, sans progresser pour autant.

En effet, une enquête récente menée auprès de très jeunes adolescentes – des élèves de la sixième à la troisième - a mis en évidence une proportion de violences extrêmement élevée. C'est très troublant, et très dur à supporter. Les stéréotypes masculins et féminins ne sont pas très marqués, mais le taux de violences déclarées est très élevé. Les indicateurs chiffrés permettant de mesurer l'évolution en ce domaine ne sont pas très nombreux. Certes, la place des femmes dans la société française n'est plus ce qu'elle était au XIXème siècle. Mais, alors que je pensais, optimiste, lorsque j'ai engagé ces recherches, que l'égalisation des droits des hommes et des femmes entraînerait l'éradication des violences faites aux femmes, mes illusions s'envolent. De plus, s'il est à présent admis, avec quelques réserves, que la violence conjugale existe dans tous les milieux, on sait aussi que le chômage est un facteur aggravant. La proportion de violences conjugales s'accroît quand la femme est au chômage, elle augmente quand l'homme est au chômage, et d'un cran supplémentaire si les deux membres du couple sont chômeurs. Le lien entre violence à l'encontre des femmes et relégation sociale est patent. On peut donc penser que, puisque la crise va s'approfondir, les femmes vont subir encore davantage de violences.

Je me garderai d'oublier la « violence de rue », une forme de harcèlement très répandue, qui tend, par des sarcasmes à connotation sexuelle, à empêcher les femmes de circuler librement. Ce type de violence à l'encontre des femmes prend aussi de l'ampleur, bien davantage que les crimes de sang, en diminution constante depuis des siècles et qui sont souvent perpétrés par des proches. Il est assez décourageant de constater, au travers des réponses faites par les jeunes filles à nos enquêtes les plus récentes, que l'évolution est faible et que la violence conjugale n'est qu'une des formes de violence auxquelles les femmes sont soumises.

Ainsi, le harcèlement sexuel au travail est toujours fort. De plus, une femme victime de violences conjugales subira plus souvent qu'un autre harcèlement au travail et violence de rue, car la vulnérabilité crée la vulnérabilité. Pour éviter que ne se cumulent différentes sortes de violences, il faut commencer par lutter contre la violence intrafamiliale.

À ce sujet, l'Enveff a montré que les femmes âgées de 18 à 59 ans sont peu victimes de violences intrafamiliales, hormis celles de leur conjoint, car elles ont rompu avec leur famille. Mais il ressort d'une enquête récente que le taux de violences intra-familiales à l'égard des jeunes filles est très élevé – et encore faut-il savoir que l'on a distingué violences graves et violences « moins graves », en bref que l'on n'a pas tenu compte des gifles mais plutôt des tabassages.

S'agissant de la mesure de l'évolution de la situation, on sait que l'Observatoire national de la délinquance conduit des enquêtes de victimation, mais comme elles portent peu sur les atteintes aux personnes, les chiffres qui en ressortent ne mesurent qu'une partie des violences conjugales. Selon ces enquêtes, les violences observées sont deux fois moins nombreuses que dans l'enquête Enveff. De plus, tout dépend de la manière dont les questions sont posées. Ces enquêtes de victimationqui permettent de mesurer des évolutions annuelles n'ont pas pour finalité de cerner les violences conjugales dans leur complexité ; elles mesurent des agressions et ne donnent qu'une image réduite du phénomène des violences conjugales, d'autant plus qu'elles ne peuvent cerner les violences psychologiques. Par ailleurs, il faut noter que dans toutes les enquêtes portant sur la population générale, les exclus sont très peu interrogés, ce qui fausse les réponses. Or, leur nombre augmentant, l'écart avec la réalité augmente aussi. Il en résulte que toute une partie des violences n'est pas cernée. À cela se cumulent d'autres formes de violences, dont la mise au chômage. Or, comme je l'ai indiqué, le chômage croissant ne fera qu'aggraver les violences conjugales.

Je signale que les enquêtes - analogues à l'enquête Enveff - menées en 1992-93 en Polynésie et à l'Île de la Réunion ont donné des résultats très différents. Les taux étaient si élevés en Polynésie, que les résultats de l'enquête n'ont pas été publiés dans le Territoire. Les jeunes femmes étaient particulièrement victimes de violences conjugales et de violences familiales, elles l'étaient d'autant plus qu'elles vivaient, en couple, sur le même terrain que leur famille ou celle de leur conjoint. Ce phénomène se retrouve à La Réunion, mais les taux de violences y sont beaucoup moins élevés. Le problème spécifique aux îles est que les femmes n'ont aucun moyen de fuir… Pourtant, en cas de violence extrême, les femmes ont besoin d'aide et de protection. La difficulté est grandement aggravée par l'absence d'autonomie économique, fréquente dans les départements et territoires où la moitié de la population est au chômage.

Les femmes tuées par leur conjoint sont le plus souvent celles qui ont voulu s'en séparer ; très souvent, elles sont assassinées après la séparation. Toutes les tranches d'âge sont touchées mais, en proportion plus importante, les femmes de la tranche d'âge 45-60 ans. Statistiquement, il apparaît que c'est lorsqu'une femme a subi pendant des années le contrôle, le dénigrement et les coups de son conjoint et qu'elle décide de partir que l'homme violent la tue, car il ne supporte pas d'en perdre le contrôle. Qu'on ne se leurre pas, il ne s'agit ni de passion ni de jalousie. Ce qui n'est pas admis, c'est l'autonomie des femmes. On observe d'ailleurs qu'au travail, les femmes les plus souvent harcelées sont les femmes seules, divorcées ou célibataires. Il est manifeste que, dans les esprits, une femme doit vivre en couple. J'ajoute que si le concubinage ne pose aucun problème à Paris, il n'en est pas encore de même en province (Mme Catherine Quéré proteste.). Je vous assure, Madame, que la tolérance à ce sujet est plus grande à Paris qu'en province, maintenant encore. La société continue de refuser l'autonomie de la femme.

On constate d'ailleurs que dans les pays tels, par exemple, le Mexique et la Russie (pour lesquels on dispose d'enquêtes sur le sujet) où les femmes sont moins libres qu'en France, celles qui sont le plus souvent victimes de violences, sont les femmes les plus indépendantes. Il y a une résistance masculine à l'autonomie des femmes, au point qu'en Allemagne et en Amérique du Nord, des mouvements d'hommes se sont créés, qui se sentent spoliés car leurs privilèges s'atténuent… Il faut tenir compte de ce phénomène lorsqu'on s'emploie à résorber la violence conjugale. Cela étant, rien ne sert de présenter tous les hommes comme des dominateurs et des violeurs. Il ne faut pas non plus nier que certains hommes sont eux-mêmes victimes de violences conjugales de la part de conjointes dominatrices et perverses, mais la proportion d'hommes victimes de leur femme est mineure au regard du nombre de femmes concernées. Par ailleurs, il faut garder à l'esprit que les hommes subissent beaucoup plus de violences que les femmes dans la sphère publique, en général.

J'en viens à la violence sexuelle au sein des couples. Il y a dix ans, lorsque nous évoquions le viol conjugal, on nous riait au nez et j'ai le souvenir précis d'un commissaire de police m'expliquant que cela n'existait pas. Pourtant, cela existe bel et bien, mais le viol conjugal continue de n'être pas vraiment admis. Je ne parle pas de relations sexuelles acceptées « pour faire plaisir » à l'autre, mais de rapports imposés par la force, le chantage affectif ou la menace. Dans leurs témoignages, les femmes concernées ne peuvent pas décrire ces viols, mais elles en sont profondément ébranlées. Permettez-moi de souligner à ce sujet qu'un texte de loi, aussi bon soit-il, ne suffit pas : encore faut-il que ceux qui sont chargés d'enregistrer les plaintes soient conscients que le viol conjugal existe, et qu'ils écoutent ce qu'on leur dit. Ce n'est pas le cas partout. De grands progrès ont eu lieu dans certains départements, mais dans d'autres, c'est le désert. Je le sais, car après avoir évoqué le sujet dans certaines émissions télévisées régionales, j'ai reçu chez moi des appels téléphoniques de femmes de ces régions m'expliquant qu'elles subissaient des viols et violences et qu'elles ne savaient vers qui se diriger pour obtenir de l'aide et un accueil. Dans certaines régions très privilégiées, des accueils ont été instaurés mais, assurément, tout ne va pas bien partout.

Je me rappelle aussi des échanges assez tendus avec certains procureurs au sujet des violences psychologiques. À ce sujet, on est complètement démuni, et un commissaire — très sensibilisé à ces questions et faisant partie du comité de pilotage Enveff — m'a demandé, et se demandait, comment enregistrer les violences psychologiques, puisqu'il s'agit uniquement de déclarations, sans que des preuves puissent être apportées de la réalité de ce qui est dit.

On a empilé les lois. Soit, mais si les moyens de protéger le conjoint victime de violences n'existent pas, ces textes ne servent à rien. Des moyens doivent être dégagés pour protéger réellement les femmes car, quand un meurtre est commis, c'est le plus souvent qu'une femme victime de violences conjugales a porté plainte contre son conjoint et que sa plainte n'a pas été suffisamment prise en considération. La solution consiste à sensibiliser au phénomène, sans le dramatiser en mettant l'accent uniquement sur les meurtres, mais en insistant sur la violence commise au quotidien. Je sais que cela n'est pas facile, et je conçois que cela ne soit pas très porteur sur le plan politique…

PermalienPhoto de Danielle Bousquet

Je vous remercie de nous avoir rappelé les conclusions de la très riche enquête Enveff, pour les besoins de laquelle vous avez été amenée à beaucoup vous déplacer en France. Avez-vous, à cette occasion, constaté des disparités régionales dans les violences faites aux femmes ? Si c'est le cas, entrevoyez-vous une explication ?

PermalienMaryse Jaspard

Il n'y a pas de disparités réelles mais de petites différences entre régions. En revanche, comme je vous l'ai dit, il y a des disparités certaines dans la prise en compte du phénomène et dans son traitement. Il n'y a pas de différences statistiquement significatives entre milieu urbain et milieu rural, mais les femmes qui vivent à la campagne sont parfois enclavées géographiquement et socialement. Le lieu de travail est un lieu d'échanges. Les femmes qui vivent à la campagne travaillent, bien sûr, mais elles sont souvent isolées, sans insertion sociale. Quelles solutions ont alors les femmes victimes de violences, s'il leur faut parcourir cent kilomètres pour trouver de l'aide ? En réalité, la distinction joue entre les familles désocialisées et les autres, entre les femmes isolées et les autres. À cet égard, une femme de notable peut se trouver tout à fait isolée dans sa belle maison, à la ville comme à la campagne, sans arriver à en sortir. Si elle n'arrive pas à dire ce qui lui arrive, elle est condamnée à vivre dans la violence toute sa vie – et ce n'est pas rare.

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

Vous m'êtes apparu à la fois très combative et un peu déçue de ce que l'enquête Enveff, qui aurait dû mobiliser toute la société, n'ait pas produit tous les effets que l'on aurait pu en attendre. Vous n'avez pas dit que la loi ne sert à rien, mais que si elle n'est pas accompagnée des moyens qui permettent sa mise en oeuvre et son évaluation, elle n'a pas grand sens. Cela étant dit, considérez-vous notre arsenal législatif à ce sujet suffisant ? La question qui taraude notre mission est celle de la définition de la violence psychologique, à partir de laquelle police et justice pourraient travailler plus efficacement. Pensez-vous qu'il y a matière à légiférer sur ce point ? De même, en matière de sexualité conjugale, on devine à vous entendre que la frontière entre le consenti et le forcé est très ténue et l'on comprend que la perversité psychologique gagne du terrain par le biais du viol. Que suggérez-vous à ce sujet ?

PermalienMaryse Jaspard

J'observe pour commencer qu'il n'y a pas d'éducation sexuelle à l'école.

PermalienPhoto de Danielle Bousquet

La loi y oblige pourtant, mais elle n'est pas faite, c'est exact.

PermalienMaryse Jaspard

C'est d'autant plus regrettable que l'éducation à la sexualité ne consiste pas seulement à expliquer l'usage du préservatif. Elle doit inclure un volet relatif à la relation à l'autre et à ce qu'est une relation amoureuse, dans le respect réciproque. Rien de tout cela n'existe. Comment, alors, faire prendre conscience et aux jeunes filles et aux jeunes hommes de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas ? Il y a bien les journaux féminins, mais cela ne suffit pas. Et il y aurait beaucoup à dire sur la presse pour adolescentes ! La loi existe, certes, mais dans la pratique, rien n'est fait. J'enseigne depuis une quarantaine d'années, et ce que j'entends parfois de mes étudiants me laisse pantoise : ils ne savent rien ! D'autre part, il est bien beau de rendre l'éducation sexuelle obligatoire, mais par qui doit-elle être faite ? Les enseignants n'y sont pas formés.

PermalienMaryse Jaspard

Le Planning familial joue un rôle majeur dans la lutte contre les violences conjugales, mais il ne peut tout faire. Encore une fois, tout dépend des modalités d'application de la loi. D'autre part, comment faire pour modifier les relations entre adultes ? Peut-on, par la loi, instituer des lieux de parole ?

PermalienPhoto de Bernard Lesterlin

Selon vous, la constatation de l'augmentation des violences faites aux femmes s'explique-t-elle par une parole féminine plus libre ou par l'efficacité renforcée des services de police et de justice ? D'autre part, les violences sont-elles imputables au genre ou aux relations dans le couple ?

Enfin, il me semble que s'agissant de la situation outre-mer et notamment en Polynésie, où j'ai vécu, votre passion l'a emporté. Le phénomène est réel, puisque 80 % des personnes incarcérées en Polynésie le sont pour des crimes sexuels, des violences faites aux femmes et des actes de pédophilie. Cependant, cette évolution traduit une évolution positive, qui est que la révélation de ces crimes est devenue possible. Auparavant, le silence prévalait, empêchant le constat d'un phénomène qui a, comme vous l'avez souligné, des racines culturelles. En résumé, l'insularité n'explique pas tout.

Certes, le fait que 3 % des femmes soient victimes de violences en France, c'est beaucoup trop, mais en Afghanistan, elles sont 100 % à les subir. L'aspect culturel est donc fondamental, et il faut éviter tout schématisme.

PermalienMaryse Jaspard

Si schématisme il y a, il me paraît plutôt être de votre côté. La seule chose que j'ai dite à propos des îles, c'est qu'il est difficile de s'en échapper pour une femme victime…

Sur le plan culturel, nous ne sommes pas en Afghanistan mais en France et ce qui doit être pris en compte, en France, dans l'appréhension des violences à l'encontre des femmes, c'est la socialisation des individus. L'enquête Enveff a montré que le groupe social le moins sujet aux violences conjugales est celui des catégories intermédiaires, dans lesquelles les deux conjoints travaillent et où ils exercent des professions assez ouvertes vers l'extérieur. Dans ce groupe spécifique, la proportion de violences commises à l'égard des femmes s'établit à 1 % environ. Chez les ouvriers, la proportion est plus forte, et elle l'est aussi dans les catégories dites supérieures, s'établissant à 2,5 %. Ces chiffres montrent que le phénomène ne relève pas d'une question culturelle mais de l'intégration et de l'acceptation de l'égalité entre les hommes et les femmes.

PermalienPhoto de Danielle Bousquet

Si je vous ai bien entendue, on constate un plus grand nombre de violences envers les femmes dans les catégories sociales supérieures. À votre avis, pourquoi ?

PermalienMaryse Jaspard

Je n'ai pas d'explications. On constate que, en métropole, la proportion des violences conjugales est à peu près la même chez les ouvriers et les cadres supérieurs, et que les femmes des classes intermédiaires sont plus préservées. En proportion, les catégories sociales les plus touchées sont les plus désocialisées.

Dans les DOM-TOM, les classes supérieures sont moins touchées, et les femmes actives jouissent d'une protection relative. Mais, je le répète, dans les îles, les femmes victimes de violences éprouvent les plus grandes difficultés à s'échapper et à devenir autonomes, en grande partie en raison de leur situation socio-économique.

Sur le plan statistique, police et justice enregistrent l'activité de leurs services et non l'évolution du phénomène.

On le constate partout, au niveau européen comme à l'échelle mondiale, les violences commises à l'encontre des femmes, c'est d'abord un effet de genre, c'est-à-dire un moyen de contrôle de la femme : la violence conjugale participe des violences commises contre les femmes. Les plus protégées sont les femmes actives travaillant à temps plein, mariées et qui ont des enfants – la conjugalité a encore de beaux jours…

Enfin, il faut distinguer soigneusement, dans la loi, violences conjugales et scènes de ménage. Si la dispute est un phénomène assez lié à la classe sociale, en ce qu'elle se produit davantage dans les catégories sociales les moins favorisées, la violence conjugale se rencontre dans tous les milieux sociaux. C'est une volonté d'anéantissement de l'autre pour asseoir son emprise sur lui. Il faut éviter de faire des amalgames entre violence et conflit : le conflit est interactif, la violence est univoque.

PermalienPhoto de Catherine Quéré

Nous sommes tous d'accord, ici, pour distinguer conflits et violences conjugales. Je souhaite revenir sur l'une de vos affirmations, selon laquelle les hommes sont plus souvent l'objet de violences dans les lieux publics que ne le sont les femmes. Vous ai-je bien comprise ?

PermalienMaryse Jaspard

C'est un fait : les hommes sont les premières victimes de violences dans tous les lieux publics. Les enquêtes annuelles de victimation de l'InseeOND le montrent.

PermalienPhoto de Catherine Quéré

Existe-t-il un moyen de recenser les violences psychologiques, alors même que celles qui en sont les victimes n'en sont pas toujours conscientes ? D'autre part, comment en apporter la preuve ? Nous nous sentons fort démunis.

PermalienMaryse Jaspard

Le questionnaire qui a servi à réaliser l'enquête Enveff comprenait un module de 21 questions relatives au dénigrement, dévalorisation, contrôle, jalousie, et chantage affectif. Nous avons ainsi mis au point des indicateurs qui constituent un outil utile pour cerner la violence psychologique. Je sais que les services de police ont, depuis, recruté des psychologues, qui pourront perfectionner des outils de ce type pour cerner le phénomène plus sûrement encore.

PermalienPhoto de Henri Jibrayel

Comment faire pour protéger les femmes victimes d'humiliations répétées qui finissent par mettre à mal leur capacité de résistance, et que le conjoint finit par frapper ?

PermalienPhoto de Henri Jibrayel

Mme Jaspard a mis l'accent sur les disparités régionales du traitement des plaintes et de l'accueil des femmes violentées. Le pouvoir a-t-il donné tous les moyens d'agir ?

PermalienMaryse Jaspard

L'essentiel est que les femmes puissent parler et ce n'est pas la loi qui le permettra. Il faut privilégier la prévention et donc la sensibilisation, sans focaliser l'attention sur les meurtres. Les campagnes sporadiques n'atteignent pas grand monde. En 1968, nous avions institué des groupes de parole. C'est une pratique à l'utilité certaine. À l'époque, on y traitait de la sexualité dans le couple, de la contraception, de l'IVG… Contrairement à ce que l'on a parfois tenté de faire croire, le MLF n'était pas un petit groupe d'intellectuelles parisiennes mais un mouvement social d'envergure, et son action a porté des fruits. Peut-être faut-il favoriser l'émergence de nouveaux lieux de parole autres que les associations. Je suis favorable à la prise en charge des femmes par elles-mêmes. Il faut créer des lieux d'expression, car tout le problème des femmes victimes de violences psychologiques est de parvenir à dire ce qu'elles subissent, et leur entourage immédiat n'est pas toujours très réceptif.

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

Ne peut-on penser que si la loi caractérise un acte comme étant illégal, cela aidera à la prise de parole ? Je me rappelle le combat qu'il a fallu mener pour faire admettre la réalité du viol conjugal ; pourtant, l'utilité de cette mention dans la loi n'est plus contestée. De même, il est bon d'avoir complété l'article 212 du code civil pour spécifier que les époux se doivent mutuellement respect. Bien sûr, la loi ne peut pas tout, mais elle forme le cadre à partir duquel la parole peut se libérer.

PermalienMaryse Jaspard

Certes, mais comment faire pour que la loi soit connue ?

PermalienPhoto de Monique Boulestin

Bien des progrès sont encore à faire… Des infirmières de CHU m'ont ainsi parlé de maris qui prétendent venir honorer leur épouse à l'hôpital le soir même de leur accouchement… Or, elles ne disposent d'aucun texte pour dénoncer ce type de pratiques.

PermalienPhoto de Danielle Bousquet

On voit bien qu'il faudra parvenir à caractériser les violences psychologiques. Je vous remercie vivement, Madame Jaspard, de nous avoir éclairés et d'avoir rappelé qu'en l'absence de nouvelle enquête Enveff, les statistiques relevées depuis 2000 mesurent l'activité des services de police et de justice.

La mission aensuite auditionné Mmes Maya Surduts, porte-parole, Suzy Rojtman, porte parole, Isabelle Thieuleux, Jocelyne Fildard, membres du Collectif national pour le droit des femmes.

PermalienPhoto de Danielle Bousquet

Nous accueillons à présent le Collectif national pour le droit des femmes, sa porte-parole Mme Maya Surduts, ainsi que Mmes Suzy Rojtman, Isabelle Thieleux et Jocelyne Fildard qui en sont membres.

Le collectif est à l'origine d'une proposition de loi-cadre, s'inspirant de la loi espagnole, qui a été déposée sur le bureau de notre assemblée le 20 décembre 2007 par Mme Marie-George Buffet. Ce texte formule plusieurs propositions, en particulier la sanction des violences psychologiques, la création de tribunaux spéciaux chargés des violences envers les femmes inspirés de l'exemple espagnol et la création d'une ordonnance de protection des victimes.

PermalienMaya Surduts, porte-parole du Collectif national pour le droit des femmes

Le Collectif national pour le droit des femmes, qui est composé de représentants des partis de gauche et d'extrême gauche, ainsi que de syndicats et de nombreuses associations, a été créé dans le sillage du mouvement social de 1995, après une manifestation organisée par la Coordination des associations pour le droit à la contraception et à l'avortement (CADAC). Notre collectif couvre l'ensemble des préoccupations des femmes. C'est la CADAC qui assure l'activité sur le droit des femmes à disposer de leur corps, pour la défense duquel il travaille en partenariat avec le Mouvement français pour le planning familial (MFPF) et l'Association nationale des centres d'IVG et de contraception (ANCIC). Le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) intervient tout particulièrement contre les violences faites aux femmes comme l'atteste la proposition de loi cadre. Cette question a pris un tournant nouveau avec l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, l'ENVEFF, réalisée en 2000, et qui a sensibilisé la société. Suzy Rojtman et moi avons été à l'origine du Collectif féministe contre le viol créé en 1985 et nous avons, se faisant, contribué à rendre possible cette enquête.

Depuis quelques années, nous constatons que les rapports de domination hommes-femmes évoluent peu. Comment se fait-il que la France, qui se distingue par bien des aspects positifs, ait tant de difficultés à reconnaître la place des femmes dans les sphères du pouvoir et à dénoncer les rapports sociaux de sexes? Il est, en effet, grand temps de passer à la vitesse supérieure et de sensibiliser la société aux violences subies par les femmes, qui ont pourtant acquis (…......) une place et une reconnaissance dans la société. Toutes les lois votées pour favoriser les droits des femmes ont été le produit de luttes, mais leur application continue à poser problème. S'agissant du droit des femmes à disposer de leur corps, il continue de se heurter à une tradition « familialiste » comme le révèlent la politique familiale, le quotient familial, et le fait que la France occupe le premier rang en termes de fécondité au niveau européen. Paradoxalement, le taux d'activité de la population féminine française est, lui aussi, parmi les plus élevés d'Europe.

Les dispositions prises en avril 2006 en matière de lutte contre les violences allaient dans le bon sens mais elles n'ont pas permis le saut qualitatif dont nous avons besoin.

PermalienSuzy Rojtman, porte parole

La rédaction de cette proposition de loi répond à l'une de nos préoccupations majeures depuis les années soixante-dix, à savoir les violences faites aux femmes. Malgré le corpus législatif, largement voté grâce aux féministes, la situation nous semble avoir progressé insuffisamment, et même, à certains égards, régressé. En 2004, les Cortes ont voté à l'unanimité une loi organique contre la violence de genre et nous nous sommes demandé pourquoi ne pas en faire autant.

Le Collectif ayant une expérience très concrète des violences subies par les femmes, il lui a semblé qu'il était temps qu'une loi globale et cohérente soit votée. Trente ans après le début de la lutte contre les violences faite aux femmes, les résultats sont insuffisants et l'État doit donner une impulsion nouvelle. Il faut s'attaquer à toutes les formes de violences, dans tous les domaines : éducatif, publicitaire, professionnel, sanitaire et social, en matière de droit d'asile comme dans le traitement des personnes prostituées et des victimes de l'esclavage moderne. Les guides de bonnes pratiques et la mutualisation des expériences intéressantes ne sont pas assez suffisants.

Le corpus législatif est exclusivement répressif, ou presque. Comme il est d'application difficile, il en devient inefficace. Comment, en effet, éradiquer les violences faites aux femmes sans insister sur la prévention, la formation des personnels, l'aide et le soutien, l'hébergement ? On ne peut pas rester tributaire des bonnes volontés locales. Il faut une loi globale et cohérente, qui s'appuie sur du concret.

Sur la question des violences psychologiques, les opinions au sein des pouvoirs publics divergent quant à la possibilité de les définir. Le relais de Sénart pourrait apporter une contribution utile parce qu'il a travaillé sur le délit spécifique de violence conjugale. Nous avons été prises par le temps pour rédiger la partie de la proposition de loi qui concerne les violences psychologiques, si bien que nous avons utilisé la définition du harcèlement moral mais ce n'est pas très satisfaisant. Il faut réprimer les violences psychologiques en tant que telles. La version initiale de la proposition de loi de 2006 les prévoyait expressément.

Quant à la création de juridictions spécialisées, nous ne proposons pas de tribunaux d'exception. Ces tribunaux respecteront la totalité des droits de la défense ! Le juge à qui sera confié le dossier instruira à charge et à décharge.

Pourquoi créer de telles juridictions ? Tout d'abord, parce qu'il manque une articulation entre droit civil et droit pénal. Ensuite, parce que les tribunaux sont débordés. On nous reproche de vouloir faire de la justice de genre mais il n'y a pas d'autre solution quand on sait qu'il existe des biais dans le droit et la justice ordinaires. Ainsi, le code civil a longtemps consacré l'infériorité des femmes et les tribunaux pénaux condamnaient pour adultère davantage les femmes que les hommes. Qu'il s'agisse d'une mesure transitoire ou pas, le retard est énorme. Les procureurs, débordés, sont tentés par le classement sans suite d'affaires toujours délicates. En outre, les magistrats et l'ensemble des personnels devraient être formés à accueillir les femmes victimes ; mais ces magistrats là seraient encore plus spécialement formés.

Enfin, l'ordonnance de protection reprend en partie des dispositions qui existent déjà. Nous travaillons autour de la prévention, pour que les décès à la suite de violences conjugales ne défraient plus la chronique. Il est fondamental de mettre en avant des mesures fortes, visibles et lisibles pour mieux protéger les femmes.

PermalienIsabelle Thieuleux

Le contentieux, tous types de violence confondus – violence au travail, viol, agressions sexuelles,… – est énorme, mais il n'est qu'une infime partie de ce qui est vécu. La surcharge des tribunaux n'explique qu'en partie le nombre si élevé de classements sans suite des plaintes qui sont déposées. Cette situation justifie la création de juridictions composées de magistrats spécialisés ayant une vision globale et connaissant les techniques d'investigation qui sont particulières : en effet, les plaintes sont tardives, et les faits étant commis en l'absence de témoins directs, il est crucial de savoir recueillir des témoignages et mener des auditions de façon pertinente.

De plus, cette solution permettrait de surmonter l'éternelle difficulté de l'articulation entre civil et pénal. La transmission d'un juge à un autre ne permet pas de répondre aux situations d'urgence et la situation actuelle met souvent les femmes en danger lors de la remise des enfants dans le cadre de l'exercice du droit de visite ou d'hébergement.

Une juridiction spécialisée, même à titre temporaire, semble la réponse adaptée à la prise en charge globale d'un type de violence particulière.

PermalienJocelyne Fildard

Il est une frange de la population féminine dont on parle très peu et que la proposition de loi contribue à rendre visible en mettant l'accent sur les violences qu'elles subissent, ce sont les lesbiennes. Ainsi, l'ENVEFF ne les identifie et ne les prend pas en compte en tant que telles. Or la lesbienne est une femme comme une autre. On leur dit souvent d'aller militer avec les gays plutôt qu'avec les féministes. C'est une grossière erreur qui nous renvoie en quelque sorte à la domination des hommes en ne nous reconnaissant pas en tant que femmes. Ainsi, lors de la dernière journée IDAHO, contre l'homophobie, quelques associations dont la Coordination lesbienne en France (dont je fais partie) ont été conviées par Mme la secrétaire d'État aux droits de l'homme, un gay , a déclaré, lors de cette réunion de travail qu'il fallait faire de la lesbophobie (violences que vivent les lesbiennes) une « sous-catégorie » de l'homophobie ! Le fait de faire prendre en compte les violences que vivent les lesbiennes avec celles que vivent les gays ne nous rend visibles que par le prisme de notre sexualité et ne nous reconnaît pas en tant que femmes à part entière : Or nous subissons des violences en tant que femmes.

Il n'existe aucune étude officielle sur ce sujet spécifique. Seule existe une enquête menée par la commission lesbophobie de SOS homophobie. Sur les 1 793 lesbiennes qui ont répondu, 45 % subissaient des violences physiques ou psychologiques dans leur vie quotidienne, 44 % dans leur famille, 24 % au travail, 24 % de la part de leurs amis et 18 % de la part du voisinage....Les violences d'ordre psychologique, qui ne sont pas passibles de sanctions pénales, allaient de l'incompréhension, à la mise à l'écart, à la diffamation. Les conséquences sont graves ; elles se traduisaient par des épisodes dépressifs, pour 19 % d'entre elles, des angoisses pour 13 % d'entre elles et 11 % de ces femmes ont dû recourir à un soutien psychologique. Les violences subies par les lesbiennes font bien partie des violences faites aux femmes. J'ai accompagné une lesbienne qui a vécu un viol punitif. La Coordination lesbienne en France s'est portée partie civile et l'avocate de la victime m'a déclaré : « Si la victime avait eu un chien, la SPA aurait pu porter plainte ? » Si ces violences spécifiques avaient été nommées en tant que telles dans un texte législatif, cette avocate aurait peut-être eu un autre regard et ne se serait pas permis une telle réflexion indignante ! Ça suffit ! Et je vous demande comment vos travaux prendront en compte le cas particulier des lesbiennes ?

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

Je voudrais d'abord revenir sur un point. J'avoue ne pas avoir d'opinion définitive sur l'opportunité d'une juridiction spécialisée. Son instauration suffirait-elle à régler les questions pendantes, d'autant qu'un point de votre argumentation me paraît fragile : celui des enfants. Il n'y a pas de mari violent qui soit un bon père de famille, nous en avons conscience. Mais, en toute humilité, je n'ai pas le sentiment qu'une juridiction spécialisée ciblée sur les violences faites aux femmes permettrait de faire la jonction entre droit civil et droit pénal. Les parquets sont aujourd'hui une sorte de tour de contrôle. Alors, une juridiction telle que vous la prévoyez ne risquerait-elle pas au contraire de perturber l'action de la justice pour protéger les enfants ?

PermalienPhoto de Bernard Lesterlin

Je partage les interrogations du rapporteur. Ce n'est pas parce que les parquets sont débordés qu'il faut les court-circuiter. Ce sont les moyens globaux – budgets, formation, expertise, effectifs,… – qui font défaut, pas le droit.

PermalienPhoto de Marie-George Buffet

Les associations de terrain nous ont signalé les difficultés à protéger les femmes accompagnées d'enfants car les maris violents ont toujours un droit de visite. Par ailleurs, au tribunal, les affaires de violences faites aux femmes sont traitées en même temps que d'autres cas d'agression, ce qui ne leur permet pas de prendre en compte l'aspect psychologique. Il faudrait une approche différenciée.

PermalienMaya Surduts, porte-parole du Collectif national pour le droit des femmes

Assurément car il existe toujours la tentation de renvoyer ce type de violence à la sphère privée et de vouloir y remédier grâce à une aide psychologique. Or le problème n'est pas là. Il faut envisager ces situations dans le cadre général des rapports de domination que subissent les femmes. La violence qui s'exerce sur les femmes est un moyen de contrôle social.

Indéniablement, le traitement simultané des violences faites aux femmes et aux enfants est difficile. En tout état de cause, un enfant qui assiste à des violences exercées sur sa mère est en danger. Il est une victime passive et il perçoit, à défaut de comprendre, la volonté de destruction qui s'exerce.

PermalienSuzy Rojtman, porte parole

Je ne comprends pas votre objection à propos des enfants, monsieur le rapporteur. Nous nous sommes toujours préoccupées des enfants et c'est grâce aux féministes du Collectif féministe contre le viol, qui a soulevé la question du viol incestueux, que l'opinion publique en a ensuite pris conscience. Si nous avions pu rédiger une proposition de loi unique contre les violences faites aux femmes et aux enfants, nous l'aurions fait, mais la spécificité du droit des mineurs ne l'a pas permis. Cela étant, notre proposition est un tout et les enfants sont concernés par le chapitre sur l'éducation qui figure parmi nos préoccupations majeures.

Le tribunal de la violence à l'encontre des femmes, je vous renvoie à l'article 108, aura « compétence en matière civile pour traiter des affaires suivantes : a)- filiation ; b)- nullité de mariage, de séparation ou de divorce ; c)- celles qui traitent des relations entre parents et enfants ; d)- celles qui ont pour objet l'adoption ; e)- celles qui traitent exclusivement de la garde des enfants mineurs et des pensions alimentaires réclamées » en cas de violence.

Dans un autre article, nous demandons la suppression de la garde alternée en cas de violences au sein du couple ou sur les enfants, et même la suspension provisoire de l'autorité parentale dans l'ordonnance de protection. On ne peut guère nous reprocher de ne pas nous préoccuper des enfants.

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

Je continue à m'interroger sur ce que ce tribunal particulier apporterait de plus par rapport au cadre actuel, s'il fonctionnait réellement, en particulier dans la lutte contre la violence aux enfants.

PermalienSuzy Rojtman, porte parole

Tout est dans ce « si ». Ça ne fonctionne pas. Les féministes ont commencé à se préoccuper des violences faites aux femmes dans les années soixante-dix, et nous sommes en 2009. Comment obtenir des résultats ? C'est précisément le but de cette proposition. L'État doit prendre ses responsabilités car les guides de bonne conduite ne suffisent pas.

PermalienPhoto de Danielle Bousquet

Je m'interroge aussi sur ces tribunaux qui auraient au moins le mérite de régler un problème central, celui de la protection civile de la femme qui a porté plainte pour violence, et de ses enfants. La suspension de l'autorité parentale du parent violent est vraiment une idée à retenir.

PermalienPhoto de Catherine Quéré

L'exception que constitueraient ces tribunaux, au lieu de les stigmatiser, ne serait-elle pas plutôt un atout en révélant à la société la gravité et la spécificité des délits qu'ils sanctionneraient ?

PermalienPhoto de Marie-George Buffet

Attention au sens des mots ! Il faut parler de juridiction spécialisée. Trois points me tiennent à coeur : le lien entre civil et pénal, le caractère particulier de ces violences et la formation spécifique que leur traitement mérite. Or former tout le monde dans un cadre général est peut-être moins réaliste que se limiter à ceux qui seraient nommés dans ces juridictions.

PermalienPhoto de Pascale Crozon

Je m'interroge sur le risque de marginalisation de juridictions spécialisées en faisant un parallèle avec l'application de la loi sur l'IVG. Tant que les militants étaient dans les hôpitaux, les choses se passaient plutôt bien, mais les centres d'orthogénie ont été progressivement mis à l'écart et les médecins qui y travaillent sont très isolés. C'est la raison pour laquelle je suis réticente même si j'admets que les magistrats ne pourront pas tous être formés. La spécialisation apporterait sans doute un mieux, mais peut-être pour peu de temps.

PermalienPhoto de Bernard Lesterlin

En tant que législateurs, notre préoccupation, en l'espèce, est de parvenir à faire réprimer la violence contre les femmes comme les autres formes de délinquance. Dès lors, la démarche qui consiste à créer des tribunaux spécifiques n'est pas forcément la meilleure.

PermalienPhoto de Bernard Lesterlin

Notre objectif est le même. En tout état de cause, il faut travailler à l'efficacité du dispositif existant. S'agissant en particulier de l'articulation entre civil et pénal, il arrive que des juges soient compétents dans les deux domaines : ceux qui traitent les accidents de la route, les juges des enfants. L'amélioration ne passe pas forcément par une juridiction spécialisée.

PermalienPhoto de Martine Billard

La justice des mineurs, par exemple, est spécialisée. Elle existe pour mieux protéger l'enfance et elle englobe le civil et le pénal. Est-elle pour autant marginalisée ? Bien que cosignataire de la proposition de loi, j'étais très hésitante sur la question des tribunaux spécialisés. L'idée de pôles spécialisés était une possibilité, mais les pôles santé par exemple ne fonctionnent pas très bien, et ils peuvent être dissous à tout moment. Il en va des tribunaux spécialisés dans la violence à l'encontre des femmes comme des quotas : ce n'est pas agréable, mais il faut en passer par là. Ce serait aussi le moyen de changer d'époque. Les témoignages font état d'expériences très intéressantes, mais très aléatoires. Si un individu se bat, les choses bougent, et la prise en charge progresse, mais il suffit qu'il parte pour que tout s'arrête. La juridiction spécialisée peut être une étape temporaire.

PermalienMaya Surduts, porte-parole du Collectif national pour le droit des femmes

Militante depuis trente ans, je considère l'IVG comme une conquête inachevée car le droit à l'avortement a eu du mal à entrer dans les faits en raison des résistances rencontrées dans l'hôpital même. En même temps, les centres d'orthogénie ont eu un rôle positif, celui de contester l'approche de la médecine traditionnelle, en ne considérant pas les femmes comme des malades, et en organisant une prise en charge très collective. En fait, s'il n'y a pas eu de relève dans les hôpitaux, ce n'est pas tant à cause d'une marginalisation de cette activité que du départ de ceux qui pratiquent les IVG et qui étaient souvent d'anciens militants.

Par ailleurs, la T2A attribue à l'IVG chirurgicale un forfait dérisoire, d'un montant de 200 euros. Nous nous sommes battues pour qu'il soit porté à 600 euros au niveau d'une fausse couche. Mais nous n'avons obtenu que 20 % d'augmentation !

PermalienPhoto de Pascale Crozon

Une telle disparité favorise l'hypocrisie qui consiste à faire passer les IVG pour des fausses couches !

PermalienMaya Surduts, porte-parole du Collectif national pour le droit des femmes

On en revient toujours au même problème : les rapports de domination entre hommes et femmes sont complexes car ils touchent au plus intime de chacun. Ils sont à la source des difficultés que l'on a à faire reconnaître les violences, pourtant indignes d'une société démocratique avancée.

PermalienSuzy Rojtman, porte parole

Bien sûr, il faut donner davantage de moyens au parquet. Mais comment ? Notre proposition a au moins le mérite d'être concrète. Par sa globalité, elle changerait entièrement la perception des violences à l'encontre des femmes. Les tribunaux pourraient toujours être dissous ensuite, si la situation a bien progressé. En outre, la justice n'est pas seule en cause, il y a aussi la santé, l'éducation, la police…

PermalienIsabelle Thieleux

Loin de stigmatiser les femmes, des tribunaux spécialisés les mettraient en confiance, elles qui ont peur de ne pas être crues et qui doivent souvent porter le poids de la procédure. Il faut en passer par là, même provisoirement.

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

Un maillon risque de manquer dans ce dispositif: le parquet, qui serait mis à l'écart dans le cadre d'une procédure pénale. Ne vaudrait-il pas mieux, comme pour les mineurs, spécialiser le parquet qui est, après tout, le défenseur des droits individuels ? Ce ne serait d'ailleurs pas incompatible avec votre proposition de spécialiser une juridiction.

PermalienPhoto de Henri Jibrayel

On ne peut pas rester insensible aux propos de Mme Fildard, qui expriment une amertume légitime. Dans les cérémonies officielles à la mémoire des victimes de la barbarie nazie, il faut attendre la fin pour qu'un groupe d'homosexuels ait l'occasion de rappeler qu'ils ont été pourchassés eux aussi. Qu'attendez-vous de nous ? Dans quels domaines ?

PermalienPhoto de Martine Billard

En effet, à Paris, nous avons réussi de haute lutte à obtenir que toutes les associations participent à la cérémonie nationale.

PermalienJocelyne Fildard

Dans la vie quotidienne, les lesbiennes subissent une violence systémique, comme toutes les autres femmes, manifestation de la domination masculine. Aucune étude n'a été menée sur les lesbiennes dans les camps de concentration. Les gays portaient un triangle rose, et les lesbiennes le triangle noir des asociaux.

Les lesbiennes subissent des violences spécifiques parce qu'elles ne jouent pas le rôle que la société attend des femmes, qu'elles refusent leur corps aux hommes. La victime du viol collectif et punitif dont j'ai parlé a été agressée et violée par un groupe d'hommes parce qu'elle aimait les femmes lui -a-t-on dit ; ils lui ont cassé des côtes et l'ont violée pour se réapproprier son corps. Les lesbiennes subissent en quelque sorte une double peine : en tant que femmes et en tant qu'homosexuelles.

PermalienSuzy Rojtman, porte parole

Comme votre mission d'évaluation, notre proposition de loi s'attaque à toutes les violences faites aux femmes, y compris à la prostitution vis-à-vis de laquelle nous avons des positions abolitionnistes, à la lesbophobie ou au mariage forcé.

PermalienPhoto de Pascale Crozon

Ce ne sont donc pas les violences au sein des couples homosexuels dont vous parlez, mais des phénomènes de violences touchant ces femmes, en général. Cela va plus loin que l'approche centrée sur les violences conjugales.

PermalienPhoto de Martine Billard

C'est un point important. Au départ, notre mission devait évaluer la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes parce que femmes, lesbiennes comprises. Les violences au sein des couples homosexuels n'entrent pas, en tant que telles, dans le champ de la mission.

PermalienPhoto de Henri Jibrayel

Comment prendre en compte le cas des lesbiennes ?

PermalienPhoto de Catherine Coutelle

Je suis troublée aussi parce que, jusqu'ici, les auditions auxquelles j'ai assisté ne traitaient que des violences au sein du couple.

PermalienPhoto de Martine Martinel

Mme Fildard revendique d'être traitée en tant que femme ; la violence au sein des couples homosexuels me semble dépasser le cadre de nos travaux.

PermalienSuzy Rojtman, porte parole

La présence de Jocelyne Fildard aura eu le mérite de lever un lièvre. Il est vrai que la loi espagnole entretient l'ambiguïté quand à son champ précis : violences conjugales ou violences faites aux femmes et je ne ferai pas l'injure au législateur espagnol de penser qu'il ne l'a pas fait exprès.

Nous avons pris le parti de nous attaquer dans la proposition de loi à l'ensemble des violences en nous appuyant sur la déclaration de l'ONU de 1993 sur les violences faites aux femmes, à l'exception de la prostitution. L'ONU parle de prostitution « forcée ». Or, pour nous, c'est un pléonasme. C'est une tendance profonde en France que de ne s'occuper que des violences conjugales. Pourtant, les violences subies en dehors du couple peuvent provoquer les mêmes conséquences. Traiter les violences comme un tout est déterminant.

PermalienPhoto de Bernard Lesterlin

Il est un dénominateur commun entre votre approche et nos travaux, c'est la problématique de la violence liée au genre, à la distinction des sexes. Nous essayons de trouver des solutions juridiques pour régler la question de la discrimination entre les hommes et les femmes où qu'elle se manifeste, indépendamment de leur choix de vie. Les gays sont aussi exposés dans la mesure où ils ne respectent pas le jeu social convenu. Notre mission pourrait faire une synthèse des arsenaux juridiques pour lutter contre toutes les formes de violence liées au genre, sachant que nos principes fondamentaux sont l'égalité et le respect mutuel.

PermalienPhoto de Danielle Bousquet

Notre analyse de départ se fonde indiscutablement sur la problématique de genre, de domination, mais nous avons implicitement restreint le champ de notre réflexion. Cela étant, je me demande si nous pourrons l'étendre tous azimuts.

PermalienSuzy Rojtman, porte parole

Je ne suis pas sûre que ce sera beaucoup plus compliqué. La domination masculine est un fil rouge conducteur.

PermalienPhoto de Guy Geoffroy

J'abonde dans le sens de notre présidente. Les violences intrafamiliales sont un fil conducteur qui nous conduira à élargir la question à la problématique du genre, mais il n'y a pas de contradiction entre les deux. Il s'agit de s'interroger sur l'incapacité de la société française à donner aux femmes la place qui leur revient, à partir du cas des femmes victimes de violences au sein de leur couple. Votre approche ne me semble pas fondamentalement remettre en cause notre réflexion.

PermalienPhoto de Danielle Bousquet

Nous consacrerons aussi une partie de nos travaux à l'éducation non sexiste.

PermalienJocelyne Fildard

Et non lesbophobe !

PermalienPhoto de Danielle Bousquet

C'est la même bataille, celle pour l'égalité des sexes.

PermalienJocelyne Fildard

Certes, mais ce serait une façon de rendre les lesbiennes visibles dans une société qui leur fait peu de place.

PermalienPhoto de Danielle Bousquet

Nous espérons vous avoir rassurées, et nous vous remercions toutes les quatre pour votre contribution particulièrement riche. À bientôt.