COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE ET COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES
Mercredi 8 octobre 2008
Présidence commune de M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission, et de M. Christian Kert, vice-président de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales puis de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales
Audition commune, ouverte à la presse, de M. Bernard Laporte, secrétaire d'État chargé des sports, de la jeunesse et de la vie associative, sur la lutte contre la violence dans les stades.
La séance est ouverte à seize heures trente
Au nom de MM. Jean-Luc Warsmann et Pierre Méhaignerie, je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État chargé des sports, de la jeunesse et de la vie associative, d'avoir accepté notre invitation afin d'évoquer la question de la violence dans les stades, sujet dont l'actualité ne se dément hélas pas.
Il s'agit en effet d'un sujet préoccupant sur lequel, avec Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, nous sommes très vigilants, en particulier dans le cadre de la préparation de la nouvelle loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.
Je suis persuadé que la compétitivité des clubs, sujet sur lequel M. Éric Besson, secrétaire d'État chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique, a rédigé un rapport qui sera présenté le 5 novembre prochain, est entravée par l'atmosphère délétère qui règne sur les terrains de football en particulier. C'est parce que la situation des arbitres est également délicate que nous avons organisé les états généraux de l'arbitrage : dans le sport amateur, trop d'arbitres sont en effet agressés verbalement ou physiquement par des dirigeants, des jeunes, des entraîneurs ou des parents. L'observatoire des comportements que la Fédération française de football a créé permet également, quant à lui, de mieux cerner les différents problèmes qui se posent ; il devrait être à mon sens étendu à l'ensemble des disciplines sportives. C'est collectivement que nous parviendrons à éradiquer la violence !
Enfin, il est ahurissant que des personnes administrativement interdites de stade puissent s'y rendre impunément, les clubs et la Ligue de football ne disposant pas de leurs noms.
Je précise, avec M. Pierre Méhaignerie, que l'ensemble de la représentation nationale est bien entendu intéressée par le bilan que vous tirez de l'application de la loi du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives. La commission des lois a quant à elle déjà dressé un premier état des lieux en novembre 2007, mais qu'en est-il précisément aujourd'hui, deux ans après son entrée en vigueur ? Les procédures de dissolution des associations de supporters violents ou racistes et d'interdiction de stade sont-elles utilisées, et avec quels résultats ? Comment, par ailleurs, apprécier l'activité de la Commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives ?
Au début de l'année 2008, le gouvernement a proposé un ensemble de mesures visant à lutter contre la violence dans le sport à travers la répression, certes, mais également par la prévention. Il a notamment été question de généraliser l'« espace-réparation » expérimenté dans le Var depuis quatre ans et qui tend à soumettre les personnes reconnues coupables de violences à des travaux d'intérêt général. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Quid de l'équilibre entre prévention et répression ?
Enfin, comment envisagez-vous, plus généralement, de remédier aux actes de violence commis dans le cadre du sport amateur ?
En 2007 et 2008, seulement 305 personnes ont été administrativement interdites de stade ; le nombre de celles qui sont sous le coup d'une interdiction judiciaire s'est quant à lui élevé à 106. Cela représente 411 personnes au total, quand on en dénombre 2 000 en Angleterre. L'interdiction administrative devrait en fait être prononcée dès la commission du premier fait grave. Alors que le préfet temporisait pour sanctionner le spectateur coupable d'avoir injurié Abdeslam Ouaddou lors du match qui opposa Metz à Valenciennes, j'ai ainsi demandé que la sanction soit d'effet immédiat.
En outre, nous avons proposé de rallonger la durée de l'interdiction administrative en la portant de six mois à un an – même s'il faut avant tout appliquer les lois déjà existantes, ce qui est loin d'être toujours le cas.
Enfin, l'arme de la dissolution doit être utilisée, le cas échéant, comme nous l'avons fait avec le club de supporters des « Boulogne Boys » et en veillant à ce qu'aucune autre structure ne soit immédiatement recréée en substitution.
L'« espace-réparation », quant à lui, a donné de très bons résultats dans le Var et il doit être appliqué sur l'ensemble du territoire, dans toutes les disciplines.
Je le répète : il convient d'abord d'appliquer les lois existantes. La situation sur les stades est telle qu'il sera peut-être bientôt nécessaire de jouer à huis clos tant les parents, les entraîneurs et les joueurs sont parfois en dessous de tout !
Ensuite, il importe de favoriser la prévention. De nombreux guides ont certes été publiés à cette fin : le Guide à l'usage des formateurs, le Guide de valorisation de l'arbitrage, le Guide pédagogique de lutte contre l'incivilité et la violence dans le sport. Mais cela ne doit pas empêcher, par exemple, le retrait progressif d'une licence, non plus qu'un meilleur respect de la loi de la part des responsables de clubs.
Il faut avant tout une meilleure coordination entre les différents intervenants. Afin d'éviter tout laxisme, le ministère de l'intérieur devrait, par exemple, recevoir un rapport précis sur le pointage des 411 personnes interdites de stade au lendemain de chaque match. Il convient, en outre, de diffuser la liste de ces personnes auprès des clubs et des ligues. Enfin, en dépit de son son coût, un mécanisme de reconnaissance des individus devrait être mis en place à l'entrée de chaque stade.
Il est vrai que l'ambiance dans les stades est de plus en plus délétère et que nous nous trouvons aujourd'hui confrontés à une violence quasiment organisée. Face à cela, il importe avant tout, M. le secrétaire d'État a raison, d'appliquer la loi afin d'éliminer les fauteurs de troubles. J'ai eu l'occasion d'assister à un match entre l'Olympique de Marseille (OM) et le Paris-Saint-Germain (PSG), mais je me suis promis de ne plus renouveler l'expérience tant elle a été désastreuse !
La prévention, bien entendu, a également un rôle à jouer. Je suis à ce propos stupéfait, alors que nous avons voté une loi visant à protéger les arbitres, d'entendre sur les ondes un ancien arbitre professionnel critiquer ses anciens collègues ! Comment s'étonner, dès lors, du manque de respect ?
Par ailleurs, quels que soient les enjeux financiers pour les clubs, il faut d'abord rappeler que la compétition relève avant tout du sport !
Enfin, on doit bien reconnaître qu'un certain nombre de parents – et ce sont les plus dangereux – projettent sur leurs enfants leurs ambitions déçues. Ils sont alors prêts à tout pour accroître les performances de leur progéniture, jusqu'à tricher et à favoriser le dopage, lequel constitue également une forme de violence. Contre cela, il faut inculquer aux jeunes et aux entraîneurs les valeurs qui, depuis toujours, fondent l'éthique du sport.
J'ai eu l'occasion de le dire à Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel : il faut donner un carton rouge et infliger une suspension d'un mois aux joueurs qui se précipitent avec véhémence vers l'arbitre dès qu'une décision les contrarie. L'exemple que ces joueurs donnent aux jeunes est déplorable, de même d'ailleurs que celui des entraîneurs ou des dirigeants qui, eux, devraient être menacés de faire perdre des points à leur équipe en cas de comportement douteux. À ce prix, les choses changeront.
Il faut distinguer les violences dans le sport amateur et dans le sport professionnel.
Dans le premier cas, l'application stricte de la loi et des règles sportives peut se révéler efficace : matches à huis clos, pénalités sportives – jusqu'à exclure certaines équipes –, introduction d'un « module arbitrage » dans la formation des entraîneurs, rôle des conseillers techniques sportifs (CTS) et des services décentralisés de l'État dans la promotion de la prévention et de la formation…Dans le second cas, le développement de la vidéo me semble un instrument essentiel de prévention.
Je suis d'accord avec vous, en particulier s'agissant de l'introduction d'un « module arbitrage » dans les brevets professionnels. J'ajoute que le rôle de l'école doit être fondamental : c'est là que les jeunes apprendront les valeurs sportives ! Avec M. Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale, nous voulons que les élèves du primaire pratiquent une heure de sport par jour, mais il semble que cela gêne certains lobbies. Il est pourtant plus que temps d'agir : la situation est explosive.
Dans le rapport d'information sur la mise en application de la loi n° 2006-784 du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives que j'ai présenté avec M. Claude Goasguen au nom de la commission des lois, nous avons constaté que, si l'arsenal législatif dont nous disposons est assez complet, il est en revanche assez peu appliqué. Pourquoi ? La situation a, certes, évolué favorablement, notamment en ce qui concerne la possibilité de dissoudre un club de supporters, comme ce fut le cas avec les « Boulogne Boys », mais il est tout de même notable qu'un certain nombre de résistances se sont fait jour pour convoquer la commission compétente chargée d'examiner cette question. À cela s'ajoute le fait que les relations entretenues par certaines associations de supporters avec des clubs sportifs sont parfois ambiguës car elles sont fondées sur des connivences ou, au contraire, des rapports de force pouvant aller jusqu'à la menace et au chantage. Quoi qu'il en soit, la fermeté s'impose.
Outre que les interdictions administratives de stade – qui ont succédé aux interdictions judiciaires – n'ont pas réglé les problèmes faute, pour les préfets, de pouvoir caractériser précisément les faits, une circulaire du ministère de l'intérieur sur ce sujet est particulièrement restrictive. Or c'est pourtant au gouvernement de donner des instructions précises aux préfets, comme M. Thiriez en convient d'ailleurs lui-même en déplorant une pratique par trop frileuse en la matière.
Enfin, la question de l'heure à laquelle se déroulent les matches ne me semble en rien anecdotique. En Angleterre, ils ont lieu en tout début d'après-midi, ce qui contribue à modifier sensiblement la sociologie des stades, n'en déplaise aux chaînes de télévision et aux associations de sportifs amateurs selon lesquelles la pratique des matches le dimanche après-midi en serait affaiblie.
L'éradication de la violence sportive en Angleterre a partie liée, en effet, avec cette modification des horaires. Par ailleurs, pourquoi ne pas diffuser les matches le dimanche à midi, ce qui laisserait toute latitude aux sportifs amateurs de s'entraîner un peu plus tard dans l'après-midi ?
J'ai moi-même entendu l'un des parents d'un jeune footballeur crier : « Casse-lui la jambe ! » Je sais par ailleurs fort bien que des propos racistes sont régulièrement tenus lors de certains matches. Comment faire en sorte que le football, sur le plan éthique, rejoigne la pratique rugbystique ?
Ne pourrait-on, de surcroît, veiller à ce que certains grands professionnels, dont l'influence est considérable, aient une conception plus digne de leur mission ?
La sociologie du football a changé : les matches, désormais, ne relèvent plus du tout de la fête familiale. Les tarifs des billets pour accéder aux matches ont augmenté, les calendriers de programmation ont été modifiés. En outre, la diffusion des manifestations sportives a évolué depuis une chaîne en clair jusqu'à un opérateur confidentiel en passant par une chaîne cryptée. Au lieu de regarder les matches en famille, les supporters se réunissent donc désormais dans les bars. Il est regrettable que, pour des raisons essentiellement financières, le public familial soit exclu du spectacle.
Nous avons été menés en bateau pendant des années. J'ai personnellement défendu l'amendement relatif à l'interdiction administrative de stade, mais j'ai le sentiment que nous assistons à un retour en arrière : non seulement les préfets n'appliquent pas cette mesure, mais il suffit à un hooligan de signer sa feuille de présence dans un commissariat et de se rendre ensuite en toute impunité au stade alors qu'il faudrait, à l'instar de ce qui se passe en Angleterre, que les supporters violents restent au commissariat pendant toute la durée de la manifestation sportive. On évoque la question de la rétention, mais les Anglais ont réglé le problème sans que les droits de l'homme aient été bafoués ! C'est dans cette direction qu'il faut aller !
Un contrat local de sécurité spécifique au Parc des Princes a été créé. La mairie de Paris et le président du PSG ayant recensé 1 000 supporters violents, pourquoi seulement 411 personnes sont-elles interdites de stade ?
Avec MM. Goasguen et Caresche, j'ai participé à une réunion de bilan au ministère de l'intérieur. Or elle n'a eu aucune suite alors que ce dossier devrait être repris à bras-le-corps ! Je rappelle tout de même qu'un matche entre le PSG et l'OM, c'est la guerre ! Les riverains doivent fermer fenêtres et volets, et ce sont 2 000 agents des compagnies républicaines de sécurité (CRS) qui sont mobilisés !
Le changement d'horaire des matches me semble par ailleurs constituer une perspective intéressante.
Scandale des scandales, les caméras de surveillance sont financées par la mairie de Paris, la ville de Boulogne-Billancourt et le département des Hauts-de-Seine sans que le PSG ni M. Thiriez aient daigné participer ! Ce sont tout de même eux qui encaissent l'argent, tandis que les riverains subissent une double peine puisqu'ils paient les caméras et subissent les nuisances des voyous ! Les clubs abusent ! M. Thiriez nous prend pour des imbéciles alors qu'il doit faire régner l'ordre !
De surcroît, l'extrême densification d'équipements sportifs sur un même site, autour du Parc des Princes et du stade Jean-Bouin en l'occurrence, n'incite pas vraiment à la pacification ! Le gouvernement doit prendre ses responsabilités !
Enfin, les clubs de supporters ne pourraient-ils pas prendre un autre nom que celui d'une ville ? En tant que maire de Boulogne-Billancourt, comprenez que je trouve assez désagréable d'entendre parler des « Boulogne Boys » ! Une fois de plus, j'ai écrit au PSG et à M. Thiriez sans recevoir aucune réponse ! Il se moque de nous ! Nous comptons sur vous, monsieur le secrétaire d'État, pour remettre de l'ordre dans ce domaine !
Lors de l'évaluation de la loi du 5 juillet 2006, en novembre 2007, nous avons constaté que le nombre d'interdictions administratives de stade prononcées en ligue 1 avait été de 12 en janvier, 2 en février, 12 en mars, 71 en avril, 12 en mai, aucune en juin et juillet, 11 en août, 28 en septembre et 10 en octobre. Il s'agissait pourtant de la première préconisation des deux rapporteurs.
Je vais rencontrer M. Thiriez afin de lui dire que les choses ne peuvent continuer de la sorte. Il me semble en effet que le financement des caméras de surveillance devrait relever du PSG ou de la Ligue de football, de même d'ailleurs, pourquoi pas, que le financement du dispositif de contrôle que j'évoquais précédemment. Sans doute faudra-t-il en venir à des mesures coercitives.
Moins de lois et une meilleure application de celles qui existent, telle est la morale de l'histoire !
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État.
La séance est levée à dix-sept heures trente