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Commission des affaires économiques

Séance du 31 mars 2009 à 16h15

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • APE
  • AREVA
  • EDF
  • actionnaire
  • gdf-suez

La séance

Source

La commission a entendu M. Bruno Bezard, Directeur général de l'Agence des participations de l'État et de M. Pierre-Franck Chevet, Directeur général de l'énergie et du climat au ministère de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire, représentants de l'État au sein des conseils d'administration ou de surveillance d'entreprises à participation publique dans le secteur de l'énergie (AREVA, EDF, GDF-Suez).

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Nous accueillons M. Bruno Bezard, directeur général de l'Agence des participations de l'État (APE) et M. Pierre-Franck Chevet, directeur général de l'énergie et du climat au ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.

Je rappelle que cette audition de représentants de l'État au sein des conseils d'administration ou de surveillance d'entreprises à participation publique du secteur de l'énergie a été organisée à la demande du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.

PermalienBruno Bezard

Cette audition nous permettra d'expliquer quelle est notre action au quotidien, ce que nous avons trop rarement l'occasion de faire.

L'APE est une petite structure placée sous l'autorité de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Son unique mission est de représenter l'État dans les entreprises où celui-ci détient des actions, qu'elles soient publiques ou privées à participation d'État – deux des trois grandes entreprises du secteur de l'énergie sont publiques, la troisième est privée avec une forte participation de l'État. Naguère, certains présidents d'entreprise publique justifiaient le mauvais état de leur société en prétendant ignorer l'existence d'un actionnaire. C'est pour y remédier que l'on a identifié clairement la structure qui endosse cette fonction d'actionnaire.

Nous nous efforçons d'assumer toutes les dimensions de l'actionnariat : même si nous nous intéressons beaucoup aux aspects financiers, nous ne sommes pas « un super chef comptable » ; nous avons aussi pour rôle d'aider l'entreprise à définir une stratégie industrielle, à la mettre en oeuvre et à investir. Nous exerçons ce rôle en liaison avec les ministères concernés, détenteurs de compétences particulières.

Nous détenons un portefeuille d'entreprises assez vaste : des entreprises cotées comme EDF, GDF-Suez, Aéroports de Paris, Air France-KLM, Thales, Safran, EADS, France Télécom ou Renault ; de très grandes entreprises non cotées comme la SNCF, RFF, La Poste, AREVA, les grands ports maritimes, les aéroports de province, France Télévisions, l'Audiovisuel extérieur de la France ou la Française des Jeux. Au total, notre chiffre d'affaires consolidé atteint 160 milliards d'euros environ. Par la publication de comptes consolidés, dans un rapport sur l'Etat actionnaire, annexé au PLF, nous rendons compte chaque année au Parlement de la valeur et de la rentabilité du patrimoine des Français – à ma connaissance, ce n'est le cas dans aucun autre pays.

Nous avons trois priorités : rétablir la situation financière des entreprises publiques en matière de rentabilité et d'endettement ; faire progresser la gouvernance des entreprises publiques en s'assurant du bon fonctionnement des conseils d'administration et de surveillance ; préparer l'avenir grâce à l'investissement des entreprises publiques, qui atteint pratiquement 30 milliards d'euros.

Pour les années à venir, nous avons cinq grandes ambitions : continuer d'améliorer la gouvernance et la gestion de nos entreprises, notamment en ancrant dans leurs gènes l'exercice de leurs missions de service public ; montrer encore plus clairement que l'État sait être un bon actionnaire, au contact des entreprises, dans une logique partenariale, ce qui implique de bannir le terme « tutelle » ; rendre le secteur public exemplaire en matière d'éthique – sujet d'actualité ; faire réussir le fonds stratégique d'investissement (FSI), au point qu'il devienne un exemple d'efficacité, de réactivité et de rigueur ; réfléchir en termes de filières ou d'« équipe de France », notamment dans le secteur nucléaire.

Pour ce qui concerne le secteur de l'énergie, nous travaillons essentiellement avec trois très belles entreprises.

EDF, deuxième capitalisation de la place de Paris, était encore voilà quatre ans un établissement public. Elle a su concilier un développement international très dynamique et une très forte progression des investissements en France. C'est le leader mondial de l'exploitation nucléaire.

AREVA, créée il y a neuf ans, est une réussite. Elle a énormément contribué au renouveau du nucléaire. La question de son financement, qui se pose aujourd'hui, devra être traitée.

Enfin, GDF-Suez procède d'une fusion que l'APE a ardemment souhaitée. La crise nous donne raison car les champions y résistent mieux.

PermalienPierre-Franck Chevet

La direction générale de l'énergie et du climat a été créée officiellement le 11 juillet 2008, alors que s'amorçait la présidence française de l'Union européenne. Elle emploie environ 220 agents, provenant, d'une part, de l'ancienne direction générale de l'énergie et des matières premières, qui dépendait de Bercy, et, d'autre part, de l'ensemble des services ou parties de services de l'État auparavant chargés des sujets climatiques.

Contrairement à l'APE, nous devons concilier plusieurs enjeux essentiels, ce qui se révèle complexe : la compétitivité et le pouvoir d'achat ; la sécurité d'approvisionnement ; l'environnement, qu'il s'agisse de la lutte contre le changement climatique, de la lutte contre la pollution atmosphérique ou encore de l'acceptabilité au regard du paysage ou de la faune et de la flore.

Notre service, en la personne de son directeur général ou de son directeur chargé de l'énergie, participe directement aux conseils d'administration d'EDF et de GDF-Suez ainsi qu'au conseil de surveillance d'AREVA. Il participe également aux instances de gouvernance des réseaux de transport et de distribution de l'électricité et du gaz.

Nous apportons une double compétence aux entreprises : nous sommes spécialisés dans le domaine énergétique au sens large, c'est-à-dire dans l'expertise stratégique industrielle et la connaissance des marchés ; nous participons à la régulation du système de l'énergie.

Au moins pour EDF et GDF-Suez, l'objectif de service public se matérialise surtout par le suivi et la renégociation des contrats de service public, qui traitent notamment des travaux sur les réseaux et des tarifs.

La réglementation est très fournie : ces derniers temps, une loi a été adoptée chaque année en moyenne.

Nous cherchons aussi à préparer l'avenir, en nous intéressant aux pôles de compétitivité, à l'innovation et à la recherche.

PermalienPhoto de François Brottes

La confusion des rôles est totale. L'un comme l'autre, vous nous avez indiqué que vous interveniez dans les domaines de compétence des régulateurs. Quant au plan de relance du Gouvernement, qui cite GDF-Suez parmi les entreprises publiques volontaristes en matière d'investissement, c'est à croire que l'entreprise a été renationalisée !

L'APE s'interroge-t-elle sur les mouvements stratégiques qui s'annoncent dans le secteur énergétique avec notamment Siemens qui semble quitter AREVA d'elle-même – à moins qu'elle ne soit poussée dehors ? – ou Bouygues qui frappe à la porte d'AREVA via Alstom ? Mme Anne Lauvergeon semble un peu inquiète. Les pouvoirs publics associent-ils régulièrement l'APE à la réflexion stratégique ou bien se contentent-ils de faire passer leurs instructions ?

Par le passé, il avait été reproché à l'État de ne pas posséder d'agences de régulation ou d'autres outils de contrôle dignes de ce nom. Puisque l'APE existe désormais, j'ose espérer que le dialogue est permanent s'agissant d'un secteur très stratégique dans un contexte international très fluctuant où nous avons des parts de marché à gagner.

Quoi qu'il en soit, le propre de votre fonction est d'être schizophrène : vous devez en effet veiller au développement de l'entreprise, au respect de ses missions de service public et à sa profitabilité pour l'État.

PermalienPhoto de Serge Poignant

Quelle est la nature des relations entre l'APE et les entreprises ?

Quel bilan tirez-vous de la fusion entre GDF et Suez en matière d'approvisionnement en gaz ?

La nouvelle tarification du gaz répondra-t-elle au besoin de financement ?

Quel sera le montant de l'investissement nécessaire pour le deuxième EPR ?

Quels nouveaux partenaires industriels AREVA s'adjoindra-t-il ?

Enfin, quel est l'impact de la crise sur les entreprises publiques ? Comment celles-ci participent-elles au plan de relance ?

PermalienPhoto de Daniel Paul

Les entreprises auprès desquelles l'APE intervient se classent en deux catégories : celles où l'État est majoritaire et celles où il est minoritaire. Dans cette seconde catégorie, il faut encore distinguer les entreprises où les parts de l'État dépassent un tiers du capital. Dans certains cas, vous êtes décideur ; dans d'autres, vous participez au tour de table sans avoir les moyens de peser.

En 2008, combien l'APE a-t-elle rapporté au budget de l'État ?

Parmi vos priorités, vous n'avez pas évoqué l'amélioration de la rentabilité des participations de l'État. Cela entre-t-il en ligne de compte ?

L'entreprise Aircelle, qui appartient au groupe Safran, a décidé de délocaliser certaines de ses activités au Maroc. L'État, qui détient 30,1 % de Safran, a-t-il son mot à dire ou ne peut-il que s'incliner ?

L'État ne devrait-il pas profiter de la faiblesse de certains groupes du secteur automobile, comme Renault, pour monter au capital au-delà des 33 %, de façon à sauvegarder l'outil de production ?

La situation d'AREVA est préoccupante ; je ne pense pas que cette entreprise ait intérêt à se marier avec un marchand de béton.

PermalienPierre-Franck Chevet

GDF-Suez a repris l'ensemble des droits et obligations de Gaz de France, dont le contrat de service public est par conséquent applicable en tous points. Des discussions sont en cours avec le nouveau groupe pour l'avenir.

Le rôle de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) est fixé par la législation, laquelle prévoit que le Gouvernement conserve des pouvoirs décisionnels, notamment en matière tarifaire. Au demeurant, certains d'entre vous souhaitent que l'État continue d'exercer des responsabilités régulatrices.

C'est le ministre chargé de l'écologie et de l'énergie qui me désigne pour siéger dans les conseils d'administration. Ma principale fonction est d'apporter des compétences techniques. J'ai aussi une fonction régulatrice, notamment en matière tarifaire, mais je retire alors ma casquette d'administrateur.

Notre direction générale, sur demande du Gouvernement, a fait part de son avis sur AREVA par écrit. L'entreprise, au cours des années à venir, aura un besoin d'investissement considérable, excédant une dizaine de milliards d'euros. À l'horizon de quatre ou cinq ans, la crise ne remet pas en cause les différents scénarios industriels, qui ont été « challengés » très sérieusement. Les enjeux, essentiellement industriels, appellent des réponses essentiellement industrielles.

Je représente l'État et je parle en son nom. Si j'éprouvais des problèmes de conscience, je serais amené à le dire et je remettrais mon mandat.

La crise justifie a posteriori la construction du bel ensemble GDF-Suez. L'existence d'un grand groupe capable de peser dans les discussions tendues entre États s'est en effet révélée positive.

Même si les tuyaux ne fonctionnent en principe que dans un sens, nous avons aussi appris à l'occasion de cette crise que, moyennant des investissements modérés pour lever les obstacles techniques, une réversibilité partielle des flux de gaz est possible, ce qui tend à améliorer la solidarité entre les pays européens.

Lorsque les entreprises demandent une modification tarifaire, la CRE donne un avis et le Gouvernement prend ses responsabilités, fréquemment au bénéfice des consommateurs.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Je reste sur ma faim. Le représentant de l'État n'a-t-il pas vocation à rappeler quels sont les objectifs de l'État et, le cas échéant, à critiquer des décisions des entreprises allant à leur encontre ? Vous n'avez pas uniquement vocation à apporter vos compétences techniques.

PermalienPierre-Franck Chevet

Dans le cadre des discussions sur la stratégie d'AREVA, nous avons consacré beaucoup de temps à analyser point par point la situation de l'entreprise. Outre les réacteurs, une part significative des quelques milliards d'euros d'investissements des cinq prochaines années sera consacrée à sécuriser l'amont – l'approvisionnement ; c'est notamment une demande des Chinois. Cette intervention typique n'est qu'un exemple. Les contrats de service public constituent aussi des objets de travail majeurs.

PermalienBruno Bezard

Je ne suis pas schizophrène, monsieur Brottes ! Une entreprise publique peut à la fois être rentable et exercer ses missions de service public sans être victime d'un dédoublement de personnalité, dès lors que ces dernières sont identifiées et compensées. De plus, si nous prélevons 140 millions sur La Poste, nous lui versons 2,7 milliards.

Par ailleurs, notre travail ne consiste pas à ânonner des instructions que nous aurions reçues quelques minutes avant la réunion d'un conseil d'administration : nous participons pleinement à la préparation des décisions, le dernier mot revenant évidemment aux politiques. Nous passons de surcroît le plus clair de notre temps à réfléchir sur la stratégie des entreprises, notamment en matière d'investissements et de gouvernance.

Les comptes consolidés, monsieur Poignant, constituent en effet une innovation importante.

Les relations de l'État avec les entreprises sont quant à elles régies par une charte rédigée lors de la création de l'APE. Un certain nombre d'évidences y sont consignées s'agissant notamment des impératifs qu'impose une bonne gouvernance.

Les entreprises de l'APE, monsieur Paul, ont rapporté en 2007 14 milliards et les dividendes engrangés par l'État se sont élevés en 2008 à 5,6 milliards. Nous considérons que si une entreprise bien gérée doit certes en verser, il importe également qu'elle puisse investir ; en l'occurrence, nous raisonnons au cas par cas.

Il est par ailleurs exact que la situation diffère selon que l'État est actionnaire majoritaire ou minoritaire et, dans ce dernier cas, s'il l'est à hauteur de 35 % ou de 15 %. Quelle que soit la situation, il n'en demeure pas moins qu'il a un rôle important à jouer lors des assemblées générales. Toute la difficulté de l'exercice, pour nous, consiste à être à la fois proche des entreprises sans pour autant déresponsabiliser leur management.

S'agissant du groupe SAFRAN, vous avez sans doute fait référence à la situation de Gonfreville ; je ne la connais pas spécifiquement, mais il semble qu'il ne soit pas tant question d'une délocalisation que de la création d'une nouvelle activité dans une autre zone.

Par ailleurs, l'APE a beaucoup travaillé sur le dossier de l'automobile ; les entreprises de ce secteur doivent désormais pouvoir passer le mauvais cap que nous connaissons, la sauvegarde de notre patrimoine industriel étant absolument indispensable.

Quant au financement d'AREVA, plusieurs hypothèses se présentent : renforcement de sa rentabilité opérationnelle, cession d'actifs non stratégiques, augmentation de capitaux ; à ce jour, aucune décision n'a été prise, mais nous nous efforçons de conseiller au mieux les décideurs politiques.

Enfin, il est important que les entreprises apprennent à mieux travailler ensemble – je pense au différend ayant opposé AREVA et EDF s'agissant de l'utilisation de l'usine de La Hague. « L'équipe de France » doit être unie !

PermalienPhoto de Olivier Carré

Quelles sont les conséquences capitalistiques et stratégiques du divorce de Siemens et d'AREVA ? Qu'adviendrait-il, par ailleurs, si Siemens parvenait à ses fins avec son homologue russe, créant ainsi un concurrent majeur pour AREVA ? Qu'en est-il, enfin, de l'arrivée d'investisseurs essentiellement financiers et quel rôle l'APE peut-elle jouer dans une telle situation ?

PermalienPhoto de Jean Gaubert

À quel niveau de participation considérez-vous que vous avez une influence réelle ? M. Carlos Ghosn nous a dit ici même que les administrateurs de l'État avaient simplement voté les orientations qu'il avait lui-même décidées. L'État serait-il donc insuffisamment influent pour avoir été contraint d'accepter un projet qu'il jugeait discutable ?

Monsieur Bezard, comment, sans vouloir vous accuser d'être schizophrène, concilier rentabilité et fixation des tarifs ou participer à deux conseils d'administration de deux entreprises concurrentes ?

Puisque vous avez parlé d'équipe de France, je me permets de vous faire remarquer que GDF n'en fait pas vraiment partie, l'autre actionnaire de référence n'étant pas à ma connaissance naturalisé. Qu'en est-il, à ce propos, du conflit avec M. Albert Frère ?

Enfin, qu'en est-il de l'amélioration de la cohérence de l'action de l'État depuis la création de l'APE ?

PermalienPhoto de Michel Havard

Comment gérez-vous les projets concurrents entre entreprises d'État, y compris à l'étranger ? Quid de la confidentialité des informations dont vous disposez ? Comment les diffusez-vous auprès des décideurs tout en limitant leur publicité ?

PermalienPhoto de François Brottes

Comment la Commission européenne perçoit-elle l'APE ? Vous interpelle-t-elle parfois directement ?

De plus, s'agissant de la crise du gaz en Ukraine et en Russie, il me semble que ce sont encore les États qui négocient entre eux, quelles que soient par ailleurs l'importance et la valeur des entreprises gazières.

Enfin, est-il exact qu'en 2007 l'ensemble des dividendes et des taxes issus du secteur de l'énergie aurait rapporté à l'État 22 milliards environ ?

PermalienPhoto de Daniel Fasquelle

L'État est-il plus spécifiquement interventionniste chez nous que dans d'autres pays ? Notre double approche, à la fois étatique, avec un État qui s'implique dans le fonctionnement de l'économie, et nationale, avec la préservation des intérêts nationaux, est-elle compatible avec le droit européen ? Enfin, en quoi la crise que nous connaissons peut-elle fondamentalement changer la donne ?

PermalienPhoto de Daniel Paul

En posant la question de la relation entre niveau de participation et influence, et en reprenant l'exemple de Renault que j'avais cité, M. Gaubert a fort bien exprimé ma propre préoccupation en la matière.

Selon la commission Roulet, EDF devait se repositionner sur la plateforme continentale européenne et abandonner ses aventures transcontinentales, à l'exception notable de la Chine et de l'Afrique du Sud. Or EDF est bel et bien partie à l'assaut d'une entreprise britannique voire à la conquête du Far West. Pour quelle raison ?

Enfin, la loi prévoyant que l'État doit conserver 70 % du capital d'EDF, la vente de parts supplémentaires – sa participation s'élevant aujourd'hui à 83 % ou 84 % – est-elle envisagée ?

PermalienPhoto de Serge Poignant

Les tensions à La Hague sont-elles apaisées, monsieur Bezard ?

PermalienBruno Bezard

En effet. Les deux entreprises se félicitent d'ailleurs de la manière dont se conflit a été résolu.

PermalienPhoto de Serge Poignant

Qu'en est-il des investissements à l'aval du cycle, je pense notamment à la question du retraitement des déchets ?

Le Gouvernement, appuyé par le Parlement, lutte contre la séparation patrimoniale des réseaux. Or EDF étudie la possibilité de la vente d'une partie du Réseau de Transport d'Électricité (RTE). Est-ce sous la pression de la Commission européenne ? Comment l'APE peut-elle intervenir sur ce plan ?

PermalienBruno Bezard

L'APE est en relation constante avec la Commission européenne et, en particulier, la direction générale de la concurrence. Nous travaillons par ailleurs beaucoup sur la dimension communautaire du développement de nos entreprises, mais aussi, plus généralement, sur les relations entre État actionnaire et entreprises. Enfin, nous entretenons aussi des relations régulières avec la Cour de justice européenne.

Nous avons par ailleurs oeuvré à ce que les entreprises du secteur nucléaire aient assez de provisions pour faire face aux dépenses futures, mais également pour qu'elles mettent de l'argent de côté afin de pourvoir aux dépenses de « décommissionnement » des centrales. L'intervention du législateur, en la matière, a été de surcroît exemplaire.

La participation de l'État au capital d'EDF s'élève à 84,4 %. Je ne peux évidemment pas répondre à votre question s'agissant des cessions de titres, monsieur Paul, mais les cours de l'action ne sont-ils pas assez éloquents ? S'agissant de la commission Roulet, vous avez raison : EDF devait se concentrer sur l'Europe – c'est d'ailleurs ce qui a été fait ; un débat a ensuite eu lieu au sein du conseil d'administration : lorsqu'une entreprise dispose de 58 centrales en exploitation, comment ne pas tendre à être le leader mondial dans le secteur du nucléaire – à condition bien entendu de s'organiser correctement –, notamment en étant présent dans deux pays qui ont décidé de relancer ce secteur ?

Le chiffre de 22 milliards de dividendes et de taxes issus du secteur de l'énergie auquel vous avez fait allusion, monsieur Brottes, ne me paraît pas improbable, mais une vérification s'impose.

La question de l'organisation de l'APE est en effet fondamentale : non seulement nous travaillons dans des entreprises concurrentes – GDF-Suez peut fort bien vouloir acheter, par exemple, le même champ gazier qu'EDF –, mais certaines d'entre elles entretiennent des relations de type fournisseur-client – AREVA fournit ainsi des réacteurs nucléaires à EDF et à GDF-Suez – et d'autres de gestionnaire d'infrastructure-exploitant telles qu'Aéroports de Paris et Air France.

Nous avons établi des procédures spécifiques afin de gérer au mieux d'éventuels conflits d'intérêt : ce ne sont notamment jamais les mêmes administrateurs qui siègent dans les différents conseils et c'est un responsable qui, en bout de chaîne, coordonne les différentes actions – ainsi de M. Édouard Vieillefond, ici présent, responsable du secteur énergie de l'APE. Nous avons par ailleurs mis en place des procédures très claires visant à signaler des conflits ou des rivalités entre entreprises.

On le sait à Bercy : je suis obsédé par la question de la confidentialité, laquelle est doublement nécessaire en raison du secret des affaires et de la cotation des entreprises en bourse. Nos procédures sont donc extrêmement rigoureuses et nos collaborateurs, en nombre restreint, sont soumis à un secret absolu. Je note, à ce propos, qu'aucune fuite n'a été déplorée depuis la création de l'APE.

Notre influence est difficilement quantifiable et varie selon les cas. Quoi qu'il en soit, nous discutons de la stratégie des entreprises dans chaque conseil où nous siégeons, indépendamment de l'importance de la part de capital détenue par l'État.

S'agissant de M. Albert Frère, je n'ai pas connaissance de quelque conflit que ce soit, les deux actionnaires principaux étant d'accord quant à l'évolution de la structure financière de l'entreprise.

En ce qui concerne la cohérence de l'action de l'État avant et après la création de l'APE, je ne vous dirai pas que nous sommes passés des ténèbres à la lumière : nous nous sommes simplement efforcés de professionnaliser les processus et de mieux identifier la fonction d'actionnariat ce qui, me semble-t-il, est dans l'ensemble assez reconnu même si nos prédécesseurs avaient également agi en ce sens.

Par ailleurs, il est exact qu'il existe une spécificité française dans le management des entreprises publiques, laquelle ne doit pas servir de prétexte à une mauvaise gestion : ces entreprises doivent certes avoir une mission de service public, mais leurs comptes n'en doivent pas moins être solides. Des travaux, auxquels nous participons, sont en cours à l'OCDE sur cette question – nous recevons d'ailleurs de nombreuses délégations curieuses de connaître notre travail.

Il est faux de prétendre que Siemens ait quitté AREVA en raison d'un message inapproprié du Gouvernement : cette entreprise avait un projet avec ROSATOM – ce qui est d'ailleurs contraire avec le pacte d'actionnaires impliquant le respect d'une clause de non-concurrence ; AREVA défendra donc ses droits avec le soutien total du Gouvernement. Les conséquences financières, industrielles et stratégiques d'une telle situation sont d'ores et déjà très lourdes. Par ailleurs, si AREVA a besoin d'argent, elle a également besoin de savoir-faire, d'efficacité et de perspectives.

S'agissant de RTE, aucune décision n'a été prise à ce jour ; EDF étudie les différentes possibilités de cession qui s'offrent à elle ; outre que les montants en seront de toute façon très limités, il ne me semble pas que cela soulève quelque problème que ce soit.

PermalienPierre-Franck Chevet

La séparation patrimoniale, je le confirme, n'est pas à l'ordre du jour. Compte tenu de sa stratégie internationale, EDF doit pouvoir maintenir sa notation financière et faire preuve d'une certaine souplesse, laquelle implique un accès au crédit – les besoins s'élèvent à 5 milliards environ. J'ajoute que 25 % des 13,5 milliards qu'a coûtés l'entreprise britannique d'électricité doivent être revendus. L'essentiel est de bénéficier d'une bonne régulation publique de l'électricité en réalisant les investissements idoines. Par ailleurs, comme l'a dit M. Bezard, une entreprise qui exploite depuis trente ans 58 réacteurs nucléaires bénéficie d'une expertise hors pair. La politique suivie me paraît en l'occurrence de fort bon aloi car conforme à ce qu'exige la situation internationale.

Si le rapprochement de Siemens avec ROSATOM se poursuit, des discussions ne manqueront pas d'avoir lieu puisque le pacte d'actionnaires, comme l'a dit M. Bezard, comprend une clause de non-concurrence. En revanche, les enjeux techniques ou technologiques de cette crise sont nuls.

L'arbitrage, en effet, n'est pas toujours facile entre rentabilité et fixation des tarifs mais notre travail consiste précisément à donner au Gouvernement les éléments qui lui permettront de décider en toute connaissance de cause. Certaines entreprises, à ce propos, ne sont sans doute pas toujours fondées à mettre en avant un manque à gagner.

S'agissant de la confidentialité, la direction générale de l'énergie et du climat a séparé très distinctement les sous-directions chargées, d'une part, de la préparation des conseils d'administration et, d'autre part, de la régulation. Lorsque les informations me parviennent, je fais bien entendu mon possible pour éviter la confusion des genres. Lorsqu'il s'agit d'entreprises en concurrence potentielle, nous nous partageons les rôles : je siège au conseil d'administration de GDF-Suez et c'est le directeur de l'énergie qui siège à celui d'EDF ; il en va de même pour les questions liées à l'arbitrage.

En ce qui concerne les 22 milliards évoqués par M. Brottes, des vérifications s'imposent en effet, mais nous n'avons pas raisonné sur cette base.

S'agissant de la crise gazière, ce sont bien les États qui ont joué un rôle essentiel, mais je tiens à répéter que l'action des entreprises a également été fondamentale, ne serait-ce que sur un plan technique et commercial.

Oui, il existe bel et bien une spécificité gestionnaire française ! Avec EDF, GDF-Suez – sur le plan européen il est vrai – ou Total, nous disposons de grands champions dans le domaine énergétique, et tous les pays ne peuvent en dire autant. En outre, nous avons une véritable politique de l'énergie depuis longtemps, tant en ce qui concerne les équipements que l'approvisionnement ou l'accès de tiers au stockage. Le consortium Exceltium, qui permet contractuellement à plusieurs entreprises d'acheter ensemble de l'électricité sur le long terme, joue en la matière un rôle majeur.

S'agissant de l'impact de la crise, il est très difficile de faire des pronostics – que l'on songe à la seule évolution, en un an, du prix des matières premières. Sans doute connaîtrons-nous encore des oscillations aussi spectaculaires même si, sur le long terme, il faut s'attendre globalement à des hausses. Si l'accès au crédit est aujourd'hui délicat, je gage que les investissements – notamment dans le secteur de l'éolien – seront plus faciles d'ici quatre à cinq ans.

En ce qui concerne l'aval du secteur – démantèlement des centrales, gestion des déchets etc. – nous disposons d'une loi exemplaire. Certes, les entreprises connaissent en ce moment des difficultés et peuvent difficilement mettre de l'argent de côté, mais le dispositif que nous avons n'en demeure pas moins remarquable à moyen terme et, a fortiori dans ce domaine, sur le très long terme. Les entreprises sont d'ailleurs sur la bonne voie car sur les 15 milliards de provision pour le démantèlement prévus par EDF, 8 milliards ont d'ores et déjà été réunis et AREVA a réalisé plus de 90 % de ses objectifs.

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Je vous remercie.

Vous qui avez demandé cette audition, M. François Brottes, êtes-vous satisfait des réponses qui ont été apportées à nos questions ?

PermalienPhoto de Patrick Ollier

Compte tenu de l'intérêt des commissaires, nous pourrions peut-être envisager la mise en place de rendez-vous réguliers.