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Commission des affaires sociales

Séance du 15 février 2012 à 16h45

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

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COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Mercredi 15 février 2012

La séance est ouverte à seize heures cinquante.

(Présidence de M. Bernard Perrut, vice-président de la Commission)

La Commission des affaires sociales entend en audition ouverte à la presse, Mme Nadine Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle, sur la mise en oeuvre de la loi du 28 juillet 2011 pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels (MM. Gérard Cherpion et Jean-Patrick Gille, rapporteurs)

PermalienPhoto de Bernard Perrut

Mes chers collègues, nous accueillons donc Mme Nadine Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle, sur la mise en oeuvre de la loi du 28 juillet 2011 pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels.

Nous entendrons d'abord les deux rapporteurs, puis Mme la ministre, avant d'engager le débat. Nous savons combien il est important de dresser un premier état de l'application de cette loi, qui répond à une volonté très forte à la fois du Gouvernement et du Parlement d'aider les jeunes à s'orienter vers l'emploi.

PermalienPhoto de Gérard Cherpion

Le rapport que je vais vous présenter avec Jean-Patrick Gille s'inscrit dans le cadre formel de l'article 145-7 de notre Règlement : il s'agit d'abord de vous rendre compte de la parution des textes d'application de la loi du 28 juillet 2011 pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels.

Des textes réglementaires d'application apparaissaient nécessaires pour seize des quarante-six articles de la loi. Quatre décrets, des arrêtés et des circulaires ont déjà été publiés, permettant la pleine mise en application de cinq articles, tandis que onze autres articles attendent toujours tout ou partie de leurs textes d'application ; plusieurs décrets sont au demeurant dans leur phase finale d'élaboration, voire à la signature des ministres. Les multiples consultations exigées avant la publication de certains décrets expliquent largement les retards pris, même si sur certains points, et nous y reviendrons, ces retards peuvent aussi traduire des difficultés sur le fond.

Par ailleurs, la loi mentionne le dépôt de trois rapports du Gouvernement, dont l'un devait être remis avant le 1er octobre 2011. À ce jour, aucun n'a encore été transmis au Parlement. Ils concernent le financement de l'apprentissage dans le secteur public, les financements des examens des centres de formation d'apprentis (CFA) et le chèque formation.

Enfin, les vingt-sept autres articles n'appelaient pas de textes réglementaires, ce qui ne signifie pas que leur application soit pour autant immédiate, certains notamment renvoyant à d'éventuels accords des partenaires sociaux. Au-delà des textes réglementaires parus ou à paraître, nous nous sommes efforcés de faire le point sur ces dispositions conventionnelles. Plus généralement, nous avons essayé, lors des auditions, de recueillir des informations sur l'application concrète des réformes figurant dans la loi.

PermalienPhoto de Jean-Patrick Gille

La loi comportait en premier lieu des mesures concernant l'alternance. J'en évoquerai quelques-unes. L'exercice est délicat pour moi, d'une part, parce que c'est une loi que mon groupe n'a pas votée et dont il a, même fortement combattu certaines des mesures – je pense à l'apprentissage à quatorze ans prévu à l'article 19 – ; d'autre part, parce que nous manquons de recul pour en mesurer la portée et l'efficacité. Il s'agit pour nous de faire le point sur ce qui a été mis en place et ce qui n'a pu l'être.

Les trois premiers articles de la loi visaient à créer une carte d'étudiant des métiers pour valoriser les jeunes en alternance et les mettre sur un pied d'égalité avec les étudiants. Les textes d'application sont parus et la carte vient d'être lancée. Elle existe concrètement, même si sa diffusion est encore contrastée, certains centres de formation d'apprentis distribuant encore l'ancienne carte. Il reste des incertitudes sur les avantages auxquels elle donnera droit, au-delà de ce qui a déjà été acté sur l'accès aux restaurants universitaires – avec une compensation du ministère à hauteur de 10 millions d'euros – et aux logements étudiants. Cela suppose de nombreuses négociations. Mme la ministre pourra peut-être nous en dire plus.

Le portail internet de l'alternance, prévu par l'article 4 de la loi, se met en place à partir de l'amélioration du portail préexistant, dont le fonctionnement n'était pas satisfaisant. S'agissant du versant « employeurs », des progrès restent à faire pour parvenir à une véritable dématérialisation de la rédaction, de la signature et de l'enregistrement des contrats. Il reste aussi à enrichir la base de données pour le calcul des rémunérations, qui ne semble pas vraiment prendre en compte les stipulations des conventions collectives. Pour ce qui concerne les jeunes et leurs familles, le portail de l'alternance semble pour le moment alimenté essentiellement, voire exclusivement, par des offres de Pôle emploi – d'après ce que j'ai constaté, la base n'est pas très fournie. Par ailleurs, et malgré les termes de la loi, le portail ne travaille pas vraiment en complémentarité avec le site « Orientation pour tous » puisque, actuellement, l'un et l'autre proposent en concurrence une banque de données sur les offres de formation en alternance et qu'il n'y a pas, semble-t-il, de lien internet entre eux. Il semble cependant que des contacts ont été pris pour rapprocher les deux sites, ce à quoi nous sommes attachés. Quels sont précisément les développements attendus dans les prochains mois sur la question, madame la ministre ?

La loi comprend plusieurs mesures visant à sensibiliser les élèves de l'enseignement secondaire aux formations en alternance. En particulier, l'article 17 ouvre la possibilité à l'éducation nationale d'aménager des sections pré-professionnelles dès la quatrième, et l'article 18 élargit le champ du « dispositif d'initiation aux métiers en alternance » ou DIMA. Des décrets d'application sont en cours de finalisation sur ces mesures qui suscitent, je ne le cache pas, certaines inquiétudes. Pouvez-vous, madame la ministre, nous indiquer ce que sera le contenu de ces décrets ?

D'autres dispositions visent à ouvrir de nouveaux champs aux formations en alternance : je pense à l'alternance avec deux employeurs dans les activités saisonnières, à l'apprentissage en intérim, ou encore à la possibilité de faire des contrats de professionnalisation pour les particuliers-employeurs. Sur ce dernier point, l'application est renvoyée à un accord de branche qui ne semble pas prêt d'être conclu et je n'en suis pas désolé. Sur les deux premiers points, des décrets sont en préparation, mais il semble y avoir des difficultés, le Conseil d'État ayant rendu un avis négatif sur le projet concernant l'apprentissage en intérim – ce sujet renvoie au double tutorat. Compte tenu de la complexité des dispositifs en cause, ces difficultés ne me surprennent pas. Mais nous souhaiterions savoir précisément ce qui bloque dans la rédaction de ces deux décrets.

Parmi les mesures destinées à faciliter les parcours en alternance, l'article 20 de la loi a été présenté comme très attendu. Il s'agit, je le rappelle, d'autoriser les CFA à former sous le statut de stagiaire de la formation professionnelle des jeunes sans contrat d'apprentissage jusqu'à ce qu'ils trouvent une entreprise et pour un an au plus, ou en fin de contrat en cas de rupture de celui-ci. Le décret d'application est paru, mais les premiers retours du terrain sont parfois contradictoires : on nous dit que la mesure commence à être mise en oeuvre et répond à un réel besoin, en particulier en cas de rupture du contrat, mais des difficultés sont parfois signalées, notamment pour trouver des entreprises pour les stages. Avons-nous un bilan chiffré précis de l'application de la mesure ?

Manquent également les décrets sur l'article 24, qui vise à répondre à l'épineuse question du baccalauréat professionnel en trois ans, et sur l'article 13 qui traite de l'information des CFA en matière de taxe d'apprentissage.

Parmi les rapports non publiés, figure celui sur le financement des examens, qui reste à la charge des CFA.

Enfin, il faudrait approfondir la question de la prévention des ruptures, en particulier en début de contrat. Des expérimentations ont en effet montré que le taux de rupture baisse significativement si des dispositifs de médiation sont mis en place rapidement.

Je conclurai sur l'alternance avec deux points plus positifs.

Tout d'abord, la simplification des formalités d'enregistrement, prévue à l'article 11 de la loi, a fait l'objet d'un décret du 21 décembre 2011 qui répond à certaines difficultés. Un point doit toutefois être signalé : les chambres consulaires sont attachées à garder la possibilité de consulter les services de l'État sur les contrats litigieux, même si le contrôle administratif a été supprimé. Des instructions ont-elles été données à vos services pour qu'ils répondent à ces sollicitations ?

Ensuite, la préparation opérationnelle à l'emploi, ou POE, dite collective, rencontre un réel succès du fait de la mobilisation des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). Ces derniers s'inquiètent néanmoins de la fragilisation du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels qui, je vous le rappelle, finance une partie des contrats de professionnalisation.

J'en viens au deuxième thème traité par la loi, à savoir les stages étudiants. Le titre II de la loi transpose les dispositions de l'accord national interprofessionnel du 7 juin 2011 et comprend d'importants progrès pour les stagiaires, dont plusieurs sont d'application directe : il en est ainsi de l'obligation de respecter un délai de carence entre deux stages sur un même poste, de l'accès des stagiaires aux activités sociales et culturelles des comités d'entreprise, de l'information de ceux-ci sur le recours aux stages, ou encore de la meilleure prise en compte du stage dans le décompte de la période d'essai et dans l'ancienneté en cas d'embauche postérieure du stagiaire dans l'entreprise.

Mais deux dispositions nouvelles renvoient à des décrets d'application : la limitation à six mois par année scolaire de la durée de stage dans une même entreprise, avec des dérogations à préciser ; l'obligation de tenir à jour un registre des stages, et notamment les mentions qui devront y figurer. En outre, la codification de dispositions antérieures sur les stages, par exemple le principe de gratification, implique une modification formelle de leurs décrets d'application. Il faut codifier ces décrets dans la partie réglementaire du code de l'éducation.

Or le Gouvernement semble hésiter sur la démarche à suivre, compte tenu sans doute de la complexité qu'il y aurait à lister et à définir tous les cas de dérogation à la règle des six mois de durée maximale des stages. La rédaction d'un décret dans ce domaine obligerait aussi à se prononcer sur la légitimité de certaines des dérogations demandées, alors que l'encadrement des stages reste manifestement une question conflictuelle. On se souvient à cet égard que les cas de dérogation inscrits dans le décret du 25 août 2010 ont suscité bien des débats. Étant moi-même très réticent sur ces dérogations, je pense qu'il aurait fallu les écarter dans la loi, comme le souhaitaient les partenaires sociaux. Quoi qu'il en soit, en tant que rapporteurs, nous ne pouvons que rappeler les termes de la loi : des textes réglementaires sont prévus et manifestement nécessaires, notamment pour l'entrée en vigueur effective de l'obligation de tenir un registre des stages, lequel fournira un outil très utile de contrôle a posteriori des éventuels abus. Les auditions conduites ont en effet montré que, au-delà du renforcement de la réglementation, le contrôle et la limitation du pourcentage de stagiaires par entreprise constituent des enjeux essentiels dans la lutte contre ces abus. Ce chantier n'a pas encore été ouvert s'agissant des stages, non plus que celui de la sanction des dérives éventuellement constatées.

En conclusion, je poserai donc trois questions à Mme la ministre. Quand les décrets exigés par la loi seront-ils pris ? Quel sera leur contenu ? Et comment le Gouvernement envisage-t-il de mettre en place des moyens effectifs pour contrôler l'application de cette nouvelle réglementation qui protège enfin, dans son principe, les stagiaires – sachant que l'abus de stages est un phénomène en plein développement ?

PermalienPhoto de Gérard Cherpion

Le titre III de la loi a pour objet de faciliter le développement de l'emploi dans les groupements d'employeurs. Pour ce faire, nous avons adopté des mesures visant, d'une part, à assouplir les modalités d'adhésion à ces groupements et leurs règles de fonctionnement, d'autre part, à améliorer le statut de leurs salariés.

Je rappelle que l'article 30 de la loi avait repoussé l'entrée en vigueur des articles sur les groupements d'employeurs au 1er novembre 2011, afin de laisser un délai pour une négociation nationale interprofessionnelle sur le sujet. Aux termes de cet article, les partenaires sociaux pouvaient, en effet, déroger aux nouvelles dispositions sur les groupements d'employeurs, à condition qu'ils concluent un accord collectif national avant cette date. Aucun accord n'a été trouvé et les dispositions relatives aux groupements d'employeurs, qui n'appelaient pas de décrets d'application, sont entrées en vigueur.

Nous ne disposons naturellement pas encore d'éléments concrets sur l'effet de ces dispositions. Je signalerai toutefois que le président d'un des plus importants groupements, que nous avons auditionné, a salué la simplification introduite par la loi pour ce qui est de l'adhésion des entreprises de plus de 300 salariés aux groupements. Ce président, convaincu de l'intérêt pour sa structure de reposer sur des entreprises de tailles différentes, a fait état devant vos rapporteurs de l'adhésion de plusieurs grandes entreprises depuis quelques mois. Il a également déclaré que son groupement ne manquerait pas, lors de la prochaine campagne d'apprentissage, d'utiliser la possibilité nouvelle de recrutement et de mise à disposition d'apprentis par un groupement d'employeurs.

Le dernier titre de la loi est consacré à la sécurisation des parcours professionnels, son objet principal étant la création du contrat de sécurisation professionnelle.

Sans entrer dans tous les détails de ce dispositif, je voudrais revenir sur la méthode qui a permis son élaboration et sa mise en oeuvre, et qui me paraît exemplaire. La proposition de loi sur la sécurisation des parcours que j'ai déposée début 2011 répondait notamment à une préoccupation urgente : la convention de reclassement personnalisé et le contrat de transition professionnelle arrivaient à échéance et il fallait les remplacer par un nouveau dispositif d'accompagnement des licenciés économiques. Les partenaires sociaux avaient la même préoccupation, et la perspective du débat législatif les a amenés à négocier rapidement un accord-cadre, le 31 mai 2011, pour fixer les grandes lignes du régime qu'ils souhaitaient. La rapidité de cette négociation nous a permis d'en prendre en compte les résultats dans la finalisation de la loi qui a fixé le cadre général du nouveau contrat de sécurisation professionnelle.

À son tour, la loi renvoyait, pour la mise en oeuvre pratique du nouveau contrat, à une convention d'application des partenaires sociaux. Dès le 19 juillet, soit quelques jours avant la promulgation de la loi, ils avaient acté ce texte. Cela a permis l'entrée en vigueur du contrat de sécurisation professionnelle, par arrêté ministériel, au 1er septembre 2011, à peine plus d'un mois après la publication de la loi. Depuis lors, ce contrat monte en charge progressivement, avec 6 000 à 8 000 entrées par mois, ce qui doit nous amener à ce jour à environ 30 000 contrats en cours d'exécution.

Plusieurs autres actes conventionnels étaient nécessaires et ont été conclus, notamment, le 27 juin 2011, une convention entre l'État et les partenaires sociaux sur le pilotage du système, ou encore, en octobre et décembre, des avenants permettant aux bénéficiaires de recevoir des points de retraite complémentaire ARRCO et AGIRC.

Si je tenais à présenter toute cette ingénierie avec ces va-et-vient entre législateur, partenaires sociaux et pouvoir réglementaire, c'est qu'elle démontre sa capacité à mettre en oeuvre une politique très rapidement et de façon consensuelle. Cinq ans après la loi de modernisation du dialogue social de 2007, nous pouvons être fiers d'avoir mis en place avec les partenaires sociaux une méthode que sa complexité n'empêche pas d'être efficace.

Le mode de pilotage choisi pour le contrat de sécurisation professionnelle illustre un autre aspect des nouvelles relations que les acteurs des politiques sociales savent établir. Ce mode de pilotage a fait l'objet d'un accord tripartite entre l'État, les syndicats et les organisations patronales, alors qu'auparavant l'habitude était plutôt d'avoir des accords entre partenaires sociaux, que le Gouvernement pouvait ou non agréer ensuite, ce qui rendait le jeu contractuel moins clair. Le pilotage lui-même du contrat de sécurisation sera tripartite et territorialisé, Pôle emploi n'en étant pas le gestionnaire, mais seulement l'opérateur principal.

Il existe un revers de la médaille à la rapidité avec laquelle les partenaires sociaux ont su négocier pour mettre en oeuvre le contrat de sécurisation professionnelle : comme leur négociation a été parallèle, plutôt que consécutive, à la finalisation de la loi, il se trouve quelques décalages entre leur texte du 19 juillet et les termes de cette dernière. Ces décalages portent sur des sujets techniques tels que le mode de calcul de la contribution due par les employeurs au titre des droits individuels à la formation résiduels des salariés entrant en contrat de sécurisation, ou encore la pénalité qu'ils doivent payer s'ils omettent de proposer le contrat de sécurisation. La loi devant l'emporter dans la hiérarchie des normes, les partenaires sociaux devront sans doute ajuster sur ces points leur convention par voie d'avenant. La question se posera également dans la rédaction du décret d'application sur le recouvrement des contributions et pénalités dues par les employeurs, décret dont je souhaite que Mme la ministre nous indique la date de publication.

Plus généralement, la mise en application rapide du contrat de sécurisation professionnelle a conduit à quelques choix inopportuns dans sa réglementation initiale, déjà corrigés par les partenaires sociaux qui se sont montrés réactifs. C'est ainsi que, par deux avenants des 23 janvier et 3 février derniers, ceux-ci ont décidé d'assouplir la longueur des périodes intercalaires de travail qui pourront s'insérer dans un contrat de sécurisation : ces périodes, qui devaient initialement s'inscrire dans un intervalle d'un à trois mois, pourront désormais durer deux semaines seulement et jusqu'à six mois. Par la même occasion, les partenaires sociaux ont mis en oeuvre une disposition de la loi du 28 juillet, restée jusque-là sans application bien que très utile, à savoir la faculté sécurisante, pour un bénéficiaire ayant repris un emploi, de retourner dans le régime du contrat de sécurisation professionnelle en cas d'échec de cette reprise d'emploi durant la période d'essai.

Par ailleurs, il convient de dire un mot de l'expérimentation de l'élargissement du contrat de sécurisation professionnelle à des salariés suite à l'échéance d'un contrat à durée déterminée, d'une mission de travail temporaire ou d'un chantier, prévue à l'article 43 de la loi : il a été décidé, le 23 janvier, que cette expérimentation concernerait dans un premier temps quinze bassins d'emploi et ses moyens ont été doublés. Jusqu'à 9 000 salariés pourraient en bénéficier.

Enfin, j'appelle l'attention de Mme la ministre sur l'article 42 de la loi, qui autorise les bénéficiaires d'un congé de reclassement à effectuer des périodes de travail intercalaires. Le congé de reclassement étant, pour les entreprises de plus de 1 000 salariés, le dispositif parallèle au contrat de sécurisation professionnelle, il était en effet cohérent d'y transposer le principe de l'insertion possible de périodes travaillées. Bien que le texte de la loi ne le prévoie pas formellement, cette mesure implique à mon sens un texte d'application pour encadrer la durée, le renouvellement et le nombre de ces périodes. Un décret est-il en préparation ?

En conclusion, s'agissant de la sécurisation professionnelle, je m'appuierai sur les résultats d'une étude toute récente citée dans Les Échos hier et portant sur les bénéficiaires de la convention de reclassement personnalisé (CRP) et du contrat de transition professionnelle (CTP), qui ont précédé le contrat de sécurisation professionnelle : 54 % des bénéficiaires de ces mesures ont retrouvé un emploi durable, souvent grâce à un effort de reconversion qui a impliqué des formations longues, des changements de métier et des sacrifices financiers. Cela rend compte des résultats obtenus par les dispositifs antérieurs, tout autant que de la détermination des salariés qui en ont bénéficié. J'espère que nous aurons des résultats encore meilleurs avec le contrat de sécurisation professionnelle ; du moins nous nous en donnons les moyens.

(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission.)

PermalienNadine Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle

Mesdames, messieurs, c'est pour moi un grand plaisir d'être devant vous aujourd'hui pour l'évaluation de cette loi très importante qui répond à une grande attente sur le terrain. En un an, et malgré la crise, le nombre de contrats en alternance a augmenté de 7,2 % dans notre pays. Les mesures de simplification pour les employeurs, le dispositif « zéro charges » pour les entreprises de moins de 250 salariés et l'apport de cette loi nous ont permis d'enclencher cette dynamique positive.

Je me suis rendue dans un grand nombre de départements pour signer des contrats d'objectifs et de moyens et visiter des centres de formation des apprentis : en Guadeloupe, M. Victorin Lurel lui-même a déclaré par deux fois au cours de son intervention que la « loi Cherpion » était une bonne loi ! Je me réjouis donc de l'analyse faite par l'opposition, monsieur Gille !

Concernant l'alternance, nous avons pris six textes, dont un arrêté. Reste à prendre un texte d'application de l'article 12, qui doit permettre aux médiateurs de l'apprentissage d'étendre, à titre expérimental, pour une durée de deux ans, leur mission à l'accompagnement des entreprises et des jeunes. La liste des départements doit être définie par arrêté. Cette extension de la mission des médiateurs de l'apprentissage a été souhaitée par un des réseaux consulaires, mais aucun d'entre eux n'a encore indiqué qu'une chambre était prête et volontaire pour mettre en oeuvre cette expérimentation ou proposer d'inscrire des départements pour cet arrêté.

J'en viens directement à vos questions sur les apports de la loi.

La carte étudiant des métiers, lancée à Toul, constitue une très belle avancée en termes de valorisation de nos jeunes apprentis. Elle est d'ores et déjà matérialisée dans un grand nombre d'établissements et le sera dans l'ensemble des CFA d'ici à la rentrée prochaine.

Nous avons fusionné le portail de l'alternance avec le service public de l'orientation. Je vous livre quelques chiffres : 3 000 visites par semaine sur le portail, près de 9 000 la semaine dernière ; 9 272 offres d'emploi, dont 2 782 en provenance de Pôle emploi, 100 000 offres d'emploi sur une année ; 15 988 actions de formation en apprentissage, et bientôt 10 000 actions de formation en contrat de professionnalisation. Nous travaillons actuellement à l'amélioration ergonomique du simulateur et à la mise en place d'une version expert de celui-ci dans laquelle l'utilisateur qui connaît les dispositions de sa convention collective pourra saisir ses propres variables et effectuer une simulation plus détaillée en fonction du cas particulier qu'il aborde. Ce site donne un accès aux formations en alternance disponibles et à une bourse des offres d'emploi en alternance, et met à disposition une aide à la décision, le simulateur de calculateur permettant au futur apprenti de connaître son salaire, et au futur employeur le coût d'un apprenti.

Par ailleurs, nous oeuvrons pour établir davantage de liens entre le portail de l'alternance et le site « Orientation pour tous » que j'ai lancé le 6 décembre dernier, ces deux sites étant complémentaires.

Les prochaines étapes pour le développement du portail de l'alternance sont les suivantes : de mi-février à fin février, ouverture sur le portail d'un nouvel espace réservé aux établissements chargés de la formation des alternants dans lequel ils pourront télécharger le document utile à la délivrance de la carte étudiant des métiers ; en mars, mise en place d'un numéro vert assistance nationale du portail ; à la rentrée 2012, début du déploiement de la dématérialisation ; en 2013-2014, arrêt des flux papiers.

S'agissant des mesures visant à sensibiliser les élèves de l'enseignement secondaire aux formations en alternance, les deux décrets pris en application des articles 17 et 18 de la loi sont en cours de publication.

Le projet de décret pris en application de l'article 17 donne la possibilité aux établissements scolaires de mettre en oeuvre des dispositifs en alternance permettant une découverte approfondie des métiers et des formations durant les deux derniers niveaux de l'enseignement au collège – quatrième et troisième –, comprenant des stages en CFA. Le ministère de l'éducation nationale avait pris les devants en publiant, dès septembre 2011, deux circulaires qui répondent à l'objectif de l'article 17 avec deux dispositifs : en classe de quatrième, une alternance « légère » et une alternance « renforcée » avec l'atelier de découverte des métiers et des formations ; en troisième, une classe préparatoire aux formations professionnelles, dite « prépa pro ».

S'agissant de l'article 18 de la loi, qui a ouvert la possibilité à des élèves ayant accompli leur scolarité au collège d'être accueillis en centres de formation d'apprentis sous statut scolaire et sous condition d'âge afin de découvrir un environnement professionnel, le décret vise à inclure ce public dans les dispositifs réglementaires relatifs à l'accès au dispositif d'initiation aux métiers en alternance – DIMA. Il intègre également la possibilité d'entrer en apprentissage pour les jeunes âgés d'au moins quinze ans au cours de l'année civile après le suivi d'une formation dans le cadre du DIMA, conformément à la modification de l'article L. 6222-1 du code du travail par l'article 19 de la loi.

Concernant l'alternance dans l'emploi saisonnier, le décret n° 2012-197 du 8 février 2012 a été publié au Journal officiel le 10 février dernier. Un décret n'était pas expressément demandé par la loi, mais le ministère de l'éducation nationale a souhaité prendre un texte afin de faciliter la mise en oeuvre pratique de la mesure. Annoncée par le Président de la République dans son discours de Bobigny du 1er mars 2011, cette mesure permet de faciliter l'emploi durable de l'alternant et de mieux répondre aux besoins des entreprises. Elle permet à deux employeurs de conclure conjointement un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation pour l'exercice d'activités saisonnières, ce qui était très attendu sur le terrain. Le code de l'éducation est donc modifié pour permettre, dans le cadre d'un tel contrat, l'inscription à deux spécialités du baccalauréat ou à deux spécialités de certificat d'aptitude professionnelle (CAP) au titre de la même session d'examen.

Concernant l'apprentissage dans l'emploi intérimaire, monsieur Gilles, le Conseil d'État réexaminera le texte le 23 février prochain, et soyez assuré que le décret devrait être publié au plus tard courant mars. Je rappelle que les entreprises d'intérim sont des acteurs incontournables de l'insertion professionnelle, puisqu'elles emploient près de 150 000 jeunes. Cette forme d'emploi constitue souvent une première expérience qui permet aux jeunes d'acquérir des compétences diversifiées au travers de plusieurs missions qui leur redonnent confiance en les formant et en débouchant, dans plus de 25 % des cas, sur des contrats à durée indéterminée.

S'agissant des apprentis n'ayant pas trouvé d'employeur, le législateur a instauré une nouvelle possibilité, mais il appartient à chaque région, en fonction de la situation de l'emploi local, de la structure des centres de formation d'apprentis et des demandes éventuelles des acteurs de l'apprentissage, de la mettre en oeuvre. Le législateur a donc fait le choix de la souplesse pour permettre à chacun d'agir en fonction de sa situation. J'ai souhaité que les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) reçoivent une instruction dès la rentrée 2011 afin que le dispositif puisse s'organiser au mieux sur le terrain. À ce jour, quatre-vingt-trois stagiaires ont bénéficié du dispositif, dont trente et un pour la Franche-Comté et quinze pour la Haute-Normandie. J'ai moi-même constaté en Guadeloupe que des jeunes n'ayant pas trouvé d'employeur ont pu entrer en CFA et ainsi commencer leur formation.

Sur la suppression du contrôle de validation de l'enregistrement, les chambres consulaires sont attachées à garder la possibilité de consulter les services de l'État sur les contrats litigieux, mais des instructions n'ont pas été données à ces services pour qu'ils répondent à ces sollicitations, car cela ne fait plus partie de leur compétence. Aux termes du décret n° 2011-1924 du 21 décembre 2011, la validation par les DIRECCTE de l'enregistrement des contrats d'apprentissage réalisé par les chambres consulaires est supprimée. Les directions seront désormais seulement destinataires des copies dématérialisées à des fins d'information de l'inspection du travail et du suivi statistique de ces contrats.

En ce qui concerne le titre II, la loi contribue, par l'intégration des stages en entreprise à un cursus pédagogique, à normaliser les pratiques et met fin à des abus qui avaient été observés. Elle empêche notamment que le stagiaire puisse être en situation d'exécuter une tâche correspondant à un poste de travail permanent. La conclusion d'une convention tripartite – établissement d'enseignement, établissement d'accueil, stagiaire –, l'encadrement de la durée des stages, l'introduction d'un délai de carence sur un même poste et l'introduction d'une gratification constituent autant de garanties en ce sens.

Les modalités de la convention de stage et celles de l'intégration des stages à un cursus pédagogique sont définies par le décret du 29 août 2006 modifié par le décret du 25 août 2010, avec substitution de base légale entre la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances et la loi du 28 juillet 2011 pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels. Les dérogations à la règle d'une durée maximale de six mois sont prévues par plusieurs décrets pour les huissiers de justice, les avocats, les notaires, les experts-comptables et les géomètres experts. Le décret du 31 janvier 2008 fixe le montant de la gratification des stages lorsque leur durée est supérieure au seuil mentionné à l'article L. 612-11 du code de l'éducation et dans le cas où ce montant n'est pas prévu par la convention de branche ou un accord professionnel étendu. Le décret relatif à la tenue d'un registre des conventions de stage par l'entreprise est en cours d'élaboration.

S'agissant du titre IV, la forte et commune implication de l'État et des partenaires sociaux a permis, comme vous l'avez souligné, la mise en oeuvre rapide et efficace du contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Ce dispositif partenarial est un succès, comme le montre le fort nombre d'adhésions des salariés. Durant les cinq mois qui viennent de s'écouler, depuis l'entrée en vigueur de ce contrat, la priorité a été donnée par les partenaires sociaux et l'État aux salariés. Tous les textes essentiels permettant de proposer le dispositif aux salariés – 98 % du salaire net pendant un an, accompagnement renforcé et sécurisation – ont été pris. Restent certains aspects très techniques à régulariser, qui n'impactent pas le service rendu aux salariés ; ce sera fait dans les semaines qui viennent.

Vous avez également attiré mon attention sur la possibilité pour les bénéficiaires d'un congé de reclassement d'effectuer des périodes de travail en entreprise. Cette possibilité existe déjà pour les bénéficiaires du contrat de sécurisation professionnelle, et vous avez voulu l'étendre aux salariés en congé de reclassement. Cela prouve, une fois de plus, que le contrat de sécurisation professionnelle fonctionne très bien et qu'il inspire des évolutions pour d'autres dispositifs. Le texte réglementaire que vous avez évoqué est en cours de finalisation et paraîtra dans les toutes prochaines semaines. En 2011, nous avons enregistré 22 030 contrats de sécurisation professionnelle, grâce à une montée en charge du dispositif – 645 entrées en septembre, 9 073 en décembre. Pour 2012, il semble raisonnable de tabler sur 80 000 à 90 000 bénéficiaires, soit environ 7 000 nouveaux bénéficiaires par mois en moyenne.

PermalienPhoto de Michel Issindou

Notre groupe approuve le dispositif de l'alternance, même s'il n'a pas voté toutes les lois en la matière.

Jeudi dernier, j'ai visité le CFA compagnonnique d'Echirolles où j'ai vu des alternants heureux d'apprendre un métier. J'y ai même rencontré une jeune fille titulaire d'une licence de psychologie, reconvertie avec bonheur dans la peinture en bâtiment faute d'avoir trouvé du travail dans sa première spécialisation. Toutefois, les dirigeants de ce centre m'ont indiqué qu'en période de crise les embauches d'apprentis se font rares, les PME n'y recourant que lorsque les carnets de commande sont remplis. Ils m'ont également décrit un système complexe pour les PME en termes de formalités d'embauche, ce qui est surprenant, madame la ministre, si l'on se réfère à la campagne de publicité que vous avez lancée sur une chaîne de radio. Ils m'ont en outre fait part de leurs difficultés à trouver des tuteurs dans la durée. En effet, dans les PME surchargées de travail, les tuteurs ne sont pas toujours disponibles, voire sont souvent absents ou même gênés par l'arrivée d'un apprenti. Elles ont besoin de gens opérationnels immédiatement et n'ont pas le temps de former un apprenti. De ce fait, beaucoup d'élèves se découragent – les six premiers mois sont les plus durs, avec un taux d'échec assez important chez ceux qui ont le sentiment d'être une charge pour l'entreprise.

En conclusion, si le dispositif est très bon pour ceux qui ont la chance d'en bénéficier et sont très motivés, il ne règle pas pour autant toute la question du chômage des jeunes aujourd'hui.

PermalienPhoto de Fernand Siré

Je suis médecin et issu de l'enseignement technique. Le problème aujourd'hui est la dévalorisation des métiers techniques et la sélection par l'échec, les jeunes jugés incapables de suivre une formation générale à la sortie du collège étant orientés vers des enseignements techniques. Or il existe aussi des métiers intellectuels qui nécessitent une formation alternée. Les choses ont donc changé, mais malheureusement pas la mauvaise image qu'ont les parents des métiers techniques, si bien que trop de jeunes choisissent encore aujourd'hui d'aller en faculté où le taux d'échec en première et deuxième années est très important.

L'apprentissage à quinze ans est une très bonne chose, mais il est anormal de voir des jeunes gens devenir apprentis à vingt-deux ou vingt-trois ans, après avoir passé deux ou trois ans à l'université dans le cadre d'une formation n'offrant de débouchés qu'à une minorité d'entre eux. Lorsqu'un jeune est déçu, il lui est très difficile ensuite de croire en ses chances dans la vie.

PermalienPhoto de Bernard Perrut

On ne peut que se féliciter de l'évolution de l'alternance dans notre pays grâce à des mesures initiées au plus haut niveau de l'État – je pense aux interventions du Président de la République le 24 septembre 2009 et le 1er mars 2011, qui ont donné une impulsion forte à la politique en la matière. Les mesures existantes ont été renforcées grâce à cette loi qui réalise de nombreuses avancées : carte étudiant des métiers ; portail de l'alternance, qui permet aux jeunes de s'orienter et de connaître leur future rémunération ; simplification des formalités administratives ; préparation opérationnelle à l'emploi dont le nombre devrait être multiplié par six entre 2011 et 2012 si les financements sont au rendez-vous.

Comme l'ont souligné les responsables de chambres de commerce et d'industrie et de chambres de métiers que j'ai rencontrés avec Gérard Cherpion, ce sont les petites et très petites entreprises qui jouent le jeu de l'apprentissage. En effet, aujourd'hui, les établissements de plus de 200 salariés, qui représentent près du quart de l'emploi, reçoivent seulement 14 % des apprentis, ce qui est tout à fait regrettable. Il y a donc des efforts considérables à faire. Il faut aussi ouvrir de nouvelles professions et d'autres secteurs, comme la banque et l'assurance, à l'apprentissage. À cet égard, l'Allemagne, où existe une culture de l'apprentissage, est un très bon exemple. À une certaine époque, la France s'est sans doute désintéressée de l'apprentissage qui renvoyait à des métiers manuels et ne correspondait pas à une voie d'excellence. Aujourd'hui, il faut le valoriser en montrant qu'il permet aux jeunes d'accéder à un métier et de réussir leur vie professionnelle. Je souhaite donc que l'objectif de 800 000 jeunes en alternance soit atteint.

Pouvez-vous, madame la ministre, nous donner votre point de vue sur le renforcement de l'alternance au niveau des grandes entreprises ? Par ailleurs, certaines régions jouent-elles mieux le jeu de l'apprentissage ? Et, si oui, à quoi cela tient-il ?

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

La dévalorisation dont a parlé Fernand Siré reste vraie. Pour y remédier, je suggère une solution. Il y a quinze ans, nous avions décidé d'implanter les CFA au milieu des écoles d'ingénieurs et de les appeler facultés des métiers. Une telle dénomination change l'image que le jeune – ou son amie – a de lui. Le 11 septembre 2001, le président Jacques Chirac avait inauguré une telle « faculté des métiers », où étaient inscrits 2 500 jeunes.

Lors de la discussion de la réforme des retraites, nous avions aussi réussi à faire adopter un amendement qui prévoyait un crédit de 20 millions d'euros pour remédier à la pénibilité et favoriser le tutorat. Je souhaiterais qu'avec le cabinet du ministre chargé du travail, nous puissions réfléchir aux conditions d'application de ce texte. Il s'agit, notamment dans les métiers de l'agro-alimentaire et ceux soumis au régime du deux-huit ou du trois-huit, de permettre à des salariés âgés, fatigués mais ne pouvant bénéficier de la règle des 10 %, d'être tuteurs, et d'inciter les entreprises à organiser des formations à cette fin. Si un arrêté d'application a bien été publié, je ne suis pas sûr que, eu égard à sa complexité, ce dispositif puisse être utilisé efficacement.

Enfin, je suis très perplexe sur les conséquences de l'augmentation de la majoration de la taxe d'apprentissage. Je suis moi-même élu d'un bassin où 45 % des emplois relèvent de l'industrie. La communauté d'agglomération, de 70 000 habitants, comporte quinze entreprises industrielles de plus de 500 salariés. La plupart d'entre elles disent ne pas être capables de trouver un nombre de jeunes à embaucher suffisant pour échapper à cette majoration. Madame la ministre, si elles n'y arrivent pas, seront-elles contraintes de la payer ?

PermalienNadine Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle

Monsieur Issindou, j'ai visité beaucoup de CFA. Chaque fois, j'y ai rencontré des jeunes « bien dans leur peau ».

Bien sûr, le seul développement de l'alternance ne permettra pas de régler les difficultés d'emploi de tous les jeunes. Pour autant, l'alternance est un levier puissant, et connu comme tel. Nous avons des décennies de retard sur l'Allemagne. Le message que nous avons fait jusqu'ici passer dans l'esprit des parents, c'est que la voie royale pour l'emploi, c'est le bac S, et lui seul.

Les ministres de l'éducation nationale et de l'agriculture, ainsi que moi-même allons adresser aux enseignants chargés de l'orientation une lettre pour les sensibiliser à l'ensemble des filières et des métiers et changer le regard porté sur l'orientation. Aujourd'hui encore, les filles sont orientées vers les métiers des services et les garçons vers l'industrie et la recherche. Il faut ouvrir au contraire toutes les palettes aux jeunes. Il est tout à fait possible de réussir une carrière professionnelle à partir de la professionnalisation. Un jeune qui commence par un CAP peut ensuite devenir ingénieur ou chef d'entreprise. Au-delà de l'enseignement théorique ou pratique, ce qui fait que les jeunes en CFA sont bien dans leur peau, c'est qu'ils savent que des perspectives leur sont ouvertes.

La semaine dernière, je suis allée chez Airbus France pour signer un accord faisant passer la part de salariés en alternance de 3 % à 5 %, comme en Allemagne.

Lors d'une réunion organisée par le Club de l'apprentissage, que j'ai créé, M. Robert Mahler, ancien président France d'Alstom, a expliqué aux jeunes qu'il avait commencé sa carrière avec un CAP d'électro-mécanicien. Ces jeunes ont été enthousiasmés ! Même débutant avec un CAP, ils peuvent déterminer le niveau jusqu'où ils voudront aller. Cela leur donne une confiance dans l'apprentissage.

À la suite de notre campagne de sensibilisation au dispositif « zéro charges » à l'adresse des entreprises de moins de 250 salariés, nous avons reçu 40 000 demandes. Nous avons donc bien enclenché une dynamique. Les développeurs de l'apprentissage, que nous avons financés – à hauteur de 9 millions d'euros –avec les chambres consulaires, sensibilisent eux aussi les entreprises, et leur action donne des résultats très concrets.

L'objet du portail de l'alternance et de la dématérialisation, c'est la simplification.

Vous avez souligné la difficulté de trouver des maîtres d'apprentissage ou des tuteurs. Après discussion avec les partenaires sociaux, nous avons pris un décret réduisant de cinq à trois ans la durée d'expérience professionnelle pour devenir maître d'apprentissage – quitte à ce que les branches maintiennent à cinq ans la durée d'exercice nécessaire dans les secteurs pour lesquels elles considèrent qu'une expertise plus approfondie est nécessaire. Cette diminution nous permet d'élargir le vivier des maîtres d'apprentissage.

J'ai signé une charte tendant à revaloriser les tuteurs.

J'ai également rassemblé l'ensemble des branches professionnelles pour prendre des engagements à la fois quantitatifs et qualitatifs en matière de développement de l'alternance. Ces actions donnent de bons résultats.

Je me réjouis que nous arrivions petit à petit à sortir l'apprentissage de son image de dispositif limité aux métiers du bâtiment et des travaux publics ou, plus généralement, aux métiers manuels ; l'apprentissage concerne aussi les métiers des services. J'ai signé avec le secteur bancaire, avec les entreprises du CAC 40, ou encore avec la SNCF, des engagements pour y développer l'alternance.

Il reste que, comme M. Siré l'a souligné, nous ne remporterons ce combat que si la filière de l'apprentissage perd son image de filière dévalorisée. Nous devons changer nos réflexes, ainsi que les mentalités. Il faut désormais orienter non pas par défaut, mais par talent, par choix, et sur la base de l'envie de pratiquer.

Pour l'orientation des jeunes, on ne parle aux parents que des filières, jamais des métiers. Or, ce qui est fondamental, c'est bien les métiers ! Y recrute-on ? Et y recrute-t-on dans la région du jeune ? Une étude de Pôle emploi et du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC), parue en 2011, démontre, secteur par secteur et région par région, que notre pays dispose d'un potentiel de 1,6 million d'emploi.

Il nous faut une mise en adéquation des besoins des entreprises et des formations. Nous devons mieux orienter les jeunes en fonction des potentiels des filières. Nous en voyons trop venir se plaindre, dans nos permanences, de ne pas trouver de travail malgré un niveau de formation élevé, tout simplement parce qu'ils ont suivi une filière inadaptée.

Il ne faut pas hésiter non plus à dire aux jeunes qui ne trouvent pas d'entreprise où travailler, ainsi qu'à leurs familles, que, tant sur le portail de l'alternance que sur le site de Pôle emploi, ils peuvent trouver une carte de France sur laquelle un simple clic permet de faire apparaître, dans chaque région, des entreprises qui recrutent et embauchent des jeunes en contrat d'alternance.

Monsieur Perrut, nous avons signé avec de grandes entreprises des contrats par lesquels elles s'engagent sur des contrats d'apprentissage en entreprise. Ainsi le groupe DCNS – je me rendrai demain dans son établissement du Finistère – s'engage à un pourcentage de 7 % de contrats en alternance.

La préparation opérationnelle à l'emploi, ou POE, est aussi un dispositif efficace. Grâce à elle, nous disposons – pour une fois – d'un module de mise en adéquation des besoins de l'entreprise et de ceux du demandeur d'emploi. Alors que, l'an dernier, nous nous étions fixé un objectif de 10 000, nous en sommes à près de 10 800, et, pour 2012, notre objectif est de 75 000. J'ai tenu, la semaine dernière, une réunion avec les directeurs régionaux de Pôle emploi pour les mobiliser sur ce dispositif et sur la formation en alternance.

J'ai aussi demandé aux préfets une cartographie des CFA. Jusqu'ici, en effet, nous ne disposions pas de leur taux d'occupation. La maîtrise de cette donnée nous permet de sensibiliser les autorités territoriales, les chambres consulaires et les missions locales – lors des assises des missions locales, il a été décidé que celles-ci accompagneraient 50 000 jeunes vers les contrats en alternance.

Parmi les régions les plus actives dans ce domaine figurent notamment la région Nord-Pas-de-Calais et la région Alsace. La région Lorraine consacre 70 millions d'euros à un programme auquel l'État apporte un montant équivalent. La région Île-de-France a conclu avec l'État un contrat d'objectifs et de moyens où chacune des deux parties apporte 325 millions d'euros, pour un objectif de 118 000 apprentis d'ici à 2015. C'est la première fois que les régions acceptent par contrat de consacrer à un programme des moyens financiers identiques à ceux qu'y affecte l'État. Ces montants représentent aujourd'hui 1,7 milliard d'euros pour chacune des parties. Bref, il existe bien en France une volonté partagée de développer l'alternance.

Monsieur le président Méhaignerie, vous proposez – très judicieusement comme toujours – d'utiliser le fonds de 20 millions d'euros chargé de financer des actions de prévention en matière de pénibilité pour développer le tutorat. Nous devrons travailler à la mise en oeuvre de ce dispositif avec le ministre Xavier Bertrand.

Par ailleurs, par tradition, l'État français pratique à l'égard des entreprises l'incitation financière – suppression des charges –, mais il intervient malheureusement aussi de façon plus coercitive en imposant le respect de quotas, ce qui n'est pas le cas en Allemagne.

Au regard des excellents résultats obtenus en un an, malgré un contexte difficile, le Président de la République a souhaité mobiliser les grandes entreprises de plus de 250 salariés, pour les inciter à recruter. Ces entreprises devront ainsi atteindre un quota de 5 % – dont je rappelle qu'il n'est pas imposé aux entreprises de moins de 250 salariés – si elles veulent échapper à une surtaxe, dont le produit nous a permis, l'an dernier, d'accroître les contrats d'objectifs et de moyens. Chacun doit montrer l'exemple. La mobilisation des branches professionnelles et les engagements pris m'incitent à penser que nous sommes dans la bonne direction. Je rappelle aussi l'institution d'un bonus, certes modeste, en cas de conclusion de tels contrats. Nous devons tous faire des efforts pour enclencher la dynamique.

PermalienPhoto de Jean-Patrick Gille

Le rapport que nous avons rendu était un rapport non pas d'évaluation, mais d'application de la loi. Nous saurons plus tard si la loi aura été bonne, d'autant qu'elle comporte de nombreux volets. Le contrat de sécurisation professionnelle a fait l'objet d'un large consensus. Nous avons soutenu certaines des mesures relatives à l'alternance. Les décrets d'application de celles d'entre elles que nous contestons ne sont toujours pas publiés et quand ils le sont, leurs dispositions semblent peu utilisées.

L'an dernier, l'augmentation du nombre d'apprentis a été de 7 000. Cette croissance, relativement modeste, est largement due au rétablissement d'aides en faveur du contrat de professionnalisation, qui avaient disparu.

Le fait que la loi ait indifférencié le contrat d'apprentissage et le contrat de professionnalisation ne me paraît pas une excellente chose. Il serait bon de réserver le contrat d'apprentissage à une forme de formation initiale, un peu longue, et le contrat de professionnalisation à un public souvent un peu plus âgé, ayant déjà bénéficié d'une formation mais en ayant besoin d'une nouvelle.

La carte d'étudiant des métiers ne me semble pas avoir encore la valeur d'une véritable carte d'étudiant. Il faut déterminer précisément qui la délivre, voire qui l'imprime : est-ce l'organisme de formation, la chambre consulaire, la région ? Après évaluation de la situation, à la fin de l'année, il faudra déterminer l'autorité compétente. Le CFA que je préside s'intéresse à la magnétisation de la carte pour gérer à partir de celle-ci des services destinés à ses titulaires.

En matière d'emploi, vous souhaitez visiblement mener une politique du chiffre. Nous sommes favorables à un accroissement de la formation en alternance et au dispositif d'insertion, mais il ne faut pas « faire du chiffre » à tout prix en dérégulant tout. Le nombre viendra avec la qualité. Les conditions dans lesquelles les régions se sont emparées du dossier sont positives, mais nous craignons qu'une politique du chiffre et une dérégulation pas toujours justifiée ne conduisent nos concitoyens à assimiler de nouveau l'apprentissage à une forme d'emploi au rabais.

Le contrat de sécurisation professionnelle, qui a fait l'objet d'un consensus, connaît des débuts prometteurs. Son point de départ est un accord interprofessionnel, qui a été traduit dans la loi, de laquelle a ensuite découlé une convention. La qualité de la démarche contribue à celle du dispositif. Sans vouloir faire preuve de mauvais esprit, une telle démarche me paraît plus efficace qu'un référendum !

Enfin, le succès du contrat de sécurisation professionnelle est dû à la réunion, assez unique, de deux éléments : un accompagnement renforcé et une approche territoriale – la mise en place de comités de pilotage a permis d'impliquer tous les financeurs et les décideurs au plus près du terrain. Nous pouvons partager ces critères de qualité.

PermalienPhoto de Gérard Cherpion

Il faut souligner que la mise en place de la loi a été extrêmement rapide. Avec nos collègues Bernard Perrut et Jean-Charles Taugourdeau, nous avons eu l'idée d'écrire le texte au lendemain du discours du Président de la République à Bobigny, le 1er mars 2011, et la loi a pu être appliquée dès le 28 juillet, après décision du Premier ministre d'engager la procédure accélérée. Notre évaluation ne porte donc que sur six mois.

Alors que, comme Michel Issindou l'a rappelé, nous sommes en période de crise, et même si tous les résultats ne sont pas encore là, les objectifs de simplification, d'ouverture de l'apprentissage à un nombre plus important de jeunes, de création de passerelles entre l'apprentissage et l'enseignement général sont bel et bien en cours de réalisation. Même si les entreprises recrutent peu aujourd'hui, nous constatons un accroissement du nombre de contrats en alternance. Pour moi, c'est l'effet non pas du hasard, mais à la fois des mesures d'accompagnement prises par le Gouvernement et des nouvelles possibilités et expérimentations introduites par cette loi.

Il faut aussi rappeler que l'alternance permet le financement des études de jeunes de familles modestes. Dans notre société, c'est une forme d'ascenseur social.

Enfin, le contrat de sécurisation professionnelle avait bien pour objectif de créer, sur tout notre territoire, un système unique et équitable pour l'ensemble des salariés licenciés économiques. Un parallélisme a ainsi été créé entre les licenciés économiques des entreprises de moins de 1 000 salariés et les congés de reclassement dont peuvent bénéficier les salariés d'entreprises de plus de 1 000 salariés.

Le calendrier législatif nous a contraints d'effectuer cet exercice d'évaluation dès aujourd'hui, mais nous devrions déjà constater les effets bénéfiques de la loi à la rentrée de septembre, voire dès le mois de juillet prochain.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

En conclusion, j'ai entendu un jour un représentant allemand des entreprises expliquer qu'il n'était possible de défendre l'apprentissage et l'alternance qu'en démontrant clairement que les jeunes peuvent avoir tout au long de leur vie la possibilité d'acquérir tous les diplômes.

PermalienNadine Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle

Bien sûr.

PermalienPhoto de Pierre Méhaignerie

Or, en France, l'existence de plusieurs organismes chargés de la formation initiale ou continue rend difficile la valorisation des acquis de l'expérience. Il reste encore des obstacles à lever.

La Commission autorise à l'unanimité le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.