La loi comportait en premier lieu des mesures concernant l'alternance. J'en évoquerai quelques-unes. L'exercice est délicat pour moi, d'une part, parce que c'est une loi que mon groupe n'a pas votée et dont il a, même fortement combattu certaines des mesures – je pense à l'apprentissage à quatorze ans prévu à l'article 19 – ; d'autre part, parce que nous manquons de recul pour en mesurer la portée et l'efficacité. Il s'agit pour nous de faire le point sur ce qui a été mis en place et ce qui n'a pu l'être.
Les trois premiers articles de la loi visaient à créer une carte d'étudiant des métiers pour valoriser les jeunes en alternance et les mettre sur un pied d'égalité avec les étudiants. Les textes d'application sont parus et la carte vient d'être lancée. Elle existe concrètement, même si sa diffusion est encore contrastée, certains centres de formation d'apprentis distribuant encore l'ancienne carte. Il reste des incertitudes sur les avantages auxquels elle donnera droit, au-delà de ce qui a déjà été acté sur l'accès aux restaurants universitaires – avec une compensation du ministère à hauteur de 10 millions d'euros – et aux logements étudiants. Cela suppose de nombreuses négociations. Mme la ministre pourra peut-être nous en dire plus.
Le portail internet de l'alternance, prévu par l'article 4 de la loi, se met en place à partir de l'amélioration du portail préexistant, dont le fonctionnement n'était pas satisfaisant. S'agissant du versant « employeurs », des progrès restent à faire pour parvenir à une véritable dématérialisation de la rédaction, de la signature et de l'enregistrement des contrats. Il reste aussi à enrichir la base de données pour le calcul des rémunérations, qui ne semble pas vraiment prendre en compte les stipulations des conventions collectives. Pour ce qui concerne les jeunes et leurs familles, le portail de l'alternance semble pour le moment alimenté essentiellement, voire exclusivement, par des offres de Pôle emploi – d'après ce que j'ai constaté, la base n'est pas très fournie. Par ailleurs, et malgré les termes de la loi, le portail ne travaille pas vraiment en complémentarité avec le site « Orientation pour tous » puisque, actuellement, l'un et l'autre proposent en concurrence une banque de données sur les offres de formation en alternance et qu'il n'y a pas, semble-t-il, de lien internet entre eux. Il semble cependant que des contacts ont été pris pour rapprocher les deux sites, ce à quoi nous sommes attachés. Quels sont précisément les développements attendus dans les prochains mois sur la question, madame la ministre ?
La loi comprend plusieurs mesures visant à sensibiliser les élèves de l'enseignement secondaire aux formations en alternance. En particulier, l'article 17 ouvre la possibilité à l'éducation nationale d'aménager des sections pré-professionnelles dès la quatrième, et l'article 18 élargit le champ du « dispositif d'initiation aux métiers en alternance » ou DIMA. Des décrets d'application sont en cours de finalisation sur ces mesures qui suscitent, je ne le cache pas, certaines inquiétudes. Pouvez-vous, madame la ministre, nous indiquer ce que sera le contenu de ces décrets ?
D'autres dispositions visent à ouvrir de nouveaux champs aux formations en alternance : je pense à l'alternance avec deux employeurs dans les activités saisonnières, à l'apprentissage en intérim, ou encore à la possibilité de faire des contrats de professionnalisation pour les particuliers-employeurs. Sur ce dernier point, l'application est renvoyée à un accord de branche qui ne semble pas prêt d'être conclu et je n'en suis pas désolé. Sur les deux premiers points, des décrets sont en préparation, mais il semble y avoir des difficultés, le Conseil d'État ayant rendu un avis négatif sur le projet concernant l'apprentissage en intérim – ce sujet renvoie au double tutorat. Compte tenu de la complexité des dispositifs en cause, ces difficultés ne me surprennent pas. Mais nous souhaiterions savoir précisément ce qui bloque dans la rédaction de ces deux décrets.
Parmi les mesures destinées à faciliter les parcours en alternance, l'article 20 de la loi a été présenté comme très attendu. Il s'agit, je le rappelle, d'autoriser les CFA à former sous le statut de stagiaire de la formation professionnelle des jeunes sans contrat d'apprentissage jusqu'à ce qu'ils trouvent une entreprise et pour un an au plus, ou en fin de contrat en cas de rupture de celui-ci. Le décret d'application est paru, mais les premiers retours du terrain sont parfois contradictoires : on nous dit que la mesure commence à être mise en oeuvre et répond à un réel besoin, en particulier en cas de rupture du contrat, mais des difficultés sont parfois signalées, notamment pour trouver des entreprises pour les stages. Avons-nous un bilan chiffré précis de l'application de la mesure ?
Manquent également les décrets sur l'article 24, qui vise à répondre à l'épineuse question du baccalauréat professionnel en trois ans, et sur l'article 13 qui traite de l'information des CFA en matière de taxe d'apprentissage.
Parmi les rapports non publiés, figure celui sur le financement des examens, qui reste à la charge des CFA.
Enfin, il faudrait approfondir la question de la prévention des ruptures, en particulier en début de contrat. Des expérimentations ont en effet montré que le taux de rupture baisse significativement si des dispositifs de médiation sont mis en place rapidement.
Je conclurai sur l'alternance avec deux points plus positifs.
Tout d'abord, la simplification des formalités d'enregistrement, prévue à l'article 11 de la loi, a fait l'objet d'un décret du 21 décembre 2011 qui répond à certaines difficultés. Un point doit toutefois être signalé : les chambres consulaires sont attachées à garder la possibilité de consulter les services de l'État sur les contrats litigieux, même si le contrôle administratif a été supprimé. Des instructions ont-elles été données à vos services pour qu'ils répondent à ces sollicitations ?
Ensuite, la préparation opérationnelle à l'emploi, ou POE, dite collective, rencontre un réel succès du fait de la mobilisation des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). Ces derniers s'inquiètent néanmoins de la fragilisation du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels qui, je vous le rappelle, finance une partie des contrats de professionnalisation.
J'en viens au deuxième thème traité par la loi, à savoir les stages étudiants. Le titre II de la loi transpose les dispositions de l'accord national interprofessionnel du 7 juin 2011 et comprend d'importants progrès pour les stagiaires, dont plusieurs sont d'application directe : il en est ainsi de l'obligation de respecter un délai de carence entre deux stages sur un même poste, de l'accès des stagiaires aux activités sociales et culturelles des comités d'entreprise, de l'information de ceux-ci sur le recours aux stages, ou encore de la meilleure prise en compte du stage dans le décompte de la période d'essai et dans l'ancienneté en cas d'embauche postérieure du stagiaire dans l'entreprise.
Mais deux dispositions nouvelles renvoient à des décrets d'application : la limitation à six mois par année scolaire de la durée de stage dans une même entreprise, avec des dérogations à préciser ; l'obligation de tenir à jour un registre des stages, et notamment les mentions qui devront y figurer. En outre, la codification de dispositions antérieures sur les stages, par exemple le principe de gratification, implique une modification formelle de leurs décrets d'application. Il faut codifier ces décrets dans la partie réglementaire du code de l'éducation.
Or le Gouvernement semble hésiter sur la démarche à suivre, compte tenu sans doute de la complexité qu'il y aurait à lister et à définir tous les cas de dérogation à la règle des six mois de durée maximale des stages. La rédaction d'un décret dans ce domaine obligerait aussi à se prononcer sur la légitimité de certaines des dérogations demandées, alors que l'encadrement des stages reste manifestement une question conflictuelle. On se souvient à cet égard que les cas de dérogation inscrits dans le décret du 25 août 2010 ont suscité bien des débats. Étant moi-même très réticent sur ces dérogations, je pense qu'il aurait fallu les écarter dans la loi, comme le souhaitaient les partenaires sociaux. Quoi qu'il en soit, en tant que rapporteurs, nous ne pouvons que rappeler les termes de la loi : des textes réglementaires sont prévus et manifestement nécessaires, notamment pour l'entrée en vigueur effective de l'obligation de tenir un registre des stages, lequel fournira un outil très utile de contrôle a posteriori des éventuels abus. Les auditions conduites ont en effet montré que, au-delà du renforcement de la réglementation, le contrôle et la limitation du pourcentage de stagiaires par entreprise constituent des enjeux essentiels dans la lutte contre ces abus. Ce chantier n'a pas encore été ouvert s'agissant des stages, non plus que celui de la sanction des dérives éventuellement constatées.
En conclusion, je poserai donc trois questions à Mme la ministre. Quand les décrets exigés par la loi seront-ils pris ? Quel sera leur contenu ? Et comment le Gouvernement envisage-t-il de mettre en place des moyens effectifs pour contrôler l'application de cette nouvelle réglementation qui protège enfin, dans son principe, les stagiaires – sachant que l'abus de stages est un phénomène en plein développement ?