Consultez notre étude 2010 — 2011 sur les sanctions relatives à la présence des députés !

Commission des affaires étrangères

Séance du 25 janvier 2012 à 9h45

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • chine
  • chinois
  • corée
  • corée du nord
  • nord
  • nord-coréen
  • sud

La séance

Source

Réunion sur la Corée du Nord, en présence de M. Pierre Rigoulot, directeur de l'Institut d'Histoire sociale, et de Mme Valérie Niquet, responsable Asie à la Fondation de la recherche stratégique (FRS)

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Nous consacrons notre séance de ce matin à la Corée du Nord. Quelles sont les conséquences possibles de la récente disparition de Kim Jong-il et de l'arrivée à la tête du régime de son fils, Kim Jong-eun, tout à la fois sur la situation intérieure de ce pays, sur ses relations avec la Corée du Sud et, plus généralement, sur l'équilibre régional ?

Je remercie M. Pierre Rigoulot, directeur de l'Institut d'histoire sociale, et Mme Valérie Niquet, responsable Asie à la Fondation de la recherche stratégique, d'avoir bien voulu participer à notre réunion.

M. Rigoulot est un excellent connaisseur de la société Nord-Coréenne. Il est notamment l'auteur de deux ouvrages, Les Aquariums de Pyongyang et Corée du Nord, État voyou, et le fondateur d'un Comité d'aide à la population Nord-Coréenne.

Même si Paris abrite une délégation générale de la République populaire démocratique de Corée, dont j'ai reçu le responsable la semaine dernière, et si la France a ouvert en octobre dernier un bureau de coopération à Pyongyang, nous savons bien peu de choses sur ce pays avec lequel nous n'entretenons pas de relations diplomatiques et duquel ne filtrent que très peu d'informations. Il semble traverser une période de glaciation depuis près de soixante ans et n'avoir guère évolué au cours des dernières décennies, comme s'il était étranger aux bouleversements que le monde a connus depuis 1989.

L'arrivée au pouvoir d'un homme de moins de trente ans peut-elle, selon vous, changer cette situation ? La légitimité du petit-fils du fondateur du régime pourrait-elle être remise en question ? L'attitude de la Chine, seul soutien extérieur du régime, est-elle susceptible d'évoluer ? Ce système totalitaire peut-il se maintenir encore longtemps, alors que le fossé se creuse avec la Corée du Sud autrement plus prospère ?

M. Pierre Rigoulot, directeur de l'Institut d'histoire sociale.

Pour les besoins de l'analyse, je distinguerai la situation intérieure de la Corée du Nord et les aspects de politique extérieure. Mais la situation intérieure de la Corée du Nord est tributaire des relations que le régime de Pyongyang entretient avec le monde extérieur, notamment avec ses voisins et les États-Unis. Les pressions se sont nettement accrues depuis l'abandon de la sunshine policy, ou politique de la main tendue. La nouvelle politique de fermeté consistant pour la Corée du Sud et l'Occident à monnayer leur aide contre des gestes de réciprocité a changé la donne intérieure : en l'absence, précisément, de réciprocité, l'aide accordée de façon bilatérale ou par le biais du Programme alimentaire mondial a fortement diminué, entraînant un accroissement des difficultés alimentaires et énergétiques du pays et un rapprochement avec la Chine bien plus qu'une évolution vers une politique plus ouverte à l'égard des pays voisins, plus libérale en matière économique et plus respectueuse des libertés.

Autre exemple de cette interdépendance de la situation intérieure et de la politique extérieure : la présence économique grandissante des Chinois dans le pays et leurs projets de développement à la frontière sino-coréenne donnent quelques espoirs quant à l'adoption de réformes.

Si la mort de Kim Jong-il ne semble pas avoir bouleversé immédiatement les données sociales, économiques et politiques, c'est malgré tout la première fois que nous pouvons douter autant de la stabilité du pouvoir en Corée du Nord. Le nouveau numéro un est jeune et inexpérimenté. Il n'est pas impossible que celui que l'on présente souvent comme son régent, Jang Song-taek, ait envie de régenter pour son propre compte.

On se gardera de spéculer sur une division des deux autres centres de pouvoir, l'armée et le parti : la doctrine officielle de la Corée du Nord, le songun, qui donne la priorité à l'armée, a été lancée par le parti. De fait, tout est militarisé, y compris le parti, et tout est politisé, y compris l'armée. C'est ainsi que Jang Song-taek, après son retour en grâce, a été nommé, tout comme son épouse, général quatre étoiles.

Sur le plan social, la police continue de quadriller le pays et peut compter sur un réseau d'îlotiers pour parfaire sa surveillance. Une propagande unilatérale est toujours déversée sur les citoyens. La répression peut s'abattre brutalement sur n'importe qui. Le pays continue d'abriter un réseau de camps de concentration, dont six grands camps dits kwan-li-so – colonies de travaux forcés pour les ennemis politiques – regroupant environ 100 000 détenus. Ces camps étaient deux fois plus nombreux lorsque j'ai écrit, il y a un peu plus de dix ans, Les Aquariums de Pyongyang avec Kang Chol-hwan, interné à l'âge de neuf ans au camp de Yodok, qui était destiné plus particulièrement aux familles de détenus politiques. Mais ce changement est moins un signe de libéralisation du régime que l'effet d'une rationalisation, voire, pis encore, l'indice que l'emprise sur la population est telle que les internements ont moins lieu d'être. Comme le montre un récit extraordinaire et effroyable – tortures, mutilations, meurtres – que les éditions Belfond publieront en avril prochain, la Corée du Nord a réussi à façonner la conscience des gens au point qu'ils peuvent se sentir coupables de ne pas dénoncer un frère ou une mère qui tente de s'enfuir. Dans de telles conditions, il n'est plus besoin de multiplier les arrestations !

Ces six grands camps forment des sortes de « réserves » atteignant, pour certains, plusieurs centaines de kilomètres carrés. Le camp 14, au centre du pays, regroupe des dizaines de milliers de prisonniers sur 300 km2, avec ateliers, écoles rudimentaires, lieux d'élevage de bétail, mines, carrières et casernes. Il faut y ajouter un système de camps plus petits – les kyo-hwa-so, ou centres de rééducation par le travail – où les détenus sont envoyés pour des fautes jugées moins importantes et où ils doivent travailler en général quelques mois. On y place, par exemple, les personnes qui ont tenté de fuir leur pays et qui sont soit capturées par la police, soit arrêtées en Chine et remises aux autorités de Corée du Nord.

Pour être objectif, je dois signaler que des rumeurs d'amnistie courent actuellement à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Le 10 janvier dernier, la Corée du Nord a annoncé la libération de prisonniers à l'occasion du centième anniversaire de la naissance de Kim Il-sung, le 16 avril 2012. On ne connaît pas l'ampleur de cette mesure qui, de toute façon, sera liée non à l'avènement du jeune Kim Jong-eun mais aux festivités marquant l'anniversaire de la naissance de son grand-père. Près de vingt ans après sa mort, le fondateur de la République reste en effet omniprésent. « Président éternel de l'assemblée populaire suprême », il est oint de tous les effluves magiques de ce monde comme l'est également son fils : après la mort de ce dernier, l'ambassadeur de Corée du Nord à Berlin a déclaré par exemple qu'un oiseau avait effectué un vol stationnaire d'une heure pour taper avec son bec sur un carreau de l'ambassade et qu'une fleur de son jardin avait éclos en plein hiver, « miracle de la nature allemande » en hommage au cher leader disparu…

Les manifestations hystériques de douleur lors des funérailles de Kim Jong-il traduisent, quant à elles, la fermeture du pays et le contrôle de la population. La conception officielle du suryong fait du corps social un tout qui voit, juge et s'exprime par le leader. Sans objection possible, sans mise en cause, sans comparaison aisée avec l'extérieur, elle est intégrée par la grande majorité de la population, qui a ainsi vécu la mort de son dirigeant comme la perte de ce qui assurait la perpétuation du régime et donnait sens à la vie. La nécessaire émulation a fait le reste : il ne faisait pas bon rester les yeux secs à côté de pleureuses voisines, pas plus qu'il ne faisait bon être le premier à cesser d'applaudir aux discours de Staline, comme l'a rapporté Alexandre Soljenitsyne. Bien évidemment, de tels comportements ne sont possibles que dans un pays presque entièrement fermé.

Sans doute quelques fissures apparaissent-elles néanmoins dans le mur qui l'entoure, comme le montrent les données économiques. Les cassettes audio et vidéo, les postes de radio made in China, les téléphones portables – notamment ceux qui peuvent utiliser les relais chinois au nord – pénètrent dans le pays. Le 24 novembre 2011, le Korea Herald soulignait que l'utilisation des portables connaissait un véritable saut au nord et que le nombre d'appareils atteindrait le million à la fin l'année. Orascom Telecom, une entreprise égyptienne qui est le seul opérateur depuis 2008, contrôle 75 % d'une joint-venture formée avec Korea Link. Mais seule une élite peut se permettre un tel luxe : le revenu mensuel moyen est situé entre 10 et 15 dollars et le prix d'un téléphone s'élève à 350 dollars. Les appels internationaux sont étroitement contrôlés.

Cependant, de plus en plus de personnes utilisent le réseau chinois dans le nord du pays et arrivent à parler à des parents ou des amis partis clandestinement en Chine ou en Corée du Sud – on estime ces populations à 250 000 et 25 000 respectivement.

De même, il n'y a pas d'Internet mais une sorte d'intranet limité au pays.

D'autres produits de consommation courante passent en contrebande, mais aussi de l'argent chinois, ainsi que des récits et des témoignages qui rendent de plus en plus difficile la diffusion du discours officiel d'autosatisfaction à la gloire des dirigeants du régime.

À cette ouverture limitée et officieuse au vent du large, qui permet des comparaisons peu flatteuses pour le régime, s'ajoute une certaine incertitude quant aux règles de fonctionnement économique et financier. Les réformes des prix, notamment celle de novembre 2009, comme l'arbitraire des autorisations accordées à des citoyens de vendre au marché libre quelques légumes ou quelques marchandises passées en contrebande ou faits maison, ont entraîné un vrai mécontentement d'une partie de la population. Guère passionnée par la question de la succession, celle-ci attend plutôt des améliorations dans la distribution de la nourriture. La disette continue de sévir, en particulier dans les petites villes. Les transports et les soins médicaux connaissent des problèmes importants. Les contacts que j'ai eus avec une grande association humanitaire internationale m'ont conforté dans l'idée qu'aucun progrès n'a été accompli dans ce domaine depuis des années : les canalisations ne sont pas étanches, l'eau est souillée, les médicaments et les anesthésiants manquent dans les hôpitaux. Le témoignage de Norbert Vollertsen, un médecin allemand qui a exercé en Corée du Nord il y a une dizaine d'années, est toujours d'actualité.

Pour ces raisons, on peut caresser le mince espoir que le nouveau numéro un, dont l'aura est plus faible que celle de son père et à fortiori que celle de son grand-père, soit tenté d'asseoir sa légitimité sur une amélioration du sort de la population. Reste à savoir si cela est possible, et à quel prix il pourrait y parvenir dans des circonstances qui ne lui sont guère favorables. J'ai déjà dit son peu d'expérience. Alors que son père avait été désigné comme dauphin vingt ans avant d'exercer le pouvoir, il a eu entre dix-huit mois et deux ans pour s'y préparer. Il est jeune, ce qui n'est pas un avantage pour un dirigeant en Asie orientale. J'ai évoqué aussi les rapports qu'il entretient avec l'armée et avec l'homme qui monte, son oncle Jang Song-taek.

Cela nous amène aux données politiques. Toute réflexion sur la situation interne de la Corée du Nord se doit de mesurer le poids et les projets de cet homme, qui est le mari de la soeur cadette de Kim Jong-il. Après avoir été remercié par celui-ci en 2004 et envoyé en exil intérieur, Jang Song-taek effectue un retour en force notable depuis 2010. En atteste la promotion toute récente de son beau-frère Jon Yong-jin, âgé d'environ soixante-quinze ans, comme ambassadeur à Cuba, un des postes les plus importants de la diplomatie nord-coréenne.

La première caractéristique de la situation créée par la mort du « cher leader » est donc la montée en puissance de Jang Song-taek. Très influent au sein du comité central du Parti des travailleurs, il est en train d'élargir son pouvoir sur l'armée. Il semble même avoir plus de poids que son épouse Kim Kyong-hui, ce qui n'était pas le cas du vivant de Kim Jong-il. Je le crois plus ouvert à l'idée de réforme et j'avance l'hypothèse, risquée, qu'il se révélera l'homme des Chinois.

D'après des sources sûres, le jeune successeur Kim Jong-eun est soutenu actuellement par les organes de sécurité, par le département de la sécurité d'État et par le commandement de la sécurité de l'armée. Mais son influence est encore très limitée. Les récentes déclarations à un journaliste japonais du fils aîné de Kim Jong-il, éliminé du choix dynastique par son père, indiquent en tout cas que des relations particulièrement féroces risquent de se développer au sein de la famille. « Avec ou sans réformes, affirme Kim Jong-nam, le régime n'en a plus pour longtemps. » Selon lui, son demi-frère n'est qu'un nom : ce sont les membres de l'élite actuellement au pouvoir qui dirigent réellement.

Il est probable que nous ne verrons pas de signes d'instabilité avant les célébrations de février, mais ensuite tout sera possible, et c'est sans doute tant mieux !

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Je donne maintenant la parole à Mme Valérie Niquet, que notre commission a déjà entendue il y a deux ans, après que la Corée du Nord avait effectué son deuxième essai nucléaire.

PermalienValérie Niquet, responsable Asie à la Fondation de la recherche stratégique

Mon intervention portera plus spécifiquement sur les relations extérieures de la Corée du Nord.

Sans connaître aussi bien que Pierre Rigoulot les évolutions internes de ce pays, je pense moi aussi que l'oncle et la tante qui font figure de régents et la faction familiale réunie autour d'eux pourraient être « les hommes de Pékin », d'autant qu'ils contrôlent plus ou moins la production industrielle destinée à l'exportation. En effet, si le régime est extrêmement fermé, il est aussi, à l'instar de la Chine, extrêmement corrompu. L'éventualité d'une ouverture économique se traduirait par des perspectives d'enrichissement personnel bien plus larges que la situation actuelle. Cela peut être, comme en Chine, une incitation à la mise en place de réformes économiques.

Premier partenaire de la Corée du Nord, la Chine est la clé de l'évolution du régime. Les relations étroites entre les deux pays ont des raisons historiques. Depuis la guerre de Corée, la Chine reste liée à la Corée du Nord par un traité comportant un volet militaire qui n'a jamais été dénoncé. Qu'adviendrait-il en cas d'effondrement et d'intervention militaire dans la péninsule coréenne ? Il est douteux que la Chine volerait au secours du régime nord-coréen si celui-ci se lançait dans une aventure militaire mais, en cas d'effondrement, la question reste posée.

Le régime chinois est lui-même très divisé. Des débats importants ont actuellement lieu et les positions se sont radicalisées depuis quelques années. Le 18e congrès du parti communiste, qui se tiendra à l'automne, réveille les tensions. Le poids des militaires, qui entretiennent avec leurs collègues nord-coréens des liens d'étroite fraternité, semble se renforcer. Cette faction comprend tout à fait les Nord-Coréens lorsqu'ils affirment avoir besoin de l'arme nucléaire parce que leur régime est menacé. Ce discours de compréhension, voire d'adhésion, s'entend fréquemment à Pékin : ce que nous voyons comme une provocation est perçu comme un moyen naturel auquel recourt un État affaibli ou menacé.

En outre, bien que la définition de l'espace chinois soit figée depuis 1949, la Chine est confrontée à de nombreux conflits de minorités nationales à son pourtour. Or une importante minorité coréenne est présente dans la zone frontalière avec la Corée du Nord pour des raisons historiques : les limites entre les royaumes anciens et la géographie de leurs relations tributaires ne correspondent pas aux frontières fixées aujourd'hui. Les réfugiés nord-coréens viennent grossir les rangs de cette communauté. Pékin s'en inquiète beaucoup : quelles seraient les loyautés de part et d'autre de la frontière en cas d'effondrement du régime nord-coréen ?

Avec la chute de l'URSS, la montée en puissance de l'économie chinoise et la mise en place de sanctions contre la Corée du Nord, la Chine est devenue le premier partenaire économique du pays, devant la Corée du Sud qui s'inquiète de cette mainmise. Les échanges formels ont été multipliés par plus de cinq depuis le début des années 2000 : à mesure que les sanctions s'appliquaient, les Chinois prenaient le relais. Ce fut le cas, en particulier, pour les produits de luxe, auxquels l'élite nord-coréenne attache une grande importance et qui tombaient sous le coup de l'embargo. De même, la totalité du pétrole nord-coréen vient de Chine. C'est pour ce pays un moyen de pression qu'il n'a utilisé jusqu'à présent qu'avec une très grande prudence.

La Chine « tient » l'économie nord-coréenne, y compris l'économie « grise » qui permet au régime de survivre par le marché noir. Le trafic est très important, même si la frontière a été quelque peu refermée au moment de la succession. Au-delà des interdictions officielles, la corruption fait que beaucoup de choses passent et que tout se monnaie.

Enfin, en dépit des évolutions indéniables du régime chinois, il existe une communauté idéologique. La Corée du Nord a des spécificités dynastiques délirantes mais la Chine a connu des phénomènes semblables à l'époque de Mao Tsé-toung, dont les obsèques ont donné lieu aux mêmes scènes d'hystérie que celles que nous avons vues récemment. À l'époque, une délégation d'étudiants du département d'études orientales de l'université de Paris VII était même allée porter, en pleurs, des fleurs blanches à l'ambassade de Chine ! Même si ces scènes font presque honte aux jeunes Chinois d'aujourd'hui, il n'en reste pas moins une communauté de vues importante. À la mort de Kim Jong-il, les plus hauts dirigeants chinois – le président, le premier ministre, le vice-premier ministre, tous les chefs de l'armée – se sont rendus à l'ambassade de Corée du Nord. La Chine a été le seul pays à demander à participer aux funérailles, où aucune délégation étrangère n'était invitée, et elle y a été représentée par son ambassadeur.

Tous ces éléments nourrissent un paradoxe. La Chine est souvent présentée comme détenant la clé concernant son voisin, et c'est exact : il suffirait que Pékin stoppe la fourniture de pétrole, bloque les échanges commerciaux et décide de la fin du régime pour que celui-ci tombe. Mais la Chine a une autre priorité : en lisant son Livre blanc de la défense, par exemple, ou différentes publications, on constate que, derrière des succès réels notamment en matière économique, et une ouverture indéniable, son régime se perçoit lui aussi comme menacé. Le soft power est considéré comme une importation étrangère dangereuse. Le régime a des difficultés à contrôler l'Internet et les téléphones portables. Un haut dignitaire militaire m'affirmait l'année dernière que le régime nord coréen perdurerait car, au moins, la population n'avait ni Internet ni téléphones portables. On sentait une pointe de regret qui dénotait l'impossibilité, pour la Chine, de revenir sur son ouverture et sur des évolutions de plus en plus difficiles à contrôler, notamment dans la société urbaine.

Bref, la Chine ne veut pas voir la Corée du Nord s'effondrer. Sa priorité est la survie du régime. Les militaires continuent de percevoir ce pays comme un atout stratégique dont la Chine ne peut se passer pour deux raisons.

La première raison est historique : ce territoire constitue un verrou ; c'est par lui que passaient les invasions barbares qui menaçaient Pékin. La capitale, centre du pouvoir, est vulnérable. Au-delà de la Grande Muraille, l'espace s'ouvre sur les plaines mandchoues, sur la Corée et sur la mer. Les invasions mongoles et japonaises sont venues par le nord.

La deuxième raison est stratégique : dans la montée en puissance de la Chine au niveau régional, la Corée du Nord est une épine dans le pied des États-Unis. Elle peut être éventuellement réactivée et la Chine ne veut pas renoncer à cette possibilité, surtout dans la période de tension qui dure depuis quelques années. La survie de la Corée du Nord est donc une priorité et passe avant la dénucléarisation, par exemple. Pékin préférerait, évidemment, un voisin plus raisonnable, plus ouvert, avec lequel les échanges commerciaux seraient plus fructueux, mais un voisin qui resterait prochinois.

Il est aujourd'hui très difficile pour Pékin d'envisager l'hypothèse d'une réunification, alors que, selon Wikileaks, cela avait été le cas à une époque où la tendance antiaméricaine semblait l'emporter en Corée du Sud. Une péninsule réunifiée prochinoise aurait convenu, mais les Chinois s'aperçoivent que la Corée du Sud est une démocratie, que l'alternance existe et que rien n'est sûr ! Aux yeux de Pékin, l'important est la survie du régime nord-coréen. Si celui-ci s'améliore, tant mieux car cela évite des tensions avec les États-Unis ; sinon, tant pis. D'où des processus comme le dialogue à six, qui permettent à Pékin de gagner du temps sans faire grand-chose pour inciter le régime à évoluer.

La Corée du Sud, pour sa part, redoute beaucoup de se voir totalement marginalisée. Elle craint que Pékin ne prenne pied au nord de manière irréversible, ce qui réveille des souvenirs très anciens puisque la Corée était divisée en plusieurs royaumes. Le risque est que la Chine asseye durablement sa domination sur le nord quelles que soient les évolutions de cette partie de la péninsule.

Ce qui, à l'inverse, inquiète beaucoup Pékin, c'est que la Corée du Sud, le Japon et les États-Unis ne tentent de chercher avec la Corée du Nord une solution à la birmane et que la Chine, par un renversement d'alliance, ne perde un État satellite. Elle fera donc tout pour que la Corée du Nord reste dépendante, affaiblie, et ne soit pas tentée par la recherche d'alternatives à ce face-à-face exclusif.

PermalienPhoto de Michel Terrot

Les chrétiens de Corée du Nord subissent des persécutions et 100 000 d'entre eux auraient été internés dans des camps ces dernières années. Peut-on espérer un assouplissement ?

Qu'en est-il, par ailleurs, de la volonté de la Chine d'intégrer la Corée du Nord au développement de l'ancienne Mandchourie, avec notamment la construction de nouveaux ponts reliant les deux pays ?

PermalienPhoto de André Schneider

Alors que, dans les années 1980-1990, la Corée du Nord avait atteint l'autosuffisance alimentaire, la situation s'est terriblement dégradée. On estime que la moitié de la population est sous-alimentée. Les famines à répétition et les privations devraient engendrer des révoltes populaires. Comment le régime de Pyongyang peut-il réduire au silence toute forme de contestation ? Existe-t-il aujourd'hui un embryon de société civile ? Quelles peuvent être les évolutions ?

PermalienPhoto de Jean-Paul Dupré

Le PIB par habitant en Corée du Nord est estimé à 1 800 dollars. Mais à combien s'élève-t-il en réalité pour l'immense majorité de la population ?

Par ailleurs, que sait-on de la sécurisation des sites nucléaires nord-coréens face aux risques naturels ?

PermalienPhoto de Lionnel Luca

Karl Marx n'aurait sans doute pas imaginé le communisme dynastique que vous venez de décrire ! Vous laissez entendre que la contestation ne pourrait venir que de l'intérieur de ce système familial. Qu'apportez-vous à l'appui de cette thèse, sachant que le régime est verrouillé depuis très longtemps ? N'existe-t-il pas, parmi les personnes qui ont réussi à fuir le pays, les germes d'une résistance ou, à tout le moins, des éléments permettant d'envisager une politique d'avenir ?

PermalienPhoto de Chantal Bourragué

À travers les deux Corées, c'est à une sorte de guerre froide que se livrent les États-Unis et la Chine. Quelle est la position américaine face à la succession de Kim Jong-il ? La Chine soutiendra-t-elle la dénucléarisation de la Corée du Nord ? Le nouveau chef d'État respectera-t-il les obligations internationales ? On sait que la Birmanie et l'Iran ont toujours des programmes d'armement nucléaire avec les Nord-Coréens. Ce petit pays va-t-il se positionner comme une puissance militaire moderne ?

PermalienPierre Rigoulot

Il est difficile d'avoir des données précises sur d'éventuels éléments de résistance à l'intérieur du pays. À titre d'exemple, l'idéologue du régime, Hwang Jang-yop, qui était à l'origine de l'idée du juche – l'autosuffisance –, a fait défection il y a quinze ans sans que l'on ait relevé auparavant la moindre divergence avec le régime. Le verrouillage et le quadrillage du pays sont tels que l'expression d'une opposition et le développement d'une société civile sont, à notre connaissance, impossibles. Mais, si Hwang Jang-yop a mis à profit un voyage en Chine pour se réfugier dans l'ambassade de Corée du Sud, c'est bien que des désaccords existaient. En d'autres termes, s'il existe des opposants, ils se garderont bien de manifester leur opposition.

S'agissant des chrétiens, monsieur Terrot, nous ne pouvons confirmer le chiffre que vous avancez. L'implantation chrétienne est ancienne. C'est à partir de la Corée que plusieurs missionnaires sont partis pour tenter d'évangéliser la Chine. Kim Il-sung lui-même semble avoir reçu une formation chrétienne, peut-être par l'intermédiaire de sa mère qui aurait été d'éducation protestante. L'attitude du régime envers les chrétiens s'apparente à une politique de « village Potemkine » : on affirme la reconnaissance de la liberté de croyance et de pratique religieuse, mais c'est en réalité très limité. On emmène dans une église quelques voyageurs privilégiés et l'on s'en tient là. S'il y a des chrétiens, ce sont des chrétiens des catacombes. Ce qui est sûr par ailleurs, c'est l'implication très active des pasteurs sud-coréens dans l'aide aux réfugiés du Nord. Leur présence est forte en Chine, de l'autre côté de la frontière sino-nord-coréenne.

Pour ce qui est des famines, une catastrophe alimentaire terrible s'est produite dans la deuxième moitié des années 1990. Elle a fait des centaines de milliers de morts. Aujourd'hui, la situation n'est pas bonne. J'ai parlé de disette, notamment dans les petites villes qui n'ont pas accès aux possibilités qui s'offrent au monde rural. Après la sunshine policy – qui a connu son apogée en 2000 avec la rencontre entre les numéros un des deux Corée, mais qui s'est révélée un échec puisque la Corée du Nord a expérimenté des armes nucléaires en 2006 et 2009 dans le même temps qu'on négociait –, la fermeté à l'égard du pays s'est traduite par une diminution de l'aide alimentaire. Or la Corée du Sud donnait chaque année 400 000 tonnes de céréales et environ 300 000 tonnes d'engrais. Les premiers pays donateurs, dans les statistiques du Programme alimentaire mondial, étaient les États-Unis, la Corée du Sud, le Japon. Aujourd'hui, ils n'aident presque plus la Corée du Nord, qui par conséquent s'est réfugiée sous l'aile protectrice du grand voisin chinois et éprouve des difficultés alimentaires accrues.

Il ne s'agit pas de montrer du doigt la politique menée par la communauté internationale, qui veut pousser la Corée du Nord à renoncer à son programme nucléaire en échange d'une aide massive sur le plan économique. Mais c'est pour l'instant un échec. La Corée du Nord a même tendance à exhiber ses plaies auprès des grandes organisations internationales pour que celles-ci suppléent aux moyens de pression que j'ai évoqués.

PermalienValérie Niquet, responsable Asie à la Fondation de la recherche stratégique

À la veille de la mort de Kim Jong-il, une rencontre entre les États-Unis et la Corée du Nord pour reprendre le dialogue était en projet. Des officiels japonais et nord-coréens se sont également rencontrés en Chine sur la question, toujours pas résolue, des citoyens japonais enlevés. Sans doute conviendrait-il profiter de cette période de relative instabilité et d'ouverture potentielle pour tenter une nouvelle stratégie de contact direct avec la Corée du Nord, et non plus dans le seul cadre du dialogue à six. En effet, la dimension nationaliste et antichinoise de la Corée ne peut être exclue et l'on offrirait ainsi de nouvelles marges de manoeuvre au régime nord-coréen. La Russie, qui a reçu Kim Jong-il peu de temps avant sa mort, souhaite également jouer à nouveau un rôle économique, en particulier avec ses pipelines. Rien ne se fait, certes, mais chacun semble être dans l'attente d'une amorce de dialogue direct.

Cet attentisme s'explique également par l'approche des grandes célébrations du centième anniversaire de la naissance de Kim Il-sung. Celles-ci sont censées ouvrir en Corée du Nord l'ère « pays riche, armée puissante », vieux slogan des légistes de la Chine du IIe siècle avant Jésus-Christ et, surtout, slogan du Japon de Meiji et slogan mis en exergue dans l'actuel Livre blanc de la défense en Chine. Cela ne laisse guère augurer une attitude plus apaisée. La Corée du Nord et Kim Jong-eun, dans un souci de s'affirmer, ne choisiront-ils pas de réaliser un nouvel essai nucléaire afin de démontrer la puissance du nouveau leader et de son entourage au moment du centième anniversaire de son grand-père ?

De son côté, la Chine pousse à la reprise du dialogue à six mais quasiment sans conditions. De l'avis général, la reprise des négociations ne débouchera pas sur une dénucléarisation de la Corée du Nord. Le régime fera peut-être quelques concessions dans certains secteurs mais il considère que son statut de puissance nucléaire constitue une garantie et il le gardera. Croire à une dénucléarisation du pays sans changement de régime est une illusion, d'autant que la Chine est plutôt en phase avec la position actuelle.

La seule chance, j'y insiste, repose sur une stratégie de contournement de la Chine en donnant des avantages et des garanties (ne serait-ce que de survie) aux dirigeants.

Pour ce qui est de la société civile et des révoltes, je crois que le fait de contraindre les gens à passer ses journées à chercher de quoi se nourrir ou de quoi se soigner a toujours été, dans les régimes totalitaires, un élément de contrôle politique : les personnes sont totalement obsédées par cette recherche. Dans la Chine plus ouverte d'aujourd'hui, on assiste à des révoltes mais on ne voit aucun mouvement politique se constituer à partir de ces mouvements populaires. Dans ces systèmes, c'est souvent au sommet que des factions un peu plus réalistes (Gorbatchev en URSS, Deng Xiaoping en Chine) se rendent compte que le régime ne peut continuer ainsi et peuvent le faire basculer très rapidement. Le pronostic n'en est que plus difficile.

PermalienPierre Rigoulot

La Chine souhaite la stabilité de la péninsule coréenne dans son ensemble. Les comportements sauvages de la Corée du Nord – lorsqu'elle coule une corvette ou bombarde une île sud-coréenne – ne sont pas bienvenus à Pékin, mais en même temps la Chine y trouve un avantage dans ses rapports avec les États-Unis. À certains égards, la Corée du Nord joue un rôle comparable à celui que jouait Cuba pour l'Union soviétique, notamment en Afrique : le « chien fou » qui contraint à la prudence l'adversaire stratégique. Il faut avoir à l'esprit le considérable développement que connaît actuellement la marine chinoise.

PermalienPhoto de Patrick Labaune

Lorsque, il y a deux ans, nous avons entendu Mme Valérie Niquet, il existait encore certains doutes sur le programme nucléaire nord-coréen. Les explosions avaient eu des effets sismiques mais on n'avait pas trouvé grand-chose comme particules radioactives. Y a-t-il vraiment eu essais nucléaires ? Ce régime dictatorial ne déploie-t-il pas un certain bluff pour développer ensuite des rapports de force avec la Chine et les États-Unis ?

PermalienPhoto de Jacques Myard

Comme vous l'avez bien montré, la Corée du Nord est pour la Chine une sorte de pare-feu vis-à-vis du Japon et un moyen de concentrer l'attention des États-Unis. Je doute néanmoins que la Chine dispose de tous les moyens d'abattre ce régime si elle le décidait un jour. Les Coréens du Sud estiment qu'un nouveau peuple s'est créé en Corée du Nord, que la langue diverge et que les Nord-Coréens arrivant au sud ont le plus grand mal à s'adapter à la société sud-coréenne. Bref, le régime a créé un « homo coreanus septentrionalis » et une éventuelle réunification provoquerait de nombreux problèmes, comme on l'a vu, mais de façon moins aiguë, entre les Ossies et les Wessies en Allemagne. Compte tenu de ce facteur sociologique, on peut se demander si la situation ne va pas se prolonger pendant des décennies.

PermalienPhoto de Dominique Souchet

D'après vos informations, 20 000 Nord-Coréens se sont réfugiés en Corée du Sud. S'agit-il pour l'essentiel de réfugiés de la faim ? Le rythme des départs s'est-il accéléré au cours des dernières années ? Ces réfugiés jouent-ils un rôle politique propre en Corée du Sud ? Sont-ils marginalisés en raison des difficultés évoquées par Jacques Myard ?

Il y aurait en Chine 250 000 migrants économiques. Quelle est l'attitude de la Chine à leur égard ? En accueille-t-elle une partie, en renvoie-t-elle une autre vers la Corée du Nord ? Bref, comment traite-t-elle ce phénomène croissant ?

PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

Pour mener un programme nucléaire, il faut soit être une grande nation riche en ingénieurs et disposant de certaines matières, soit importer les technologies d'un voisin – en l'occurrence la Chine. Je ne suis pas convaincu que les Chinois aient donné l'arme nucléaire « clés en main » aux Nord-Coréens ; pour autant, vu l'état de la Corée du Nord, il est difficile de comprendre la mise en oeuvre avec succès d'un tel programme. Quelle pourrait être l'analyse de juste milieu ?

Quel est l'état des universités nord-coréennes ? Quels sont leurs moyens, la qualité de leurs laboratoires de recherche, le nombre de leurs étudiants ?

PermalienValérie Niquet, responsable Asie à la Fondation de la recherche stratégique

Le premier essai nucléaire avait en effet soulevé certains doutes. Les spécialistes considèrent en revanche que le second démontre clairement la capacité nucléaire du pays. Cela dit, l'explosion d'un engin nucléaire ne signifie pas forcément que cet engin peut être transformé en bombe miniaturisée susceptible d'être placée sur un missile.

La technologie nucléaire est assez ancienne : ce n'est pas une technologie de pointe.

PermalienPhoto de Jean-Michel Boucheron

Il faut néanmoins disposer de matières fissiles et de centrifugeuses.

PermalienValérie Niquet, responsable Asie à la Fondation de la recherche stratégique

Ce qui m'amène à votre question. La Chine n'a pas fourni à la Corée du Nord ses capacités nucléaires « clés en main ». Le programme est ancien. Dans les années 1960 et 1970, des contacts étroits semblent s'être noués avec l'URSS, qui a apporté un certain nombre de choses – en tout cas, les Chinois insistent beaucoup sur ce rôle de l'Union soviétique ! Depuis le début des années 1990 et ses accords avec les États-Unis sur le sujet, la Chine a mis en place de façon très habile des « réseaux de prolifération triangulaire » où elle n'est pas elle-même impliquée mais, par exemple, laisse passer des avions au-dessus de son territoire.

Le Pakistan reste actuellement le grand « proliférant », étant entendu que la bombe pakistanaise, elle, a été fournie par la Chine. Il joue un rôle essentiel pour des équipements comme les centrifugeuses. Des liens se sont noués avec la Libye à une époque, avec la Syrie. On a donc un réseau de pays proliférants dont le coeur, à l'origine, se trouvait à Pékin – et y reste à certains égards. Là encore, il faut faire la part entre ce que souhaite l'État chinois et les pratiques souvent difficiles à contrôler qu'autorise une corruption bien présente dans de nombreux secteurs.

Dans l'hypothèse, pour moi improbable, où ma Chine « lâcherait » le régime nord-coréen, je pense que celui-ci aurait beaucoup de mal à survivre. Pour autant, son effondrement ne signifie pas que l'intégration serait facile. On le voit avec les pays européens de l'ancien bloc de l'Est : les problèmes sont considérables et l'intégration se fait progressivement. Peut-être y a-t-il malgré tout plus de proximité entre Coréens du Nord et Coréens du Sud. Les séjours réguliers que je fais en Chine depuis la fin des années 1980 me rendent très optimistes sur la capacité d'évolution et d'intégration d'une population. Pour les réfugiés actuels, le contact brutal avec une société d'abondance et avec un régime démocratique est certes difficile, mais je pense que les choses peuvent évoluer avec le temps.

PermalienPierre Rigoulot

S'agissant du nucléaire, il faut souligne le rôle du Pakistan. Des échanges technologiques ont eu lieu entre la Corée du Nord et le Pakistan d'une part, entre la Corée du Nord et l'Iran d'autre part. En matière balistique, les Nord-Coréens sont assez avancés et certains missiles iraniens, comme les Shahab, sont bourrés de technologie nord-coréenne. Cela dit, l'outil nucléaire nord-coréen n'est pas encore une arme miniaturisée que l'on peut placer sur une ogive.

Il y a en effet 20 à 25 000 réfugiés en Corée du Sud. Ce nombre croît régulièrement, mais pas de façon exponentielle. La plupart des migrants passent par la Chine et s'y arrêtent. Ils y travaillent comme des immigrés sans papiers, à la merci de leurs employeurs et de la police. Plus grave, il existe un trafic de femmes nord-coréennes, que l'on vend à des paysans chinois.

Certains migrants retournent chez eux avec un peu d'argent ou de la nourriture. Les garde-frontières étant corrompus, les possibilités de passage ne sont pas négligeables.

Ceux qui vont jusqu'en Corée du Sud utilisent divers moyens, en particulier des réseaux mis en place par des pasteurs protestants sud-coréens installés en Chine près de la frontière de la Corée du Nord. Après avoir parcouru des milliers de kilomètres, ces personnes se retrouvent en Birmanie, en Thaïlande, voire au Vietnam. J'ai ainsi assisté à l'entrée de ressortissants nord-coréens déguisés en touristes sud-coréens dans l'ambassade de Corée du Sud à Vientiane. Dans la mesure où le régime de Séoul reconnaît la citoyenneté à l'ensemble des ressortissants de la péninsule, ils ont ensuite gagné aisément la Corée du Sud.

Alors que, il y a quelques années, ces transfuges étaient fêtés, choyés et utilisés pour la propagande contre le Nord, ils sont aujourd'hui beaucoup plus nombreux et les choses se font plus discrètement. Leurs difficultés sont réelles, ils éprouvent la nostalgie du pays natal, mais ils arrivent parfois à s'adapter de façon remarquable. C'est le cas de Kang Chol-hwan, avec qui j'ai écrit Les Aquariums de Pyongyang : il est aujourd'hui journaliste au Chosun Ilbo, conduit une automobile, écoute de la musique pop sud-coréenne, etc. Je dois dire toutefois que le regard que la population sud-coréenne porte sur ces « ploucs » à l'accent différent n'est pas toujours tendre !

Beaucoup de réfugiés se sont regroupés dans des associations qui oeuvrent pour transférer des informations vers le Nord. S'il est assurément utile que nous sachions se qui se passe en Corée du Nord, ils insistent pour leur part sur la nécessité de faire circuler de l'information vers ce pays. Cela se fait au moyen de stations radio installées tout autour, mais aussi par l'envoi plus classique de ballons véhiculant des pamphlets – parfois assez grossiers – contre le régime, voire, comme on l'a vu dernièrement, des chaussettes bien chaudes, ce qui me semble plus intelligent !

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Je vous remercie pour votre très intéressante contribution.

La séance est levée à onze heures.