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Intervention de Valérie Niquet

Réunion du 25 janvier 2012 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Valérie Niquet, responsable Asie à la Fondation de la recherche stratégique :

Mon intervention portera plus spécifiquement sur les relations extérieures de la Corée du Nord.

Sans connaître aussi bien que Pierre Rigoulot les évolutions internes de ce pays, je pense moi aussi que l'oncle et la tante qui font figure de régents et la faction familiale réunie autour d'eux pourraient être « les hommes de Pékin », d'autant qu'ils contrôlent plus ou moins la production industrielle destinée à l'exportation. En effet, si le régime est extrêmement fermé, il est aussi, à l'instar de la Chine, extrêmement corrompu. L'éventualité d'une ouverture économique se traduirait par des perspectives d'enrichissement personnel bien plus larges que la situation actuelle. Cela peut être, comme en Chine, une incitation à la mise en place de réformes économiques.

Premier partenaire de la Corée du Nord, la Chine est la clé de l'évolution du régime. Les relations étroites entre les deux pays ont des raisons historiques. Depuis la guerre de Corée, la Chine reste liée à la Corée du Nord par un traité comportant un volet militaire qui n'a jamais été dénoncé. Qu'adviendrait-il en cas d'effondrement et d'intervention militaire dans la péninsule coréenne ? Il est douteux que la Chine volerait au secours du régime nord-coréen si celui-ci se lançait dans une aventure militaire mais, en cas d'effondrement, la question reste posée.

Le régime chinois est lui-même très divisé. Des débats importants ont actuellement lieu et les positions se sont radicalisées depuis quelques années. Le 18e congrès du parti communiste, qui se tiendra à l'automne, réveille les tensions. Le poids des militaires, qui entretiennent avec leurs collègues nord-coréens des liens d'étroite fraternité, semble se renforcer. Cette faction comprend tout à fait les Nord-Coréens lorsqu'ils affirment avoir besoin de l'arme nucléaire parce que leur régime est menacé. Ce discours de compréhension, voire d'adhésion, s'entend fréquemment à Pékin : ce que nous voyons comme une provocation est perçu comme un moyen naturel auquel recourt un État affaibli ou menacé.

En outre, bien que la définition de l'espace chinois soit figée depuis 1949, la Chine est confrontée à de nombreux conflits de minorités nationales à son pourtour. Or une importante minorité coréenne est présente dans la zone frontalière avec la Corée du Nord pour des raisons historiques : les limites entre les royaumes anciens et la géographie de leurs relations tributaires ne correspondent pas aux frontières fixées aujourd'hui. Les réfugiés nord-coréens viennent grossir les rangs de cette communauté. Pékin s'en inquiète beaucoup : quelles seraient les loyautés de part et d'autre de la frontière en cas d'effondrement du régime nord-coréen ?

Avec la chute de l'URSS, la montée en puissance de l'économie chinoise et la mise en place de sanctions contre la Corée du Nord, la Chine est devenue le premier partenaire économique du pays, devant la Corée du Sud qui s'inquiète de cette mainmise. Les échanges formels ont été multipliés par plus de cinq depuis le début des années 2000 : à mesure que les sanctions s'appliquaient, les Chinois prenaient le relais. Ce fut le cas, en particulier, pour les produits de luxe, auxquels l'élite nord-coréenne attache une grande importance et qui tombaient sous le coup de l'embargo. De même, la totalité du pétrole nord-coréen vient de Chine. C'est pour ce pays un moyen de pression qu'il n'a utilisé jusqu'à présent qu'avec une très grande prudence.

La Chine « tient » l'économie nord-coréenne, y compris l'économie « grise » qui permet au régime de survivre par le marché noir. Le trafic est très important, même si la frontière a été quelque peu refermée au moment de la succession. Au-delà des interdictions officielles, la corruption fait que beaucoup de choses passent et que tout se monnaie.

Enfin, en dépit des évolutions indéniables du régime chinois, il existe une communauté idéologique. La Corée du Nord a des spécificités dynastiques délirantes mais la Chine a connu des phénomènes semblables à l'époque de Mao Tsé-toung, dont les obsèques ont donné lieu aux mêmes scènes d'hystérie que celles que nous avons vues récemment. À l'époque, une délégation d'étudiants du département d'études orientales de l'université de Paris VII était même allée porter, en pleurs, des fleurs blanches à l'ambassade de Chine ! Même si ces scènes font presque honte aux jeunes Chinois d'aujourd'hui, il n'en reste pas moins une communauté de vues importante. À la mort de Kim Jong-il, les plus hauts dirigeants chinois – le président, le premier ministre, le vice-premier ministre, tous les chefs de l'armée – se sont rendus à l'ambassade de Corée du Nord. La Chine a été le seul pays à demander à participer aux funérailles, où aucune délégation étrangère n'était invitée, et elle y a été représentée par son ambassadeur.

Tous ces éléments nourrissent un paradoxe. La Chine est souvent présentée comme détenant la clé concernant son voisin, et c'est exact : il suffirait que Pékin stoppe la fourniture de pétrole, bloque les échanges commerciaux et décide de la fin du régime pour que celui-ci tombe. Mais la Chine a une autre priorité : en lisant son Livre blanc de la défense, par exemple, ou différentes publications, on constate que, derrière des succès réels notamment en matière économique, et une ouverture indéniable, son régime se perçoit lui aussi comme menacé. Le soft power est considéré comme une importation étrangère dangereuse. Le régime a des difficultés à contrôler l'Internet et les téléphones portables. Un haut dignitaire militaire m'affirmait l'année dernière que le régime nord coréen perdurerait car, au moins, la population n'avait ni Internet ni téléphones portables. On sentait une pointe de regret qui dénotait l'impossibilité, pour la Chine, de revenir sur son ouverture et sur des évolutions de plus en plus difficiles à contrôler, notamment dans la société urbaine.

Bref, la Chine ne veut pas voir la Corée du Nord s'effondrer. Sa priorité est la survie du régime. Les militaires continuent de percevoir ce pays comme un atout stratégique dont la Chine ne peut se passer pour deux raisons.

La première raison est historique : ce territoire constitue un verrou ; c'est par lui que passaient les invasions barbares qui menaçaient Pékin. La capitale, centre du pouvoir, est vulnérable. Au-delà de la Grande Muraille, l'espace s'ouvre sur les plaines mandchoues, sur la Corée et sur la mer. Les invasions mongoles et japonaises sont venues par le nord.

La deuxième raison est stratégique : dans la montée en puissance de la Chine au niveau régional, la Corée du Nord est une épine dans le pied des États-Unis. Elle peut être éventuellement réactivée et la Chine ne veut pas renoncer à cette possibilité, surtout dans la période de tension qui dure depuis quelques années. La survie de la Corée du Nord est donc une priorité et passe avant la dénucléarisation, par exemple. Pékin préférerait, évidemment, un voisin plus raisonnable, plus ouvert, avec lequel les échanges commerciaux seraient plus fructueux, mais un voisin qui resterait prochinois.

Il est aujourd'hui très difficile pour Pékin d'envisager l'hypothèse d'une réunification, alors que, selon Wikileaks, cela avait été le cas à une époque où la tendance antiaméricaine semblait l'emporter en Corée du Sud. Une péninsule réunifiée prochinoise aurait convenu, mais les Chinois s'aperçoivent que la Corée du Sud est une démocratie, que l'alternance existe et que rien n'est sûr ! Aux yeux de Pékin, l'important est la survie du régime nord-coréen. Si celui-ci s'améliore, tant mieux car cela évite des tensions avec les États-Unis ; sinon, tant pis. D'où des processus comme le dialogue à six, qui permettent à Pékin de gagner du temps sans faire grand-chose pour inciter le régime à évoluer.

La Corée du Sud, pour sa part, redoute beaucoup de se voir totalement marginalisée. Elle craint que Pékin ne prenne pied au nord de manière irréversible, ce qui réveille des souvenirs très anciens puisque la Corée était divisée en plusieurs royaumes. Le risque est que la Chine asseye durablement sa domination sur le nord quelles que soient les évolutions de cette partie de la péninsule.

Ce qui, à l'inverse, inquiète beaucoup Pékin, c'est que la Corée du Sud, le Japon et les États-Unis ne tentent de chercher avec la Corée du Nord une solution à la birmane et que la Chine, par un renversement d'alliance, ne perde un État satellite. Elle fera donc tout pour que la Corée du Nord reste dépendante, affaiblie, et ne soit pas tentée par la recherche d'alternatives à ce face-à-face exclusif.

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