Il est difficile d'avoir des données précises sur d'éventuels éléments de résistance à l'intérieur du pays. À titre d'exemple, l'idéologue du régime, Hwang Jang-yop, qui était à l'origine de l'idée du juche – l'autosuffisance –, a fait défection il y a quinze ans sans que l'on ait relevé auparavant la moindre divergence avec le régime. Le verrouillage et le quadrillage du pays sont tels que l'expression d'une opposition et le développement d'une société civile sont, à notre connaissance, impossibles. Mais, si Hwang Jang-yop a mis à profit un voyage en Chine pour se réfugier dans l'ambassade de Corée du Sud, c'est bien que des désaccords existaient. En d'autres termes, s'il existe des opposants, ils se garderont bien de manifester leur opposition.
S'agissant des chrétiens, monsieur Terrot, nous ne pouvons confirmer le chiffre que vous avancez. L'implantation chrétienne est ancienne. C'est à partir de la Corée que plusieurs missionnaires sont partis pour tenter d'évangéliser la Chine. Kim Il-sung lui-même semble avoir reçu une formation chrétienne, peut-être par l'intermédiaire de sa mère qui aurait été d'éducation protestante. L'attitude du régime envers les chrétiens s'apparente à une politique de « village Potemkine » : on affirme la reconnaissance de la liberté de croyance et de pratique religieuse, mais c'est en réalité très limité. On emmène dans une église quelques voyageurs privilégiés et l'on s'en tient là. S'il y a des chrétiens, ce sont des chrétiens des catacombes. Ce qui est sûr par ailleurs, c'est l'implication très active des pasteurs sud-coréens dans l'aide aux réfugiés du Nord. Leur présence est forte en Chine, de l'autre côté de la frontière sino-nord-coréenne.
Pour ce qui est des famines, une catastrophe alimentaire terrible s'est produite dans la deuxième moitié des années 1990. Elle a fait des centaines de milliers de morts. Aujourd'hui, la situation n'est pas bonne. J'ai parlé de disette, notamment dans les petites villes qui n'ont pas accès aux possibilités qui s'offrent au monde rural. Après la sunshine policy – qui a connu son apogée en 2000 avec la rencontre entre les numéros un des deux Corée, mais qui s'est révélée un échec puisque la Corée du Nord a expérimenté des armes nucléaires en 2006 et 2009 dans le même temps qu'on négociait –, la fermeté à l'égard du pays s'est traduite par une diminution de l'aide alimentaire. Or la Corée du Sud donnait chaque année 400 000 tonnes de céréales et environ 300 000 tonnes d'engrais. Les premiers pays donateurs, dans les statistiques du Programme alimentaire mondial, étaient les États-Unis, la Corée du Sud, le Japon. Aujourd'hui, ils n'aident presque plus la Corée du Nord, qui par conséquent s'est réfugiée sous l'aile protectrice du grand voisin chinois et éprouve des difficultés alimentaires accrues.
Il ne s'agit pas de montrer du doigt la politique menée par la communauté internationale, qui veut pousser la Corée du Nord à renoncer à son programme nucléaire en échange d'une aide massive sur le plan économique. Mais c'est pour l'instant un échec. La Corée du Nord a même tendance à exhiber ses plaies auprès des grandes organisations internationales pour que celles-ci suppléent aux moyens de pression que j'ai évoqués.