COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 18 janvier 2012
La séance est ouverte à neuf heures trente.
(Présidence de Mme Michèle Tabarot, présidente de la Commission)
La Commission des affaires culturelles et de l'éducation procède, sur le rapport de M. Hervé Gaymard, à l'examen, ouvert à la presse, de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXesiècle (n° 4065).
Avant d'en venir à l'examen de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Amiable.
Je proteste, au nom du groupe GDR, quant aux conditions de travail de notre Commission. En effet, quelle n'a pas été notre stupeur d'apprendre hier, à l'issue de la Conférence des présidents, que la proposition de loi relative à la modification de certaines dispositions encadrant la formation des maîtres serait en discussion en séance publique le 8 février alors même qu'aucun rapporteur n'a été nommé et que son examen en commission n'a pas été programmé ! Nous craignons qu'une procédure accélérée ne soit décidée afin que ce texte soit voté à tout prix avant la fin de la législature. Or, en prévoyant que les enseignants ne soient plus uniquement formés par les universités, cette proposition laisse éventuellement la voie ouverte au secteur privé ; de surcroît, elle ne mentionne pas de cahier des charges de formation non plus qu'elle ne fait état de tout ce qui concerne les formations initiale et continue. Une telle précipitation n'est pas de bon aloi.
Le Gouvernement a en effet inscrit l'examen de ce texte en séance publique le 8 février. Je vous propose que le rapporteur soit nommé dès demain afin qu'il puisse commencer à organiser les auditions, l'examen en commission étant prévu le 1er février. Je précise enfin qu'une mission d'information a déjà eu lieu sur cette question.
Nous en venons donc à l'examen de la proposition de loi adoptée par le Sénat le 9 décembre dernier relative à l'exploitation numérique des livres indisponibles du XXesiècle. Elle sera discutée en séance publique demain, jeudi 19 janvier.
Cette proposition a été déposée dans les mêmes termes en septembre 2011 à l'Assemblée nationale par moi-même et au Sénat par le sénateur Jacques Legendre. Je remercie les nombreux collègues qui l'ont cosignée.
Le 1er février 2011, un accord cadre portant sur la mise à disposition des oeuvres indisponibles du XXe siècle a été conclu entre le ministère de la culture, le Syndicat national de l'édition (SNE), la Société des gens de lettres (SGDL), la Bibliothèque nationale de France (BnF) et le Commissariat général à l'investissement. Cet accord comprend deux volets, l'un financier – participation conjointe des fonds du volet numérique des investissements d'avenir et des éditeurs afin de numériser les oeuvres – et l'autre juridique. La proposition de loi constitue la traduction législative de l'accord cadre, puisqu'il convenait de modifier le code de la propriété intellectuelle pour que ces oeuvres soient mises à disposition.
Ce travail a été accompli dans un esprit consensuel qui était d'ailleurs la condition, comme j'ai eu l'occasion de le dire à l'ensemble des parties, pour que les parlementaires se prononcent – il n'était en effet pas question de favoriser l'un ou l'autre des acteurs de ce dossier.
Pour des raisons d'ordre du jour, cette proposition a d'abord été examinée par le Sénat, qui l'a amendée de manière très utile. Je vous proposerai de maintenir certaines des modifications apportées et d'en supprimer d'autres, qui me semblent relever d'autres textes législatifs à venir, tel que celui concernant la transposition de la future directive européenne sur les oeuvres orphelines. Je souhaite que nous parvenions à un consensus.
En cette matière, il faut distinguer les oeuvres qui font partie du domaine public et celles qui sont sous droits, c'est-à-dire soumises au droit d'auteur pendant les 70 ans qui suivent le décès de ce dernier. Pour les premières, qui ne sont pas visées par ce texte, l'essentiel est de disposer de fonds publics suffisants pour les numériser – c'est ce à quoi nous nous employons depuis une dizaine d'années par l'entremise du Centre national du livre (CNL) et la base de données Gallica.
S'agissant des secondes, vous vous souvenez de la polémique qui a eu lieu voilà deux ans concernant l'éventuel abus de position dominante de certains prestataires à la suite des accords passés entre Google et, notamment, la bibliothèque municipale de Lyon. Se posent donc des problèmes d'argent – afin de procéder aux numérisations – et de titularité des droits, même si les oeuvres ne sont plus soumises au droit d'auteur. Vous avez d'ailleurs organisé une table ronde à ce propos, Madame la présidente, au cours de laquelle MM. Jean-Noël Jeanneney et Bruno Racine ont eu l'occasion de manifester leurs accords et désaccords, ce qui a permis d'éclairer la Commission et le Parlement sur l'ensemble de ces questions.
Cette proposition concerne donc les oeuvres du XXe siècle et du tout début du XXIesiècle qui sont sous droit d'auteur mais indisponibles. En effet, celles qui ont été publiées depuis le 1er janvier 2001 sont numériquement disponibles puisque, depuis lors, les éditeurs et les auteurs, hors le contrat relatif à la publication du livre en format papier, signent aussi des contrats d'édition numérique – il est donc désormais possible d'acheter ces ouvrages sur les plateformes légales de téléchargement. L'immense majorité des oeuvres antérieures à cette date sont numériquement indisponibles – puisque la question du titulaire du droit d'auteur numérique ne se posait pas lorsqu'elles ont été publiées – quoique certaines puissent être achetées en format papier si elles sont disponibles chez l'éditeur ou sur le marché des livres d'occasion. Or, pour le seul domaine français, ce ne sont pas moins de 500 000 ouvrages qui sont concernés.
Cette situation a deux explications : d'une part, il existe des incertitudes quant à la titularité des droits puisque la version numérique n'a pas fait l'objet d'un contrat séparé – éditeurs et auteurs devraient donc signer de nouveaux contrats pour chacune des 500 000 oeuvres. D'autre part, les éditeurs ne peuvent matériellement pas numériser des oeuvres à la rentabilité économique incertaine « sur la longue traîne », selon l'expression en usage dans ce métier. L'accord cadre du 1er février 2011 et cette proposition de loi visent à sortir d'une telle impasse.
Plus précisément, le texte tend à instituer une gestion collective des droits numériques. À cette fin, elle propose la création d'une société de perception et de répartition des droits (SPRD), gérée paritairement par les représentants des auteurs et des éditeurs, qui disposerait du droit d'autoriser la reproduction et la représentation d'une oeuvre au format numérique. Après avoir proposé une définition des livres indisponibles fondée sur cinq critères cumulatifs – la publication, le lieu de publication, la date de publication, la diffusion dans le commerce par un éditeur, la forme imprimée ou numérique –, l'article premier prévoit qu'une liste des oeuvres présumées indisponibles soit établie par la BnF. C'est sur cette base que l'exploitation collective de ces ouvrages sera possible. À compter de leur inscription dans la base de données publique et à défaut d'opposition par les titulaires des droits, le droit de reproduction et de représentation numérique serait exercé par cette société, laquelle pourrait autoriser l'exploitation numérique moyennant une rémunération, soit à l'éditeur titulaire du droit de reproduction de l'oeuvre sous forme imprimée pour dix ans et à titre exclusif soit, à défaut, à des tiers et à titre non exclusif pour une durée de cinq ans.
L'enjeu, également, est de permettre aux titulaires de droits, qu'ils soient auteurs ou éditeurs, de s'opposer à ce système de gestion collective par le mécanisme dit, en bon français, de l'opt out. Nous proposons donc de favoriser la numérisation massive des oeuvres du XXesiècle tout en ouvrant un délai légal d'opposition pour les éditeurs et les auteurs qui ne souhaiteraient pas entrer dans le dispositif. On notera que le délai fixé peut être dépassé, même si le retrait de l'oeuvre de la liste des oeuvres indisponibles peut être dans ce cas-là plus coûteuse.
Nous essayons ainsi de bâtir un système conciliant la possibilité de numériser les oeuvres et de les mettre à disposition facilement tout en respectant le droit d'opposition et le droit d'auteur, puisque les auteurs seront évidemment rémunérés sur la vente de ces fichiers numériques.
Parmi les oeuvres indisponibles du XXe siècle, deux cas de figure se présentent. Dans le premier, qui vaut pour 75 % à 80 % d'entre elles, les auteurs ou leurs ayants droit sont connus, ainsi que les éditeurs dont certains disposent ou non des droits selon qu'ils exploitent ou non l'oeuvre. Dans le second, « zone grise » ou oeuvres orphelines, les ouvrages relèvent encore du droit d'auteur sans que l'on puisse identifier les ayants droit. Comme il doit tout de même être possible d'exploiter cette catégorie d'oeuvres, les sommes impossibles à répartir seront affectées par la SPRD à une ligne budgétaire spécifiquement destinée au développement de la lecture publique.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour le travail que vous accomplissez au service du livre et des lecteurs. La parole est pour commencer aux représentants des groupes.
Le problème de l'indisponibilité des livres n'est pas nouveau mais une solution a pu être trouvée grâce au développement des outils de numérisation. En effet, les livres édités avant 1900 ont pu être numérisés sans difficulté juridique, ces oeuvres n'étant plus couvertes par le droit d'auteur. Tel n'est pas le cas de la plupart des oeuvres du XXe siècle, ce qui rend leur numérisation juridiquement impossible.
Les oeuvres indisponibles relèvent de deux catégories : celles dont on connaît les ayants droits mais dont les contrats d'édition ne mentionnent aucune disposition relative au droit de reproduction numérique, et les oeuvres dites orphelines dont on ne connaît ni les auteurs, ni les ayants droits. Au total, cela représente plus de la moitié des livres publiés au XXe siècle.
Cette proposition de loi, déposée en des termes identiques par notre rapporteur et par le sénateur Legendre, vise à confier à une SPRD la responsabilité de gérer et d'exploiter les droits numériques des livres devenus indisponibles tout en protégeant éditeurs, auteurs et ayants droits. Le groupe UMP estime qu'en l'adoptant, le Parlement fera preuve d'une grande modernité car il mettra de nouveaux moyens technologiques au service de l'accès du plus grand nombre à la culture, tout en respectant le droit d'auteur.
Après avoir débattu du prix du livre numérique, nous examinons aujourd'hui une proposition de loi qui tend à combler un vide juridique, en prévoyant les modalités d'exploitation numérique commerciale des livres du XXesiècle qui ne sont plus disponibles en format papier mais qui sont encore protégés par le code de la propriété intellectuelle. Un tel vide est d'autant plus regrettable que non seulement ces ouvrages sont donc souvent épuisés mais que leur réédition n'est plus envisagée compte tenu de son coût. Selon M. le rapporteur, 500 000 oeuvres sont concernées. La grande majorité des 654 romans publiés à la rentrée 2011 l'a été sous forme numérique.
De plus, seules sont aujourd'hui disponibles en format numérique les oeuvres littéraires récemment publiées faisant l'objet d'un double contrat d'édition – papier et numérique – ainsi que celles qui ne sont plus protégées par le droit d'auteur car publiées entre le XVe et le début du XXe siècle.
Enfin, il est notable que, sous l'égide de la BnF, les bibliothèques de notre pays se soient résolument engagées dans la numérisation avec Gallica – à partir des collections déposées au titre du dépôt légal – et le programme Europeana.
La proposition tend donc à créer une base de données publique en ligne répertoriant les livres indisponibles. La BnF reste responsable de la gestion et de l'actualisation de la liste. Le texte prévoit que l'exploitation numérique de ces oeuvres sera assurée par le biais d'une gestion collective confiée à une SPRD agréée à cet effet par le ministère de la culture, ce qui permettrait la rémunération équitable des auteurs et des ayants droit – en s'assurant qu'ils sont effectivement recherchés – ainsi que des éditeurs.
Nous devons toutefois nous assurer que ce texte est conforme à l'acquis communautaire. La numérisation se heurte à la question des droits ; la proposition, technique et juridiquement complexe, doterait certes la France d'un outil unique, mais il faut veiller à ce que le respect du droit d'auteur ne soit pas destructeur de notre patrimoine culturel.
S'agissant des oeuvres orphelines, dont nous avons longuement discuté il y a quelques mois, les ayants droit ne peuvent être reconnus « introuvables » qu'au terme d'une recherche dite « diligente », selon un amendement introduit par le Sénat, dont la rapporteure, Mme Khiari, a de surcroît proposé que l'exploitation des oeuvres sous forme numérique à titre gratuit soit possible après un délai de dix ans. Nous y reviendrons.
Face à l'emprise des acteurs privés – je songe, notamment, aux tentatives de Google –, les pouvoirs publics devaient réagir en permettant l'accès de tous aux oeuvres littéraires. C'est tout le sens de l'accord cadre signé le 1er février 2011. Pour autant, des interrogations demeurent, qui expliquent les amendements que nous avons déposés. Le groupe SRC veut défendre la lecture publique et soutenir l'action des bibliothèques tout en restant vigilant quant au sort qui sera réservé aux auteurs, aux ayants droit et aux éditeurs.
De 500 000 à 700 000 oeuvres du XXe siècle ne font pas partie du domaine public. Elles restent donc protégées par le droit d'auteur et ne peuvent pas être portées à la connaissance du public le plus large alors que le livre numérique favorise une diffusion renouvelée des savoirs ainsi qu'un accès universel à la culture : en l'état du droit, la reproduction numérique d'oeuvres protégées par les bibliothèques, sans qu'elles y soient autorisées, est condamnable.
Au-delà de la proposition de directive que la Commission européenne a adoptée le 24 mai 2011 à propos des seules oeuvres orphelines, cette proposition vise donc à résoudre la question plus vaste de la numérisation des oeuvres dites indisponibles après qu'a été signé le 1er février dernier un accord cadre sous l'égide du ministère de la culture. La solution retenue entend réconcilier les objectifs de la société de l'information et le droit d'auteur, en instaurant la gestion collective des droits numériques sur les oeuvres indisponibles par une SPRD. Sauf à ce que la majorité de l'Assemblée revoie fondamentalement le dispositif au détriment des auteurs ou des possibilités d'accès des lecteurs aux oeuvres, les députés communistes, républicains, citoyens et du Parti de gauche soutiendront ce texte qu'ils jugent équilibré et qui crée des possibilités nouvelles pour l'exploitation d'oeuvres actuellement indisponibles.
Si l'adoption de la proposition nous paraît souhaitable, des précisions doivent être cependant encore apportées, en particulier afin d'éviter de nier le droit exclusif des auteurs d'interdire l'usage et l'exploitation de leurs oeuvres.
Par ailleurs, qu'en sera-t-il des livres du début du XXIe siècle qui n'ont jamais été proposés sous format numérique natif ? Ne faut-il pas permettre à tout auteur qui le souhaite de s'inscrire dans le dispositif que nous allons adopter, pour éviter de créer une distorsion ou une rupture d'égalité quant aux possibilités de publicité et de mises sur le marché numérique entre les auteurs dont les oeuvres auront été publiées avant le 1er janvier 2001 et les autres ?
Le Gouvernement, par la voix de M. Patrick Ollier, a affirmé au Sénat que « la France a joué un rôle de précurseur en Europe pour l'élaboration de politiques publiques de numérisations fondées sur une intervention volontariste des États ». « Elle a alloué des fonds importants », a-t-il poursuivi, « à des programmes de numérisation des imprimés du domaine public et des collections les plus contemporaines. » Alors que l'on pouvait espérer que le ministère de la culture lui-même, par le biais de la BnF, se porterait candidat pour la numérisation d'oeuvres indisponibles et, notamment, orphelines, l'approche malheureusement retenue pour numériser et diffuser ce corpus serait un partenariat public-privé. Vous vous en doutez, nous n'approuvons pas une telle option, car nous sommes plutôt favorables à une grande politique publique de la culture adossée à un service public de qualité véritablement accessible à tous.
Cette proposition va dans le bon sens et s'inscrit dans la lignée de l'accord cadre signé le 1er février 2011. À ce sujet, avez-vous eu une connaissance précise, complète et officielle de ce texte, monsieur le rapporteur, et pouvez-vous nous le transmettre ?
La justice américaine a condamné le règlement de Google Books concernant l'opt-out, c'est-à-dire la faculté donnée à un ayant droit de s'opposer à la numérisation d'office de ses oeuvres, lui substituant le mécanisme de l'opt-in, qui implique l'accord explicite des titulaires de droits à la numérisation. Cela n'est pas sans rapport avec l'examen du texte dont nous débattons, lequel est plutôt axé sur le droit d'opposition. En outre, je comprends mal l'amendement de M. le rapporteur concernant les bibliothèques alors que le Sénat a, me semble-t-il, utilement complété la proposition à ce sujet.
Enfin, si une oeuvre ne peut plus être qualifiée d'orpheline dès que l'un de ses auteurs a été identifié, qu'en est-il lorsqu'un photographe auteur d'un cliché illustrant un ouvrage écrit a été retrouvé ? Il me semblerait dommageable que l'oeuvre ne soit plus, pour cette raison, considérée comme orpheline. Je serais plutôt favorable à ce qu'une oeuvre perde cette qualification lorsque tous ses créateurs ont été retrouvés, étant entendu que chaque intervenant serait rémunéré par la SPRD.
J'approuve les orientations du texte mais je souhaite quelques éclaircissements. En premier lieu, est-il apparu nécessaire, au cours des discussions avec les éditeurs, de préciser la notion d'indisponibilité ? Une chose est que des ouvrages soient indisponibles à la commercialisation, mais cela ne dit rien des stocks éventuels. Imaginons par ailleurs qu'à l'occasion de la sortie d'un film, un éditeur juge opportune la réédition d'un ouvrage jusqu'alors indisponible : la version imprimée sera-t-elle toujours considérée comme indisponible, ou considérera-t-on qu'il s'agit d'un nouvel ouvrage ? On connaît enfin des rééditions d'oeuvres modifiées – Les Poneys sauvages de Michel Déon par exemple ; considèrera-t-on qu'il s'agit d'une oeuvre nouvelle ou d'une oeuvre toujours indisponible ?
L'article premier du texte prévoit la création d'une base de données publique que la Bibliothèque nationale de France est chargée d'actualiser. Cette mise à jour sera-t-elle permanente ou périodique ? Par ailleurs, quels sont les livres concernés ? Uniquement ceux qui sont écrits en français, ou aussi ceux qui ont été rédigés dans des langues régionales ou étrangères ?
La composition de la société de perception et de répartition des droits sera-t-elle paritaire ? Combien de membres comptera-t-elle et qui la présidera ? Quelle sera sa responsabilité en cas de contestation de la numérisation d'un ouvrage ou du choix des sociétés qui procéderont à la numérisation ? Quel délai peut être estimé réaliste pour la numérisation d'un nombre d'oeuvres aussi considérable ? Si cette durée devait s'allonger exagérément, ne sera-t-on pas amené à revoir le fonctionnement de la SPRD ?
À notre rapporteur, que je remercie pour un travail de grande qualité, je demanderai de préciser la définition des oeuvres orphelines – à propos desquelles un projet de directive est en cours d'élaboration dans les institutions européennes - et de dire leur interaction avec les oeuvres indisponibles, notamment pour celles dont la publication est postérieure au 1er janvier 2001.
Pour répondre à M. Rogemont, je reviendrai d'abord sur le procès en contrefaçon de droits d'auteur intenté aux Etats-Unis, notamment par l'Author's Guild – la guilde des auteurs – à la société Google, un procès très éclairant dont nous avons suivi les rebondissements avec une grande attention. Après que, fin 2004, Google eut annoncé son projet de numériser le plus grand nombre d'oeuvres possible, qu'elles soient sous droit ou qu'elles ne le soient pas, l'Author's Guild, s'élevant contre cette numérisation « sauvage », a engagé une action de groupe contre Google. La France et la Commission européenne se sont associées au procès par la procédure dite « des amis de la Cour » - amici curiae – et ces interventions ont eu pour résultat que les oeuvres françaises, entre autres, ont été exclues du programme de numérisation de Google. Pendant ce temps, une procédure était engagée pour la même raison devant le tribunal de grande instance de Paris par le groupe La Martinière, auquel se sont associés le Syndicat national des éditeurs et la Société des gens de lettres, au terme de laquelle la société Google a été condamnée à indemniser l'éditeur.
En juillet 2010, l'Author's Guild acceptait un accord transactionnel formulé en ces termes : en contrepartie de son renoncement à poursuivre son action de groupe, elle acceptait de Google le versement de 125 millions de dollars censés régler les droits d'auteurs correspondant aux oeuvres numérisées ou devant l'être. Si l'Author's Guild a accepté ce montant dérisoire, c'est qu'elle n'avait plus les moyens de payer les frais d'avocats qu'aurait entraîné la poursuite du procès.
Cependant, le procureur général de Californie, appuyant ses réquisitions sur le respect du droit d'auteur et de la diversité culturelle, s'est, à notre heureuse surprise, opposé à l'accord, que le juge Denny Chin a ensuite rejeté. Changeant de pied, Google, qui avait pourtant longuement traité avec l'Author's Guild, a fait savoir fin 2011 qu'elle ne jugeait pas la guilde représentative des auteurs – elle prétend désormais traiter avec chaque auteur individuellement.
Rechercher tous les auteurs pour traiter avec chacun d'eux serait une entreprise longue et compliquée. L'accord cadre signé le 1er février 2011 a lui-même demandé de très longues discussions. Quelques mois auparavant encore, les auteurs ne manifestaient pas d'enthousiasme excessif à l'idée d'une gestion collective des droits ; outre que le droit d'auteur est un droit individuel, il restait à trancher la question de l'opt-in et de l'opt-out. Finalement, le consensus s'est fait et les auteurs se sont satisfaits de la solution retenue, qui leur permet de s'opposer à l'autorisation de la reproduction de leurs oeuvres sous forme numérique. On dispose de la sorte de la masse critique nécessaire à la numérisation, tout en respectant le droit d'auteur.
Je remercie Mme Boulestin de son intervention. Le sujet, compliqué, de la lecture publique devra être traité par la prochaine législature car notre droit ne prévoit pas d'exception générale au droit de reproduction numérique en faveur des bibliothèques ; de ce fait, elle demeure illégale.
Comme Mme Amiable l'a souligné à juste titre, les livres du début du XXIe siècle ne sont pas visés par la proposition. Auteurs et éditeurs de livres indisponibles pourront adhérer au mécanisme s'ils le souhaitent. Mme Amiable a dit son opposition de principe aux partenariats public-privé ; j'en prends acte mais je considère pour ma part que pour une numérisation d'une telle ampleur, de tels montages sont vertueux. Une partie des 750 millions du « grand emprunt » affectés à la numérisation du patrimoine culturel sera affectée à la numérisation des ouvrages et ces fonds publics lèveront des apports privés des éditeurs. Il est bon qu'il en soit ainsi.
Oui, monsieur Rogemont, j'ai lu l'accord cadre et si Mme la présidente en est d'accord, j'en communiquerai le texte à tous les commissaires puisque la Commission d'accès aux documents administratifs en a donné l'autorisation.
Nous reparlerons de la lecture publique lors de l'examen des amendements ; vous constaterez alors que ma position n'est pas celle que vous pensez - l'un de mes amendements, que le groupe SRC a d'ailleurs sous-amendé, devrait vous donner satisfaction.
La diffusion des oeuvres orphelines a suscité plusieurs questions de M. Rogemont et de M. Herbillon. Avant la fin de la législature, M. Michel Lefait et moi-même remettrons à la Commission des affaires européennes un rapport d'information sur les enjeux européens de la numérisation de l'écrit qui fait le point sur la question. La Commission européenne a bien adopté une proposition de directive relative à ce sujet mais l'élaboration du texte est loin d'être achevée et l'on ne sait pas grand-chose de ce qu'il sera. Quoi qu'il en soit, il est très important de définir une approche européenne des oeuvres orphelines, et je pense que le consensus prévaudra.
Il faut effectivement procéder à la recherche « diligente et active » des auteurs ou de leurs ayants droit. J'observe qu'à ce sujet l'on parle toujours des auteurs et jamais des éditeurs. Or, d'excellentes maisons d'édition ont disparu, telles Nagel, dont le fonds, constitué d'oeuvres d'auteurs très importants, n'a pas été repris. Dans de tels cas, les titulaires des droits sont les auteurs ou leurs ayants droit. Le problème est alors celui de la commercialisation des oeuvres : on peine à imaginer l'héritière âgée de 85 ans des droits d'un auteur disparu se faisant éditrice pour diffuser l'oeuvre du grand homme après que son éditeur a fait faillite.
L'auteur d'une photographie illustrant un texte dispose d'un droit accessoire ; la rémunération versée au photographe vaut, dans ce cas, pour solde de tout compte.
La notion d'indisponibilité diffère, monsieur Couanau, selon que l'on parle d'édition sur papier et d'édition numérique. Quand il s'agit d'édition sur papier – qui ne fait pas l'objet de ce texte – « l'indisponibilité » est définie par l'absence d'exploitation régulière, définie au fil des ans par la jurisprudence : est considéré comme épuisé un livre neuf que plusieurs libraires ne parviennent pas, pendant plusieurs semaines, à fournir, et cela justifie qu'un auteur, considérant que l'éditeur exploite mal son oeuvre et ayant fait constater la chose par huissier, puisse demander à reprendre ses droits.
Il faut par ailleurs distinguer réimpression et réédition. Une réimpression à l'identique n'est pas considérée comme une oeuvre nouvelle ; il est d'ailleurs de pratique courante dans l'édition d'imprimer quelques milliers d'exemplaires et de réimprimer si la demande est forte. En revanche, une réédition, même si le texte n'est pas modifié, est considérée comme un livre nouveau et entraîne l'attribution d'un code ISBN distinct. A fortiori, la version des Poneys sauvages modifiée par son auteur, ou celles de Risibles amours et de La Plaisanterie par Milan Kundera, ont des codes ISBN différents de ceux des versions initialement publiées.
Mais à partir du moment où une oeuvre est numérisée, les critères de « l'indisponibilité » n'existent plus ; c'est pourquoi les auteurs veulent que les contrats d'édition numérique prévoient une durée limitée pour la cession des droits d'exploitation de l'oeuvre numérique. La proposition vise précisément à ce que les oeuvres du XXe sous droit, actuellement indisponibles en édition numérique, deviennent accessibles.
Monsieur Reiss, comme la base de données publique sera gérée par la BnF et alimentée par le dépôt légal, l'actualisation éventuellement nécessaire sera marginale. Les oeuvres concernées sont toutes celles qui sont publiées en France, qu'elles le soient en français, en langues régionales ou en langues étrangères.
Monsieur Kert, la société de perception et de répartition des droits est uniquement une société de commercialisation des fichiers : ce n'est pas elle qui se chargera de la numérisation. Auteurs et éditeurs seront représentés à parité parmi ses associés et au sein de ses organes dirigeants. Je ne sais qui la présidera ; peut-être les associés s'accorderont-ils sur le principe d'une présidence tournante, alternativement dévolue à un éditeur et à un auteur. Des auditions que j'ai menées, il est ressorti qu'une SPRD nouvelle ne serait pas créée : deux sociétés de ce type existent déjà dans le secteur du livre, dont l'une fonctionne de manière paritaire. L'une des deux remplira cette nouvelle fonction.
La Commission procède à l'examen des articles du projet de loi.
Article 1er : Définition et modalités d'exploitation des livres indisponibles
La Commission, suivant l'avis défavorable du rapporteur, rejette les amendements identiques n° 24 AC de Mme Monique Boulestin et 1 AC de M. Lionel Tardy.
Puis, elle adopte, suivant l'avis favorable du rapporteur, l'amendement n° 23 AC de Mme Monique Boulestin, ainsi que les amendements identiques n° 2 AC de M. Lionel Tardy, 15 AC de Mme Marie-Hélène Amiable, 25 AC de Mme Monique Boulestin.
Elle adopte l'amendement n° 34 AC du rapporteur.
Puis elle adopte, suivant l'avis favorable du rapporteur, les amendements identiques n° 3 AC de M. Lionel Tardy, n° 16 AC de Mme Marie-Hélène Amiable et n° 26 AC de Mme Monique Boulestin.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, elle rejette les amendements n° 17 AC de Mme Marie-Hélène Amiable et n° 62 AC de Mme Monique Boulestin.
Elle adopte ensuite l'amendement n° 35 AC du rapporteur.
Puis la Commission rejette, suivant l'avis défavorable du rapporteur, les amendements identiques n° 4 AC de M. Lionel Tardy et n° 27 AC de Mme Monique Boulestin, ainsi que l'amendement n° 28 AC de Mme Monique Boulestin.
Elle adopte l'amendement n° 36 AC du rapporteur.
Elle rejette l'amendement n° 7 AC de M. Lionel Tardy suivant l'avis défavorable du rapporteur.
Elle adopte l'amendement n° 37 AC du rapporteur.
Elle rejette, suivant l'avis défavorable du rapporteur, les amendements identiques n° 5 AC de M. Lionel Tardy et n° 29 AC de Mme Monique Boulestin, ainsi que l'amendement n° 6 AC de M. Lionel Tardy.
Elle adopte les amendements n° 38 AC et 39 AC du rapporteur.
Elle examine, en discussion commune, l'amendement n° 18 AC de Mme Marie-Hélène Amiable et l'amendement n° 46 AC du rapporteur, ce dernier faisant l'objet du sous-amendement n° 64 AC de Mme Monique Boulestin.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, elle rejette le sous-amendement n° 64 AC, puis adopte l'amendement n° 46 AC, l'amendement n° 18 AC devenant sans objet.
La Commission adopte l'amendement n° 47 AC du rapporteur.
Après avoir rejeté, suivant l'avis défavorable du rapporteur, le sous-amendement n° 65 AC de Mme Monique Boulestin, elle adopte l'amendement n° 48 AC du rapporteur.
Après avoir rejeté, suivant l'avis défavorable du rapporteur, le sous-amendement n° 66 AC de Mme Monique Boulestin, elle adopte l'amendement n° 49 AC du rapporteur.
La Commission adopte, suivant l'avis favorable du rapporteur, les amendements identiques n° 8 AC de M. Lionel Tardy, 19 AC de Mme Marie-Hélène Amiable et 30 AC de Mme Monique Boulestin.
Puis elle rejette, suivant l'avis défavorable du rapporteur, les amendements n° 31 AC de Mme Monique Boulestin, 20 AC de Mme Marie-Hélène Amiable et 32 AC de Mme Monique Boulestin.
Elle adopte ensuite les amendements n° 60 AC, 50 AC et 51 AC du rapporteur.
Elle rejette, suivant l'avis défavorable du rapporteur, les amendements identiques n° 9 AC de M. Lionel Tardy et 33 AC de Mme Monique Boulestin.
Suivant l'avis favorable du rapporteur, la Commission adopte les amendements identiques n° 10 AC de M. Lionel Tardy, 21 AC de Mme Marie-Hélène Amiable et 40 AC de Mme Monique Boulestin.
Elle rejette, suivant l'avis défavorable du rapporteur, les amendements identiques n° 11 AC de M. Lionel Tardy et 41 AC de Mme Monique Boulestin.
Elle rejette, suivant l'avis défavorable du rapporteur, l'amendement n° 22 AC de Mme Marie-Hélène Amiable.
Elle adopte, suivant l'avis favorable du rapporteur, l'amendement n° 42 AC de Mme Monique Boulestin.
Elle adopte l'amendement n° 53 AC du rapporteur, puis l'amendement n° 54 AC du rapporteur, l'amendement n° 43 AC de Mme Monique Boulestin devenant sans objet.
Suivant l'avis favorable du rapporteur, elle adopte le sous-amendement n° 61 de Mme Monique Boulestin, puis l'amendement n° 55 AC du rapporteur ainsi modifié.
Elle rejette ensuite, suivant l'avis défavorable du rapporteur, les amendements identiques n° 12 AC de M. Lionel Tardy et 63 AC de Mme Monique Boulestin.
La Commission adopte l'article 1er ainsi modifié.
Article 1er bis : Définition de l'oeuvre orpheline
La Commission adopte l'amendement n° 56 AC du rapporteur supprimant l'article 1er bis.
Les amendements n° 14 AC de M. Lionel Tardy et 44 AC de Mme Monique Boulestin deviennent sans objet.
L'article 1er bis est ainsi supprimé.
Article 2 : Utilisation d'une partie de la rémunération pour copie privée pour le financement d'actions en faveur de la promotion de la lecture publique ; utilisation des sommes non répartissables de la gestion collective des livres indisponibles
La Commission adopte l'amendement n° 57 AC du rapporteur supprimant l'article 2.
L'article 2 est ainsi supprimé.
Article 2 bis (nouveau) : Organisation d'une concertation sur les questions relatives à l'impression des livres à la demande.
La Commission adopte l'amendement n° 58 rect. AC du rapporteur portant article additionnel après l'article 2.
Article 3 : Application de la loi
La Commission adopte l'amendement n° 59 AC du rapporteur et l'article 3 ainsi modifié.
Article 4 : Gage financier
La Commission adopte l'article 4 sans modification.
Elle adopte ensuite, à l'unanimité, l'ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.
La séance est levée à onze heures quarante.