Pour répondre à M. Rogemont, je reviendrai d'abord sur le procès en contrefaçon de droits d'auteur intenté aux Etats-Unis, notamment par l'Author's Guild – la guilde des auteurs – à la société Google, un procès très éclairant dont nous avons suivi les rebondissements avec une grande attention. Après que, fin 2004, Google eut annoncé son projet de numériser le plus grand nombre d'oeuvres possible, qu'elles soient sous droit ou qu'elles ne le soient pas, l'Author's Guild, s'élevant contre cette numérisation « sauvage », a engagé une action de groupe contre Google. La France et la Commission européenne se sont associées au procès par la procédure dite « des amis de la Cour » - amici curiae – et ces interventions ont eu pour résultat que les oeuvres françaises, entre autres, ont été exclues du programme de numérisation de Google. Pendant ce temps, une procédure était engagée pour la même raison devant le tribunal de grande instance de Paris par le groupe La Martinière, auquel se sont associés le Syndicat national des éditeurs et la Société des gens de lettres, au terme de laquelle la société Google a été condamnée à indemniser l'éditeur.
En juillet 2010, l'Author's Guild acceptait un accord transactionnel formulé en ces termes : en contrepartie de son renoncement à poursuivre son action de groupe, elle acceptait de Google le versement de 125 millions de dollars censés régler les droits d'auteurs correspondant aux oeuvres numérisées ou devant l'être. Si l'Author's Guild a accepté ce montant dérisoire, c'est qu'elle n'avait plus les moyens de payer les frais d'avocats qu'aurait entraîné la poursuite du procès.
Cependant, le procureur général de Californie, appuyant ses réquisitions sur le respect du droit d'auteur et de la diversité culturelle, s'est, à notre heureuse surprise, opposé à l'accord, que le juge Denny Chin a ensuite rejeté. Changeant de pied, Google, qui avait pourtant longuement traité avec l'Author's Guild, a fait savoir fin 2011 qu'elle ne jugeait pas la guilde représentative des auteurs – elle prétend désormais traiter avec chaque auteur individuellement.
Rechercher tous les auteurs pour traiter avec chacun d'eux serait une entreprise longue et compliquée. L'accord cadre signé le 1er février 2011 a lui-même demandé de très longues discussions. Quelques mois auparavant encore, les auteurs ne manifestaient pas d'enthousiasme excessif à l'idée d'une gestion collective des droits ; outre que le droit d'auteur est un droit individuel, il restait à trancher la question de l'opt-in et de l'opt-out. Finalement, le consensus s'est fait et les auteurs se sont satisfaits de la solution retenue, qui leur permet de s'opposer à l'autorisation de la reproduction de leurs oeuvres sous forme numérique. On dispose de la sorte de la masse critique nécessaire à la numérisation, tout en respectant le droit d'auteur.
Je remercie Mme Boulestin de son intervention. Le sujet, compliqué, de la lecture publique devra être traité par la prochaine législature car notre droit ne prévoit pas d'exception générale au droit de reproduction numérique en faveur des bibliothèques ; de ce fait, elle demeure illégale.
Comme Mme Amiable l'a souligné à juste titre, les livres du début du XXIe siècle ne sont pas visés par la proposition. Auteurs et éditeurs de livres indisponibles pourront adhérer au mécanisme s'ils le souhaitent. Mme Amiable a dit son opposition de principe aux partenariats public-privé ; j'en prends acte mais je considère pour ma part que pour une numérisation d'une telle ampleur, de tels montages sont vertueux. Une partie des 750 millions du « grand emprunt » affectés à la numérisation du patrimoine culturel sera affectée à la numérisation des ouvrages et ces fonds publics lèveront des apports privés des éditeurs. Il est bon qu'il en soit ainsi.
Oui, monsieur Rogemont, j'ai lu l'accord cadre et si Mme la présidente en est d'accord, j'en communiquerai le texte à tous les commissaires puisque la Commission d'accès aux documents administratifs en a donné l'autorisation.
Nous reparlerons de la lecture publique lors de l'examen des amendements ; vous constaterez alors que ma position n'est pas celle que vous pensez - l'un de mes amendements, que le groupe SRC a d'ailleurs sous-amendé, devrait vous donner satisfaction.
La diffusion des oeuvres orphelines a suscité plusieurs questions de M. Rogemont et de M. Herbillon. Avant la fin de la législature, M. Michel Lefait et moi-même remettrons à la Commission des affaires européennes un rapport d'information sur les enjeux européens de la numérisation de l'écrit qui fait le point sur la question. La Commission européenne a bien adopté une proposition de directive relative à ce sujet mais l'élaboration du texte est loin d'être achevée et l'on ne sait pas grand-chose de ce qu'il sera. Quoi qu'il en soit, il est très important de définir une approche européenne des oeuvres orphelines, et je pense que le consensus prévaudra.
Il faut effectivement procéder à la recherche « diligente et active » des auteurs ou de leurs ayants droit. J'observe qu'à ce sujet l'on parle toujours des auteurs et jamais des éditeurs. Or, d'excellentes maisons d'édition ont disparu, telles Nagel, dont le fonds, constitué d'oeuvres d'auteurs très importants, n'a pas été repris. Dans de tels cas, les titulaires des droits sont les auteurs ou leurs ayants droit. Le problème est alors celui de la commercialisation des oeuvres : on peine à imaginer l'héritière âgée de 85 ans des droits d'un auteur disparu se faisant éditrice pour diffuser l'oeuvre du grand homme après que son éditeur a fait faillite.
L'auteur d'une photographie illustrant un texte dispose d'un droit accessoire ; la rémunération versée au photographe vaut, dans ce cas, pour solde de tout compte.
La notion d'indisponibilité diffère, monsieur Couanau, selon que l'on parle d'édition sur papier et d'édition numérique. Quand il s'agit d'édition sur papier – qui ne fait pas l'objet de ce texte – « l'indisponibilité » est définie par l'absence d'exploitation régulière, définie au fil des ans par la jurisprudence : est considéré comme épuisé un livre neuf que plusieurs libraires ne parviennent pas, pendant plusieurs semaines, à fournir, et cela justifie qu'un auteur, considérant que l'éditeur exploite mal son oeuvre et ayant fait constater la chose par huissier, puisse demander à reprendre ses droits.
Il faut par ailleurs distinguer réimpression et réédition. Une réimpression à l'identique n'est pas considérée comme une oeuvre nouvelle ; il est d'ailleurs de pratique courante dans l'édition d'imprimer quelques milliers d'exemplaires et de réimprimer si la demande est forte. En revanche, une réédition, même si le texte n'est pas modifié, est considérée comme un livre nouveau et entraîne l'attribution d'un code ISBN distinct. A fortiori, la version des Poneys sauvages modifiée par son auteur, ou celles de Risibles amours et de La Plaisanterie par Milan Kundera, ont des codes ISBN différents de ceux des versions initialement publiées.
Mais à partir du moment où une oeuvre est numérisée, les critères de « l'indisponibilité » n'existent plus ; c'est pourquoi les auteurs veulent que les contrats d'édition numérique prévoient une durée limitée pour la cession des droits d'exploitation de l'oeuvre numérique. La proposition vise précisément à ce que les oeuvres du XXe sous droit, actuellement indisponibles en édition numérique, deviennent accessibles.
Monsieur Reiss, comme la base de données publique sera gérée par la BnF et alimentée par le dépôt légal, l'actualisation éventuellement nécessaire sera marginale. Les oeuvres concernées sont toutes celles qui sont publiées en France, qu'elles le soient en français, en langues régionales ou en langues étrangères.
Monsieur Kert, la société de perception et de répartition des droits est uniquement une société de commercialisation des fichiers : ce n'est pas elle qui se chargera de la numérisation. Auteurs et éditeurs seront représentés à parité parmi ses associés et au sein de ses organes dirigeants. Je ne sais qui la présidera ; peut-être les associés s'accorderont-ils sur le principe d'une présidence tournante, alternativement dévolue à un éditeur et à un auteur. Des auditions que j'ai menées, il est ressorti qu'une SPRD nouvelle ne serait pas créée : deux sociétés de ce type existent déjà dans le secteur du livre, dont l'une fonctionne de manière paritaire. L'une des deux remplira cette nouvelle fonction.