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Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 18 janvier 2012 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, rapporteur :

Cette proposition a été déposée dans les mêmes termes en septembre 2011 à l'Assemblée nationale par moi-même et au Sénat par le sénateur Jacques Legendre. Je remercie les nombreux collègues qui l'ont cosignée.

Le 1er février 2011, un accord cadre portant sur la mise à disposition des oeuvres indisponibles du XXe siècle a été conclu entre le ministère de la culture, le Syndicat national de l'édition (SNE), la Société des gens de lettres (SGDL), la Bibliothèque nationale de France (BnF) et le Commissariat général à l'investissement. Cet accord comprend deux volets, l'un financier – participation conjointe des fonds du volet numérique des investissements d'avenir et des éditeurs afin de numériser les oeuvres – et l'autre juridique. La proposition de loi constitue la traduction législative de l'accord cadre, puisqu'il convenait de modifier le code de la propriété intellectuelle pour que ces oeuvres soient mises à disposition.

Ce travail a été accompli dans un esprit consensuel qui était d'ailleurs la condition, comme j'ai eu l'occasion de le dire à l'ensemble des parties, pour que les parlementaires se prononcent – il n'était en effet pas question de favoriser l'un ou l'autre des acteurs de ce dossier.

Pour des raisons d'ordre du jour, cette proposition a d'abord été examinée par le Sénat, qui l'a amendée de manière très utile. Je vous proposerai de maintenir certaines des modifications apportées et d'en supprimer d'autres, qui me semblent relever d'autres textes législatifs à venir, tel que celui concernant la transposition de la future directive européenne sur les oeuvres orphelines. Je souhaite que nous parvenions à un consensus.

En cette matière, il faut distinguer les oeuvres qui font partie du domaine public et celles qui sont sous droits, c'est-à-dire soumises au droit d'auteur pendant les 70 ans qui suivent le décès de ce dernier. Pour les premières, qui ne sont pas visées par ce texte, l'essentiel est de disposer de fonds publics suffisants pour les numériser – c'est ce à quoi nous nous employons depuis une dizaine d'années par l'entremise du Centre national du livre (CNL) et la base de données Gallica.

S'agissant des secondes, vous vous souvenez de la polémique qui a eu lieu voilà deux ans concernant l'éventuel abus de position dominante de certains prestataires à la suite des accords passés entre Google et, notamment, la bibliothèque municipale de Lyon. Se posent donc des problèmes d'argent – afin de procéder aux numérisations – et de titularité des droits, même si les oeuvres ne sont plus soumises au droit d'auteur. Vous avez d'ailleurs organisé une table ronde à ce propos, Madame la présidente, au cours de laquelle MM. Jean-Noël Jeanneney et Bruno Racine ont eu l'occasion de manifester leurs accords et désaccords, ce qui a permis d'éclairer la Commission et le Parlement sur l'ensemble de ces questions.

Cette proposition concerne donc les oeuvres du XXe siècle et du tout début du XXIesiècle qui sont sous droit d'auteur mais indisponibles. En effet, celles qui ont été publiées depuis le 1er janvier 2001 sont numériquement disponibles puisque, depuis lors, les éditeurs et les auteurs, hors le contrat relatif à la publication du livre en format papier, signent aussi des contrats d'édition numérique – il est donc désormais possible d'acheter ces ouvrages sur les plateformes légales de téléchargement. L'immense majorité des oeuvres antérieures à cette date sont numériquement indisponibles – puisque la question du titulaire du droit d'auteur numérique ne se posait pas lorsqu'elles ont été publiées – quoique certaines puissent être achetées en format papier si elles sont disponibles chez l'éditeur ou sur le marché des livres d'occasion. Or, pour le seul domaine français, ce ne sont pas moins de 500 000 ouvrages qui sont concernés.

Cette situation a deux explications : d'une part, il existe des incertitudes quant à la titularité des droits puisque la version numérique n'a pas fait l'objet d'un contrat séparé – éditeurs et auteurs devraient donc signer de nouveaux contrats pour chacune des 500 000 oeuvres. D'autre part, les éditeurs ne peuvent matériellement pas numériser des oeuvres à la rentabilité économique incertaine « sur la longue traîne », selon l'expression en usage dans ce métier. L'accord cadre du 1er février 2011 et cette proposition de loi visent à sortir d'une telle impasse.

Plus précisément, le texte tend à instituer une gestion collective des droits numériques. À cette fin, elle propose la création d'une société de perception et de répartition des droits (SPRD), gérée paritairement par les représentants des auteurs et des éditeurs, qui disposerait du droit d'autoriser la reproduction et la représentation d'une oeuvre au format numérique. Après avoir proposé une définition des livres indisponibles fondée sur cinq critères cumulatifs – la publication, le lieu de publication, la date de publication, la diffusion dans le commerce par un éditeur, la forme imprimée ou numérique –, l'article premier prévoit qu'une liste des oeuvres présumées indisponibles soit établie par la BnF. C'est sur cette base que l'exploitation collective de ces ouvrages sera possible. À compter de leur inscription dans la base de données publique et à défaut d'opposition par les titulaires des droits, le droit de reproduction et de représentation numérique serait exercé par cette société, laquelle pourrait autoriser l'exploitation numérique moyennant une rémunération, soit à l'éditeur titulaire du droit de reproduction de l'oeuvre sous forme imprimée pour dix ans et à titre exclusif soit, à défaut, à des tiers et à titre non exclusif pour une durée de cinq ans.

L'enjeu, également, est de permettre aux titulaires de droits, qu'ils soient auteurs ou éditeurs, de s'opposer à ce système de gestion collective par le mécanisme dit, en bon français, de l'opt out. Nous proposons donc de favoriser la numérisation massive des oeuvres du XXesiècle tout en ouvrant un délai légal d'opposition pour les éditeurs et les auteurs qui ne souhaiteraient pas entrer dans le dispositif. On notera que le délai fixé peut être dépassé, même si le retrait de l'oeuvre de la liste des oeuvres indisponibles peut être dans ce cas-là plus coûteuse.

Nous essayons ainsi de bâtir un système conciliant la possibilité de numériser les oeuvres et de les mettre à disposition facilement tout en respectant le droit d'opposition et le droit d'auteur, puisque les auteurs seront évidemment rémunérés sur la vente de ces fichiers numériques.

Parmi les oeuvres indisponibles du XXe siècle, deux cas de figure se présentent. Dans le premier, qui vaut pour 75 % à 80 % d'entre elles, les auteurs ou leurs ayants droit sont connus, ainsi que les éditeurs dont certains disposent ou non des droits selon qu'ils exploitent ou non l'oeuvre. Dans le second, « zone grise » ou oeuvres orphelines, les ouvrages relèvent encore du droit d'auteur sans que l'on puisse identifier les ayants droit. Comme il doit tout de même être possible d'exploiter cette catégorie d'oeuvres, les sommes impossibles à répartir seront affectées par la SPRD à une ligne budgétaire spécifiquement destinée au développement de la lecture publique.

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