Je vous remercie d'avoir accepté de venir témoigner devant notre commission d'enquête. Avec votre audition, nous achevons l'examen détaillé du cas de la ville de Saint-Étienne, examen qui ne serait pas complet sans convoquer les responsables du contrôle de légalité et du contrôle des comptes. Il sera utile, au-delà de votre témoignage, de connaître votre jugement sur les caractéristiques actuelles du contrôle public et sur les améliorations que l'on doit lui apporter. Comment ne pas considérer, au regard de la situation dans laquelle se trouve aujourd'hui Saint-Étienne, que le contrôle de légalité et le comptable public ont été défaillants ?
MM. Michel Morin et Yves Terrasse prêtent successivement serment.
Nommé trésorier-payeur général (TPG) à Saint-Étienne en septembre 2000, je suis resté à ce poste jusqu'au 31 décembre 2005 avant d'être nommé à Tours. Depuis le 1er juillet 2010, je suis agent comptable de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Je n'appartiens donc plus au réseau du Trésor public, et suis désormais assez éloigné de la problématique des finances locales.
La situation financière de Saint-Étienne était, lorsque j'y fus nommé, l'un des sujets importants, puisque cette ville figurait sur le réseau d'alerte en raison de son niveau d'endettement et du poids de ses investissements. À l'époque, c'est davantage le niveau d'endettement et la capacité de la commune à dégager l'autofinancement nécessaire pour rembourser cette dette qui préoccupait l'État.
Je commencerai par un bref rappel du cadre juridique et comptable au sein duquel l'État pouvait apprécier la situation financière des collectivités locales et formuler des préconisations ; puis j'évoquerai ce qui a été fait jusqu'en décembre 2005, avec la réserve qu'il s'agit pour moi d'événements assez anciens, pour lesquels je n'ai pas conservé toute la documentation.
S'agissant du rôle des administrations de l'État en matière de budgets locaux, je parlerai essentiellement du Trésor public, qui assure, d'une part, le contrôle contemporain de la régularité des opérations budgétaires et financières, et, de l'autre, une activité de conseil auprès des collectivités.
Le comptable territorial est chargé du contrôle de régularité, éventuellement avec le soutien de la Trésorerie générale, mais il lui est impossible, aux termes de l'article L. 1617-2 du code général des collectivités territoriales, d'exercer un contrôle d'opportunité sur les décisions prises par l'ordonnateur. Le contrôle de régularité qui lui incombe s'exerce sur la base des articles 12B et 13 du Règlement général de la comptabilité publique, et porte sur différents éléments : qualité de l'ordonnateur, disponibilité des crédits, exacte imputation de la dépense et validité de la créance sur la foi de justificatifs. Le comptable territorial doit également s'appuyer sur la décision ou les délibérations visées par le contrôle de légalité ; enfin, il applique les règles relatives à la prescription et à la déchéance, ainsi qu'au caractère libératoire du paiement.
Dès lors que la dépense est fondée sur un texte ou s'appuie sur une délibération ayant un caractère exécutoire, et une fois effectués les contrôles de régularité, le comptable doit procéder au paiement : il n'a pas à juger du contenu du contrat.
En ce qui concerne les pièces justificatives, le comptable ne dispose pas nécessairement du contrat d'emprunt ou de swap. Le décret de 1983, modifié en 2003, fixe la liste des pièces justificatives, à savoir, pour les emprunts, le tableau d'amortissement et les avis d'échéance et de domiciliation – ainsi, bien entendu, que la délibération exécutoire ou la décision. La Cour des Comptes, dans son rapport thématique de juillet 2011, avait souligné l'inadaptation de ce décret qui ne facilite pas, selon elle, l'exercice des vérifications.
On voit donc les limites du contrôle contemporain. S'il n'est déjà pas facile d'identifier le caractère exotique de certains contrats, une analyse approfondie ex post est nécessaire pour apprécier le risque d'exposition global de la collectivité.
D'une manière générale, on a aussi relevé, à l'époque, les limites de la capacité d'expertise des services du Trésor sur ces questions, non seulement des trésoreries municipales, mais aussi des trésoreries générales.
Le rôle de conseil, valorisé par la Direction générale des finances publiques, peut s'exercer dans le cadre du contrôle au jour le jour ; cependant, s'il est très appréciable pour les petites collectivités, il reste limité pour les grandes, qui disposent de leur propre direction financière. Le comptable ne peut donc intervenir qu'à la demande des collectivités et, en tout état de cause, jamais dans les négociations avec les banques.
J'évoquerai les outils qui, de 2000 à 2005, permettaient d'exercer une vigilance sur les nouvelles modalités d'endettement des collectivités locales. Le phénomène était encore embryonnaire à l'époque, même si l'innovation financière commençait à se développer. Une circulaire conjointe relative aux contrats de couverture du risque d'intérêt – en d'autres termes, les swaps de taux d'intérêt – offerts aux collectivités locales était parue en octobre 1992, dans un contexte de déréglementation des instruments financiers ; elle permettait aux collectivités, alors lourdement endettées par des emprunts à taux fixes, d'en contracter de nouveaux à taux variables et moins élevés.
Cette circulaire, d'une lecture peu aisée, ne décrivait pas les nouveaux types de prêts structurés à taux parfois très bonifiés – produits de barrière, de change, de pente ou de courbe et emprunts snowball –, qui demeuraient donc tout à fait inconnus des services de l'État, auxquels ils n'ont été présentés qu'à l'automne 2008 ; il fallut enfin attendre la circulaire du 25 juin 2010 pour en obtenir une description complète.
Un certain nombre de ces contrats, notamment dans la catégorie des swaps de taux d'intérêt, étaient néanmoins interdits car ils contrevenaient à l'obligation du dépôt de fonds au Trésor public ; d'une manière générale, il fallait établir leur nature non spéculative et leur conformité au critère d'intérêt général. Cette appréciation n'était guère facile.
La présentation des états annexes récapitulant l'endettement des collectivités – M 14 – était, à l'époque, assez générale : elle ne permettait pas d'identifier les emprunts structurés par types de taux, donc d'en évaluer l'éventuelle dangerosité. De même, si l'un des états récapitulait le remboursement anticipé des emprunts, ces données étaient peu lisibles en l'absence d'indications quant aux soultes, dont on sait qu'elles ont souvent été neutralisées par un allongement de la durée des emprunts.
Quant aux charges financières, les règles comptables ne permettaient pas vraiment d'identifier les risques. La constitution de provisions n'est pas obligatoire pour les collectivités locales ; de surcroît, l'état annexe M 14 ne prend en compte que les intérêts effectivement versés en cours d'année. Les soultes éventuelles figurent dans un autre état, parmi d'autres éléments comptables ; il n'est donc pas facile de les repérer.
J'en viens à la situation de Saint-Étienne telle que mes services ont pu l'apprécier à l'époque. Les relations avec la commune, dont l'état d'endettement nous préoccupait, étaient courtoises mais un peu superficielles, cette dernière étant soucieuse de préserver son autonomie en matière de gestion financière. Je souhaitais mener une analyse prospective sur les dépenses prévues à trois ans, mais il fallut se contenter d'une analyse rétrospective. Nous n'avons jamais eu de discussion avec la commune sur la structure de son endettement ; nous savions seulement qu'elle cherchait des marges de manoeuvre à travers la renégociation de ses contrats d'emprunt afin de bénéficier de taux d'intérêt plus avantageux ; d'une manière générale cette démarche d'allègement des charges financières était d'ailleurs saluée par l'État.
Nous avions, avec la préfecture, des relations suivies à travers le réseau d'alerte. La chambre régionale des comptes avait rédigé un premier rapport ; mais il s'arrêtait en 2004 et ne portait que sur le problème de l'endettement global, non sur la structure de cet endettement : il a fallu attendre le rapport de 2010 pour avoir une analyse détaillée sur ce point.
Deux analyses rétrospectives ont été réalisées pour l'agglomération en 2003 et 2005, et une autre pour la ville en 2006. Cette dernière analyse a révélé une persistance du niveau d'endettement, une baisse de la dette par habitant et une amélioration, assez spectaculaire, du ratio entre la dette et la charge financière : 5,4 % en 2002, 3,6 % en 2003 et 4 % en 2005.
Nous connaissons le contexte général et le cadre réglementaire. De quels éléments précis disposiez-vous pour prendre la décision de procéder aux paiements ? Quelles vérifications avez-vous faites ?
Outre la fonction de contrôle, vous avez aussi un rôle de conseil. En six ans, quels conseils avez-vous donnés à cette collectivité qui avait modifié la structure de sa dette ?
Nous avons contrôlé, comme je l'ai indiqué, la régularité budgétaire, l'imputation des dépenses et la justification du service effectué. Quant à l'endettement, les vérifications portent sur le montant de l'annuité par rapport au tableau d'amortissement, et sur le fait que l'emprunt a fait l'objet d'une délibération validée par le contrôle de légalité. Le comptable n'a pas les moyens d'aller plus loin.
Avez-vous procédé à certains paiements en l'absence d'éléments précis justifiant la dépense ?
Toute dépense doit être justifiée par la production des documents correspondants.
Ma question est plus précise. Pour les emprunts de longue durée à taux fixe, les contrôles sont faciles ; mais disposiez-vous, pour les produits dont nous parlons, de l'ensemble des documents nécessaires pour décider en toute connaissance de cause ?
Non : la nature et les caractéristiques de l'emprunt ne sont pas forcément détaillées dans la délibération.
Non, dès lors qu'elles correspondaient au tableau d'amortissement.
Présidence de M. Claude Bartolone, Président
Le fait que certains taux d'intérêt fussent inférieurs au cours de l'argent ne vous a-t-il jamais alerté ?
Il aurait fallu, pour cela, que nous disposions des éléments de référence nécessaires. Le comptable n'était pas en mesure de faire cette vérification, et n'a d'ailleurs pas à la faire : il exécute la dépense telle qu'elle résulte des modalités de l'emprunt, après validation par le contrôle de légalité.
Votre administration centrale ne vous a-t-elle jamais demandé de vous intéresser à la nature des prêts souscrits par les collectivités locales ?
Les comptables du Trésor placés sous votre responsabilité avaient-ils copie des contrats de prêt souscrits par les collectivités, notamment celles qui, comme Saint-Étienne, figuraient dans le réseau d'alerte ?
Vos études financières, assez statiques, se bornent à comparer l'état des stocks d'une année sur l'autre ; elles ont ainsi conduit à constater une amélioration avec la baisse des charges financières – les agences de notation ont d'ailleurs les mêmes critères d'analyse. L'une de vos fonctions est néanmoins le conseil. Avez-vous eu l'occasion d'exercer vraiment cette fonction, non seulement pour les petites collectivités, mais aussi pour les grandes, où les sommes en jeu sont bien plus considérables ?
Vous avez rappelé le cadre réglementaire, que chacun ici connaît. Mais vous appartenez, comme trésorier-payeur général, à un réseau d'experts. L'actuel maire de Saint-Étienne nous a dit qu'il avait été alerté par l'un de ses homologues au sujet d'un produit financier suspect ; de plus, à l'époque, les banques avaient organisé des conférences et des colloques pour promouvoir ces produits. Je m'étonne que les experts que vous êtes n'aient pas eu d'échanges à ce sujet et, dans le cadre de leur mission de conseil, mis en garde certaines collectivités.
Je serai plus dur encore que mes collègues : je suis profondément frustré par votre approche formaliste. Il est inconcevable, s'agissant d'une commune soumise à la procédure d'alerte, que nul ne se soit jamais intéressé à la nature de ces emprunts souscrits dans le cadre de restructurations considérables, et dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils n'étaient pas courants jusqu'en 2003.
J'ajoute que les arrêtés du maire indiquent explicitement que ces emprunts sont gagés par le pouvoir de lever l'impôt. Une telle faillite des contrôles de l'État est stupéfiante.
Par ailleurs, avez-vous eu quelque écho de la Direction générale des collectivités locales (DGCL) ?
Les receveurs sont-ils formés à l'analyse de ces produits financiers, ou leur formation se borne-t-elle au cadre réglementaire que vous nous avez décrit ?
Jusqu'à la fin de 2005, notre réseau d'experts n'a pas reçu d'instructions de l'administration centrale sur ces nouveaux types d'emprunts : ces instructions sont venues en 2008. Nous ne pouvions donc nous appuyer que sur la circulaire de 1992, mais celle-ci ne concerne que les swaps.
Par ailleurs, les comptables ne reçoivent pas copie des offres de prêts et, une fois le contrat signé, elles ne constituent pas nécessairement une pièce justificative, même si la délibération peut en préciser certains éléments.
Nous n'avons pas exercé de rôle de conseil « à la demande » auprès de la collectivité de Saint-Étienne, qui ne nous a pas sollicités. Mais nous avons produit l'analyse financière de 2006, qui précisait que « la ville recourt à des instruments financiers, notamment des swaps de taux d'intérêt, qui lui ont permis de réaliser des économies substantielles. Le résultat financier s'est notablement amélioré en passant de - 19,9 millions d'euros en 2001 à - 9,2 millions d'euros en 2005 ; ces opérations, bien qu'elles soient globalement soldées par des plus-values jusqu'en 2005, présentent nécessairement un risque potentiel pour la commune dans la mesure où il est très difficile de prévoir l'évolution des taux à cinq ou dix ans. » Cette analyse financière a nécessairement été présentée à la collectivité – même si j'ignore dans quelles conditions, postérieurement à mon départ fin 2005, –, laquelle fut donc informée des risques liés aux swaps de taux d'intérêt.
L'organisation en réseau de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) permet effectivement, monsieur Calméjane, de mutualiser certaines informations issues de nos expériences respectives ; toutefois, jusqu'à la fin de 2005, nous n'avons pas eu d'échanges sur les innovations financières dans les budgets territoriaux, et n'avons pas été conviés aux colloques organisés par les banques, notamment Dexia.
Nous n'avons pas davantage été sollicités par la ville de Saint-Étienne, monsieur Plagnol : pour jouer un rôle de conseil, il nous aurait fallu pouvoir expertiser des documents nous indiquant, par exemple, les formules de rapport entre les taux courts et les taux longs. Si la banque affirme que les premiers ne doivent pas dépasser pas les seconds, et qu'il n'y a donc aucun risque d'activation des barrières, nous ne sommes pas en mesure de la contredire, sauf à faire valoir des arguments de bon sens.
La formation des comptables du Trésor sur ce type d'emprunts, Monsieur Carcenac, était inexistante à l'époque ; mais après la crise de 2008, qui a fait prendre conscience que ces derniers étaient massivement présents dans la dette de certaines collectivités, un effort important, qui avait débuté dès 2007, a été réalisé pour combler cette lacune. De même, l'administration centrale s'est dotée de nouveaux moyens d'expertise, grâce auxquels les comptables territoriaux peuvent lui transmettre des dossiers qui leur semblent complexes et risqués.
Monsieur le préfet Morin, sur la base des circulaires du 15 septembre 1992, relative aux contrats de couverture du risque de taux d'intérêt offerts aux collectivités locales et aux établissements publics locaux, et du 4 avril 2003, relative aux régimes des délégations de compétences en matière d'emprunt, de trésorerie et d'instruments financiers, il vous appartenait de contrôler le contenu et le respect des délégations de l'organe délibérant.
Le rapport de 2010 de la chambre régionale des comptes vous a-t-il conduit à faire des vérifications approfondies ?
Depuis la décentralisation de 1982, le contrôle porte sur le budget tel que nous le présente la collectivité, la sincérité des écritures publique, les résultats de l'examen du compte administratif et la transcription des éléments concernés dans le budget, ainsi que l'inscription des dépenses obligatoires. Ce contrôle, d'un caractère essentiellement formel, se fait a minima dans la mesure où les collectivités, attachées au respect du principe constitutionnel de libre administration territoriale, n'accepteraient pas que nous allions plus loin ; j'en ai d'ailleurs fait l'expérience.
J'ai pris mes fonctions de préfet de la Loire en août 2002 et les ai quittées en mars 2006. Ce département connaissait, depuis trente ans, une série de fortes crises industrielles, et il était au début d'une nouvelle crise avec, notamment, la fermeture du site de Giat Industries à Saint-Chamond.
L'État, la ville, la métropole et le conseil général s'efforçaient de mettre en oeuvre une stratégie de « redéveloppement ». Dans ce cadre mon travail consistait, pour l'essentiel, à aider les collectivités à obtenir des soutiens de l'État, de l'Agence de l'eau – puisque la plus importante opération financière concernait la station d'épuration de Porchon, avec plus de 80 millions d'euros de dépenses – et du Fonds européen de développement régional (FEDER), le préfet de région ayant accepté d'en réserver toute une part au seul département de la Loire.
Ma principale préoccupation était de savoir si la ville et la communauté d'agglomération étaient capables de supporter les lourds investissements engagés. Je rappelle néanmoins que la chambre régionale des comptes, dans son rapport, avait indiqué que ces dépenses, pour la ville de Saint-Étienne, restaient inférieures à la moyenne de la strate, même si elles demeuraient très lourdes au regard de sa situation financière, fort dégradée depuis les années quatre-vingt. J'ai donc attentivement suivi l'évolution du niveau d'endettement de la commune.
En tout état de cause, la préfecture avait toute ignorance de la structure de cet endettement, le principe de libre administration des collectivités territoriales étant d'autant plus en vogue entre 2002 et 2004 que s'ouvrait alors le deuxième acte de la décentralisation. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2131-4 du code général des collectivités territoriales, les contrats de prêt ne sont pas soumis à l'obligation de transmission aux représentants de l'État : la préfecture ne les avait donc pas en sa possession. Au reste, si elle les avait eus, elle aurait dû les transmettre aux services centraux ou assaillir la commune des questions car nul, au sein de mes services, n'avait reçu la formation nécessaire pour les analyser.
Enfin, nous n'avons pas été mis en garde contre ces produits alors que, comme le disait M. Terrasse, beaucoup de choses avaient changé depuis la circulaire de 1992. Pardon pour cet aveu un peu franc, mais Dexia, par exemple, m'apparaissait encore comme l'ancien Crédit local de France, en plus important : je n'imaginais pas que cette banque vendrait aux collectivités des produits aussi sophistiqués que ceux évoqués dans le rapport de la chambre régionale des comptes.
Les préfets, je le répète, n'ont jamais été mis en garde contre ces nouveaux types d'emprunt avant la circulaire de juin 2010. Je n'ai pas davantage été alerté par l'opposition municipale – alors que je le fus dans d'autres villes –, sans doute parce qu'elle n'était pas elle-même en mesure d'apprécier le danger. Notez bien qu'il s'agit d'un élément d'explication factuel : notre rôle n'est évidemment pas d'attendre des alertes.
Jusqu'en 2006, si je vous ai bien compris, vous n'avez donc pas eu connaissance de produits financiers structurés dans l'endettement des collectivités.
Personnellement, non ; et je n'ai pas davantage été mis en garde par mes services.
Entre 2002 et 2006, l'endettement de la commune n'augmentait pas et les charges financières allaient même diminuant, du moins jusqu'en 2005. Il n'y avait donc aucun signe d'alerte ; si nous en avions perçu, nous aurions sans doute examiné les choses de plus près.
Je ne veux pas charger les banques avant d'entendre leurs représentants, mais les élus de la majorité comme de l'opposition avaient manifestement beaucoup de mal à comprendre les produits financiers qui leur étaient présentés. En l'absence d'alerte sur les provisions, comment ne pas se réjouir de taux attractifs ? En somme, on a laissé les trésoriers-payeurs généraux se débrouiller, passez-moi l'expression, avec des produits qu'ils ne connaissaient pas. Nous aurons à en reparler.
Vous avez, l'un comme l'autre, occupé des fonctions importantes et observé les effets des produits toxiques sur les finances locales. Avez-vous des conseils en ce domaine ? Quels sont les produits que vous jugez incontrôlables ? Comment les autorités de tutelle et les trésoriers-payeurs généraux pourraient-ils, selon vous, jouer leur rôle de conseil sans remettre en cause la décentralisation ?
Lorsque M. Morin a été nommé préfet de la Loire, il a dû gérer d'autres urgences que l'endettement des collectivités : l'agglomération stéphanoise, ainsi que Roanne, étaient en pleine reconversion économique. Dans ces conditions, nous attendions du préfet qu'il fédère les collectivités et obtienne des ressources du FEDER ; nous sollicitions même de Paris des « sous-préfets développeurs ». Bref, les collectivités ont été un peu « pousse-au-crime » en participant à des modes de financement dont, au départ, elles ne percevaient pas les dangers. Il faut toujours rappeler ce contexte, car la Loire était un département sinistré ; il était d'ailleurs le seul, dans la région Rhône-Alpes, à voir sa population décroître.
Je sais, Monsieur le préfet, que vous ne pratiquez pas la langue de bois ; en tant que préfet de l'Isère, vous avez d'ailleurs dû vous occuper des difficultés de la ville de Grenoble. Que faire pour permettre à l'État d'exercer des contrôles intelligents, qui, tout en respectant le principe de libre administration des collectivités, ne se limitent pas à leur aspect formel ou administratif ?
Le principe de libre administration des collectivités est posé par l'article 72 de la Constitution ; son dernier alinéa dispose : « Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État […] a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. »
En somme, monsieur le préfet, vous n'avez d'autre pouvoir que celui de contrôler le respect de la loi, et il en va globalement de même pour M. le trésorier-payeur général.
Notre pays a perdu la culture du contrôle, non seulement pour des actes administratifs tels que la délivrance des cartes d'identité, mais aussi pour la gestion globale des collectivités. J'attends donc des propositions de la part des deux hauts fonctionnaires que vous êtes, car les élus n'ont pas forcément la connaissance technique des produits qu'on leur présente, qu'il s'agisse de produits financiers ou, par exemple, de logiciels informatiques. Comment l'État, par sa vision globale et les possibilités d'échanges qu'offre internet, pourrait-il mieux accompagner les collectivités par ses conseils ?
S'agissant du suivi de l'endettement des communes, la préfecture entretient de bonnes relations avec les maires. En revanche, pour ce qui concerne la nature même des produits financiers, le contrôle relève du niveau national et doit être assuré en temps réel, quitte à prévoir, pour ce faire, de nouvelles dispositions législatives ou réglementaires. C'est là un enjeu majeur car, je le répète, ni la Direction des finances publiques, ni les préfectures n'ont à ce jour les compétences suffisantes pour accomplir cette mission. J'ajoute qu'un tel cadrage national doit se faire dans des termes lisibles : à la première lecture, certains passages de la circulaire de juin 2010 me sont restés obscurs.
Le second point essentiel est de former, de manière pointue, nos collaborateurs, voire les préfets eux-mêmes : nous devons être capables de comprendre, par exemple, les conditions précises de l'octroi d'une délégation aux élus. À défaut, nous devrions avoir la possibilité de faire appel à des sociétés de conseil.
Je m'exprimerai à titre personnel. La charte Gissler dresse une liste de produits aberrants et à proscrire ; par exemple, ceux qui sont indexés sur le cours des matières premières, sur des indices propriétaires, sur des variations relatives entre devises ou sur des indices de places financières situées hors de la zone OCDE. Elle mentionne également des contrats incluant des phases de bonification d'intérêts supérieurs à 35 %. Pour les autres types de produits, l'analyse repose sur une double grille de quotation – indice et structure du produit.
Il faut néanmoins aller plus loin, car des produits dangereux peuvent échapper à certains de ces critères, en particulier ceux qui reposent sur des écarts de taux d'intérêt à court et à long terme, écarts dont on ne peut prévoir l'évolution. Je pense par exemple à des produits intégrant le rapport des taux à deux et à dix ans, assortis d'une formule de double négation telle que l'effet de retournement de l'indice entraîne une augmentation du taux d'intérêt, et ce à raison d'un coefficient multiplicateur de cinq ou dix : le taux d'emprunt devient alors extravagant.
Autre point abordé par la charte Gissler, sur lequel il n'a été statué que partiellement à ce jour : la présentation des différentes catégories d'emprunt dans les annexes budgétaires. Par ailleurs, les charges financières de ces emprunts doivent être plus lisibles et mieux anticipées, ce qui a évidemment des incidences budgétaires en termes de provisions. À tout le moins, il conviendrait de proscrire l'inclusion des intérêts dans le capital renégocié.
J'ai conscience que ces chantiers sont complexes, mais il est selon moi nécessaire de les poursuivre.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux
Réunion du mercredi 22 juin 2011 à 17 heures
Présents. - M. Dominique Baert, M. Jean-Pierre Balligand, M. Claude Bartolone, M. Patrice Calméjane, M. Thierry Carcenac, M. Bernard Derosier, Mme Valérie Fourneyron, M. Marc Francina, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Louis Giscard d'Estaing, M. Marc Goua, M. Serge Janquin, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-François Mancel, M. Henri Plagnol, M. Jean Proriol, M. Éric Raoult, M. Paul Salen
Excusés. - M. Michel Diefenbacher, M. Jean-Pierre Gorges