Nommé trésorier-payeur général (TPG) à Saint-Étienne en septembre 2000, je suis resté à ce poste jusqu'au 31 décembre 2005 avant d'être nommé à Tours. Depuis le 1er juillet 2010, je suis agent comptable de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Je n'appartiens donc plus au réseau du Trésor public, et suis désormais assez éloigné de la problématique des finances locales.
La situation financière de Saint-Étienne était, lorsque j'y fus nommé, l'un des sujets importants, puisque cette ville figurait sur le réseau d'alerte en raison de son niveau d'endettement et du poids de ses investissements. À l'époque, c'est davantage le niveau d'endettement et la capacité de la commune à dégager l'autofinancement nécessaire pour rembourser cette dette qui préoccupait l'État.
Je commencerai par un bref rappel du cadre juridique et comptable au sein duquel l'État pouvait apprécier la situation financière des collectivités locales et formuler des préconisations ; puis j'évoquerai ce qui a été fait jusqu'en décembre 2005, avec la réserve qu'il s'agit pour moi d'événements assez anciens, pour lesquels je n'ai pas conservé toute la documentation.
S'agissant du rôle des administrations de l'État en matière de budgets locaux, je parlerai essentiellement du Trésor public, qui assure, d'une part, le contrôle contemporain de la régularité des opérations budgétaires et financières, et, de l'autre, une activité de conseil auprès des collectivités.
Le comptable territorial est chargé du contrôle de régularité, éventuellement avec le soutien de la Trésorerie générale, mais il lui est impossible, aux termes de l'article L. 1617-2 du code général des collectivités territoriales, d'exercer un contrôle d'opportunité sur les décisions prises par l'ordonnateur. Le contrôle de régularité qui lui incombe s'exerce sur la base des articles 12B et 13 du Règlement général de la comptabilité publique, et porte sur différents éléments : qualité de l'ordonnateur, disponibilité des crédits, exacte imputation de la dépense et validité de la créance sur la foi de justificatifs. Le comptable territorial doit également s'appuyer sur la décision ou les délibérations visées par le contrôle de légalité ; enfin, il applique les règles relatives à la prescription et à la déchéance, ainsi qu'au caractère libératoire du paiement.
Dès lors que la dépense est fondée sur un texte ou s'appuie sur une délibération ayant un caractère exécutoire, et une fois effectués les contrôles de régularité, le comptable doit procéder au paiement : il n'a pas à juger du contenu du contrat.
En ce qui concerne les pièces justificatives, le comptable ne dispose pas nécessairement du contrat d'emprunt ou de swap. Le décret de 1983, modifié en 2003, fixe la liste des pièces justificatives, à savoir, pour les emprunts, le tableau d'amortissement et les avis d'échéance et de domiciliation – ainsi, bien entendu, que la délibération exécutoire ou la décision. La Cour des Comptes, dans son rapport thématique de juillet 2011, avait souligné l'inadaptation de ce décret qui ne facilite pas, selon elle, l'exercice des vérifications.
On voit donc les limites du contrôle contemporain. S'il n'est déjà pas facile d'identifier le caractère exotique de certains contrats, une analyse approfondie ex post est nécessaire pour apprécier le risque d'exposition global de la collectivité.
D'une manière générale, on a aussi relevé, à l'époque, les limites de la capacité d'expertise des services du Trésor sur ces questions, non seulement des trésoreries municipales, mais aussi des trésoreries générales.
Le rôle de conseil, valorisé par la Direction générale des finances publiques, peut s'exercer dans le cadre du contrôle au jour le jour ; cependant, s'il est très appréciable pour les petites collectivités, il reste limité pour les grandes, qui disposent de leur propre direction financière. Le comptable ne peut donc intervenir qu'à la demande des collectivités et, en tout état de cause, jamais dans les négociations avec les banques.
J'évoquerai les outils qui, de 2000 à 2005, permettaient d'exercer une vigilance sur les nouvelles modalités d'endettement des collectivités locales. Le phénomène était encore embryonnaire à l'époque, même si l'innovation financière commençait à se développer. Une circulaire conjointe relative aux contrats de couverture du risque d'intérêt – en d'autres termes, les swaps de taux d'intérêt – offerts aux collectivités locales était parue en octobre 1992, dans un contexte de déréglementation des instruments financiers ; elle permettait aux collectivités, alors lourdement endettées par des emprunts à taux fixes, d'en contracter de nouveaux à taux variables et moins élevés.
Cette circulaire, d'une lecture peu aisée, ne décrivait pas les nouveaux types de prêts structurés à taux parfois très bonifiés – produits de barrière, de change, de pente ou de courbe et emprunts snowball –, qui demeuraient donc tout à fait inconnus des services de l'État, auxquels ils n'ont été présentés qu'à l'automne 2008 ; il fallut enfin attendre la circulaire du 25 juin 2010 pour en obtenir une description complète.
Un certain nombre de ces contrats, notamment dans la catégorie des swaps de taux d'intérêt, étaient néanmoins interdits car ils contrevenaient à l'obligation du dépôt de fonds au Trésor public ; d'une manière générale, il fallait établir leur nature non spéculative et leur conformité au critère d'intérêt général. Cette appréciation n'était guère facile.
La présentation des états annexes récapitulant l'endettement des collectivités – M 14 – était, à l'époque, assez générale : elle ne permettait pas d'identifier les emprunts structurés par types de taux, donc d'en évaluer l'éventuelle dangerosité. De même, si l'un des états récapitulait le remboursement anticipé des emprunts, ces données étaient peu lisibles en l'absence d'indications quant aux soultes, dont on sait qu'elles ont souvent été neutralisées par un allongement de la durée des emprunts.
Quant aux charges financières, les règles comptables ne permettaient pas vraiment d'identifier les risques. La constitution de provisions n'est pas obligatoire pour les collectivités locales ; de surcroît, l'état annexe M 14 ne prend en compte que les intérêts effectivement versés en cours d'année. Les soultes éventuelles figurent dans un autre état, parmi d'autres éléments comptables ; il n'est donc pas facile de les repérer.
J'en viens à la situation de Saint-Étienne telle que mes services ont pu l'apprécier à l'époque. Les relations avec la commune, dont l'état d'endettement nous préoccupait, étaient courtoises mais un peu superficielles, cette dernière étant soucieuse de préserver son autonomie en matière de gestion financière. Je souhaitais mener une analyse prospective sur les dépenses prévues à trois ans, mais il fallut se contenter d'une analyse rétrospective. Nous n'avons jamais eu de discussion avec la commune sur la structure de son endettement ; nous savions seulement qu'elle cherchait des marges de manoeuvre à travers la renégociation de ses contrats d'emprunt afin de bénéficier de taux d'intérêt plus avantageux ; d'une manière générale cette démarche d'allègement des charges financières était d'ailleurs saluée par l'État.
Nous avions, avec la préfecture, des relations suivies à travers le réseau d'alerte. La chambre régionale des comptes avait rédigé un premier rapport ; mais il s'arrêtait en 2004 et ne portait que sur le problème de l'endettement global, non sur la structure de cet endettement : il a fallu attendre le rapport de 2010 pour avoir une analyse détaillée sur ce point.
Deux analyses rétrospectives ont été réalisées pour l'agglomération en 2003 et 2005, et une autre pour la ville en 2006. Cette dernière analyse a révélé une persistance du niveau d'endettement, une baisse de la dette par habitant et une amélioration, assez spectaculaire, du ratio entre la dette et la charge financière : 5,4 % en 2002, 3,6 % en 2003 et 4 % en 2005.