Les auditions que nous avons engagées visent à déterminer la façon dont sont perçus les différents plans, assez massifs, qui ont été consacrés ces dernières années à la réorganisation de la recherche et de l'université. Comme nous nous heurtons à un certain nombre de difficultés d'ordre méthodologique, nous souhaitons connaître votre approche des problèmes qui se posent – les universités se sentent-elles emportées par un élan, déçues par des frustrations, bousculées dans leurs habitudes ? – afin d'obtenir une vision complète et consolidée des flux qui se mettent en place.
MM. Alain Claeys, Jean-Pierre Gorges et Pierre Lasbordes, rapporteurs de cette mission sur les financements extrabudgétaires de la recherche, veilleront en particulier à vérifier que ces enveloppes budgétaires ne se substituent pas aux crédits antérieurs mais s'y ajoutent. Notre volonté politique, de ce point de vue là, est sans faille.
Je précise, enfin, que nous sommes assistés par M. Jacques Tournier, conseiller-maître à la Cour des comptes.
Il me semble important de distinguer le plan Campus du programme des investissements d'avenir (PIA).
Sur le premier point, je me montrerai un peu provocateur en vous posant une question simple : que faites-vous ? Vous avez voulu l'autonomie, vous l'avez eue, et l'on a l'impression que le plan Campus est en panne ou sa mise en oeuvre trop lente. Les universités sont-elles responsables d'une telle situation ? Existe-t-il des blocages ? Est-il difficile de monter des projets ?
Je note, de plus, que la mise en place des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (les PRES) est parfois difficile pour des raisons juridiques – le législateur, il faut le reconnaître, ne s'étant pas montré très précis. En revanche, un effort juridique a été accompli afin de pouvoir nouer des partenariats public-public ou public-privé (PPP).
Les universités, de surcroît, ont-elles du mal à maîtriser leurs nouvelles missions comptables et financières ?
Après avoir entendu des représentants de l'État et de la Caisse des dépôts, votre analyse nous semble donc très importante, même si nous savons fort bien que les universités ne sont pas homogènes et qu'il existe des différences considérables entre elles.
Le plan Campus a été mis en place au début de 2008. En février 2009, dix opérations avaient été sélectionnées, six l'ont été à la fin du mois de mai, auxquelles quatre autres se sont ajoutées, Lille et Nancy constituant deux cas particuliers de rattrapage financier. Au total, nous dénombrons donc une petite vingtaine de campus dans notre pays.
L'application du plan n'a pas vraiment pris de retard car il n'était pas possible de procéder plus rapidement. Certes, il y a eu des discussions pour les entités qui n'avaient pas la forme d'un établissement public – ce qui est le cas à Paris –, mais il n'en demeure pas moins que la mise en oeuvre des PPP nécessite au moins deux ans tant les parties prenantes – dont les collectivités locales – sont nombreuses. C'est donc la structure juridique choisie qui explique pareille situation. Sans doute aurait-il été possible de procéder autrement en allouant directement les crédits aux universités.
Même s'il s'agit là d'un problème à part entière qui n'intéresse peut-être pas spécifiquement le plan Campus, on peut dire qu'indépendamment de leur statut juridique, il y a PRES et PRES.
Par ailleurs, même si l'autonomie leur a permis de réaliser de nombreux progrès en la matière, les universités n'étaient pas prêtes à assurer des missions comptables.
Des problèmes continuent de se poser puisque nous ne disposons pas, en interne, des personnels – je songe aux contrôleurs de gestion, par exemple – disposant des compétences pour gérer une université autonome.
Un vrai problème de recrutement se pose donc, le vivier des fonctionnaires destinés à prendre le poste de secrétaire général des universités n'étant pas très fourni.
En effet, c'est pourquoi nous sommes contraints de chercher des personnels à l'extérieur mais ils coûtent assez chers dès lors que l'on souhaite recruter des fonctionnaires expérimentés. J'y insiste cependant : nous avons fait des progrès et nous sommes dans la bonne direction grâce à la mise en place du Système d'information financier, analytique et comptable (SIFAC) qu'a développé l'Agence de mutualisation des universités et établissements (AMUE).
La moitié des universités utilise ce système, et ce sera à terme le cas de la quasi-totalité d'entre elles. Les universités sont en train d'entrer dans la comptabilité analytique.
Une telle évolution est d'autant plus importante que l'autonomie nous incite à user de ce système puisqu'il nous est nécessaire : nous voulons connaître le coût des formations et nous savons que si nous souhaitons en créer de nouvelles, nous devrons en fermer d'autres. Nous sommes donc entrés dans cette nouvelle logique.
Autre élément qui nous aide beaucoup à progresser et à rationaliser notre fonctionnement interne : la certification des comptes par un commissaire aux comptes.
Avez-vous songé à recruter des fonctionnaires de Bercy ou parmi les anciens secrétaires généraux de ministères ?
La plupart des directeurs financiers viennent de Bercy.
C'est en effet l'un des lieux de recrutement possible.
Puisque l'on entend dire que les fonctionnaires sont mal payés, ils coûteront moins chers que d'autres !
Ceux de Bercy sont un peu mieux payés !
Je plaisantais, mais il est vrai que le ministère de l'Économie et des finances peut vous aider.
Il le fait déjà puisqu'une partie des responsables financiers, qui sont souvent agents comptables, en sont issus.
Les opérations symboliques qui ont eu lieu – fusion de l'Université de Strasbourg, importante opération à l'Université de Bordeaux – contribuent-elles à donner un sens à la coopération entre universités ? Le plan Campus a-t-il permis de donner un contenu aux PRES sans que tous les conseils d'administration ne montent au créneau ?
Les deux domaines sont distincts – ainsi, à Paris 2, avons-nous réalisé notre PRES indépendamment du plan Campus.
Certes, et c'est également le cas de nombreuses universités, mais les PRES, en l'état, n'ont pas beaucoup de réalité.
Cela dépend desquels.
Le plan Campus concerne au premier chef l'immobilier et, comme tel, constitue un élément important au service de la reconstruction d'une grande université française. Parce que l'un des problèmes qui se pose à Paris, précisément, est l'absence de campus pour les étudiants, il serait intéressant que des investissements favorisent la construction de logements sur place ainsi que d'espaces piétonniers.
La gouvernance des PRES ne résoudra pas toutes les difficultés car il convient tout d'abord de s'assurer de la cohérence de leur structure. Nous voulons reconstruire de grandes universités globales en faisant retravailler ensemble des universités qui avaient été fragmentées après Mai-68 – d'où le succès de certains PRES en province, notamment à Strasbourg, où une université unique avait été éclatée mais, aussi, à Aix-Marseille ou Bordeaux. À Paris, en raison d'une fragmentation extrême, la reconstruction est beaucoup plus délicate – d'où un plus grand décalage par rapport au reste de la France –, y compris d'un point de vue immobilier puisque certains bâtiments appartiennent à la ville et d'autres à l'État. Les universités partenaires doivent donc faire preuve de cohérence. Au sein du PRES 2-4-6, nous avons ainsi veillé à ce qu'il n'y ait pas de superpositions d'actifs, auxquelles il est très difficile de remédier – cela serait notamment le cas lorsque trois universités, par exemple, disposeraient de trois facultés de médecine et de trois facultés de droit.
De plus, les PRES doivent impérativement attirer les écoles afin que les uns et les autres bénéficient de leurs apports respectifs.
En effet, et je vais y venir.
Les écoles doivent aussi bénéficier d'un statut particulier parce qu'elles souhaitent conserver plus d'autonomie encore que les universités. Il convient, en outre, de rassembler celles d'entre elles qui ont un lien avec les universités et non de constituer un « portefeuille de marques » qui n'auraient aucun rapport les unes avec les autres. Ainsi avons-nous inclus dans notre PRES les seules écoles susceptibles de réaliser des programmes avec les universités : Écoles de la magistrature, du barreau et des commissaires de police. Nous constatons en effet que les magistrats français – mais cela est également valable pour les autres professions juridiques ou judiciaires – ne parviennent pas à accéder au plus haut niveau des juridictions internationales. Il en est ainsi, autres exemples, des commissaires de police vis-à-vis d'Interpol ou des officiers vis-à-vis des états-majors internationaux. Par rapport à leurs concurrents étrangers, il leur manque un doctorat. Un magistrat entre à l'École de la magistrature avec un master 1 ou 2, y suit sa scolarité avant de partir en juridiction sans avoir le temps de rédiger une thèse.
Nous proposons donc de créer un système de thèses courtes ou professionnelles comme il en existe dans tous les autres pays de manière à ce que ces hauts fonctionnaires puissent les soutenir avant d'aller sur le terrain. Les étudiants de l'École de la magistrature pourraient ainsi commencer leurs travaux avant leurs stages – lesquels seraient raccourcis – et les terminer avant de partir en juridiction. Notre université est prête, en l'occurrence, à créer un laboratoire spécifique car nous sommes intéressés, par exemple, par la sociologie des décisions de justice sur laquelle nous ignorons tout. C'est ainsi que nous parviendrons à construire des PRES solides !
En outre, il convient d'attirer les organismes de recherche grâce aux instituts d'excellence, les Idex : PRES, Idex, même combat !
Nous avons mis en place une gouvernance spécifique aux Idex. Notre PRES comporte trois universités, le président du PRES portant leur voix unique ; au sein de l'Idex, le CNRS dispose de deux voix, l'INSERM d'une voix de même que l'IRD. Les organismes de recherche disposent donc de quatre voix quand nous en avons une – avec droit de veto, ce qui implique un accord unanime. Ce n'est pas facile à réaliser mais les grandes écoles, les universités et les organismes de recherche doivent parvenir à travailler ensemble en se conformant à une même stratégie. Le problème de l'université française, c'est que l'on a les grandes écoles d'un côté, les universités d'un autre côté et les organismes de recherche encore d'un autre côté : avec un tel système, on n'arrive à rien. Il est tout de même incroyable que deux universités anglaises figurent parmi les dix premières du classement de Shanghai alors que la première université française occupe le trente-neuvième rang ! Une telle situation ne rend absolument pas compte du potentiel de recherche de notre pays.
L'État nous donne des instruments que les universités doivent utiliser, tel est le sens de l'autonomie, en élaborant des stratégies aussi bonnes que possible. Nous sommes maintenant de grands garçons qui pouvons bien ou mal jouer.
La condition sine qua non pour que le plan Campus fonctionne n'est-elle pas la possession, par les universités retenues, de la dévolution du patrimoine ?
Des études ont été réalisées…
M. Aghion, dans son rapport, considère en effet, en citant de nombreux auteurs américains, que la maîtrise du patrimoine est la condition de l'autonomie des universités puisqu'elle détermine selon lui jusqu'à la stratégie de ces dernières. En quelque sorte : « Comment vivre libre si l'on n'est pas dans ses murs ? » Mon université a ainsi demandé la dévolution du patrimoine, mais deux problèmes se posent : les bâtiments des universités parisiennes appartiennent parfois à la ville – c'est le cas de la Sorbonne –, parfois à l'État, parfois à l'un et à l'autre comme pour l'université Panthéon-Sorbonne – la ville et l'État devant donc engager une démarche commune. De surcroît, la dévolution, comme la décentralisation, a un coût. Sommes-nous prêts à faire cet effort ? Je crois que ce serait en effet opportun, mais c'est au législateur de le dire.
Quoi qu'il en soit, les universités exercent les droits et obligations du propriétaire, la dévolution du patrimoine ne leur apportant en plus que le droit de vendre des bâtiments. Par ailleurs, les règles accompagnant la dévolution, notamment en ce qui concerne le financement de l'amortissement, ne sont pas claires.
Réalisez-vous un suivi des différents projets ? Quand des résultats significatifs pourront-ils être constatés ?
La plupart des conventions de sites étant signées, les problèmes liés aux financements de l'État et des collectivités territoriales sont réglés à peu près partout.
Précisément, non, ni à Paris.
La phase suivante consistant à évaluer l'opportunité ou non de PPP dont la finalisation nécessite 18 à 24 mois, rien ne sera effectif avant 2013 ou 2014. À cela s'ajoute le fait que les PPP ne constituent pas les seules modalités de financement du plan Campus.
Il ne faut pas exagérer ! Tous les présidents d'université ne pleurent pas ! Cela dit, nous constatons une certaine inquiétude car le financement du plan Campus est une chose et le financement récurrent des universités en est une autre. Nous devons assurer la gestion quotidienne.
Comme vous le disiez dans votre introduction, monsieur le président, l'un ne remplace pas l'autre. Un tel financement est fondamental pour le tissu de notre enseignement supérieur.
Il convient de les articuler et de ne pas substituer l'un à l'autre. En l'occurrence, nous sommes inquiets du ralentissement de l'augmentation du financement récurrent. En la matière, nous sommes au milieu du gué, le rattrapage n'étant pas encore terminé.
Le budget de 2011 a progressé de 1,4 %, ce qui ne correspond même pas à l'inflation, et sans doute en sera-t-il de même pour 2012. Incontestablement, un ralentissement de l'augmentation du financement budgétaire est notable.
En revanche, une véritable dynamique à laquelle personne ne s'attendait a été enclenchée à travers les réponses aux appels à projets.
Le nombre de dossiers déposés confirme cette dynamique, laquelle doit être aussi financièrement entretenue.
L'esprit de la loi de 2007 implique de parvenir à un écosystème où le secteur privé interviendra davantage, tant en ce qui concerne les financements que les programmes ou la formation, mais également à travers le développement des fondations. Ces éléments-là contribuent à changer le modèle économique.
Le financement demeure public à hauteur de 80 %. Les marges de manoeuvre possibles proviennent en effet des fondations, mais il est difficile d'en créer : toutes les fondations universitaires réunies, aujourd'hui, représentent autant que la seule fondation d'HEC !
J'admire les présidents d'université ! Ils sont confrontés à de véritables parcours du combattant.
En France, nous ignorons la tradition anglo-saxonne où les anciens considèrent qu'ils ont une dette à l'endroit de leur école. Le service public, chez nous, même si cela est en train de changer, consiste à délivrer un diplôme sans même songer à l'insertion professionnelle des étudiants puis à lâcher ces derniers dans la nature. J'ai voulu créer une association d'anciens élèves afin d'établir un réseau. J'ai ainsi constitué un annuaire contenant 10 000 noms, mais les autres associations d'étudiants ont fait la guerre à la mienne en niant sa légitimité : même s'il existe un fort sentiment d'appartenance, nous ne sommes pas une école. Nous partons de loin, mais il est possible de copier, en les transposant, bien des points qui fonctionnent les écoles. De plus, les dirigeants d'entreprise, donateurs potentiels, en sont le plus souvent issus – et non des universités. Les fondations se développeront donc mais cela prendra du temps.
Deuxième ressource propre : la formation continue. Là encore, nous en sommes aux balbutiements car, le plus souvent, nous ne disposons pas des techniques en vigueur dans le secteur privé, qui, lui, est armé pour la concurrence. Nous procédons donc à des alliances avec des partenaires extérieurs afin qu'ils nous apprennent à commercialiser notre offre.
Autre ressource propre : la taxe d'apprentissage pour les masters professionnels. Toutefois son montant est très limité.
La quatrième ressource propre provient, elle aussi, en grande partie de l'apprentissage et concerne les diplômes en alternance.
Nous sommes au début de l'aventure.
En effet, il y a les contrats de recherche. Mais il y a aussi les appels d'offres internationaux dont la France est hélas exclue en raison d'une trop grande dispersion empêchant ses universités d'atteindre une taille critique qui leur permettrait, par exemple, de répondre à un appel d'offres de la Banque mondiale. La situation devrait changer avec la mise en place des PRES.
Président de la CPU, vous êtes parfaitement dans votre rôle en promouvant les universités. Pensez-vous que les projets retenus dans le cadre du programme d'investissements d'avenir permettront d'améliorer leur attractivité par rapport aux grandes écoles ?
Je ne conçois pas l'université sans les écoles. Il n'y a pas d'avenir hors ce que j'appellerai une université renouvelée – d'où le rôle des PRES et des Idex. Je n'envisage aucune absorption des secondes par la première, mais je considère que les écoles doivent rejoindre les campus universitaires car ils sont complémentaires. Par exemple, nous pouvons essayer d'attirer dans nos laboratoires des étudiants des écoles pour qu'ils y fassent des doctorats, les écoles nous apportant des cerveaux qui ont l'habitude de beaucoup travailler. C'est ainsi que l'on reconstruira une université globale.
Le PIA doit être poursuivi, mais il faut veiller, comme je l'ai dit, à ne pas sacrifier les financements récurrents, car l'université ne pourra pas vivre avec quatre ou cinq champions nationaux, les autres mourant de faim sur le bas-côté de la route. De toute façon, les champions nationaux auront besoin du tissu universitaire : la carrière d'un professeur ne commence pas à Harvard ! L'ensemble de notre territoire doit donc être irrigué sans qu'aucune discipline ne soit oubliée. N'oublions pas la formation, n'investissons pas dans la seule recherche !
Vous avez déclaré à propos des laboratoires d'excellence : « Ils sont inexplicables pour certains universitaires. Le seul critère sur lequel on a demandé au jury de se prononcer était le critère d'excellence scientifique. Ce que les jurys internationaux ont jugé et, dans l'ensemble, bien jugé. Mais c'est un choix qui peut être discuté. Il a abouti à une " photographie " de l'état des forces scientifiques françaises actuelles, et non à une vision prospective de la recherche à vingt ans. » Pouvez-vous préciser vos propos ?
Il est facile de récompenser les gagnants dont on connaît l'excellence depuis longtemps. Toutefois, il ne faut pas oublier des laboratoires moins visibles qui, dans certaines régions, n'ont pas la taille critique mais parviendront à obtenir de très bons résultats s'ils travaillent en réseaux. L'effet de taille ne doit pas leurrer : de très petites universités abritent de très grands laboratoires. Ainsi cite-t-on souvent l'université de Limoges pour l'excellence de son laboratoire de céramique, mais sait-on que tous les spécialistes de droit du sport sont issus de la faculté de droit de cette université ? Même si cela n'est pas facile, il faut parvenir à distinguer partout l'excellence.
La démarche est bonne, le jury international apportant un regard extérieur, sans préjugé ni être influencé par des conflits d'intérêts Il convient cependant de l'encadrer à travers un cahier des charges, la CPU pouvant jouer un rôle à cet égard. Les Allemands, comme nous, ont réalisé des initiatives d'excellence mais leur démarche est différente de la nôtre : ils ont en effet commencé par interroger les universités grâce à une grande enquête leur demandant de recenser les meilleurs projets, ce qui a permis d'éviter bien des erreurs en lançant des appels d'offres en phase avec la réalité du terrain. La CPU allemande a donc participé à la rédaction du cahier des charges en veillant à l'équilibre des disciplines : s'il est évidemment très intéressant de disposer de produits élaborés et de laboratoires de physique, il ne sert à rien d'en créer sans disposer d'une grande université de droit comprenant des spécialistes capables de bien ficeler des contrats. Une grande université de droit, en Allemagne, est ainsi présente au coeur de l'une des universités d'élite. La France, en revanche, ne possède aucun laboratoire d'excellence (Labex) en droit, ce système ayant été conçu pour les sciences dures.
Les domaines qui en comprennent le moins sont la gestion, les lettres et le droit parce qu'ils ne correspondent guère aux appels d'offres tels qu'ils ont été conçus. Outre que nos laboratoires sont très petits, nous ne disposons pas des mêmes publications, en particulier internationales, qui permettraient de nous mettre en valeur – il en va d'ailleurs de même de tous les laboratoires de droit dans le monde. Je le répète : la constitution d'une très bonne carte passe par la consultation des universités elles-mêmes et, notamment, de la CPU.
J'ai eu l'occasion de le dire au commissaire général à l'investissement René Ricol : nous sommes prêts. Si des changements doivent être opérés dans le cahier des charges et les appels d'offres, nous y participerons.
De surcroît, il convient d'interroger les acteurs de terrain afin de connaître les différents réseaux. Une carte des équipements d'excellence (equipex) ne sera guère utile s'il n'y figure pas tous les sites qui travaillent avec eux ; or, de telles informations ne peuvent provenir que des universités.
La dynamique que vous évoquez, et à laquelle je crois beaucoup, afin de remettre sur pied ce maillon faible qu'était l'université au sein de ce système de trois acteurs que la France a institué le long des siècles, se traduira tout de même nécessairement par une différenciation assez forte entre les « grandes universités mondiales » et les « petites universités régionales ». Nous nous apprêtons à sortir de ce réflexe administratif français bien connu qui consiste à dire que sur 83 universités, nous disposons de 83 lieux d'excellence en matière d'enseignement supérieur et de recherche qui doivent être égalitairement traités. Je caricature sans doute un peu mais pas autant que l'on pourrait peut-être le penser.
En tant que président de la CPU, pensez-vous que ce schéma de différenciation est acceptable dès lors que chacun dispose des moyens lui permettant de gagner l'excellence dans son domaine et à son niveau, et alors que des représentants du SNESUP, la semaine dernière, nous ont encore tenu le discours égalitaire habituel en demandant de sortir de l'élitisme à tout crin dans lequel nous serions ?
Plan Campus et PIA constituent des leviers forts afin d'engager une redistribution et, à terme, une différentiation, sachant que grâce à la mécanique des PRES, le paysage universitaire est en pleine recomposition. Comment vos mandants réagissent-ils à cette situation ? Des résistances se font-elles jour ?
Il convient absolument d'éviter la suprématie de quatre, cinq ou six champions nationaux qui concentreraient tous les avantages, les autres étant oubliés. Ce n'est pas ainsi que je conçois le service public de l'enseignement supérieur. Nous devons veiller à ce que l'ensemble du territoire soit couvert et à ce que chacun puisse étudier pas trop loin de chez lui dans de bonnes conditions. L'université, en effet, joue un rôle fondamental dans l'aménagement du territoire.
De plus, la hiérarchie entre les universités existe déjà. Je sais très bien, comme mes collègues, où commence une carrière et où elle se termine, et ce n'est pas dans le même établissement. Ce n'est pas en répétant la fameuse phrase de Jules Ferry –« Il est huit heures trente du matin, le cours de géographie commence » dans toutes les écoles de France – que l'on relèvera les défis internationaux.
Nous sommes confrontés à un double enjeu : maintenir le service public partout et différencier les universités afin que l'excellence y soit partout présente. Il est en effet possible d'exceller dans des domaines très différents au lieu de succomber sans cesse à ce mal français qui veut que nous agissions partout de la même manière, ce qui est le meilleur moyen de fabriquer des bons et des mauvais. Différencier les actions doit permettre à chacun d'être optimal dans son domaine. J'ai retrouvé à peu près les mêmes diplômes de master 2 dans la première et la dernière universités où j'ai été nommé, alors que les territoires différaient autant que les besoins locaux. Il convient donc d'adapter les formations et la recherche en fonction des situations en impliquant les différents acteurs dans le développement des universités. Si je souhaite développer à Paris 2 un programme de droit de l'environnement, il est inutile que Paris 1 fasse de même !
Tant que les étudiants étaient peu nombreux et relativement homogènes sur un plan culturel, le système fonctionnait. Or, il n'en est plus de même aujourd'hui : ceux qui arrivent devant nous n'ont ni les mêmes talents, ni les mêmes envies, ni la même façon de travailler que leurs anciens. Les réunir en une même section contribuera à faire des gagnants et des perdants avant même qu'ils aient pu jouer. Pour éviter cela, j'ai quant à moi créé à Paris 2 trois filières hors la filière classique.
Tout d'abord, un parcours « réussite sur mesure » pour les étudiants qui ne disposent pas des bases culturelles leur permettant de réussir nos examens. Trois cours de droit sont remplacés par trois cours de remise à niveau en français langue écrite, en français expression orale, en méthodologie et en culture générale, lesquels sont dispensés par des professeurs de lycée. À profil égal, le taux de réussite y est plus élevé de 30 % que dans le parcours classique.
Ensuite, à l'autre bout de la chaîne figure le collège de droit où étudient des jeunes gens qui ont obtenu une mention très bien au baccalauréat et qui doivent être stimulés, en l'occurrence en suivant un programme plus soutenu dans trois domaines : international, économie et gestion, fondamentaux du droit. Le maintien d'un enseignement aussi général nous placera dans les mêmes conditions que celles des grandes écoles. Il faut obtenir 13 de moyenne pour passer en deuxième année ; ceux qui ne l'ont pas repassent dans le parcours classique où tous ceux qui réussissent bien peuvent intégrer à tout moment le collège de droit. D'ores et déjà, nous obtenons d'excellents résultats.
C'est en agissant sur ces deux fronts, entre universités et au sein d'une même université, que nous parviendrons à reconstruire un système rapidement performant. Nous avons tout sous la main ; il suffit de nous organiser.
Je suis d'accord avec vous mais ce point de vue est-il raisonnablement partagé par vos collègues présidents d'université et les équipes qui les accompagnent, voire les responsables d'UFR, ou bien est-il relativement minoritaire ?
J'ai été élu président de la CPU après avoir écrit un petit livre dans lequel j'ai exposé l'ensemble de ces thèses. J'insiste : les universités françaises sont entrées dans une dynamique incroyable.
Il faut que vous le soyez, car l'argent que vous y investissez n'est pas mal placé. Nous nous améliorons sur tous les plans parce que nous en avions assez d'être des perdants. Je suis persuadé que l'avenir de notre pays dépend des universités car ce n'est pas dans les écoles que les chercheurs seront formés. La Chine et l'Inde nous rattraperont très vite – si ce n'est déjà fait – en formant des techniciens et des ingénieurs. Nous avons quant à nous tout intérêt à investir dans la recherche fondamentale et l'innovation. Les cerveaux de notre pays doivent faire des études plus longues, et c'est à l'université seulement que cela est possible.
La France a opéré un mauvais choix en misant sur les filières courtes – cela fonctionnait au XIXe siècle –et sur les grandes écoles – où se trouvent les plus brillants esprits, certes –, l'université étant reléguée au rôle de parent pauvre. Cela ne marche plus. L'avenir appartenant aux universités, il convient de réorienter les financements vers elles, ce qui leur permettra aussi d'attirer les écoles.
Il importe également d'avoir de grands patrons charismatiques au lieu d'être confrontés à des candidats par défaut.
Avez-vous d'autres suggestions à faire afin d'améliorer les procédures d'appels à projets ainsi que les critères de bonne gouvernance – le plateau de Saclay, ce n'est pas surprenant, n'a d'ailleurs pas été retenu lors de la sélection du premier tour ?
Je l'ai dit, des disciplines ont été un peu oubliées – droit, gestion, lettres – faute d'entrer dans le cadre qui avait été défini. La formation et les innovations pédagogiques peuvent également être améliorées – j'ai ainsi moi-même soumis un projet de création de grande école de droit –, le deuxième tour de sélection des Labex et des Idex devant permettre, comme le souhaite René Ricol, de procéder à un certain nombre de rattrapages. Je note, à ce propos, que les Allemands ont lancé une initiative excellence formation après l'initiative excellence recherche. Enfin, il convient d'améliorer le travail en réseau.
Il est vrai que les gouvernances doivent être d'autant plus fortes que les tendances centrifuges sont importantes. Vous avez évoqué le plateau de Saclay, dont Jean-Marc Monteil s'occupe, où la situation est en effet délicate en raison de la concentration d'un très grand nombre d'écoles qui n'avaient pas l'habitude de travailler ensemble avec une seule université.
En ce qui nous concerne, notre projet a été présélectionné pour être labellisé Idex et nous connaissons désormais les points que nous devons améliorer pour franchir le cap de l'admission définitive. Le jury, finalement, nous aide. Il ne faut pas perdre de vue que, quoi qu'il arrive, les appels d'offres sont positifs : de nombreux projets émergent, les laboratoires de recherche sont restructurés – si 80 % de ceux qui composent notre PRES sont classés A et A +, tous n'ont pas été candidats au label Idex mais nous avons cependant profité de cette situation pour remettre de l'ordre dans nos divisions. Il faut profiter des deuxièmes chances qui sont données.
Enfin, j'y insiste une fois encore, il serait bon que la CPU soit associée au cahier des charges.