Il convient absolument d'éviter la suprématie de quatre, cinq ou six champions nationaux qui concentreraient tous les avantages, les autres étant oubliés. Ce n'est pas ainsi que je conçois le service public de l'enseignement supérieur. Nous devons veiller à ce que l'ensemble du territoire soit couvert et à ce que chacun puisse étudier pas trop loin de chez lui dans de bonnes conditions. L'université, en effet, joue un rôle fondamental dans l'aménagement du territoire.
De plus, la hiérarchie entre les universités existe déjà. Je sais très bien, comme mes collègues, où commence une carrière et où elle se termine, et ce n'est pas dans le même établissement. Ce n'est pas en répétant la fameuse phrase de Jules Ferry –« Il est huit heures trente du matin, le cours de géographie commence » dans toutes les écoles de France – que l'on relèvera les défis internationaux.
Nous sommes confrontés à un double enjeu : maintenir le service public partout et différencier les universités afin que l'excellence y soit partout présente. Il est en effet possible d'exceller dans des domaines très différents au lieu de succomber sans cesse à ce mal français qui veut que nous agissions partout de la même manière, ce qui est le meilleur moyen de fabriquer des bons et des mauvais. Différencier les actions doit permettre à chacun d'être optimal dans son domaine. J'ai retrouvé à peu près les mêmes diplômes de master 2 dans la première et la dernière universités où j'ai été nommé, alors que les territoires différaient autant que les besoins locaux. Il convient donc d'adapter les formations et la recherche en fonction des situations en impliquant les différents acteurs dans le développement des universités. Si je souhaite développer à Paris 2 un programme de droit de l'environnement, il est inutile que Paris 1 fasse de même !
Tant que les étudiants étaient peu nombreux et relativement homogènes sur un plan culturel, le système fonctionnait. Or, il n'en est plus de même aujourd'hui : ceux qui arrivent devant nous n'ont ni les mêmes talents, ni les mêmes envies, ni la même façon de travailler que leurs anciens. Les réunir en une même section contribuera à faire des gagnants et des perdants avant même qu'ils aient pu jouer. Pour éviter cela, j'ai quant à moi créé à Paris 2 trois filières hors la filière classique.
Tout d'abord, un parcours « réussite sur mesure » pour les étudiants qui ne disposent pas des bases culturelles leur permettant de réussir nos examens. Trois cours de droit sont remplacés par trois cours de remise à niveau en français langue écrite, en français expression orale, en méthodologie et en culture générale, lesquels sont dispensés par des professeurs de lycée. À profil égal, le taux de réussite y est plus élevé de 30 % que dans le parcours classique.
Ensuite, à l'autre bout de la chaîne figure le collège de droit où étudient des jeunes gens qui ont obtenu une mention très bien au baccalauréat et qui doivent être stimulés, en l'occurrence en suivant un programme plus soutenu dans trois domaines : international, économie et gestion, fondamentaux du droit. Le maintien d'un enseignement aussi général nous placera dans les mêmes conditions que celles des grandes écoles. Il faut obtenir 13 de moyenne pour passer en deuxième année ; ceux qui ne l'ont pas repassent dans le parcours classique où tous ceux qui réussissent bien peuvent intégrer à tout moment le collège de droit. D'ores et déjà, nous obtenons d'excellents résultats.
C'est en agissant sur ces deux fronts, entre universités et au sein d'une même université, que nous parviendrons à reconstruire un système rapidement performant. Nous avons tout sous la main ; il suffit de nous organiser.