Audition de M. Dov Zerah, directeur général de l'Agence française de développement.
La séance est ouverte à dix-sept heures.
En 2010, la commission avait déjà reçu M. Dov Zerah peu avant sa nomination à la direction générale de l'AFD, et c'est tout naturellement qu'elle le reçoit de nouveau aujourd'hui pour dresser le bilan de sa première année d'exercice, d'autant plus que la situation internationale a été largement bouleversée depuis. Les révolutions arabes ont changé la donne, notamment en Tunisie – premier bénéficiaire des financements de l'Agence. De même, la crise ivoirienne et ses incidences régionales, la situation dans le Sahel, l'évolution encourageante de la Guinée ou encore la future partition du Soudan sont autant de facteurs qui auront des incidences sur l'activité de l'AFD et la géographie de ses interventions.
Dans le même temps, nos mécanismes d'aide ont beaucoup changé. Un document-cadre de stratégie qui détermine les orientations de notre politique de coopération pour les dix prochaines années a récemment été adopté pour la première fois. D'autre part, un projet de contrat d'objectifs et de moyens entre l'Etat et l'AFD a été élaboré et transmis à l'Assemblée nationale ; la commission l'a approuvé la semaine dernière à une large majorité, en exprimant le souhait unanime, sur proposition de la rapporteure, Mme Henriette Martinez, que les dividendes perçus soient répartis comme suit : un tiers pour l'Etat, un tiers pour les subventions accordées aux pays pauvres et un tiers pour le renforcement des fonds propres de l'Agence.
J'invite M. Dov Zerah à nous présenter un bilan de l'activité de l'Agence, avant de répondre aux questions de la commission.
Lors de ma nomination à la direction générale de l'Agence, j'ai trouvé un établissement qui sortait d'une période, de 2004 à 2009, de forte croissance géographique et sectorielle, au point que certaines voix ont critiqué l'absence de limites fixées à son champ d'intervention. Au contraire, les limites existent bel et bien – ainsi, l'Agence n'intervient pas en matière de gouvernance, d'enseignement supérieur ou de culture.
Entre 2004 et 2009, les engagements de l'Agence ont quintuplé, passant d'environ 1,5 milliard d'euros à 7 milliards. Les effectifs ont augmenté de 30 % et 19 nouvelles agences ont été ouvertes. Le modèle économique de l'AFD a fait ses preuves : 700 millions d'euros de ressources budgétaires – à raison de 500 millions de bonifications de l'Etat et de 200 millions de subventions – permettent de réaliser 7 milliards d'euros de prêts, et près de 26 % du montant total de l'aide publique au développement. Cet effet multiplicateur de 10 est l'un des plus élevés parmi les bailleurs internationaux, bilatéraux comme multilatéraux.
Fort de ces succès, ce modèle doit être consolidé. S'agissant des modes d'intervention, plusieurs parlementaires s'étaient l'an dernier interrogés sur l'action de l'AFD en Chine. Aujourd'hui, à l'issue de nombreuses et laborieuses discussions avec les autorités chinoises, l'AFD est en mesure de poursuivre son action en Chine sans aucun coût pour l'Etat, dans le cadre d'un partenariat de développement.
De même, il avait été demandé à l'Agence d'accorder davantage d'importance à l'Afrique subsaharienne. Depuis trois ans, 2 milliards d'euros sont consacrés chaque année aux interventions dans cette région, principalement au Nigeria, au Ghana, en Ethiopie, au Kenya, en Afrique du Sud et à l'Île Maurice. La moindre présence de l'Afrique subsaharienne francophone dans ce dispositif s'explique par l'extrême difficulté d'accorder des prêts aux pays de cette région, qui bénéficient donc de la plus grande part des subventions du ministère des affaires étrangères et européennes.
Le document-cadre de stratégie et, bientôt, le contrat d'objectifs et de moyens de l'Agence ont redéfini les conditions géographiques et sectorielles des interventions et adopté un système à trois dimensions. La dimension géographique, tout d'abord, est organisée en trois grandes aires : l'Afrique subsaharienne, l'aire arabo-musulmane et, enfin, l'Amérique latine et l'Asie. Ensuite, les modes d'intervention consistent à concentrer les bonifications d'intérêts et subventions sur l'Afrique subsaharienne, à limiter les subventions dans l'aire arabo-musulmane et à n'en consacrer presque aucune à l'Amérique latine et à l'Asie. Enfin, en termes sectoriels, les prêts accordés en Afrique subsaharienne concernent principalement l'agriculture et les agro-industries, tandis que les subventions portent en priorité sur l'éducation et la santé. Dans le monde arabo-musulman, les secteurs prioritaires étaient la lutte contre le changement climatique et la maîtrise du développement urbain, mais l'évolution politique de la région incite désormais l'Agence à déployer des interventions à court terme concernant l'emploi, la formation professionnelle, le rééquilibrage territorial et le secteur financier.
La consolidation du modèle de l'AFD passe également par une réorganisation interne de l'établissement. En effet, les périodes de croissance rapide ne laissent pas toujours le temps d'ajuster les procédures – lesquelles changent forcément lorsque le niveau d'engagement passe de 1,5 à 7 milliards d'euros. En outre, l'AFD ne se contente pas d'accorder des financements comme le ferait une banque commerciale ; elle joue un rôle de co-maîtrise d'ouvrage, et accompagne les projets qu'elle finance pendant trois à cinq années. Dans ces conditions, l'Agence devait adapter son organisation à sa forte croissance. En 2010, nous avons donc procédé à 125 recrutements, soit une augmentation de 12 % des effectifs. Il était en effet nécessaire de stabiliser ces effectifs, car le recours aux personnels intérimaires et aux consultants était excessif. De même, la nouvelle direction exécutive des risques permettra de mieux superviser et anticiper les risques.
Ces mesures de recentrage géographique et sectoriel et de consolidation de l'établissement ont été prises dans un contexte difficile, où les ministères de tutelle exigeaient une meilleure maîtrise du budget. En effet, entre 2004 et 2010, les frais de fonctionnement ont augmenté de 12 % chaque année, soit une hausse de 74 % en six ans. Les autorités de tutelle ont demandé que cette augmentation soit ramenée à 1 % par an. En dépit des difficultés rencontrées, le pari est en passe d'être tenu avec deux arbitrages explicites et assumés : la production financière d'une part et, de l'autre, le recrutement et la consolidation du potentiel humain, qui est la principale richesse de l'AFD.
Les autorités de tutelle ont tenté d'assimiler l'Agence à un opérateur de l'Etat comme un autre ; ce n'est pas le cas. Bien au contraire, l'AFD fonctionne grâce à ses propres ressources et sans percevoir aucune subvention de fonctionnement. Elle distribue même des dividendes : 220 millions d'euros au 30 décembre 2010, et plus d'un milliard en six ans ! J'estime qu'il n'est pas pertinent de contraindre les frais de fonctionnement de l'Agence. Il aurait été préférable de lui imposer une logique de ratios, comme c'est le cas pour tout établissement de crédit, en liant les frais de fonctionnement à l'encours des crédits, au produit net bancaire ou au résultat net, par exemple.
Il a été convenu d'une solution médiane prévoyant le contrôle du volume des dépenses et celui de la création nette d'emplois. Ainsi, l'Agence a demandé l'autorisation de créer 60 emplois ; il lui a été accordé l'autorisation d'en créer 52 seulement. En tout état de cause, le dispositif actuel permettra à l'AFD de fonctionner de manière satisfaisante.
Cela étant, l'Agence connaît une insuffisance de fonds propres, non au regard du ratio de solvabilité, mais du fait des ratios de division des risques. Cette difficulté place nos interventions au Maroc, en Tunisie, en Afrique du Sud, au Vietnam et en Turquie sous la contrainte. Sans doute la réalisation des accords de Bâle III d'ici à 2013 nous donnera-t-elle quelque marge de manoeuvre, mais le problème demeurera en 2011 et en 2012.
En somme, l'Agence française de développement a beaucoup progressé, grâce à un modèle de développement judicieux qu'il nous appartient de consolider pour le rendre durable.
Je voudrais revenir sur la Tunisie. La commission des affaires étrangères y a mené une mission il y a deux mois et beaucoup de nos interlocuteurs nous ont demandé que l'aide de la France soit sensiblement augmentée pour faire face aux difficultés. Cela a été entendu puisque le ministre Alain Juppé a indiqué il y a trois semaines que notre effort serait accru et passerait de quelque 100 millions d'euros par an à 350 millions pour les années 2011-2012. J'aurais deux questions à ce sujet : de quoi s'agit-il exactement ? De prêts, de dons ou de moyens mixtes ? S'il s'agit de prêts, quelles en sont les conditions ? Sur quoi portent-ils ? Je me réfère à votre dernière interview à Jeune Afrique dans laquelle vous avez abordé cette question en mentionnant trois domaines prioritaires, l'emploi et la formation, le secteur financier et le développement régional. Pouvez-vous être plus explicite et plus précis ?
Vous nous avez un peu rassurés sur les pays émergents. Nous avons eu un débat très intéressant la semaine dernière et la commission des affaires étrangères s'interrogeait précisément sur la destination de l'argent public et sur l'assistance à la Chine et à d'autres pays qui nous concurrencent fortement. Dans votre brève tentative de nous rassurer, vous avez indiqué « sans coût », cela signifie-t-il « aux règles du marché » ? Concrètement, qui paie quoi ? Quant au monde arabe, ma question est de même nature que celle du président Poniatowski, mais porte sur l'Egypte : y menez-vous des actions spécifiques, dans un pays qui en a fortement besoin, ressentez-vous une paralysie de votre activité ? Enfin, sur l'Afrique subsaharienne, où la sélection est très forte, certains pays ne bénéficient pas du tout d'aide, qu'en est-il du Burundi, petit pays auquel je m'intéresse particulièrement ?
L'AFD est un outil essentiel, et la France est un des premiers contributeurs de l'aide au développement, avec un taux aujourd'hui proche de 0.5 %. En ce qui concerne la Tunisie, s'agit-il de prêts et pouvez-vous nous donner des éléments concrets de votre action, sur les projets que vous y développez ? Enfin, qu'en est-il de la Côte d'Ivoire et des 400 millions de prêts annoncés ?
Dans le cadre des rencontres parlementaires internationales, nous avons parlé ces derniers jours des femmes oubliées du développement, notamment en Afrique, en matière d'éducation, alors même que le rôle des femmes est essentiel dans la lutte contre la pauvreté. Quelles sont vos actions spécifiques sur la question de genre et en matière d'égalité hommesfemmes ?
Quel est votre sentiment, au bout d'un an, sur l'efficacité de l'aide ? Peut-on faire l'économie d'une refonte de la gouvernance mondiale ? Je pense bien sûr à l'OMC. D'autre part, est-il possible que l'APD que vous apportez échappe aux circuits de la corruption ? Enfin, la présence de la Chine en Afrique est-elle une bonne nouvelle pour les habitants de ce continent ?
On sait que notre APD a une architecture très complexe et différents pilotes. Il y a aujourd'hui un seul contrat d'objectifs et de moyens, mais aussi plusieurs tutelles. Qu'en est-il de la marge de manoeuvre de l'agence, dans ses choix stratégiques, compte tenu des rôles du CICID, du MAEE, de Bercy ? Par ailleurs, où en est la question des dividendes sur laquelle la commission des affaires étrangères a pris position la semaine dernière. Enfin, l'aide bilatérale à Afrique subsaharienne augmentera-t-elle ? Qu'en est-il ?
En ce qui concerne la Tunisie, les 350 millions annoncés sur 2011-2012 doivent être comparés à la tendance passée, de quelque 100 millions annuels. Sur cette enveloppe, un prêt de 185 millions sera signé à Deauville, en marge de la réunion du G8, ainsi qu'un crédit de 15 millions, qui aurait pu être engagé dès décembre dernier, concernant l'école nationale d'ingénieurs de Bizerte ; une enveloppe de 10 millions d'euros portera sur des opérations en matière de micro-crédit et une autre, de 20 millions, sera destinée au soutien des PME. Enfin, deux tranches de 60 millions, dont l'une permettra de redéployer sur des opérations nouvelles, de manière à répondre aux attentes du gouvernement, notamment dans plusieurs villes du centre ouest de la Tunisie. Nous sommes les premiers, non pas en ce qui concerne les montants et les annonces, mais à coller au maximum au programme de réformes du gouvernement tunisien. Nous avons changé en deux mois nos modes d'intervention. Sur l'emploi et la formation professionnelle, nous avons examiné l'ensemble des programmes du gouvernement et nous allons en prendre certains à notre charge. Nous avons fait un excellent travail de rénovation de la médina ou de quartiers de Tunis, et nous allons généraliser ce type d'opérations dans les villes défavorisées de l'ouest tunisien.
C'est la même chose en ce qui concerne le secteur financier, avec le micro-crédit et l'aide aux PME, qu'il faut aider compte tenu de la situation financière tunisienne actuelle. Nos conditions financières générales sont à Euribor plus 30-40 points.
S'agissant de nos prêts à la Chine, ils sont sans coût pour l'Etat. Nous empruntons sur le marché sans garantie de l'Etat et nous reprêtons à la Chine, avec une marge à taux de Euribor plus 65-70 points de base, sans aucun crédit budgétaire engagé.
L'important est que nous gagnions, que nous ayons une marge, sans coût pour l'Etat ; cela reste intéressant. C'est un sujet important, car nous sommes partis d'une situation, il y a encore dix mois, dans laquelle nous prêtions à Euribor moins quelque chose. Cette évolution ne nous a pas empêchés de maintenir les contacts avec les Chinois, et de continuer à y travailler. La qualité de notre signature joue et notre taux reste intéressant pour la Chine ; il nous permet de travailler avec ce pays et de participer ainsi à la lutte contre le réchauffement climatique et d'autres sujets. Cela étant, je comprends le débat. Il y a cependant de réelles avancées à noter.
En ce qui concerne l'Egypte, il faut relever que l'administration égyptienne est fort différente de l'administration tunisienne, qui a produit en très peu de temps un plan de relance et de réformes et a réorienté les programmes en cours. Il y a eu une véritable réactivité de la part de la Tunisie, qui a une appréciation très précise de la situation, et nous ne sommes pas au même niveau en Egypte. De la même manière, nous sommes paralysés en Jordanie, au Yémen, ou en Syrie. Les perspectives sont très différentes dans ces pays ; nous serions en mesure d'augmenter nos interventions et ne le pouvons pas en ce moment.
Le Burundi n'est pas sur la liste des pays prioritaires mais nous intervenons au Burundi. On m'a régulièrement interrogé sur le Laos mais pas sur les pays d'Afrique subsaharienne. Dans le cadre du COM, nous allons concentrer nos interventions sur les 14 pays prioritaires, à la liste desquels ni le Laos ni le Burundi n'appartiennent. Le Laos est le seul pays à propos duquel les arbitrages nous occasionnent quelques difficultés.
Sur la Côte d'Ivoire, je ne veux pas faire d'autosatisfaction, mais je souligne la rapidité des décisions : Laurent Gbagbo a été arrêté le 10, la ministre Christine Lagarde a fait une annonce le 12, le 14, un prêt de 350 millions a été décidé en conseil d'administration, le 26 la convention de financement était signée et le premier décaissement, de 200 millions, est intervenu le 28, pour assurer la paie des salaires de la fonction publique, notamment les arriérés, et de régler les arriérés dus aux sociétés d'électricité et d'eau, et permettre ainsi de relancer le fonctionnement des services publics. Une partie sera aussi utilisée pour des emplois à haute intensité de main d'oeuvre.
Il s'agit ici d'un prêt à Euribor plus 30 points de base, sur une durée de 9 ans avec 3 ans de différé, garanti par le Trésor français. 50 millions sont prévus pour éventuellement permettre le remboursement des arriérés de la Côte d'Ivoire à la Banque mondiale et au FMI.
La question du genre et de l'égalité hommesfemmes est essentielle car elle a des implications sur la croissance démographique et la croissance des populations urbaines en Afrique. Qu'il suffise de rappeler que de 850 millions d'habitants aujourd'hui, la population africaine passera en 40 ans à 1,8 milliard d'habitants, dont 60 % seront urbains. Si ces questions ne sont pas traitées, la situation risque de devenir explosive. La solution passe notamment par la sensibilisation des femmes. On le voit dans le monde arabe en transition démographique. C'est un sujet au coeur de nos problématiques et c'est pourquoi j'ai proposé que nos subventions soient concentrées sur la santé et l'éducation.
La question de la gouvernance mondiale est cruciale et beaucoup a été fait. La période actuelle est même exceptionnelle en ce sens, depuis les élections supervisées par les Nations Unies en Côte d'Ivoire à la Libye, sans oublier le fait que l'aide au développement soit aujourd'hui à l'agenda du G20.
L'OMC est en revanche une véritable question et l'exemple du coton est là pour le rappeler : depuis 2000, la production indienne a été multipliée par 2, celle de la Chine a augmenté de 60 %, celle des Etats-Unis de 40 %, alors que celle des pays africains chutait de moitié, du seul fait des subventions ! On parle des subventions américaines, mais on ne parle pas des subventions chinoises et indiennes car ces pays appartiennent encore à la catégorie des pays en développement.
Oui, mais il y a aussi un problème de qualification à l'OMC. Quant au risque de corruption, je rappelle que nous sommes co-maîtres d'ouvrage ou assistants à la maîtrise d'ouvrage et nous ne nous contentons pas de payer. Nous procédons aux décaissements au fur et à mesure de l'avancée des projets, sur 3, 4 ou 5 ans, et nous avons la possibilité d'éviter tout risque de coulage. Comme suite aux événements en Côte d'Ivoire, en Tunisie, en Egypte, nous revoyons toutes nos règles de partenariats. Il y avait parfois un manque d'information problématique, dans certains cas. Des instructions ont été données à l'AFD et si l'on manque d'information ou si celle-ci est lacunaire, nous ne prenons pas de risque. Il y a désormais plus de verrouillage.
Quant à la position de la Chine en Afrique, je dirais que, compte tenu de l'immensité des enjeux, tout le monde est bienvenu, les besoins sont trop importants. Que l'on songe que les investissements nécessaires pour les seules infrastructures s'élèvent à 80 milliards.
La gouvernance de l'agence est effectivement une question compliquée, difficile. Nous avons différentes tutelles, le MAEE, Bercy, etc. C'est inéluctable car l'AFD est au coeur de la diplomatie financière de l'Etat et divers ministères sont nécessairement impliqués. Il faut vivre avec. Cela étant, cela devient problématique lorsque le budget de l'année n'est disponible que le 10 mars… Nous sommes cependant impliqués, écoutés, et nous avons des échanges fructueux avec nos tutelles. Je remercie la commission des affaires étrangères de sa position sur la question des dividendes, qui nous aide considérablement.
Il faut avancer sur la question de l'assistance technique. Nous avions un grand nombre d'assistants techniques autrefois, au lendemain des indépendances, ce système n'avait pas évolué et, dans les années 90, a été remis en cause. On ne peut pas continuer ainsi surtout si l'on se compare avec la situation de la coopération allemande, qui disposerait de 18 000 assistants techniques sur le terrain.
Vous êtes soumis, en tant qu'institution financière, à la réglementation bancaire. Avez-vous subi des conséquences de la crise financière récente ?
Autre sujet, quelle est votre vision du Mali ? L'AFD est-elle consultée au sujet du projet de barrière verte qui doit y être construite ?
Concernant le Burundi, j'ai été choqué, lors d'une visite récente, qu'un pays francophone d'Afrique de l'Est ne soit pas considéré comme prioritaire, surtout si on le compare au Rwanda. Dans quelle mesure notre commission des affaires étrangères pourrait-elle faire ajouter le Burundi à la liste des pays prioritaires ? Le Président de l'Assemblée Nationale devrait y passer prochainement : ne pourrait-il être porteur de ce message ?
De manière plus générale, au sujet de l'Afrique sub-saharienne francophone, on sait que la plupart de ces pays ne peuvent en réalité pas assumer les prêts et doivent recevoir des subventions. Or, les aides ne représentent qu'une faible part de votre bilan, les prêts en constituant la majeure partie. Quelle est donc la part des pays d'Afrique sub-saharienne francophone dans votre bilan ?
Quelle est la politique de l'AFD vis-à-vis du Brésil ? Quelle action conduit votre agence pour débloquer les deux goulets d'étranglement du développement africain que sont l'électricité et l'agriculture ?
J'ai entendu dire que les frais de fonctionnement augmentaient avant votre arrivée de 12 % par an. Vous vous êtes engagé à stabiliser la situation. Cela me fait penser à la situation d'Ubifrance où l'équipe en place a mis cinq ans à redresser la situation qu'elle a trouvée en arrivant. Combien de temps cela prendra-t-il à l'AFD ?
Par ailleurs, existe-t-il des pays où vous ne pouvez intervenir faute de fonds ? Quel manque à combler cela représenterait-il ?
Êtes-vous en mesure de contrôler l'efficacité des actions que vous menez ? C'est un élément très important pour notre contrôle et celui exercé par d'autres autorités politiques.
Quels liens entretenez-vous avec les autres acteurs de l'aide au développement, notamment la coopération décentralisée qui permet de faire parfois des miracles ?
Je voudrais également revenir sur le Burundi, petit pays par la superficie mais situé à un emplacement stratégique, au confluent de l'Afrique francophone et anglophone. Il est essentiel de tenir ce pays notamment pour répondre aux besoins en matière de santé, qui sont criants s'agissant de la tuberculose et du SIDA.
Enfin, je voudrais savoir, s'il y a 18 000 assistants techniques allemands, de combien la France en dispose-t-elle ? Pourrait-on, par exemple, affecter des enseignants sur des postes de formation et d'éducation à l'étranger ?
Vous avez indiqué avoir obtenu des garanties du gouvernement ivoirien, et attendre pour débloquer la deuxième partie de votre aide les résultats d'une mission d'inspection financière. Il souhaiterait que la représentation parlementaire soit associée à cette mission.
Je ne suis pas en mesure de répondre à la question sur la mission d'inspection financière car celle-ci est dirigée par le Trésor qui garantit le prêt, l'AFD y participe comme le ministère des affaires étrangères et européennes.
C'est parce que nous sommes un établissement de crédit que j'ai mis en place une direction exécutive des risques et que nous réalisons actuellement un exercice de stress bancaire. La principale contrainte porte sur nos fonds propres qui représentent 4,4 milliards d'euros. Ce n'est pas le ratio de solvabilité qui pose problème mais le ratio de division des risques qui nous interdit d'engager plus d'un milliard sur une seule contrepartie. Cela explique les blocages que nous connaissons en Tunisie ou au Maroc. Par ailleurs, je ne saurais pas vous dire quelles interventions supplémentaires nous pourrions réaliser si notre marge de manoeuvre financière était plus importante.
Lors de ma dernière visite au Mali, où je me suis rendu à deux reprises en dix mois, j'ai signé pour 41 millions d'euros de subventions, provenant du ministère des affaires étrangères et européennes mais aussi de crédits européens délégués à hauteur de 7 millions. Je souhaite insister sur le partenariat que nous développons actuellement avec l'Union européenne. Les pays sahéliens, le Mali mais aussi la Mauritanie ou le Niger avec lequel la coopération redémarre, sont des pays essentiels en matière de développement ; je n'ai pas besoin de rappeler les récents événements. Nous participons au projet de barrière verte mais les choses évoluent lentement.
La décision de faire du Burundi un pays prioritaire relève du comité interministériel de la coopération internationale et du développement et du Premier ministre.
En 2010, les autorisations d'engagements de l'AFD se sont élevées à 7 milliards d'euros soit 500 millions de plus que ce que prévoyait notre programme initial. Sur ce montant, un milliard est affecté à l'outre-mer et un autre à notre filiale pour le secteur privé PROPARCO. Sur les cinq milliards restants, l'Afrique subsaharienne représente 2,3 milliards qui correspondent principalement à des prêts dont ne peuvent pas pour la plupart bénéficier les pays d'Afrique francophone. Suite à l'accord du FMI, ces pays, qui reçoivent néanmoins entre 600 et 700 millions de l'AFD, commencent à pouvoir emprunter de nouveau.
Cela représente un effort modeste quand on prétend que ces pays sont nos cibles prioritaires !
C'est pourquoi nous avons demandé au Gouvernement de concentrer nos efforts sur ces pays.
On ne peut pas rapporter les 700 millions consacrés à l'Afrique francophone aux 7 milliards d'engagements de l'AFD car ceux-ci sont principalement constitués de prêts.
Nous intervenons au Brésil depuis 2007 pour un montant de 188 millions d'euros au travers de projets que nous peinons à mettre en oeuvre. Nous avons par ailleurs eu des problèmes avec un projet à Brasilia.
L'agriculture, qui est la condition du développement de l'Afrique subsaharienne, exige des infrastructures au premier rang desquelles l'électricité, domaine dans lequel nous accordons des prêts. En matière d'éducation et de santé, notre intervention se fait par le biais de subventions.
L'AFD doit incarner la vocation universelle de la diplomatie française en vertu de laquelle tous les pays sont importants sans toutefois tomber dans la dispersion. La présence française en matière d'aide publique au développement doit respecter un subtil équilibre : il me semble que nous y sommes parvenus dans le contrat d'objectifs et de moyens au terme de négociations longues et difficiles.
Fort de mon expérience, j'ai entrepris les actions rapides qui s'imposent dans les situations de dérapage des dépenses pour stabiliser les frais de fonctionnement de l'agence.
Vous avez pu agir rapidement car vous comptiez beaucoup d'employés en contrat à durée déterminée ? La réforme d'Ubifrance a nécessité cinq ans pour mettre fin notamment aux nombreux contrats à durée indéterminée.
L'AFD n'est pas soumise à la conjoncture. Notre action s'inscrit dans la durée. Ces contrats à durée déterminée étaient à mon sens un élément de fragilisation de l'agence. Mes décisions rapides ont déplu à certains comme la presse l'a rapporté mais nous sommes aujourd'hui sur les bons rails. 2011 est une année de transition, l'année 2012 sera l'année de référence pour les budgets à venir. La stabilisation est acquise sous réserve de la possibilité de nouvelles extensions géographiques.
Je partage l'opinion exprimée sur l'importance de l'agriculture pour stabiliser la population rurale et ainsi freiner le développement urbain.
En raison du rôle croissant des parlementaires en matière d'action extérieure de l'Etat, nous développons la communication de l'AFD à leur intention : organisation de nombreuses rencontres, lettre « parlementaires et développement » et information personnalisée sur les projets mis en oeuvre dans les pays susceptibles de les intéresser. Nous réalisons également des opérations en province avec une exposition itinérante de photographies qui s'accompagne d'un colloque universitaire.
Nous avons un gros travail à mener avec les acteurs de la coopération décentralisée. L'objectif n'est pas de gérer les fonds des collectivités. En revanche, certaines régions ou grandes municipalités disposent de services techniques qui pourraient apporter leur aide à l'AFD en matière d'assistance technique.
Comment intéresser le grand public ? Quel est le nombre d'assistants techniques en France ?
L'AFD publie de nombreux documents et a noué des partenariats avec TV5 Monde notamment. Il est important de mettre en avant les projets réalisés. Les Français sont favorables à l'APD. Je ne connais pas le nombre d'assistants techniques car ceux-ci proviennent d'horizons très divers.
Une dernière question si vous le permettez : nous avons évoqué la part de l'aide publique au développement dans notre PIB autour de 0,5%. Une part non négligeable de notre aide est constituée d'abandon de dettes. Ne craignez-vous pas que les dettes résultant des prêts garantis par l'Etat que vous accordez, comme en Côte d'Ivoire par exemple, ne soient in fine abandonnés par l'Etat ?
Je ne le crois pas. Notre coopération avec la Côte d'Ivoire ne s'arrête pas à un premier prêt d'amorçage ; nous allons signer un contrat de désendettement dès que la Côte d'Ivoire aura atteint son point d'achèvement selon la formule consacrée après le retour du FMI et de la Banque mondiale. Cela signifie que le stock de dettes va être annulé par l'Etat mais remboursé à l'AFD qui le réemploiera immédiatement pour financer de nouveaux projets. C'est un mécanisme qui permet de définir le cadre de l'effort bilatéral additionnel de la France en complément des mesures d'annulation de la dette publique extérieure du pays bénéficiaire décidées par l'ensemble des bailleurs de fonds. Cet effort bilatéral additionnel est constitué d'une subvention accordée par la France au pays en contrepartie du versement des échéances de la dette d'aide publique au développement de ce dernier à l'égard de la France. Ainsi, le pays bénéficiaire continue de rembourser sa dette selon l'échéancier initialement prévu. Les fonds sont reversés par la France, via l'Agence Française de Développement, dans un délai de 15 jours sur un compte dédié à la Banque Centrale. Ces ressources sont ensuite affectées à des projets ou à des programmes de développement, décidés conjointement entre la France et le pays concerné.
Quel est le montant global de la coopération décentralisée ? Quelle coordination peut-on imaginer en la matière ?
C'est le ministère des affaires étrangères et européennes qui assure la coordination en matière de coopération décentralisée. L'AFD est partenaire de certaines collectivités sur des projets précis en vertu d'accords spécifiques. Il n'est pas certain que les villes ou régions souhaitent être l'objet d'une coordination…
La séance est levée à dix-huit heures.