Je suis heureux d'ouvrir les premiers travaux que la Mission d'évaluation et de contrôle va consacrer à la soutenabilité de l'évolution de la masse salariale de la fonction publique.
Nous accueillons aujourd'hui M. François-Daniel Migeon, directeur général de la Modernisation de l'État, accompagné de M. Guéric Jacquet, chef du département de la coordination au service conseil, et de M. Olivier Bouet, chef de projet. Je vous remercie, monsieur le directeur général, d'avoir répondu très rapidement à notre demande d'audition, alors même que vous êtes très sollicité.
Ce n'est pas la direction dont vous avez la charge qui a le rôle stratégique s'agissant de l'évolution de la masse salariale de la fonction publique. C'est elle en revanche qui suit la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Or le sujet de la gouvernance de cette réforme nous intéresse au plus haut point.
Permettez-moi un bref rappel de l'objet de nos travaux. Le 5 octobre dernier, le président de la première chambre de la Cour des comptes présentait à la Commission des finances un rapport que celle-ci avait demandé fin juin sur le thème « Comment stabiliser en valeur la masse salariale de l'État ? ». Ce rapport a été publié en annexe de celui du rapporteur général sur le projet de loi de finances pour 2011 et a largement alimenté nos débats lors de l'examen de cette loi de finances. Vu l'importance de l'enjeu pour les finances publiques, le bureau de la commission des Finances a souhaité que la MEC prolonge la réflexion.
La Cour des comptes a posé les données du problème. Le Gouvernement ayant fixé un objectif de maîtrise des finances publiques pour 2013, approuvé par le Parlement, cela suppose une stabilisation en valeur, c'est-à-dire en euros courants, des dépenses de l'État hors intérêts et contributions aux charges de pensions. Or, les charges de personnel pèsent pour 31 % dans ces dépenses.
La loi triennale de programmation des finances publiques a donc retenu l'objectif d'une stabilisation en valeur de la masse salariale d'ici à 2013. La Cour des comptes a souligné qu'on n'y était jamais parvenu par le passé. L'application de la règle de non-compensation d'un départ à la retraite sur deux est donc cruciale, elle seule pouvant à court terme permettre d'atteindre l'objectif. Selon la Cour, cette stabilisation est théoriquement possible, tout en rétrocédant aux agents la moitié des économies réalisées et en revalorisant le point de la fonction publique de 0,25 % par an. Elle fait toutefois valoir, modérant tout optimisme, que de multiples incertitudes affectent le pilotage à court terme de la masse salariale, d'où les dépassements récurrents constatés en exécution.
La règle du non-remplacement d'un fonctionnaire partant à la retraite sur deux, associée à la RGPP, occupe une place centrale dans l'équation. Mais il nous faut aussi examiner le rôle des autres paramètres et apprécier la soutenabilité du dispositif à moyen terme.
Nous entendrons le 10 mai prochain la direction du Budget ainsi que la direction générale de l'Administration et de la fonction publique. Notre échange de ce jour a donc pour principal objet de clarifier la gouvernance et le partage des rôles dans la RGPP, ainsi que d'esquisser un bilan d'étape de cette réforme.
La direction générale dont j'ai la charge compose, avec la direction du Budget et la direction de l'Administration et de la fonction publique, l'équipe d'appui pour la mise en oeuvre de la RGPP. Si ces trois directions travaillent en coopération, chacune a un rôle bien distinct et ce sont plutôt les deux autres qui pourront vous apporter des réponses précises sur le thème qui vous occupe de la soutenabilité de l'évolution de la masse salariale de la fonction publique.
Le cinquième rapport d'étape remis le 9 mars dernier au Président de la République par le ministre du Budget fait le point sur la mise en oeuvre de la RGPP. Lancée en 2007, celle-ci a considérablement modifié le paysage de notre administration. C'est un succès en soi que d'être parvenus à piloter ce programme d'envergure avec cohérence, transparence, rigueur et continuité. La transformation en profondeur d'une administration, comme de toute organisation, exige du temps : l'avancement opérationnel de chacune des mesures décidées a fait l'objet d'un suivi régulier.
Les résultats de la RGPP ne se traduisent pas seulement sur le plan budgétaire. Elle a d'autres objectifs et promeut aussi des valeurs comme la confiance, la responsabilité et l'équité.
La confiance tout d'abord. S'il fallait impérativement moderniser l'État, comme on l'a décidé en 2007-2008, c'était notamment pour restaurer un lien solide de confiance entre les usagers des administrations et les fonctionnaires – des études ont montré qu'une majorité de ces derniers était convaincue que les citoyens ne les aimaient pas ! Or, cette confiance ne peut se décréter, mais seulement se construire grâce à la pertinence et à la qualité du service rendu. Dans le cadre de la RGPP, nous avons décidé, de manière emblématique, de publier dorénavant tous les six mois un baromètre de la qualité de service, qui comporte une quinzaine d'indicateurs permettant d'évaluer, au-delà de la qualité de la prestation administrative elle-même, le degré de satisfaction de nos concitoyens. Le rapport d'étape du 9 mars dernier livre les résultats de la deuxième édition de ce baromètre. Jamais jusque-là de tels indicateurs n'avaient été publiés – l'administration n'était sans doute pas mûre.
Afin de ne pas risquer de conduire à l'aveugle la modernisation voulue, la direction dont j'ai la charge a constitué un dispositif d'écoute. Nous avons créé un service Innovation, dédié à l'écoute des particuliers, des entreprises, des associations et des collectivités locales afin d'identifier leurs attentes prioritaires, à partir desquelles piloter la réforme. Plus de simplicité, plus de rapidité dans le traitement des demandes, voilà ce que nos concitoyens souhaitent en priorité. Nous avons donc ouvert un site, « Ensemble simplifions », qui est en même temps un outil de dialogue : ils peuvent y proposer des idées de simplification mais nous-mêmes y trouvons le moyen de vérifier si telle ou telle de nos idées présente un intérêt pour eux.
Nous sommes parvenus à réduire le sentiment qu'ils avaient de la complexité de l'administration. À la fin de 2008, puis à la fin de 2010, on leur a demandé si, à l'occasion de tel ou tel événement de vie – naissance, départ en retraite, deuil… –, ils avaient trouvé leurs relations avec l'administration simples, assez simples, complexes ou très complexes : entre ces deux dates, ce sentiment de complexité a diminué en moyenne de cinq points. Alors qu'ils étaient 40 % en 2008 à estimer complexes ou très complexes les démarches administratives lors de la perte d'un proche, ils n'étaient plus que 30 % fin 2010. La diffusion entre-temps de la charte du respect de la personne endeuillée n'est sans doute pas étrangère à ce progrès. De même, la part des usagers trouvant les démarches administratives complexes ou très complexes à la naissance d'un enfant ou lors d'un déménagement est passée, respectivement, de 25 à 19 % et de 19 à 12 %. Le site Internet « Mon enfant.fr » ouvert par la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) et le service en ligne désormais disponible pour informer en une seule fois tous les organismes publics d'un changement de coordonnées ont simplifié les démarches. En 2007, moins d'un service sur trois en lien avec les usagers offrait la possibilité de déposer une réclamation. Or, comment améliorer la qualité du service rendu sans écouter d'abord les réclamations de nos concitoyens ? Il fallait donc progressivement généraliser cette possibilité, ce qui éviterait d'ailleurs ensuite d'embouteiller les services du Médiateur de la République pour des affaires qui auraient pu être traitées beaucoup plus en amont.
C'est par une telle démarche, systématique, d'écoute de nos concitoyens et de réponse à leurs attentes que pourra se retisser le lien de confiance, attendu des usagers comme d'ailleurs des fonctionnaires eux-mêmes.
Confiance, responsabilité ensuite, ai-je dit. La RGPP s'inscrit en effet dans le contexte budgétaire que vous connaissez. Elle vise donc aussi à permettre des économies. Dans ce but, elle s'appuie sur les outils créés par la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, et les prolonge.
Quelque quatre cents réformes ont été décidées. Pour dégager de manière responsable des marges de manoeuvre, nous avons besoin de projets cohérents, aboutissant à une transformation en profondeur des organisations, avec des programmes bien identifiés. À la différence d'autres pays confrontés à la même contrainte budgétaire, nous nous sommes en France donné du temps et avons planifié les réformes, de façon que l'évolution des effectifs ne pose pas de problème et que soit garantie la pérennité du service public.
La RGPP a permis d'économiser sept milliards d'euros sur la période 2009-2011. L'objectif est maintenant d'atteindre dix milliards d'euros sur la période 2011-2013 – trois milliards sur la masse salariale, deux milliards sur les dépenses de fonctionnement et cinq sur les dépenses d'intervention.
S'agissant des effectifs, la règle de non-compensation d'un départ en retraite sur deux a la vertu de prendre en compte la pyramide des âges dans l'administration. Les pays voisins n'ont pas tous pris ainsi le soin d'ajuster le rythme d'adaptation des effectifs à la réalité démographique par le biais des départs en retraite. Vous savez tous comment ils ont procédé.
Grâce à cette règle, nous compterons, en 2012, 150 000 fonctionnaires de moins qu'en 2007. L'économie qui en résultera n'est pas négligeable sachant que le coût total moyen d'un fonctionnaire sur la soixantaine d'années durant laquelle il est rémunéré, en activité puis en retraite, oscille entre 1,3 et 1,5 million d'euros. Éviter cent cinquante mille recrutements, c'est faire preuve de responsabilité à l'égard des générations futures en n'alourdissant pas notre dette.
Confiance, responsabilité… souci d'équité enfin. Le parti qui a été arrêté est que chacun contribue à la RGPP de manière équitable, et non égale. Il n'était pas question de donner partout un coup de rabot identique. Des audits ont permis de tenir compte des spécificités de chaque situation pour identifier à chaque fois les réformes les plus appropriées. Les objectifs ont donc pu différer selon les cas. Ainsi, l'enseignement supérieur et la justice n'ont-ils pas été logés à la même enseigne que d'autres ministères.
Vous l'aurez compris, le rôle de la direction générale de la Modernisation de l'État est, à l'écoute des usagers, de proposer des réformes et de suivre l'avancement de leur mise en oeuvre.
Comment avez-vous choisi les ministères et les services pour les aider à mettre en oeuvre la RGPP ?
Sur le terrain, nous constatons que les directions départementales se sont transformées en directions régionales, à la tête desquelles ont été nommés les directeurs qui, soucieux de leur carrière, ne souhaitaient pas rester cantonnés à l'échelon départemental. Je me demande si vous avez vraiment écouté les citoyens car où est l'avantage pour eux d'avoir à se déplacer beaucoup plus loin pour quantité de démarches ? Dans une région très étendue comme Rhône-Alpes, l'administration s'est plutôt éloignée des citoyens. Certes, les virtuoses de l'informatique, c'est-à-dire plutôt les jeunes générations, peuvent trouver leur compte à la modernisation en utilisant les services en ligne nouvellement ouverts. Mais dans nos territoires, la majorité de nos concitoyens s'adresse encore en priorité aux mairies, auxquelles ont été transférées de nouvelles tâches administratives, comme l'établissement des passeports et bientôt celui des cartes d'identité, sans que les moyens suivent en proportion. Il n'y a pas de traitement-type d'une demande de régularisation d'un étranger : chaque cas est particulier et son examen demande du temps. Cela pose vraiment des problèmes dans les communes des territoires de forte immigration. Avez-vous tenu compte des spécificités de chaque région ? Dans mon département de Haute-Savoie, la situation est encore plus compliquée pour les 61 000 travailleurs frontaliers qui partent chaque jour travailler en Suisse et n'ont que le samedi pour effectuer leurs démarches administratives. Je ne pense pas qu'ils aient le sentiment que le service s'est amélioré. Bref, l'État s'est déchargé de certaines tâches sur les collectivités en même temps qu'il dégraissait les effectifs dans les préfectures et les sous-préfectures,
S'agissant de votre première question, tous les ministères sont dans le même bateau. Dans le cadre du dispositif mis en place par le Premier ministre début 2008, les trois directions du Budget, de l'Administration et de la fonction publique et de la Modernisation de l'État rencontrent tous les mois les secrétaires généraux des différents ministères, responsables chacun du pilotage de la RGPP pour ce qui concerne leur département. C'est collectivement que nous décidons de la marche à suivre. Nous n'avons pas choisi parmi les ministères : tous sont pris en compte de la même manière. Il n'y a ensuite éventuellement de traitement différencié qu'en fonction de l'avancement constaté des mesures décidées par le Conseil de modernisation des politiques publiques. Notre direction travaille avec eux à l'application de ces mesures selon un calendrier précis et en assure le suivi. Il n'y a parfois aucune difficulté : parfois une certaine prudence s'impose ; parfois, un obstacle empêche d'avancer : c'est dans ce dernier cas plus particulièrement que nous les accompagnons. La plupart du temps, l'obstacle tient à des difficultés techniques intrinsèques que nous nous efforçons de les aider à surmonter.
Comment garantir à nos concitoyens un niveau satisfaisant de proximité et de qualité de service ? Vous avez dit que les directions départementales avaient été transformées en directions régionales. Plus exactement, on a cherché, dans le cadre de la réorganisation de l'administration territoriale de l'État, à rationaliser chaque échelon. On est ainsi passé d'environ vingt directions régionales à huit et d'environ quinze directions départementales à deux ou trois, selon les départements. L'objectif était de clarifier les rôles respectifs des deux échelons, régional et départemental. Il a été décidé que le second devait obéir à une logique de proximité, ce qui, dans le contexte contraint que l'on connaît, passe par des structures plus généralistes, recoupant les compétences de plusieurs ministères. Certaines directions ont donc été regroupées. Là où, pour conduire des politiques en zone péri-urbaine, il fallait auparavant s'adresser à la direction départementale de l'équipement (DDE) et à la direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF), on aura désormais affaire à un interlocuteur unique en la personne du directeur départemental des territoires. L'organisation des services déconcentrés de l'État dans le département sera ainsi plus lisible, en même temps que ces services, plus réactifs, seront à même d'apporter une réponse pluridisciplinaire, conformément aux attentes de ceux qui les consultent. Il n'y a pas besoin au niveau départemental de spécialistes pointus dans chaque domaine. L'important, à cet échelon de proximité, est de pouvoir fournir une réponse intégrée, s'appuyant sur une bonne compréhension des situations locales. Le niveau régional, lui, est destiné à être le niveau ultime de déclinaison des différentes politiques publiques, dans une logique plus ministérielle.
L'objectif est de parvenir dans les départements à une administration de conseil, de proximité, avec des points de contact dans les sous-préfectures, tout en mutualisant les moyens d'expertise et de traitement qui peuvent l'être. Mutualiser, ce n'est pas diminuer la proximité. J'entends bien que l'objectif n'a peut-être pas encore été atteint. Mais faisons preuve d'un peu de patience : une révolution considérable, qui ne se reproduira pas de sitôt, s'est accomplie, encore toute récente.
Une aspiration vers le niveau régional s'est produite dès les premiers mois de mise en oeuvre de la réforme. Les meilleurs fonctionnaires de l'échelon départemental, voyant leur carrière bouchée à ce niveau, ont légitimement cherché à rejoindre l'échelon régional. On peut le comprendre…
ou s'en étonner. Car c'est un métier noble et à forte valeur ajoutée que d'offrir un contact de proximité de haute qualité et d'apporter un conseil généraliste pluridisciplinaire aux élus et à tous les partenaires locaux, à qui cette proximité est indispensable. Il est vrai que des agents, par réflexe, se sont dit que si les politiques publiques se déclinaient à l'échelon régional, c'était celui-ci qui était intéressant. Notre direction, ainsi que le secrétaire général adjoint du Gouvernement, qui pilote la réforme de l'administration territoriale, n'ont cessé de vanter tout l'intérêt du travail à l'échelon départemental. Pour ma part, j'explique inlassablement sur le terrain qu'il y a là un métier d'avenir à ne surtout pas fuir. J'ai bon espoir qu'après le mouvement constaté pendant les premiers mois, la tendance s'inversera. Toute la philosophie de la RGPP au niveau départemental tient en ces deux mots : proximité et interministérialité.
Quelle que soit la volonté de l'État de mieux tenir compte des attentes des usagers de l'administration au travers d'enquêtes et sondages, l'approche n'en demeure pas moins comptable. Il n'est d'ailleurs pas indifférent que l'actuel ministre du Budget ait également dans ses attributions la réforme de l'État…
Vous nous dites que la réforme est encore récente. Mais vous n'êtes pas partis de rien. Sous la responsabilité de M. Copé, lorsqu'il était ministre délégué au Budget et à la réforme de l'État – lui aussi –, de nombreux audits avaient déjà été menés. Vous en êtes-vous servi ? Il serait heureux que ce qui a été fait hier ne soit pas tombé aux oubliettes et que les travaux se soient poursuivis dans une certaine logique. Ce serait sinon à désespérer…
Vous avez évoqué les saisines du Médiateur de la République. Il est vrai que durant son mandat, M. Jean-Paul Delevoye a beaucoup cherché à améliorer les relations des usagers avec l'administration. De la lecture fort instructive de ses rapports, avez-vous pu déterminer où faire porter l'effort en priorité ? Car la liste est longue des insatisfactions…
J'entends bien qu'il y a eu des améliorations et que le taux de satisfaction des usagers va croissant. Il me paraît toutefois utopique que l'on puisse parvenir à 100 % alors que cette réforme de l'État est dictée, au moins en partie, par des contraintes budgétaires, et qu'elle s'accompagne donc d'une diminution des moyens.
Vous nous avez présenté la RGPP sous un jour séduisant, qui pourrait presque la rendre sympathique. Elle aurait la vertu, selon vous, de prendre en compte les réalités démographiques. Mais pour vous, la modernisation de l'État passe-t-elle nécessairement par une réduction des effectifs ? Comment voyez-vous les choses à terme ?
Enfin, si les choses se passent globalement bien, comme vous l'avez dit, vous avez bien dû néanmoins rencontrer quelques difficultés. Pourriez-vous nous en donner quelques exemples ?
Nous ne sommes effectivement pas partis de zéro. La RGPP s'est appuyée sur plusieurs audits menés en deux phases, en 2007-2008, puis en 2009-2010. À chaque fois, les équipes mobilisées ont bien entendu eu accès à tous les rapports disponibles sur les sujets dont elles avaient à traiter. Cela permet d'ailleurs de lever l'objection selon laquelle la RGPP aurait été menée trop vite. Peut-on parler de précipitation quand une réforme de l'administration territoriale, suggérée déjà dans un rapport sénatorial fin 2000, a été engagée en 2007-2008 ? Aurait-on dû se concerter durant des années encore ? Si l'on n'avait pas pu s'appuyer sur l'ensemble de ces travaux préalables, la modernisation n'aurait pu avoir l'ampleur qu'elle a eue ni être menée au rythme auquel elle l'a été.
J'en viens à la relation que vous établissez, implicitement, entre moyens et qualité de service. L'équation à résoudre dans la RGPP était d'améliorer le service rendu aux usagers tout en réduisant les effectifs : la seule solution passait par une transformation en profondeur des pratiques et des structures. Diverses méthodes, régulièrement employées par les organisations, permettent, en se concentrant sur le service utile pour l'usager final, d'identifier et d'éliminer toutes les activités inutiles. La particularité est que nous avons cherché, pour des démarches bien définies comme les naturalisations, à accélérer le traitement des demandes sans accroître les moyens, voire en en dégageant. Cette logique dans laquelle on ne pense plus systématiquement que davantage de moyens égale davantage de services ou moins de moyens moins de services, et où on cherche au contraire à se réorganiser pour apporter plus de services avec moins de moyens est au coeur de la RGPP.
Pour ce qui est du Médiateur de la République, nous avions d'emblée établi avec lui d'excellentes relations, conscients que les récriminations des usagers qui s'adressaient à lui constituaient une mine précieuse d'informations pour orienter la réforme de l'État. Son travail nous a beaucoup aidés. Nous portons la plus grande attention aux problèmes qu'il a mentionnés et faisons notre miel de ses analyses.
Faut-il impérativement réduire les effectifs ? Dans un univers qui change, face à des attentes nouvelles et alors que de nouveaux outils sont disponibles, un professionnel loyal, qui souhaite continuer d'apporter le meilleur service, se remet nécessairement en question. La modernisation n'est rien d'autre que cette adaptation permanente, à la fois moteur de la vie d'une organisation et preuve de sa bonne santé. Une autre question est de savoir comment elle s'opère. Les outils utilisés sont fonction du contexte. On ne mobilise pas les mêmes si elle doit s'accompagner d'une réduction des moyens ou si la contrainte est moindre. Rationalisation ou au contraire, dans une logique plus entrepreneuriale, développement de nouveaux services : la part respective des deux approches s'ajuste en fonction de ces paramètres exogènes.
Avons-nous rencontré des difficultés ? Bien sûr. La plus grande est celle que j'appellerais de la « cascade managériale ». Vu le rythme auquel a dû être conduite la RGPP, même si nous avons été moins vite que d'autres pays, et vu l'ampleur des transformations à effectuer, il faut qu'à chaque niveau de management, la réforme soit effectivement pilotée. Or, sur ce point, nous nous sommes heurtés tout simplement à la culture administrative, qui est d'abord une culture de structure et d'anonymat. Le responsable s'efface devant sa fonction, qui le précédait et lui survivra, la structure constituant le pilier principal. Lorsqu'une structure se transforme en profondeur, il est un moment où, nécessairement, ce sont les managers qui constituent le point de repère pour les équipes. Dans le cas qui nous occupe, il faut que des cadres, qui faisaient bien leur travail dans un environnement stable, plutôt en s'effaçant derrière la structure, en assument l'évolution et apprennent à l'incarner pour aider leurs équipes à passer le cap. Cela est tout à fait nouveau dans l'administration. C'est d'ailleurs pourquoi a été créée une École de la modernisation de l'État où les fonctionnaires apprendront ce nouveau métier. Dès lors que l'on a voulu, par souci d'équité, que toutes les administrations soient concernées, chaque responsable a, à un moment donné, une réforme RGPP à mener. Accompagner toutes ces réformes et apporter le soutien nécessaire à tous les managers, c'est le défi que nous avons à relever et la principale difficulté que nous rencontrons.
Il y a eu par le passé des tentatives de « personnalisation » des fonctionnaires où les agents, en sus de leur nom, indiquaient quelles étaient leurs responsabilités. Cela a été un échec et on en est aujourd'hui revenu à un anonymat total. Pensez-vous qu'avec la RGPP les fonctionnaires aient fait leur cette attitude consistant à se mettre personnellement en avant ? Ne l'adoptent-ils pas qu'avec de fortes réticences ?
Enfin, quel est le ministère avec lequel vous avez rencontré le plus de difficultés ? Est-ce le ministère des finances ?
Existe-t-il à l'ENA et surtout dans les IRA, les instituts régionaux d'administration, des modules de formation préparant les futurs fonctionnaires à cette nouvelle attitude ?
Pourriez-vous nous citer deux cas où nos concitoyens auraient estimé le service rendu de meilleure qualité alors même qu'on aurait réduit le nombre d'agents ?
À la faveur de la RGPP, la nécessité d'incarner le changement et de personnaliser davantage le pilotage ont été maintes fois soulignées. J'espère que cela facilitera le retour à la personnalisation, qui fut à un moment tentée. Un fonctionnaire peut dire son nom sans que cela remette en cause sa manière de servir. Il ne s'agit pas de se mettre en avant personnellement, mais d'offrir un visage au service que l'on rend.
À cet égard, nous avons renforcé la Charte Marianne, charte d'engagement sur la qualité de l'accueil. Nous y avons introduit notamment la nécessité d'évaluer les attentes des usagers et leur satisfaction, de façon à savoir si l'amélioration de l'accueil visée à travers cette charte se traduit de manière concrète. Nous avons parallèlement mis en place un dispositif pour accompagner les départements dans cette même voie d'amélioration de la qualité de l'accueil. Nous avons identifié trois cents leviers y contribuant. Le programme est en cours de déploiement.
S'agissant des formations initiales, hier même, assistant à la célébration du quarantième anniversaire de l'IRA de Lyon, j'expliquais aux agents et futurs agents présents qu'ils auraient la chance, en sus de tout ce qu'ils faisaient jusqu'à présent, d'exercer un nouveau métier consistant à piloter la transformation continue des administrations mais que cela exigerait d'eux qu'ils s'engagent de manière plus personnelle. Des modules de formation spécifiques sur ces sujets vont être mis en place : nous en discutons avec les IRA. À l'ENA, dès cette année, il existe pour les cadres dirigeants des formations à la conduite du changement, animées par la direction générale de la Modernisation de l'État. Nous sommes aussi en lien avec d'autres écoles, notamment avec l'École nationale de la magistrature qui a intégré des préoccupations analogues dans son propre cursus.
Des exemples d'amélioration de la lisibilité de l'organisation et de la qualité du service, m'avez-vous demandé. J'ai cité tout à l'heure les nouvelles directions départementales des territoires, je n'y reviens pas. La mise en place du guichet fiscal unique constitue également un progrès pour les contribuables.
Je suis d'accord pour ce qui concerne le guichet fiscal unique, pas pour les directions des territoires.
La réforme était complexe à mettre en oeuvre. L'objectif n'a peut-être pas encore été pleinement atteint du point de vue opérationnel. Il n'en reste pas moins que la décision de fusionner l'UNEDIC et les ASSEDIC, de façon que les demandeurs d'emploi aient un interlocuteur unique, va dans le bon sens. Elle doit permettre d'améliorer significativement le service rendu. Je ne nie pas les difficultés de mise en oeuvre mais celles-ci ne doivent pas occulter l'audace de la réforme des structures. Vous êtes d'accord avec moi aujourd'hui s'agissant du guichet fiscal unique. Il y a quelques années encore, cela ne faisait pas consensus…
Vous ne portez, monsieur le directeur général, aucune responsabilité dans les dysfonctionnements constatés çà et là au quotidien à Pôle emploi. Nous n'avons donc pas à vous les reprocher. Nous avons en revanche à vous en faire état. Les demandeurs d'emploi, qui ont déjà la plus grande difficulté à rencontrer un agent, sont reçus à la hâte dans les agences et ne peuvent pas accomplir toutes leurs démarches en une seule fois, contrairement à ce qui est dit. Cela étant, je ne méconnais pas que la crise, ayant conduit à une augmentation du chômage, a bouleversé les plans initiaux.
D'autre part, non seulement les cadres départementaux se sont tournés vers l'échelon régional, comme l'a dit M. Francina, mais on assiste de surcroît à des passages de la fonction publique d'État à la fonction publique territoriale. Résultat : les dysfonctionnements au niveau départemental sont désormais tels que beaucoup de communes, même très petites, renoncent par exemple à faire instruire leurs documents d'urbanisme par les services de l'État, tant il est difficile d'obtenir leur validation, et décident de reprendre cette compétence. C'est compréhensible quand il arrive, comme dans ma commune en septembre dernier, qu'une grande surface se voie opposer trois réponses différentes sur la possibilité de mener à bien son projet par trois administrations différentes qui, en dépit de la RGPP et de la mutualisation des moyens, ne se parlent donc pas.
Dans mon département, qui présente certes la particularité que s'y appliquent à la fois la « loi montagne » et la « loi littoral », la préfecture renvoie à l'échelon régional, où l'on connaît beaucoup moins bien les réalités locales, et les réponses apportées sont parfois aberrantes.
S'agissant de Pôle Emploi, je ne partage pas tout à fait l'avis de M. Habib. Il y a des endroits, comme dans mon secteur, où la fusion s'est passée sans problème – sans doute aussi, d'ailleurs, parce que j'avais refusé en son temps de créer une Maison de l'emploi. Je reconnais, cela étant, que le chômage n'est pas très élevé en Haute-Savoie, ce qui facilite la tâche.
Ma dernière question, monsieur le directeur général, sera de savoir comment vous allez procéder avec les opérateurs, auxquels doit aussi s'appliquer la RGPP. Ne vont-ils pas traîner des pieds ou faire pression sur les élus locaux ou nationaux ? Qu'allez-vous faire par exemple avec la Sécurité sociale et les caisses d'allocations familiales ? Dans toutes les villes où les services sont regroupés, les files d'attente sont interminables. En viendra-t-on partout à ce qui se passe, dit-on, en Seine-Saint-Denis, où des chômeurs vont chercher des tickets qu'ils revendent ensuite à des usagers pour leur éviter une attente trop longue ?
Les opérateurs sont en effet inclus dans le périmètre de la RGPP. Le rapport d'étape détaille l'ensemble des mesures qui leur seront appliquées. L'idée est qu'ils doivent eux aussi se réformer en profondeur, se moderniser et adopter de bonnes pratiques : nous les accompagnerons dans cette voie. Notre direction aide ainsi d'ores et déjà la CNAF à enclencher sa transformation et à réfléchir aux moyens d'améliorer la qualité du service, ce avec des moyens contraints. L'objectif est bien, à terme, que les opérateurs satisfassent cette injonction en apparence paradoxale.