Audition de M. Alain Juppé, ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes.
La séance est ouverte à dix-sept heures.
Cette audition sera consacrée à l'actualité internationale, particulièrement riche en ce moment, et à la politique étrangère de la France, très active sur presque tous les fronts ouverts au cours des derniers mois. Notre pays est ainsi en première ligne en Libye et en Côte d'Ivoire et demeure engagé en Afghanistan.
De façon plus générale, la diplomatie française est confrontée à l'effervescence qui s'est emparée de la quasi-totalité des pays arabes depuis le début de l'année. Aucun régime n'échappera à la nécessité de répondre à la demande de réforme et de démocratie. Les pays d'Afrique du Nord, avec lesquels nous entretenons des relations privilégiées, sont particulièrement concernés.
Ces événements ont déjà des conséquences importantes sur les relations israélo-palestiniennes : on peut considérer que la signature, au Caire, d'un accord entre le Fatah et le Hamas sur la formation d'un gouvernement transitoire est une conséquence directe, majeure, de ce « printemps arabe ».
La mort d'Oussama Ben Laden constitue, par ailleurs, une victoire importante dans la lutte contre le terrorisme. Il convient d'évaluer ses conséquences potentielles sur l'avenir d'Al-Qaida et sur le risque terroriste.
Je vous propose, monsieur le ministre, de vous exprimer sur les principaux sujets d'actualité, après quoi nous en viendrons aux questions des membres de la Commission.
Je suis heureux de poursuivre avec vous le dialogue que j'avais été obligé d'abréger lors de notre précédente rencontre afin de me rendre à l'Elysée.
La mort d'Oussama Ben Laden, à la suite d'une opération de commandos américains au Pakistan, est un événement essentiel dans le combat universel contre le terrorisme auquel participe la France, aux côtés des Etats-Unis et de ses différents alliés. Bien qu'il soit tôt pour apprécier toutes les conséquences de cet événement, je tiens à rappeler que Ben Laden était une figure majeure du terrorisme, voire une sorte de symbole. C'était le plus souvent sous sa signature que des menaces terroristes étaient adressées à nos démocraties, notamment après le 11 septembre 2001. Sa mort revêt donc une forte valeur symbolique. C'est une victoire pour la démocratie et un coup très dur porté à l'échelon central d'Al-Qaida.
Est-ce à dire que la menace terroriste a disparu ? A l'évidence, non, et nous ne devons pas baisser la garde. Les branches régionales d'Al-Qaida, telles que l'AQMI, sont en grande partie autonomes, même si elles ne le sont pas entièrement – le retrait des forces françaises d'Afghanistan fait ainsi partie des revendications d'AQMI en échange de la libération de nos otages. Ces branches d'Al-Qaida demeurent actives et dangereuses. A cela s'ajoutent les réactions que pourraient avoir des individus isolés, par nature incontrôlables. Nous avons donc adressé des consignes de vigilance redoublée à nos ambassades et aux communautés françaises, notamment au Sahel, où nous sommes particulièrement exposés. Je renouvelle les conseils de prudence à nos compatriotes qui imagineraient que l'on peut continuer à faire du tourisme au pays dogon ou dans d'autres régions du Sahel.
La disparition de Ben Laden doit, par ailleurs, nous conforter dans la stratégie que nous suivons en Afghanistan depuis la conférence de Kaboul et le sommet de Lisbonne. Le premier pilier de cette stratégie, qui consiste à mener une lutte résolue contre les terroristes, a déjà produit des effets : la présence du terrorisme international se résorbe en Afghanistan. Le fait que Ben Laden ne s'y soit plus senti suffisamment en sécurité est assez significatif. Le second pilier est de fournir un appui aux forces afghanes : nos forces sont déployées à la demande du gouvernement afghan pour l'aider à rétablir la sécurité et la légalité. D'ici à 2014, les forces gouvernementales doivent reprendre la responsabilité de la sécurité et de la défense du pays. En troisième lieu, nous devons obtenir un engagement plus net du Pakistan dans la lutte contre le terrorisme et pour la stabilité de l'Afghanistan. Nous avons reçu hier, en présence d'Axel Poniatowski, le Premier ministre du Pakistan, à qui nous avons posé un certain nombre de questions. Le quatrième pilier de notre stratégie est la recherche d'une solution politique.
J'en viens à l'attentat perpétré, le 28 avril, à Marrakech. Le bilan est lourd : 16 morts, dont 8 Français, et 23 blessés, dont 9 compatriotes. Notre pays paie donc un tribut très douloureux. Sous la conduite du Président de la République, nous avons accueilli les corps des victimes en présence des familles. Ce fut un moment d'intense émotion. Les familles, qui sont bouleversées, ont témoigné unanimement de la disponibilité extraordinaire des autorités marocaines, qui ont veillé à faciliter leurs démarches dans cette période difficile. Elles ont aussi rendu hommage à notre service diplomatique, en particulier au consul général à Marrakech et à notre ambassadeur. Je rappelle que nous avons mis en place une cellule de crise au consulat général et à l'ambassade à Rabat, et que le centre de crise du ministère a immédiatement dépêché une équipe médicale et de soutien psychologique pour les proches des victimes. Le Quai d'Orsay a organisé toutes les opérations de rapatriement des dépouilles et de retour des familles, afin de soulager autant que possible ces dernières.
Pour le moment, l'attentat n'a pas été revendiqué. On sait, en revanche, qu'il n'a probablement pas été commis par un kamikaze isolé. L'enquête semble avancer rapidement, et nous espérons qu'elle permettra de faire toute la lumière sur ce crime révoltant et lâche. Le Président de la République a promis que les responsables seraient identifiés, poursuivis, jugés et punis. Une excellente coopération prévaut entre les équipes marocaines et les fonctionnaires de police que nous avons envoyés sur le terrain pour participer à l'enquête.
Nous apportons, en outre, tout notre soutien aux autorités marocaines, qui se sont engagées dans des réformes politiques courageuses. Nous espérons de tout coeur que la violence aveugle ne portera pas un coup d'arrêt à ce mouvement exemplaire : le roi Mohammed VI a tracé la voie d'une évolution vers une véritable monarchie constitutionnelle.
S'agissant de la Libye, je ne reviens pas sur les conditions dans lesquelles nous avons été conduits à engager nos forces aériennes : je me suis déjà exprimé à plusieurs reprises sur ce sujet, devant cette Commission et en séance publique. Où en sommes aujourd'hui ?
En premier lieu, Kadhafi a perdu toute légitimité. Ce disant, je n'exprime pas seulement le point de vue de la France, mais aussi celui des 27 États-membres de l'Union européenne, des Etats-Unis et de la Ligue arabe, qui s'est récemment prononcée sans ambiguïté. Ce point de vue est donc partagé par la quasi-totalité de la communauté internationale. Kadhafi ment et il massacre son peuple. Par conséquent, il doit partir. Cette conclusion ne figure pas dans la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, qui n'organise pas un changement de régime, mais rien ne nous interdit d'adopter cette position dans le cadre de nos politiques étrangères respectives.
J'observe, en second lieu, que le Conseil national de transition, qui représente pour nous les forces de libération de la Libye, gagne en légitimité politique et se structure peu à peu, même s'il lui reste du travail à faire. C'était à l'origine une force « spontanée » et désorganisée, notamment au plan militaire. Nous sommes en train de l'aider à se structurer.
Sur le terrain, la situation reste confuse et préoccupante : la population continue à être attaquée par les forces de Kadhafi, en particulier à Misrata et à Zintan ; en outre, les affrontements entre les deux camps ne donnent lieu à aucune avancée significative dans un sens ou dans l'autre.
Dans ce contexte, notre priorité est de maintenir une forte pression sur le régime de Tripoli, afin d'obtenir une pleine application des résolutions 1970 et 1973 du Conseil de sécurité. Conformément aux conclusions de la réunion du groupe de contact qui s'est tenue à Doha le 13 avril, nous accentuons l'effort militaire en attaquant la machine de guerre de Kadhafi, aujourd'hui sur la défensive. Comme nous le souhaitions, l'Alliance a intensifié ses frappes, qui touchent de plus en plus les installations militaires à l'Ouest, à Tripoli et à Zintan. Par ailleurs, de nouveaux pays ont annoncé leur intention de participer à ces opérations, notamment l'Italie – elle l'a confirmé à l'occasion du sommet franco-italien organisé la semaine dernière.
Je voudrais insister sur un point en particulier : le commandement de l'OTAN a très clairement indiqué que la récente frappe sur Tripoli, qui a vraisemblablement conduit à l'élimination d'un des fils de Kadhafi, Saif Al-Arab, et peut-être aussi à la mort de trois enfants – les siens ou d'autres enfants de sa famille –, était ciblée sur un objectif militaire, à savoir un bunker de commandement installé dans ce quartier, avec les effets collatéraux que l'on sait.
Parallèlement à l'action militaire, nous sommes déterminés à poursuivre tous les efforts visant à isoler le régime et à assécher ses ressources. Cela implique que les sanctions soient pleinement respectées, que l'on élargisse la liste des entités et individus concernés par le gel des avoirs financiers, et que l'on refuse toute opération de commercialisation ou de transport d'hydrocarbures dont pourrait encore bénéficier le régime de Kadhafi.
J'ajoute que les responsables des crimes commis devront en répondre devant la justice. Nous nous réjouissons, à ce titre, que le Conseil de sécurité reçoive aujourd'hui le procureur de la Cour pénale internationale, qui doit informer les membres du Conseil sur la mise en oeuvre de la résolution 1970. Il devrait vraisemblablement annoncer l'inculpation de Kadhafi.
D'autre part, nous soutenons un processus politique visant à l'émergence d'une nouvelle Libye, libre et démocratique. Cela doit permettre aux Libyens de fixer, eux-mêmes, leur système politique et de choisir démocratiquement leurs gouvernants. Mais le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, M. Khatib, doit jouer un rôle central à cet égard. Nous sommes, en effet, préoccupés par la multiplication des initiatives : tout le monde veut parler à tout le monde, et des médiateurs s'auto-désignent. Nous souhaitons qu'il revienne au représentant du Secrétaire général de coordonner les médiations. J'espère que la prochaine réunion du groupe de contact, prévue demain à Rome, permettra de consacrer son rôle.
Le lancement du processus démocratique passe aussi par un renforcement du Conseil national de transition, qui doit servir de pivot à un dialogue national largement ouvert. Ce Conseil a adopté une charte politique démontrant sa volonté d'instaurer un État de droit et des institutions démocratiques dans le respect de l'unité et de l'intégrité du territoire libyen. Ces principes ont été réaffirmés par le président de cette instance, Moustafa Mohamed Aboud al-Djeleil, qui est venu en France le 20 avril. Nous avons reçu une feuille de route établissant un processus de transition politique, ordonné en plusieurs étapes, notamment dans le domaine électoral, en vue d'instaurer une Libye libre et démocratique après le départ de Kadhafi.
Le Conseil national de transition, dont la crédibilité s'est affirmée, a aujourd'hui besoin d'aide. D'une aide politique d'abord : cette instance doit être reconnue. Elle l'a déjà été par un certain nombre d'États, et nous essayons de convaincre d'autres partenaires d'en faire autant. Beaucoup l'ont d'ailleurs reconnue de facto : le fait de l'inviter à Luxembourg, à Doha, et demain à Rome, constitue une marque de reconnaissance. Le Conseil de transition a besoin, en second lieu, d'un appui économique et financier : la réunion de demain devrait être décisive, car nous avons demandé à la présidence italienne de proposer un mécanisme financier permettant de dégager des fonds pour le Conseil de transition, lequel doit payer ses fonctionnaires et ses salariés, et se procurer certains objets de nécessité. Une première solution consistait à utiliser les fonds gelés en application des sanctions décidées par le Conseil de sécurité. Plus d'un milliard de dollars a ainsi été bloqué à Londres, mais la justice britannique est très tatillonne : elle considère que ces montants n'appartiennent pas au Conseil national de transition. Nous sommes donc à la recherche d'autres mécanismes.
J'en viens à la Syrie. J'entends dire que nous aurions deux poids et deux mesures, car nous ferions preuve d'une plus grande indulgence à l'égard de la Syrie. C'est inexact. Nous avons commencé par conseiller à Bachar El-Assad de tenir compte de l'expression populaire, qui se manifestait dans un certain nombre de villes, et d'engager un véritable processus de réformes répondant à ces aspirations. Son premier discours a été très décevant ; le deuxième constituait une sorte de retour en arrière, puis il s'est engagé, sous sa responsabilité propre ou sous l'emprise du parti Baas, dans une répression sanglante : des tanks ont tiré sur la foule à Deraa, et ailleurs dans le pays. On estime qu'il y aurait eu 400 morts, ce qui est absolument intolérable. Nous avons donc condamné ce comportement sans la moindre ambiguïté, en indiquant que Bachar El-Assad perdrait petit à petit sa légitimité, comme d'autres dirigeants l'ont fait, s'il persévérait dans cette voie.
Comme nous n'avons pas été entendus, nous avons décidé d'agir. Cela n'implique pas de reproduire à l'identique la solution adoptée pour la Libye : les conditions sont différentes, et je m'étonne que certains, après nous avoir reproché d'engager des moyens militaires en Libye, nous reprochent maintenant de ne pas le faire en Syrie. Il faut garder notre raison, et voir ce qui est possible.
Le 27 avril, lors d'une séance publique du Conseil de sécurité, nous avons souhaité l'adoption d'une résolution condamnant la Syrie. Nous n'y sommes pas parvenus, et la menace d'un veto russe et d'un veto chinois reste forte. Vous savez que les Russes critiquent vivement les conditions de notre intervention en Libye, ce qui renforce leur opposition. Nous ne réunissons d'ailleurs pas les neuf voix nécessaires à l'adoption d'une résolution, même en l'absence de veto. Nous ne désespérons pas pour autant, et le Royaume-Uni reste très engagé à nos côtés. Nous allons continuer à oeuvrer au sein des Nations unies.
Nous nous sommes également mobilisés dans le cadre du Conseil des droits de l'homme, qui a consacré, le 29 avril, une session spéciale à la Syrie. Nous avons obtenu qu'il adresse un message très ferme, condamnant avec vigueur les violations massives des droits de l'homme commises par le régime syrien. Une enquête du Haut-commissaire aux droits de l'homme a été lancée, et nous plaidons contre la candidature syrienne à l'élection au Conseil du Droit de l'Homme qui doit avoir lieu le 20 mai prochain. L'élection de la Syrie enverrait un signal incompréhensible alors que la Libye vient d'être exclue du Conseil des droits de l'homme.
Nous nous sommes, par ailleurs, mobilisés au sein de l'Union européenne, où nous avons plaidé, vendredi dernier, pour l'instauration de sanctions visant individuellement les responsables de la répression. Il s'agit d'interdire la délivrance de visas, afin d'empêcher les déplacements à l'extérieur de la Syrie, et de geler certains avoirs personnels. La France a proposé d'inclure le président Bachar El-Assad dans la liste des personnes sanctionnées : le responsable suprême, qui cautionne les événements actuels, doit figurer sur la liste. Nous souhaitons, par ailleurs, un embargo sur les armes. La coopération de l'Union européenne avec la Syrie sera certainement affectée, même si nous avons à coeur de maintenir les projets en faveur de la société civile.
Je crois donc pouvoir affirmer qu'il n'existe pas de double standard dans notre approche du printemps arabe. En Syrie comme en Libye, nous ne transigeons ni sur nos valeurs ni sur nos principes. L'utilisation de la violence maximale contre la population syrienne, marquée par l'utilisation de chars et d'armes lourdes, appelle exactement le même jugement que celui porté sur l'attitude de Kadhafi. La différence est que les conditions ne sont pas réunies pour voter une résolution inspirée, en tout ou partie, de la résolution 1973.
J'aimerais revenir sur l'élimination d'Oussama Ben Laden et sur la présence des forces de la coalition en Afghanistan. Je ne prétends pas que nous n'ayons plus rien à faire dans ce pays : vous avez indiqué, à juste titre, que la mort d'Oussama Ben Laden ne signait pas la fin de la lutte contre le terrorisme, ni même la fin d'Al-Qaida. Il n'est pas davantage question de retirer nos troupes du jour au lendemain.
Depuis un certain temps, nous sommes toutefois quelques uns, de tous bords politiques, à penser que la mission des troupes en Afghanistan a beaucoup évolué depuis la fin de l'année 2001. Après les attentats du 11 septembre, un consensus s'était formé au plan national, entre le Président de la République, Jacques Chirac, et le Premier ministre, Lionel Jospin, ainsi qu'au plan international, sous la forme d'une décision de l'ONU. Une coalition s'était alors constituée pour renverser le régime taliban et porter un coup à Al-Qaida en éliminant ses camps d'entraînement. Or, il ne s'agit plus de cela aujourd'hui.
Ce que prouve, en réalité, l'élimination de Ben Laden, c'est qu'on ne lutte pas contre le terrorisme avec le déploiement de troupes en Afghanistan, mais avec du renseignement et des opérations ponctuelles, réalisées par des drones ou par des commandos. La preuve vient d'en être apportée de façon éclatante. La mission des soldats de la coalition, en particulier celle des soldats français, mérite donc d'être au moins révisée, sinon réévaluée en profondeur. Il me semble que le Parlement pourrait entamer un dialogue fructueux avec le Gouvernement sur ce sujet, dans la perspective d'un retrait des troupes aussi rapide que possible.
Le processus de paix israélo-palestinien se trouve dans une impasse. M. Abbas souhaite faire reconnaître l'État palestinien par l'assemblée générale de l'ONU en septembre prochain, et il a demandé à notre diplomatie de le soutenir dans cette entreprise. La France peut-elle prendre l'initiative forte qui consisterait à reconnaître l'État palestinien dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale ?
J'observe, par ailleurs, que le Hamas est proche des Frères musulmans, lesquels sont intégrés au processus démocratique en Egypte. Ils participent à la refondation de la constitution de ce pays, et ils semblent reconnaître les traités entre l'Egypte et Israël, même s'il faut être prudent sur ce point. Pensez-vous qu'on peut s'attendre à des évolutions de même nature avec le Hamas ? Peut-on envisager de l'intégrer dans le processus de paix ?
Enfin l'ONU vient de publier un rapport épouvantable sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis par le gouvernement du Sri Lanka à l'encontre des Tamouls. La France peut-elle prendre une initiative pour traduire les dirigeants sri lankais devant la Cour pénale internationale ?
L'accord entre le Fatah et le Hamas ne permettrait-il pas au gouvernement français de prendre l'initiative de reconnaître l'État palestinien ou de participer à sa reconnaissance ? Ne serait-ce pas un facteur important pour la pacification de la région ?
Ma deuxième question concerne la Syrie : compte tenu des violences épouvantables qui ont été commises et du nombre des victimes, la France ne devrait-elle pas annoncer qu'elle poursuivra les responsables syriens pour crimes contre l'humanité ? Ils savent pour l'instant qu'ils bénéficient de la sympathie mal placée d'Israël, pour n'avoir jamais entrepris de reconquérir le Golan.
J'en viens à l'Algérie, dont la société est actuellement en ébullition. Vous avez rappelé, à juste titre, que les Frères musulmans sont un mouvement centriste, modéré, malgré la présence de quelques excités. Ils ont déjà remporté deux scrutins en Algérie : les élections municipales et les élections législatives, avec 87 % des voix. Puis ils ont été physiquement éliminés par l'armée, au motif qu'ils étaient des fondamentalistes. Etes-vous prêt à affronter un printemps algérien, monsieur le ministre ?
Vous avez répondu à la question que je voulais poser sur les critères de la diplomatie française, mais il reste une certaine ambiguïté : on dit « Kadhafi », mais « Monsieur Bachar El-Assad ». Je ne sens pas chez vous la même détermination pour la Syrie que pour la Libye.
La richesse de l'actualité nous conduit malheureusement à passer très vite d'un événement à un autre. Que devient la Côte d'Ivoire ? Est-elle enfin pacifiée ? Nous avons eu des échos de crimes commis, aujourd'hui encore, par certaines factions, dont certaines sont proches du nouveau président. La diplomatie reste-t-elle attentive à l'évolution de la situation ? Quel témoignage les forces françaises, qui accompagnent les forces ivoiriennes, vous apportent-elles ?
Je vous ai entendu hier chanter les louanges du roi du Maroc, que vous venez de réitérer devant cette Commission. Il faut espérer que les déclarations officielles seront vraiment suivies d'effet. Mais je vous invite à la modération : il y a encore des atteintes aux droits de l'homme dans les territoires occupés du Sahara occidental. On ne peut pas avoir deux poids, deux mesures. Il faut aider le Maroc à avancer sur le chemin de la démocratie, mais il faut aussi avoir le courage de dire ce qui ne va pas.
Ma première question concerne la réponse de l'Union européenne à la demande conjointe des présidents français et italien sur l'espace Schengen. Quels sont les derniers rebondissements dans cette affaire ? Où en est, par ailleurs, la préparation des élections en Tunisie ? Les forces démocratiques sont-elles parvenues à mieux s'organiser ?
Autant je me réjouis de la mort de Ben Laden, comme tout un chacun, autant je déplore la polémique qui a suivi. Je ne crois pas que cet homme se soit soucié des milliers de personnes qui ont péri dans les tours new-yorkaises. Nous avons appris, par la presse, que le Président français et le Président américain ont eu un entretien téléphonique. Pouvez-vous nous dire quelles seront les conséquences de la mort de Ben Laden, non pas tant sur l'engagement de nos troupes en Afghanistan, que sur la poursuite de la collaboration actuelle en vue d'éliminer les forces d'Al-Qaida ?
C'est finalement au Pakistan que Ben Laden est mort. Le terrorisme, contre lequel nous nous battons, a subi un revers considérable. Il n'en reste pas moins que le peuple afghan nous considère généralement comme des occupants. Pour m'être rendu sur place à deux reprises, je peux témoigner du regard porté sur nous par la population. J'aimerais savoir quels ont été les efforts d'investissement sur le terrain – eux seuls pourront régler certains problèmes –, et dans quelles conditions nous allons nous retirer d'Afghanistan.
Je fais miens les propos tenus par notre collègue sur la situation en Côte d'Ivoire : la pagaille règne, et j'ai été effaré par un reportage récemment diffusé sur TV5. Quel sera le rôle de l'opération Licorne et de l'ONU dans la suite des événements ?
S'agissant de nos aéroports, je suis très surpris que les autorités américaines puissent venir chez nous pour vérifier que la sécurité règne. Il me semble que nous n'avons pas la possibilité d'en faire autant.
Que pensez-vous, monsieur le ministre, de l'accord intervenu au Caire entre le Fatah et le Hamas ?
Le gouvernement de M. Netanyahou a clairement exprimé son hostilité en indiquant que les 60 millions d'euros de taxes qui reviennent à l'Autorité palestinienne ne seraient plus reversés. Dans la perspective de la prochaine conférence des pays donateurs, qui aura lieu en juin, quelle appréciation portez-vous sur la réaction israélienne ? Faudra-t-il verser à l'Autorité palestinienne les sommes dues par Israël ?
Que pensez-vous, par ailleurs, de la demande de reconnaissance de l'État palestinien ? Vous l'aviez évoquée, le 30 mars, dans votre discours sur l'Union pour la Méditerranée. Les perspectives se concrétisent-t-elles davantage qu'hier ?
Le bilan de la diplomatie française depuis quatre ans comporte des aspects positifs, et d'autres qui le sont moins. Je pense en particulier au suivisme de la France et de l'Europe à l'égard des Etats-Unis sur le dossier palestinien.
L'Europe a eu tort, il y a quelques années, de ne pas considérer le Hamas comme un interlocuteur : sa constitution n'était pas très différente de celle de l'OLP quinze ans plus tôt ; il me semble que nous devons discuter avec tous les acteurs.
Compte tenu du changement majeur qui vient de se produire, la France compte-t-elle prendre une initiative pour aller un peu plus loin et un peu plus vite que les Etats-Unis et le reste de l'Europe ? Les Américains avaient annoncé qu'ils réviseraient leur aide si le récent accord intervenait. Or, on ne peut pas faire l'impasse sur la présence du Hamas. Nous devons montrer le chemin, comme nous l'avons fait par le passé, en particulier sous votre autorité. J'ai donc quelque espérance de voir la situation bouger.
Il est évident que le terrorisme va continuer : ce n'est pas M. Ben Laden qui l'a engendré, mais le fanatisme religieux. Or, celui-ci perdure. Nous devons donc poursuivre la lutte.
La France est membre du Conseil de sécurité, et elle est une puissance importante, mais elle ne peut pas tout faire. Ne faut-il donc pas hiérarchiser les priorités ? Nous devons nous occuper de la Méditerranée, du Sahel, de l'Afrique et du Proche et Moyen-Orient. Ce qui se passe en Afghanistan est d'une autre nature. Nous n'avons pas de prise sur les événements – pas plus d'ailleurs que les Américains, car l'enjeu est essentiellement pakistanais. J'aimerais d'ailleurs vous entendre sur ce sujet.
S'agissant du Proche-Orient, il me semble que le moment est venu de reconnaître l'État palestinien. Il faut avancer : ça n'est pas une position anti-israélienne ; c'est même une nécessité pour garantir la sécurité d'Israël.
Je m'interroge, moi aussi, sur les contrôles américains réalisés sur le territoire national. Un tel accord aurait dû être autorisé par le Parlement.
Je me souviens que vous aviez formulé des interrogations sur le degré de coopération des autorités pakistanaises en ce qui concerne Ben Laden. Comme vous venez de rencontrer le Premier ministre pakistanais, j'aimerais savoir si vous avez pu obtenir des réponses claires à ces interrogations.
Je ne reviens pas sur la Palestine, ni sur l'Afghanistan, dont j'espère que nous allons sortir. Vous avez indiqué, à juste titre, que M. Kadhafi avait perdu toute légitimité en tirant sur son peuple, mais vous êtes plus nuancé quant à M. El-Assad : vous avez indiqué qu'il se mettrait « petit à petit » en porte-à-faux avec la communauté internationale s'il continuait. Pouvez-vous nous expliquer cette différence sémantique ?
Plusieurs d'entre vous m'ont demandé si l'élimination de Ben Laden ne changeait pas complètement la donne, et s'il n'était pas temps d'envisager un retrait de nos troupes d'Afghanistan.
Un premier élément de réponse est qu'Al-Qaida n'est pas notre seul adversaire en Afghanistan ; je dirais même qu'il n'est pas le principal. Al-Qaida a été fortement déstabilisé, et le fait que Ben Laden ait dû se réfugier au Pakistan est assez révélateur. D'autres réseaux talibans, qui ne sont pas tous affiliés à Al-Qaida, poursuivent toutefois leur lutte contre nous, et surtout contre le gouvernement afghan.
Je rappelle, en second lieu, que nous ne sommes pas seulement présents sur le terrain pour lutter contre le terrorisme, mais aussi pour aider le gouvernement afghan à reconquérir son territoire et à y faire régner la loi telle qu'elle résulte de l'application de la constitution et des principes démocratiques. Une grande partie de nos efforts tend à aider la police et l'armée afghanes à prendre peu à peu le relais. C'est la mission d'une centaine de personnes que nous avons déployées sur le terrain. Il serait absurde de plier bagage tout de suite : cela fragiliserait considérablement le gouvernement afghan, tout en laissant la voie libre aux talibans, avant même que le processus de réconciliation ait pu porter ses fruits.
Faut-il, pour autant, en rester au statu quo, sans réfléchir à d'éventuelles inflexions ? Je ne le pense pas, mais nous devons nous garder de toute précipitation. Il faut réaliser un effort d'analyse et de réflexion, avec tous nos alliés, sur les conséquences à tirer. L'horizon que nous nous étions fixé, c'était 2014. Faut-il revoir le calendrier ? Notre objectif est de passer le flambeau dans la région de la Surobi, que nous sécurisons aujourd'hui, au courant de l'année 2011. Si nous y parvenons, cela nous offrira sans doute des éléments d'analyse et de réflexion. Je ne suis pas fermé à une réflexion, mais il ne faudrait pas prendre de décision prématurée.
J'ajoute que nous devons contribuer à la reconstruction de l'Afghanistan. M. Kucheida nous dit que les regards sont lourds, mais nous avons aussi des témoignages, dont nos militaires se font l'écho, de reconnaissance à l'égard de la France. Nous réalisons, en effet, un travail de reconstruction des routes, et nous soignons des jeunes gens à l'hôpital français de Kaboul.
Nous soutenons, par ailleurs, les discussions de réconciliation avec les talibans en suivant les mêmes « lignes rouges » qu'ailleurs : on peut parler avec ceux qui abandonnent la violence et le terrorisme, et qui acceptent la constitution afghane et les principes démocratiques qu'elle établit. Il faut reconnaître que ce dialogue n'a pas produit des fruits considérables pour le moment, mais il faut continuer.
Le Pakistan sera un acteur incontournable pour une solution politique en Afghanistan. Vous savez que j'ai longuement rencontré le Premier ministre pakistanais ; je lui ai dit que nous étions surpris que M. Ben Laden ait pu vivre pendant plusieurs mois à 50 kilomètres du centre d'Islamabad sans attirer l'attention. Il m'a répondu que c'était « a failure of the intelligence service » – un « échec des services de renseignement », argument dont j'ai pris acte. Mon interlocuteur m'a assuré de sa détermination à lutter contre le terrorisme, qui frappe aussi très durement son pays, et de sa volonté de participer à un processus de réconciliation en Afghanistan avec les Américains et les Afghans.
Je le répète, il nous faut éviter tant la précipitation que l'immobilisme. Le Président de la République l'a redit aujourd'hui même dans un entretien accordé à un grand hebdomadaire français.
J'en viens maintenant au processus de paix et aux conséquences de l'accord entre le Fatah et le Hamas. Nous sommes des amis d'Israël. Nous sommes très attachés à la sécurité de ce pays, à son intégrité territoriale et à la reconnaissance de sa légitimité sur cette terre, qui est celle du peuple juif. Cela dit, le statu quo est intenable. Le gouvernement israélien va vers de graves difficultés s'il ne prend pas conscience des conséquences potentielles des changements géostratégiques actuels. L'Egypte d'aujourd'hui n'est plus celle de Moubarak. Ses dirigeants se sont certes engagés à respecter les traités de paix, mais le contexte n'est plus le même. Des événements se passent aussi en Syrie, avec des répercussions sur la situation au Liban. Nous appelons donc le gouvernement israélien à revenir à la table pour discuter avec les Palestiniens, sur la base des critères que vous savez, notamment pour les frontières.
Pour l'instant, les Américains ont échoué. L'Union européenne est considérée, au Proche-Orient, moins comme un acteur que comme un tiroir-caisse. Les Européens tentaient de définir une politique commune, fondée sur une plus grande fermeté, pour appeler les protagonistes à discuter, quand est survenue la signature de l'accord entre le Fatah et le Hamas. D'aucuns y voient la marque de la crainte du Hamas de perdre des soutiens. Mais nous ne pouvons pas être hostiles a priori à une réconciliation entre Palestiniens, tout en nous demandant ce qu'elle cache. Le Hamas est-il prêt à renoncer au terrorisme et à la violence ? À reconnaître les traités internationaux ainsi que l'existence d'Israël ? L'accord qui sera signé aujourd'hui au Caire est ambigu. C'est pourquoi nous nous sommes contentés d'envoyer un témoin.
La France ne saurait rester passive en attendant le rendez-vous de septembre. Elle va, dans l'intervalle, prendre l'initiative pour déclencher de nouvelles discussions. L'idée serait de transformer la conférence des donateurs de fin juin en véritable conférence politique. M. Netanyahou est à Paris demain ; le Président de la République le recevra et lui exprimera ce que je viens de dire. Aujourd'hui, il est à Londres, où on lui tient le même discours. Quelle va être notre capacité à le faire évoluer ? Vous connaissez l'homme, son caractère et sa détermination. Ce n'est pas un jugement de valeur que je porte. Du côté américain, il y a peu d'initiative aujourd'hui. Notre idée, c'est de tenter l'initiative de la dernière chance de façon qu'en septembre, quand la question de la reconnaissance se posera, l'on puisse se dire que l'on a tout essayé. Nous ne sommes pas décidés à reconnaître l'Etat palestinien en septembre avant d'avoir vu ce qui se passera d'ici là. Cela étant, il ne faut pas se bercer d'illusions : la reconnaissance ne réglera pas tout, même s'il s'agit d'un symbole très fort.
S'agissant de la Côte-d'Ivoire, je ne peux pas laisser dire qu'il y règne un grand désordre. Il reste certes des poches de résistance à Abidjan, mais, globalement, la sécurité s'est considérablement améliorée : la vie quotidienne reprend, l'économie aussi. M. Ouattara a engagé un véritable processus de réconciliation nationale. Il vient de nommer à la tête de la commission Vérité et réconciliation, M. Konan Banny, une personnalité unanimement respectée, qui a toujours tenu une position d'équilibre entre les parties. Kofi Annan était sur place ces derniers jours pour enquêter, et il doit m'appeler pour me donner son sentiment. Les choses vont dans la bonne direction et nous apporterons un soutien marqué à la Côte-d'Ivoire : le Président de la République nous a demandé un plan d'action axé sur le domaine économique et je me rendrai à l'investiture de M. Ouattara à Yamoussoukro. Ce n'est pas faire preuve d'un excès d'optimisme que de dire que le plus difficile est derrière nous.
À propos de l'immigration, la réponse de M. Barroso à M. Berlusconi et à M. Sarkozy est très positive. Pour la première fois, la Commission entre dans notre logique, à savoir que l'immigration illégale est un fléau pour tout le monde, pour les pays d'origine comme pour ceux de destination, et pour les migrants eux-mêmes qui sont traités comme du bétail par certains réseaux. Il faut donc se donner les moyens de l'enrayer grâce à de meilleurs contrôles aux frontières extérieures de l'Union, et en coopération avec les pays d'origine eux-mêmes.
La révolution survenue en Tunisie a eu pour effet d'y faire disparaître la police, donc les contrôles. Il faut aider ce pays à remettre en place un corps des douanes, et il est disposé à signer avec la France un accord de réadmission comme il l'a fait avec l'Italie. Nous réclamons aussi le renforcement de Frontex. Monsieur Myard, le Parlement français a ratifié les accords de Schengen et les traités internationaux prévalent, vous le savez bien, sur la règle nationale. Enfin, M. Barroso accepte l'idée d'une clause de sauvegarde au cas où un État ne serait plus en mesure d'assurer les contrôles à la frontière Schengen.
Au Maroc, les initiatives de la monarchie méritent d'être soutenues. Dès son arrivée au pouvoir, le roi Mohammed VI a fait preuve d'un grand esprit d'ouverture. D'ailleurs, les manifestations n'ont donné lieu de part et d'autre à aucun dérapage. Ensuite, l'attentat de Marrakech montre que des terroristes veulent à tout prix bloquer le processus engagé. La résolution du Conseil de sécurité, qui prolonge la mission des Nations unies au Sahara occidental tient compte des efforts accomplis sur le terrain des droits de l'homme : un conseil des droits de l'homme a été créé, et le Maroc s'est déclaré prêt à accepter des observateurs.
Concernant l'Algérie, la prudence est de mise. Il est difficile d'imaginer que les aspirations de la population n'y soient pas les mêmes que chez ses voisins. Tous les ingrédients sont réunis : une jeunesse nombreuse et désoeuvrée, un régime en place depuis longtemps. J'espère que le régime algérien aura la sagesse d'évoluer. Cependant, souvenez-vous, monsieur Julia, que, quand ils ont gagné les élections municipales en 1992, les Frères musulmans n'avaient rien de modéré ce qui explique que nous ayons approuvé tacitement la décision du gouvernement algérien de ne pas tenir compte de ces élections. Le terrorisme a fait 200 000 victimes en Algérie, et ce traumatisme explique peut-être les réactions propres à ce pays.
Quelque interprétation que vous donniez à ce que j'ai dit à propos de la Libye et de la Syrie, il n'y a pas deux poids et deux mesures. Nous réclamons l'inscription de Bachar Al-Assad lui-même sur la liste des personnes faisant l'objet de sanctions de l'Union européenne, après avoir espéré qu'il évoluerait. Faute d'avoir été entendus, nous avons adopté une position plus stricte, conforme à celle prise à l'égard d'autres pays.
Les Nations unies ont nommé un groupe consultatif d'experts, qui a rendu son rapport sur le Sri Lanka en avril 2011. Les autorités de ce pays considèrent qu'il se fonde sur des éléments partiaux qui n'ont pas été vérifiés. La situation n'est donc pas simple. Nous avons renouvelé notre appel au gouvernement pour qu'il collabore de manière constructive avec la communauté internationale et que la commission sur la réconciliation tire parti du rapport des experts. Nous incitons les autorités sri-lankaises à s'engager, à l'exemple de l'Afrique du Sud, dans un processus Vérité et réconciliation.
Je reviens un instant à la Côte-d'Ivoire pour vous préciser que M. Ouattara avait promis que, si des atrocités avaient été commises par ses partisans, ils seraient identifiés, poursuivis et punis.
Aucune, hélas. Nous pensons que nos deux ressortissants ont été enlevés par des troupes pro-Gbagbo mais nous n'avons pas d'indication.
De mon récent voyage en Tunisie, j'ai retiré l'impression que les élections s'annonçaient plutôt bien – la commission électorale a élaboré un code électoral qui doit être approuvé par le Gouvernement. Une soixantaine de partis politiques entendent y participer, ce qui entraînera un grand émiettement des voix, et sans doute une prime aux sortants, c'est-à-dire à ce qui reste du parti de Ben Ali, et aux Frères musulmans avec le parti Ennahda, dirigé par M. Ghannouchi. Quelle confiance accorder à ces derniers ? Au cours du colloque organisé par l'Institut du monde arabe, j'ai expliqué que l'on ne pouvait ignorer le mouvement de fond qui se manifeste partout dans les pays arabes, pourvu qu'il renonce au terrorisme, et s'engage à ne pas confisquer la démocratie. Comment exclure ceux qui ont accepté ces conditions sous le seul prétexte qu'ils se disent islamiques ? Nous dialoguons bien avec l'AKP. Nous prenons un pari sur la bonne foi des islamistes et sur leur volonté de respecter la démocratie, même si, j'en conviens, les jeunes de Tunis m'ont mis en garde contre la rémanence des vieilles tendances théocratiques. Nous sommes donc ouverts au dialogue, sans être naïfs.
Les contrôles aux aéroports se déroulent conformément aux accords, ceux de Schengen et les autres.
La mort de Ben Laden aura-t-elle des conséquences sur la libération de nos otages retenus au Sahel et en Afghanistan ? En Libye, après plusieurs mois, aucune force n'a pris l'ascendant sur l'autre et Kadhafi est toujours là. Quelle peut-être l'issue du conflit ? Enfin, lors de votre nomination, monsieur le ministre d'État, le président du Rwanda a déclaré que vous ne seriez pas le bienvenu dans son pays. Au-delà de la réaction – très sèche – du Quai d'Orsay, quel est votre sentiment personnel ?
En Côte-d'Ivoire, comment évolue la situation humanitaire que les mouvements de population ont rendue critique ?
N'aurait-il pas mieux valu capturer Ben Laden pour éviter le cri de joie planétaire qui rappelle la loi du talion ? L'Europe qui se flatte de ses valeurs humanistes n'aurait-elle pas dû faire entendre cette voix ? Est-il vrai que Kadhafi garde une certaine popularité à Tripoli ?
Y a-t-il, en Libye, des militaires français au sol ? Si oui, combien sont-ils ? Et quelle est leur mission ? Enfin, quel est le coût de notre intervention ?
Savez-vous quelle était la cible exacte de l'attentat de Marrakech qui, je le précise à toutes fins utiles, a précédé l'élimination de Ben Laden ?
Nous saluons tous la démarche éclairée et courageuse du roi du Maroc. Avez-vous des précisions sur le calendrier des réformes ?
Il était du devoir et de l'honneur des Nations unies et de la France de défendre les civils libyens innocents pris sous le feu des forces de Kadhafi. Nous souhaitons tous un retour le plus rapide possible à la paix civile, condition d'une évolution démocratique. Mais que penser du service européen d'action extérieure dont s'est dotée l'Union européenne pour tenir sa place dans la diplomatie internationale ?
Le « printemps arabe » contribuera-t-il à la relance de l'Union pour la Méditerranée ? L'affrontement historique entre les tribus de Cyrénaïque et de Tripolitaine peut-il conduire à une partition de la Libye ?
La meilleure réponse à l'immigration est le développement. Alors que son avenir est en jeu, l'Europe est-elle prête à accompagner dès maintenant, et massivement, les pays méditerranéens ? Que penser de l'interopérabilité des forces de l'Europe et de celles de l'OTAN en Libye ? Enfin, notre politique étrangère connaît-elle une inflexion durable en se fondant sur des concepts radicalement nouveaux qui prennent en compte les populations civiles et les droits de l'homme ?
Si Ben Laden est mort, le terrorisme est bien vivant. Il est regrettable que les États-Unis aient agi seuls. La crainte de représailles exprimée par M. Guéant justifiera-t-elle des mesures supplémentaires de protection ? La vie des otages français n'est-elle pas menacée, même si M. Longuet s'est félicité des événements ?
Quelle est la situation au Burkina Faso, où il y a eu des morts dans les manifestations ? Et quel peut être le rôle de notre pays, qui garde une influence même si celle-ci a reculé depuis quelques années ?
J'ignore quelles seront les conséquences de l'élimination de Ben Laden sur le sort de nos otages. Elle peut susciter des représailles – et nous devons rester extrêmement vigilants en France comme à l'étranger – ou bien, au contraire, fragiliser les mouvements terroristes et les inciter à se montrer plus ouverts à la négociation, ce qui pourrait débloquer la situation de nos deux journalistes en Afghanistan, de nos quatre otages au Mali, de notre otage en Somalie. Il ne reste qu'à souhaiter que Gérard Longuet ait raison.
Au sujet de la Libye, j'ajoute seulement que le Président de la République veut organiser une conférence des amis de la Libye, pour réunir tous les acteurs qui vont reconstruire le pays : le Conseil national de transition, mais aussi les autorités traditionnelles – les tribus dont une cinquantaine ont lâché Kadhafi – et, le plus difficile, les officiels qui ont fait défection.
Quant au Rwanda, je distinguerai mon sentiment personnel, que je garde pour moi, et l'intérêt de la France. J'espère seulement qu'un jour la vérité historique sera faite sur ce qui s'est passé au Rwanda à partir de 1993. Un rapport du Conseil de sécurité, qui n'a pas fait l'objet d'une grande publicité jusqu'à présent, pointe les crimes commis en République démocratique du Congo. Sur un plan diplomatique, nous avons intérêt à avoir de bonnes relations avec le Rwanda et le processus amorcé par le Président de la République doit être poursuivi dans des conditions convenables. M. Kagamé a dit que je ne serais pas le bienvenu au Rwanda, et je lui ai répondu que je n'avais pas l'intention d'y aller tant que circulerait le rapport qui met en cause M. Mitterrand, M. Balladur, M. Védrine, M. de Villepin, M. Léotard, moi-même et l'armée française. Ce tissu d'inventions et de mensonges est destiné à créer un contre-feu à l'instruction judiciaire menée en France. Comme je l'ai dit devant la commission de l'Assemblée nationale présidée par M. Quilès, l'opération Turquoise est à l'honneur des militaires français qui ont sauvé des centaines de milliers de vies.
La situation humanitaire en Côte-d'Ivoire est très difficile. Nous avons débloqué une aide d'urgence de 2,5 millions d'euros, nous réapprovisionnons en médicaments les hôpitaux d'Abidjan et, surtout, nous mobilisons les fonds européens, monsieur Myard, car nous sommes plus généreux à vingt-sept que tout seul. La difficulté réside avant tout dans le retour des centaines de milliers de déplacés, en particulier des réfugiés au Liberia, qui sera possible une fois la paix consolidée – d'où la nécessité de prolonger la mission de l'ONUCI. En revanche, nous réduirons progressivement le format de la force Licorne jusqu'à nous retirer de Côte-d'Ivoire puisque notre positionnement est désormais axé sur Djibouti et le Gabon.
Monsieur Clément, les États-Unis ne nous ont pas demandé notre avis ! Je comprends vos scrupules de juriste, mais je ne pleurerai pas sur le cadavre de Ben Laden. Oui, Kadhafi est populaire à Tripoli – auprès de ceux qui sont sous sa coupe. Il arrive qu'un dictateur soit acclamé un jour et conspué le lendemain. Ne prêtons donc pas trop d'importance à l'enthousiasme des foules tripolitaines.
Il n'y a sur le sol libyen que des instructeurs, une dizaine d'officiers de liaison qui aident le Conseil national de transition à s'organiser. Je n'ai pas en tête le coût de l'opération en Libye, mais M. Longuet vous a précisé qu'elle restait à l'intérieur de l'enveloppe OPEX.
À Marrakech, l'enquête avance. Des enquêteurs français sont venus en soutien des enquêteurs marocains. On semble avoir identifié deux suspects mais il n'y a pas eu de revendication. On a sans doute ciblé les touristes, comme en Indonésie ou ailleurs, pour déstabiliser l'économie. Il se trouve que beaucoup d'entre eux sont français mais il n'y a aucune raison de penser que la France était visée.
Le roi du Maroc a affiché un calendrier et mis en place une commission de réforme constitutionnelle qui rendra son rapport en juin. Sur cette base, il engagera ensuite rapidement une réforme limitant les pouvoirs du roi et instituant un pouvoir exécutif de plein exercice. C'est pourquoi j'ai parlé de monarchie constitutionnelle.
J'ai beau tendre l'oreille depuis plusieurs jours, je n'entends guère le service européen pour l'action extérieure. Mon collègue suédois a infligé une volée de bois vert à notre Haute représentante. Le service d'action extérieure n'est pas très ancien ; il faut qu'il apprenne à réagir en temps réel.
Le printemps arabe est une occasion de relancer l'UPM qui correspond à une vision stratégique. L'immigration clandestine est un fléau mais il n'est pas question de construire un mur au milieu de la Méditerranée. La seule solution à long terme, c'est de permettre aux jeunes, qu'ils soient égyptiens, tunisiens ou marocains, de vivre au pays dans la liberté. Et c'est pour nous un enjeu vital puisqu'en 2050, l'Afrique comptera 2 milliards d'habitants. L'UPM peut bénéficier de tous les mécanismes de l'Union européenne : le fonds de voisinage et de proximité, les facilités diverses et la BEI. Nous souhaitons aussi que la BERD étende ses compétences aux pays du Sud. L'Europe a un énorme effort d'accompagnement à faire, nos partenaires en sont conscients. La création d'un office méditerranéen de la jeunesse aurait un impact positif. En tant que président du G8, le Président de la République a invité la Tunisie et l'Égypte dans le but de sensibiliser les grandes puissances économiques et d'élaborer un plan d'action.
Entre l'OTAN et l'Union européenne, il n'y a pas beaucoup d'interopérabilité parce que la seconde n'opère pas. Mais je ne me résigne pas à cette situation. Il faut relancer la politique commune de sécurité et de défense. Nous avons écrit en ce sens à Mme Ashton qui doit faire des propositions au conseil des ministres des affaires étrangères des 23 et 24 mai. Mais il n'y a pas que des échecs : l'opération Atalante est une réussite, comme celle menée au Congo.
Quant à la politique étrangère de la France, ce n'est pas d'aujourd'hui qu'elle défend les droits de l'homme même si nous nous sommes laissé intoxiquer par des dictateurs qui expliquaient qu'ils étaient le meilleur rempart contre l'islamisme. Nous avons eu tort et nous devons être aujourd'hui plus exigeants que jamais en matière de démocratie. Il n'y a pas, à l'exception peut-être de la Chine, de développement économique sans liberté.
La négociation pour la libération d'Hervé Ghesquière et de Stéphane Taponier a failli aboutir en début d'année, mais un blocage de dernière minute a surgi. Nous avons repris les discussions mais, pour ne pas susciter de faux espoirs, je ne donnerai pas d'information plus précise. Il en va de même au Mali.
Au Burkina Faso, des militaires se sont révoltés parce qu'ils considéraient être maltraités. Le Président Compaoré a changé son équipe ministérielle et la situation s'est apaisée. Cela dit avec toute la prudence requise, je souhaite que les pays africains tiennent compte de ce qui se passe ailleurs car les mêmes causes produisent les mêmes effets. Certains y parviennent, tel le Niger qui a réussi ses élections. Des élections sont en préparation dans une dizaine d'États africains et ne rien faire en Côte-d'Ivoire aurait constitué un contre-signal pour l'ensemble de l'Afrique.
Monsieur le ministre d'État, nous vous remercions d'avoir répondu en détail à l'ensemble de nos questions.
La séance est levée à dix-huit heures trente.