La séance est ouverte à 17 heures.
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.
La Commission examine en application de l'article 88 du Règlement, les amendements à la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la solidarité des communes dans le domaine de l'alimentation en eau et de l'assainissement des particuliers (n° 2305) (M. Guy Geoffroy, rapporteur).
Article 1er (art. L. 2224-12-3-1, L. 2571-2 L. 2572-40 et L. 6213-7 du code général des collectivités territoriales) : Subvention des opérateurs des services publics d'eau potable et d'assainissement au fonds de solidarité pour le logement :
La Commission adopte un amendement CL 1 de précision présenté par le rapporteur.
Elle accepte un amendement de précision n° 14 de M. Guy Geoffroy, puis elle repousse les amendements nos 5 et 4 de M. Jacques Valax.
Elle est ensuite saisie d'un amendement n° 11 de M. Guy Geoffroy.
Cet amendement a pour objet de mettre en place le dispositif de tarification sociale pour l'accès à l'eau qui avait été évoqué lors de la précédente réunion.
La Commission accepte cet amendement, puis elle repousse l'amendement n° 2 de M. André Flajolet, l'amendement n° 13 de M. Gérard Charasse et l'amendement n° 7 de M. Jacques Valax.
Après l'article 1er :
La Commission repousse l'amendement n° 1 de M. Michel Zumkeller.
Article 2 : Rapport au Parlement sur la mise en place d'une allocation de solidarité pour l'eau :
La Commission repousse l'amendement n° 9 de Mme Marie-George Buffet.
Elle accepte ensuite l'amendement n° 12 de M. Guy Geoffroy ayant pour objet de porter de trois à six mois le délai dans lequel le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport sur la mise en oeuvre du volet préventif de garantie de l'accès à l'eau.
Titre :
La Commission repousse l'amendement n° 10 de Mme Marie-George Buffet.
Puis, la Commission procède à l'audition de M. Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le projet de loi organique et le projet de loi relatifs au Défenseur des droits (n° 2573 et 2574).
Monsieur le ministre, nous avons le plaisir de vous accueillir pour la première fois en qualité de garde des Sceaux – ce ne sera évidemment pas la dernière – à la commission des lois. Vous nous présentez aujourd'hui les deux textes relatifs au défenseur des droits, institution que nous avons entendu créer en votant l'article 71-1 de la Constitution. Je vous cède la parole pour un propos liminaire, à la suite duquel notre rapporteur Pierre Morel-A-L'Huissier ainsi que d'autres collègues vous poseront leurs questions.
Merci pour vos paroles de bienvenue. Nous aurons en effet plusieurs occasions de nous revoir dans les semaines qui viennent, puisque nombre de textes qui intéressent la commission des lois sont inscrits à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, notamment celui sur la garde à vue, qui devrait venir en discussion au cours du mois de janvier.
Les deux textes que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui s'inscrivent dans une démarche globale voulue par le Président de la République, qui vise à renforcer la garantie des droits et libertés de nos concitoyens. Ils font suite à la révision de la Constitution, aux côtés d'autres dispositions telles que celle relative à la question prioritaire de constitutionnalité.
C'est le comité Balladur qui a le premier, dans sa préconisation n° 76, proposé que puisse être saisi directement par tous les citoyens et par toute personne s'estimant lésée par le fonctionnement d'un service, un défenseur des droits. La révision constitutionnelle de juillet 2008 a consacré cette nouvelle autorité en fixant le cadre de ses attributions et de ses modalités d'intervention dans l'article 71-1 de la Constitution. En inscrivant le défenseur des droits dans la norme suprême, le constituant a manifesté l'autorité qu'il entend lui reconnaître, à l'instar des États membres de l'Union européenne qui avaient déjà donné rang constitutionnel à ce type d'institution, l'Espagne, le Portugal ou encore la Suède. Parce que la saisine du juge reste difficile, parce qu'un regard en équité est parfois indispensable, il fallait créer le défenseur des droits et exprimer l'importance qui s'attache à cette institution. Reste à en préciser les contours : c'est l'objet des textes qui vous sont soumis.
Voici donc une réforme d'ampleur. Votre rapporteur, dont je salue le travail déjà riche et approfondi, partage – je crois – ses grands objectifs. Il s'agit de mettre en place une autorité au périmètre large pour plus de clarté dans la défense des droits et des libertés, et aux prérogatives fortes pour une protection plus efficace de ces droits et libertés.
Nous sommes partis d'un constat. La multiplication des autorités administratives indépendantes – plus de quarante à ce jour – répond à une double préoccupation : protéger les droits et libertés des citoyens face au poids de l'administration et à l'essor de certaines technologies, et développer la régulation dans les divers secteurs de la vie économique. C'est une évolution légitime, que l'on observe dans de nombreux pays. Elle n'en soulève pas moins des questions. Je tiens d'ailleurs à saluer, à cet égard, la qualité des travaux de MM. Vanneste et Dosière, et je partage bien des conclusions de leur excellent rapport sur les autorités administratives indépendantes. Les textes que je vous présente aujourd'hui permettent de répondre à nombre de leurs préoccupations, notamment en ce qui concerne le regroupement de certaines autorités administratives indépendantes. Si la mission de celles-ci est essentielle, la coexistence de structures diverses crée en effet des difficultés. L'organisation actuelle manque de clarté pour nos concitoyens, et peut même nuire à la cohérence de l'action de ces autorités.
C'est à ces questions que cherchent à répondre les textes qui vous sont soumis. Il s'agit d'instituer une structure unique, plus large, plus visible et plus facilement identifiable, dont la saisine par les citoyens sera facilitée – elle est directe et gratuite. Il n'y a donc aucune entrave à la saisine du défenseur des droits, y compris pour les mineurs. Le défenseur aura par ailleurs la possibilité de s'autosaisir dans tous les domaines de sa compétence. À ce stade, et grâce notamment aux travaux du Sénat, il regroupe les compétences du médiateur de la République, de la commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), du défenseur des enfants et de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE). Il bénéficie ainsi d'une vision transversale de la protection des droits et libertés.
Cette autorité plus visible jouit d'un statut renforcé et de garanties d'indépendance et d'autorité. Le mode de nomination du défenseur des droits – par décret en conseil des ministres après avis des commissions compétentes des deux assemblées –, les immunités dont il bénéficiera et les incompatibilités auxquelles il sera soumis, participent du renforcement de son statut.
Le défenseur des droits se voit reconnaître des pouvoirs étendus, à commencer par ses pouvoirs d'investigation et de contrôle. Il pourra procéder à des vérifications sur place, voire à des visites inopinées – ce qui répond à une revendication ancienne, notamment dans le champ de la lutte contre les discriminations. Des sanctions pénales sont prévues pour quiconque ferait opposition à ces pouvoirs d'investigation sans raison valable. Il dispose également d'un pouvoir d'injonction. Si ses recommandations restent sans effet, il peut prendre les mesures nécessaires, et le cas échéant publier un rapport spécial. Il peut proposer la conclusion de transactions pour mettre fin aux litiges.
Enfin, il peut présenter des observations dans des affaires en cours, soit spontanément soit à l'invitation de la juridiction ou d'une des parties au litige – et cela, qu'il s'agisse d'une affaire civile, administrative ou pénale. Il se voit d'autre part reconnaître, conformément à la proposition de Jean-Paul Delevoye, le droit de saisir le Conseil d'État, ce qui lui permettra de faire trancher une question sur l'interprétation de textes. Il pourra en outre faire des propositions pour améliorer la réglementation.
Doté d'importants moyens d'expertise, il sera assisté par des adjoints et des collèges, qui lui apporteront leurs compétences dans chacun de ses domaines d'intervention. Une attention toute particulière est donnée à la protection des mineurs : un des adjoints portera le titre de défenseur des enfants. Il n'en est pas moins indispensable de conserver toute son unité à cette nouvelle autorité, sous peine d'entamer l'efficacité de son intervention.
Voilà donc où nous en sommes à l'issue du débat au Sénat. Mais il convient encore d'enrichir les textes pour trouver l'équilibre nécessaire.
Le Sénat a procédé à des modifications majeures en intégrant les attributions de la HALDE dans le champ de la nouvelle autorité et en créant auprès du défenseur les adjoints qui permettront d'éclairer ses décisions. J'appelle cependant votre attention sur la nécessité de trouver un équilibre dans la définition des compétences et l'organisation de la nouvelle autorité. Le Sénat a renforcé le pouvoir des collèges, en rendant leur intervention contraignante pour le défenseur. Cette évolution risque de dénaturer la nouvelle autorité, et elle ne répond pas à la volonté du constituant – la Constitution dispose que « les collèges assistent le défenseur ». De même, les adjoints doivent être les collaborateurs de la nouvelle autorité : à ce titre, ils ne disposent pas de pouvoirs propres. Enfin, s'il est normal d'exiger un rapport d'activité, faut-il demander des rapports multiples ? Donnons à la nouvelle autorité les moyens de fonctionner, et laissons le défenseur définir sa pratique institutionnelle !
Permettez-moi enfin de vous faire part de mes réserves quant à l'idée que le défenseur des droits puisse se saisir de litiges entre personnes publiques. Ce n'est ni sa vocation, ni son intérêt. J'y suis donc hostile.
Avec le défenseur des droits, nous renforçons les modes alternatifs de règlement des litiges intéressant les citoyens et les administrations. Garant du bon fonctionnement des juridictions, je suis profondément soucieux qu'elles jouent tout leur rôle. Le défenseur des droits se situera, lui, sur un terrain qui lui est propre. Nous ouvrons ainsi des perspectives nouvelles pour une meilleure protection des droits et des libertés.
Je viens d'être informé du projet de M. le Président de la République de nommer M. Éric Molinié, vice-président du collège de la HALDE depuis le 8 septembre 2010, en qualité de remplaçant de Mme Bougrab à la présidence de cette autorité. Nous l'auditionnerons sans doute dans les prochains jours.
La commission Balladur avait proposé la création d'un défenseur des droits des citoyens par la Constitution. Depuis la révision du 23 juillet 2008, nous avons donc un article 71-1, qui donne un cadre pour la nomination du défenseur – application de la procédure du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution –, pour son champ de compétence – le respect des droits et libertés –, pour le compte rendu de son activité – au Président de la République et au Parlement. Il renvoie en revanche à la loi organique le soin de préciser le champ effectif de ses compétences, ses modalités de saisine, ses attributions et ses modalités d'intervention, ainsi que son assistance éventuelle par un collège. Nous devons donc prévoir une architecture simple et des instruments efficaces, pour que le défenseur des droits remplisse pleinement sa mission et apparaisse réellement comme un moyen pour les citoyens d'obtenir des réponses en équité, dans des délais raisonnables et avec un minimum de procédure.
Dans un souci d'ouverture, j'ai auditionné non seulement les AAI incluses dans le champ du projet de loi, mais également des AAI connexes, compétentes en matière de droits et libertés : commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), commission d'accès aux documents administratifs (CADA), commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS)... L'audition de Mme Marie Louise Cava de Llano, défenseur du peuple espagnol, nous a montré d'autre part que le défenseur peut exercer une magistrature d'influence, même en l'absence de pouvoirs coercitifs.
À l'issue de la discussion des projets de loi en première lecture au Sénat, le défenseur des droits a un périmètre encore plus large que celui prévu par le Gouvernement : il exercerait non seulement les compétences aujourd'hui dévolues au médiateur de la République, au défenseur des enfants et à la CNDS, mais également celles de la HALDE. J'envisage de proposer qu'il exerce en sus celles du contrôleur général des lieux de privation de liberté, à l'issue du mandat de l'actuel contrôleur général, en juin 2014.
Dans un souci d'efficacité, il est proposé un mécanisme d'assistance par des adjoints ainsi que, dans certains cas, par des collèges. De même que le Sénat a souhaité un adjoint spécifique pour la défense des droits des enfants, je souhaite qu'un adjoint soit chargé de la médiation entre les particuliers et l'administration, afin que les tâches aujourd'hui assumées avec succès par le médiateur de la République ne soient pas diluées dans la nouvelle institution. De même, il me semble important qu'un collège soit créé pour la défense et la promotion des droits de l'enfant. Avant d'arrêter la mienne, je souhaiterais connaître votre position sur ces différents points.
La Constitution a prévu une incompatibilité entre la fonction de défenseur des droits et tout mandat parlementaire ou gouvernemental. Le texte organique propose d'aller plus loin, en interdisant l'exercice de tout mandat électif. Je proposerai pour ma part d'excepter les mandats locaux de cette interdiction.
Enfin, je m'interroge sur le calendrier d'entrée en vigueur de la loi organique et sur la date à laquelle le défenseur des droits succédera aux autorités indépendantes qu'il intègre. Peut-on attendre encore plusieurs mois, ou bien un régime transitoire est-il envisagé ?
Je souhaite aussi que le débat à l'Assemblée permette de définir clairement la nature juridique des actes et des décisions du défenseur des droits.
J'ai bien noté, enfin, que le collège « assiste » le défenseur, que ses adjoints sont des « collaborateurs » et qu'il appartient au défenseur des droits de fixer les modalités de son activité.
Beau texte que celui-ci pour inaugurer un mandat de garde des Sceaux ! Je n'ai qu'un regret - très formel - sur son nom : sans doute aurait-il été plus opportun de l'appeler défenseur des libertés, car défenseur des droits sous-entend que l'on dispose de moyens de coercition pour faire respecter ces droits, ce qui n'est hélas pas le cas.
Il est souhaitable que ce texte soit soutenu par un large consensus. Nous y sommes prêts, sous réserve d'un certain nombre de modifications, rendues nécessaires par les conditions chaotiques du débat au Sénat. Nous avons donc déposé bon nombre d'amendements, la plupart du temps rédactionnels.
Nous n'avons pas de désaccord sur le fond, c'est-à-dire sur la nécessité de créer ce défenseur des droits – la Constitution en a du reste décidé ainsi. Faisons donc en sorte qu'il puisse travailler au mieux, dans l'intérêt collectif et surtout dans celui des libertés qu'il veut préserver.
Permettez-moi cependant quelques questions. La plupart des personnalités qui ont été auditionnées ont soulevé le problème de l'indépendance du défenseur des libertés – y compris la défenseure du peuple espagnol, institution qui a inspiré le comité Balladur. Vous l'avez dit, la constitutionnalisation du défenseur des droits en fait une institution stable. Elle me paraît tout de même souffrir d'une difficulté quant à sa légitimité : seule l'indépendance pourra asseoir cette légitimité ; un contre-pouvoir nommé par le pouvoir ne saurait être qu'un alibi. Puisque nous ne pouvons plus changer le mode de nomination du défenseur – même si, je le rappelle, le comité Balladur en avait proposé un autre, l'élection à une majorité des trois cinquièmes par le Parlement – je vous propose un autre moyen de réduire la dépendance du défenseur vis-à-vis de l'exécutif : faire élire les présidents des collèges à la majorité des trois cinquièmes des commissions compétentes, à partir d'une proposition faite par le défenseur des droits. De cette manière, les présidents des collèges seraient véritablement indépendants, et le défenseur pourrait s'appuyer sur cette légitimité.
Le périmètre de l'intervention du défenseur est un sujet dont nous allons sans doute beaucoup discuter. Sur le principe, prenez-vous l'engagement que le défenseur hérite de la totalité des prérogatives des AAI qu'il absorbe ? À ce jour, ce n'est pas le cas. J'ai noté la subtilité de certaines formules du pré-rapport du rapporteur : ici, telle prérogative « s'inspire » de celle de telle AAI ; là, tel élément est « très proche » de ce qui existe dans l'AAI ; plus loin encore, on lit que le Sénat « s'est efforcé de conserver » tel droit… La réalité est que sept des prérogatives des actuelles AAI ne sont pas renvoyées au défenseur des droits. Dans son avis du 30 septembre sur le texte du Sénat, la commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) a d'ailleurs indiqué que « les pouvoirs donnés au défenseur des droits restent sur certains points inférieurs à ceux dont disposent les autorités absorbées ». Je n'en donne qu'un exemple : dans le cadre de l'article 6 de la loi du 6 juin 2000, la CNDS peut procéder à des vérifications inopinées sur place sans aucune limitation ; le défenseur des droits, lui, peut se voir opposer des restrictions. Accepterez-vous dès lors les amendements qui se contentent de transférer les pouvoirs des AAI au défenseur des droits ?
Ma dernière question porte sur la cohérence des missions du défenseur des droits. Puisqu'il fusionne les missions de différentes AAI, il va devoir conjuguer des missions de médiation et des missions de contrôle, qui sont de nature différente. L'étude d'impact de septembre 2009 nous indique d'ailleurs, en page 33, qu'une « telle configuration pourrait s'avérer contre-productive » puisque « l'efficacité de l'action du défenseur ne serait que difficilement garantie dans certains domaines d'intervention marqués par une technicité particulière ». Quel est votre avis ? Pourquoi persister à conjuguer ces missions alors que vous en connaissez les risques ?
Je vous ai écouté avec attention, Monsieur le ministre. Vous avez rappelé l'importance de la réforme constitutionnelle. Le défenseur des droits, avez-vous également dit, a vocation à rassembler un certain nombre d'institutions importantes. Vous n'ignorez pas que la défenseure des enfants, Mme Versini, a fait campagne contre cette réforme qui, selon elle, mettrait à mal une institution irremplaçable. En ce qui me concerne, je me réjouis d'avoir voté la réforme de la Constitution, et notamment cette proposition du comité Balladur, dont un certain nombre de nos collègues – tels Dominique Perben ici présent – étaient membres. Cette législature, qui a voté aussi la question prioritaire de constitutionnalité, aura vraiment permis une avancée considérable dans la défense des droits.
Notre collègue Urvoas propose d'élire les présidents de collège. Pour ma part, j'estime qu'il faut s'en tenir à l'esprit de la réforme constitutionnelle. Néanmoins, un certain nombre d'institutions – le médiateur de la République, la HALDE, le défenseur des enfants, la CNDS, à laquelle j'en ajouterais une cinquième, toute récente, le contrôleur général des lieux de privation de liberté – ont fait leurs preuves, souvent grâce à la personnalité de ceux qui les dirigent. Soyons clairs : la Constitution prévoit de fondre toutes ces institutions en une seule, le défenseur des droits. Ce sera à la personnalité qui sera nommée de faire vivre l'institution. Nous avons parlé de l'Espagne ; on peut aussi penser à la République tchèque, où l'ombudsman, par sa personnalité et ses prérogatives, dispose d'un statut tout à fait exceptionnel.
Les questions posées par des institutions qui ont fait leurs preuves et qui vont disparaître, même si elles renaissent sous la forme de collèges spécifiques, sont légitimes. Il faut donc rassurer, garantir que l'immense travail qui a été accompli, notamment la vigilance sur les droits et libertés, sera poursuivi, avec une insistance particulière sur la défenseure des enfants. On ne peut laisser dire que le défenseur des droits va mettre à bas tout ce qui a été fait pour la défense des enfants ! Nous avons voulu rationaliser. Il était donc important que vous remettiez cette future institution en perspective et que vous rappeliez l'importance de la réforme de la Constitution. C'est avec confiance que nous devons aborder ces textes.
Je relève le paradoxe que ces projets, qui visent – dites-vous – à renforcer les droits et garanties fondamentaux, ont suscité de telles résistances au Sénat, au point que le Gouvernement a dû recourir une fois de plus à une deuxième délibération pour faire rejeter les amendements qui ne s'inscrivaient pas dans sa logique.
Plus grave, les associations et des institutions comme la CNCDH s'inquiètent du risque de dilution des mandats spécifiques des institutions spécialisées dans une institution polyvalente, avec la réunion sous une même autorité de compétences aussi différentes que celles liées à la déontologie de la sécurité, à la protection des enfants, à la lutte contre les discriminations et à la médiation – et l'on propose d'y ajouter encore celles du contrôleur général des lieux de privation de liberté !
Il y a une contradiction – sur laquelle j'aimerais vous entendre, Monsieur le ministre – entre la présentation que vous faites de ces textes et l'appréciation que portent sur eux nombre d'institutions et d'associations : le défenseur des enfants, mais aussi l'UNICEF, Jean-François Mattei, président de la Croix-Rouge française, ATD-Quart monde… Je vous fais grâce de la liste complète : il y en a six pages ! Je n'en ai pas trouvé en revanche, qui soutienne les textes.
Après le débat au Sénat, je ne sais ce qui se passera à l'Assemblée nationale. Pour ma part, je partage l'opinion de la CNCDH, selon laquelle « la création d'un défenseur des droits aurait pu être saluée comme une chance de garantie effective des droits de l'Homme et des libertés fondamentales si ce défenseur devenait le garant de l'indépendance des autorités oeuvrant dans le champ des droits de l'Homme et des libertés, et s'il favorisait une communauté de moyens, de progrès et d'idées au service de la défense des droits de l'Homme. » Ce n'est pas le cas. Aussi, je souhaite que la discussion dans notre Assemblée s'inspire des observations de la CNCDH. En l'état actuel des textes, compte tenu de son mode de nomination, le défenseur des droits ne sera pas indépendant. Un des moyens de remédier à cette difficulté serait, comme l'a suggéré notre collègue, de rendre les collèges indépendants en choisissant un autre mode de nomination.
Le vote de ces textes sera une heure de vérité pour la réforme constitutionnelle de 2008. Le défenseur des droits est en effet issu de cette réforme. De plus, René Dosière et moi-même avons été chargés par le comité d'évaluation et de contrôle – également issu de cette réforme – d'une mission sur les autorités administratives indépendantes. Dans ce cadre, nous ferons naturellement un certain nombre de propositions. Enfin, la grande annonce de la réforme constitutionnelle était la revalorisation du pouvoir législatif par rapport au pouvoir exécutif : le tout est de savoir si cela sera vérifié lors du vote de ces textes.
Quelques points nous paraissent devoir être soulignés – je parle bien entendu sous le contrôle de René Dosière. Tout d'abord, il y a un accord sur la nécessité de rationaliser le dispositif des autorités administratives – on pourrait dire de transformer le parc à l'anglaise en jardin à la française - pour lui conférer plus d'efficacité, de visibilité et de puissance, et peut-être aussi réduire son coût.
Plus délicate est la question de la légitimité. On a pu dire, assez justement, que les autorités administratives indépendantes étaient un oxymore : ou bien on est administratif et on obéit au Gouvernement, ou bien on est indépendant et on peut lui désobéir ! Dans l'esprit même de la réforme constitutionnelle, nous proposons donc de faire en sorte que l'indépendance du défenseur soit garantie par le législateur. La nouvelle institution serait ainsi à la fois respectueuse de la République et suffisamment distante pour pouvoir jouer un rôle efficace dans le fonctionnement de nos institutions. Les adjoints, c'est-à-dire les responsables des différentes « branches » de compétence du défenseur des droits, devraient donc être désignés par les trois cinquièmes des commissions compétentes des deux assemblées – bref, il s'agit de transformer le « vote négatif » en « vote positif ». On s'assurerait ainsi que les personnes désignées sont au-dessus des clivages partisans.
Il faut également équilibrer les différents rouages du défenseur des droits. Il ne me semble pas logique de maintenir un défenseur des enfants s'il n'est pas, lui aussi, encadré et soutenu par un collège. Cela répondrait d'ailleurs à ce qui a été évoqué par mes collègues : la volonté de l'actuel défenseur des enfants de se manifester en toute indépendance – en trop grande indépendance – alors que son existence dépend de nous. Le responsable d'une administration n'a pas à exiger sa propre existence si le législateur s'y oppose… Mettre le défenseur des enfants au même niveau que les deux autres adjoints serait donc judicieux.
Il est prévu de rattacher la CNDS au défenseur des droits. Cela ne nous paraît guère logique, car elle a une compétence voisine de celle du contrôleur des lieux de privation de liberté. C'est ce regroupement-là que nous proposons – et puisque le contrôleur est en place jusqu'en 2014, nous souhaitons que l'on suspende l'intégration de la CNDS au défenseur des droits et que l'on prévoie sa fusion avec le contrôleur en 2014. Il s'agit plus d'une différence de stratégie que d'une différence d'objectifs.
Enfin, il serait bon qu'il n'y ait pas de parlementaires dans les collèges. En revanche, il faut exiger une reddition des comptes annuelle par les responsables des autorités administratives indépendantes.
Parce que les autorités administratives indépendantes manquent en effet de visibilité et qu'une autorité unique sera plus aisément identifiable par nos concitoyens, je ne peux qu'être favorable à la création du défenseur des droits.
En outre, une saisine gratuite et directe change considérablement la donne, nos compatriotes n'ayant désormais plus besoin de l'intermédiaire d'un avocat ou d'un parlementaire pour faire valoir leurs droits.
Quel sera le rôle du défenseur des droits par rapport à ses adjoints, étant entendu que chacun d'entre eux représente l'une des autorités fusionnées et qu'il bénéficiera d'une grande autonomie, tant en ce qui concerne la gestion des personnels que celle des moyens alloués ?
Quelle sera l'autonomie budgétaire de cette nouvelle autorité ? Il est indispensable qu'elle dispose de ressources pérennes et proportionnées à ses prérogatives et ses champs d'intervention.
Si je m'associe aux questions relatives à l'indépendance de cette nouvelle autorité qu'ont posées mes collègues, je souhaiterais savoir ce que pense Monsieur le ministre des déclarations faites au mois de juin par Mme Bougrab au journal Le Monde. Ancienne présidente de la HALDE aujourd'hui membre du Gouvernement, elle s'était étonnée de la remise en cause d'une institution dédiée à la défense de l'égalité, dans un pays où les discriminations sont pourtant nombreuses.
Par ailleurs, si la constitutionnalisation du défenseur des droits n'est pas mauvaise en soi, ce sont d'abord les conditions concrètes de sa saisine et les moyens humains et matériels qui seront mis à sa disposition qui importent. À ce titre, je m'interroge, notamment, sur le maintien des emplois de personnels qualifiés affectés à l'ensemble des AAI fusionnées. Une analyse de l'augmentation des requêtes sera-t-elle effectuée afin de mieux prendre en compte ces dernières ?
Je partage évidemment l'analyse formulée par M. Vanneste puisqu'elle est issue en droite ligne des travaux du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC). À ce propos, Monsieur le ministre, si je me réjouis de l'hommage que vous avez rendu à ce dernier, ma satisfaction serait plus vive encore si vous en adoptiez les conclusions.
Un projet concernant les libertés publiques devrait recueillir un vaste consensus. Or, si tel est le cas dans un certain nombre de pays, c'est parce qu'il appartient aux parlements de nommer le défenseur ; si cela ne doit pas être chez nous, pourquoi ne pas faire au moins en sorte que ses adjoints le soient ? Êtes-vous prêt à faire des compromis ? Accepterez-vous une éventuelle modification substantielle de la loi en laissant au Parlement le dernier mot ?
Si ce texte résulte directement de la réforme constitutionnelle, la suppression des AAI, sous couvert de leur rationalisation, s'explique aussi par le caractère dérangeant qu'elles revêtaient pour le Gouvernement.
En tout cas, la crédibilité d'un tel projet suppose de connaître précisément les moyens qui seront alloués et, notamment, ceux dont disposera la « Halde fusionnée » alors que cette institution avait acquis une autorité réelle. Qu'adviendra-t-il de ses pouvoirs d'investigation et de médiation, ainsi que de son indépendance ?
Par ailleurs, le défenseur des enfants étant issu d'une convention internationale, les missions qui lui sont dévolues pourront-elles s'exercer conformément à nos engagements et de façon indépendante ?
Vous pouvez entrer dans l'Histoire, Monsieur le Garde des Sceaux, comme celui qui aura défendu un texte emblématique pour notre République tout entière – encore faut-il que vous nous écoutiez.
Il n'est pas exact que la réforme constitutionnelle aurait mécaniquement impliqué la fusion des AAI puisque cela relève du seul article 33 de la loi organique dont nous discutons.
Par ailleurs, nos propositions permettent d'équilibrer un projet – dont la justification par la nécessité de mettre en place un contre-pouvoir constitue bien un alibi qui ne trompe personne –, en permettant notamment la désignation des adjoints du défenseur des droits par le Parlement. En revanche, les parlementaires n'ont pas leur place au sein des collèges, leur mission consistant bien plutôt à se saisir des préconisations du défenseur.
En outre, si je suis un peu surpris d'entendre certains affirmer que l'intégration des AAI est de bonne politique à condition que telle ou telle y échappe, je me réjouirais néanmoins que le Gouvernement accepte d'en discuter dans le détail. Sinon qu'il convienne à tout le moins d'intégrer pleinement les pouvoirs dont elles disposent dans la nouvelle institution, tant ils sont précieux comme en attestent, par exemple, les rapports de la CNDS.
De surcroît, Monsieur le rapporteur, ce serait un contresens que de ne pas rendre incompatible la fonction de défenseur avec l'exercice d'un mandat électif local dès lors que, selon la Constitution, ce dernier veille au respect des droits et libertés par les administrations de l'État, certes, mais, également, par les collectivités territoriales.
Enfin, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une discussion sur les moyens dont disposera le défenseur. Rappelez-vous que la CNIL n'a dû son salut qu'à la pugnacité de son président : ce n'est pas avec des moyens-croupions que l'on défendra la noblesse d'une mission !
L'intégration des AAI se fera avec l'ensemble de leurs compétences, de leurs pouvoirs et de leurs moyens : j'approuverai tout amendement qui ira en ce sens.
Monsieur le rapporteur, aucun obstacle juridique ne s'oppose à ce que les attributions actuellement dévolues au contrôleur général des lieux de privation de liberté soient transmises au défenseur des droits comme l'avait d'ailleurs demandé le comité Balladur. Si le Gouvernement ne l'a pas proposé d'emblée, et si le Sénat ne l'a pas spécifié non plus, c'est que la mission du contrôleur présente un certain nombre de particularités : il procède à des contrôles et à des vérifications indépendamment de tout fait signalé ou de tout litige alors que le défenseur jouera plutôt un rôle d'intermédiation dans un litige en cours.
Par ailleurs, l'institution du contrôleur général des lieux de privation de liberté est récente : M. Jean-Marie Delarue ayant été nommé pour six ans le 13 juin 2008, et effectuant sa mission à la satisfaction de tous, il ne me semble pas opportun de remettre cette dernière en cause. Après 2014, si l'Assemblée nationale souhaite une intégration au sein de la nouvelle autorité, le Gouvernement n'y voit aucune objection de principe.
S'agissant du rôle des adjoints et des collèges, le Gouvernement défend un point de vue peut-être différent de celui du Sénat. Le défenseur des droits étant le seul titulaire de la mission et l'unique dépositaire de l'autorité définie à l'article 71-1 de la Constitution, les collèges ne sauraient être considérés comme des autorités collégiales, leur mission consistant à l'assister et à éclairer son action par leurs avis facultatifs : il n'est pas question de mettre en place une procédure de co-décision.
Si la Constitution, à ce propos, est muette, il est certain qu'on ne peut l'outrepasser !
En l'occurrence, la Chancellerie est favorable à l'ensemble des propositions formulées par M. le rapporteur.
Si, par ailleurs, et compte tenu de l'importance des attributions conférées au défenseur des droits, la présence de proches collaborateurs soumis à son autorité – et auxquels il pourra en déléguer certaines – me semble bienvenue, il ne serait pas souhaitable pour le bon fonctionnement de la nouvelle institution de confier à ces adjoints des pouvoirs propres. Quelle cohérence y aurait-il à créer un défenseur des droits et à confier des pouvoirs à de nouvelles autorités ?
Absolument pas ! L'unification des AAI permet simplement de les rendre plus visibles et efficaces.
Je le répète, l'ensemble des pouvoirs, moyens et compétences des AAI seront transférés au défenseur des droits et le Gouvernement est prêt à accepter tout amendement de précision qui irait en ce sens.
Par ailleurs, certains d'entre vous ont argué de l'indépendance du Médiateur de la République ou du défenseur des enfants. Or, ils ont été nommés par un décret, tandis que le défenseur des droits le sera après consultation des commissions compétentes du Parlement. D'une manière générale, la révision constitutionnelle aura beaucoup accru les moyens de défendre les droits et libertés, vous ne direz pas le contraire, monsieur Roman.
Par ailleurs, je considère qu'il n'est pas possible de cumuler un mandat électif, fût-il local, avec la fonction de défenseur.
Il peut conserver son mandat, mais non en briguer un autre.
Je précise également que si personne ne conteste la légitimité du défenseur des droits, son indépendance est garantie par cet élément important qu'est le non-renouvellement de son mandat.
Monsieur Vanneste, le Sénat a grandement modifié le texte – que l'on songe à l'intégration de la HALDE –, et je suis sûr que l'Assemblée nationale imprimera aussi sa marque, et elle aura le dernier mot.
La présence d'un collège auprès du défenseur des enfants mérite réflexion mais le Gouvernement n'a pas d'opposition de principe.
S'il n'est pas question que des parlementaires siègent dans les collèges, la reddition annuelle des comptes leur est en revanche due.
Le texte prévoit par ailleurs que l'ensemble des personnels sera repris.
Monsieur Verchère, le Sénat a d'ores et déjà souhaité inscrire dans le projet de loi ordinaire qui accompagne la loi organique le principe de l'autonomie budgétaire du défenseur des droits. La question du rattachement de la nouvelle autorité à telle ou telle mission n'est pas encore définitivement tranchée mais le Gouvernement veillera à ce que le défenseur dispose des moyens nécessaires à sa mission.
Monsieur Vaxès, aucune mission actuellement dévolue aux AAI ne sera obérée : je le répète, s'il le faut, nous accepterons les précisions qui seront demandées.
Monsieur Dosière, le Gouvernement aborde la discussion du texte dans un esprit d'ouverture et d'écoute.
Enfin, Madame Pau-Langevin, je comprends que chaque AAI ait au fil du temps imprimé sa marque et que leur récapitulation en une seule les mécontente toutes : les réformes bousculent toujours les conservatismes mais l'unification, en la matière, me paraît un gage d'efficacité.
La séance est levée à 18 heures 20.