Beau texte que celui-ci pour inaugurer un mandat de garde des Sceaux ! Je n'ai qu'un regret - très formel - sur son nom : sans doute aurait-il été plus opportun de l'appeler défenseur des libertés, car défenseur des droits sous-entend que l'on dispose de moyens de coercition pour faire respecter ces droits, ce qui n'est hélas pas le cas.
Il est souhaitable que ce texte soit soutenu par un large consensus. Nous y sommes prêts, sous réserve d'un certain nombre de modifications, rendues nécessaires par les conditions chaotiques du débat au Sénat. Nous avons donc déposé bon nombre d'amendements, la plupart du temps rédactionnels.
Nous n'avons pas de désaccord sur le fond, c'est-à-dire sur la nécessité de créer ce défenseur des droits – la Constitution en a du reste décidé ainsi. Faisons donc en sorte qu'il puisse travailler au mieux, dans l'intérêt collectif et surtout dans celui des libertés qu'il veut préserver.
Permettez-moi cependant quelques questions. La plupart des personnalités qui ont été auditionnées ont soulevé le problème de l'indépendance du défenseur des libertés – y compris la défenseure du peuple espagnol, institution qui a inspiré le comité Balladur. Vous l'avez dit, la constitutionnalisation du défenseur des droits en fait une institution stable. Elle me paraît tout de même souffrir d'une difficulté quant à sa légitimité : seule l'indépendance pourra asseoir cette légitimité ; un contre-pouvoir nommé par le pouvoir ne saurait être qu'un alibi. Puisque nous ne pouvons plus changer le mode de nomination du défenseur – même si, je le rappelle, le comité Balladur en avait proposé un autre, l'élection à une majorité des trois cinquièmes par le Parlement – je vous propose un autre moyen de réduire la dépendance du défenseur vis-à-vis de l'exécutif : faire élire les présidents des collèges à la majorité des trois cinquièmes des commissions compétentes, à partir d'une proposition faite par le défenseur des droits. De cette manière, les présidents des collèges seraient véritablement indépendants, et le défenseur pourrait s'appuyer sur cette légitimité.
Le périmètre de l'intervention du défenseur est un sujet dont nous allons sans doute beaucoup discuter. Sur le principe, prenez-vous l'engagement que le défenseur hérite de la totalité des prérogatives des AAI qu'il absorbe ? À ce jour, ce n'est pas le cas. J'ai noté la subtilité de certaines formules du pré-rapport du rapporteur : ici, telle prérogative « s'inspire » de celle de telle AAI ; là, tel élément est « très proche » de ce qui existe dans l'AAI ; plus loin encore, on lit que le Sénat « s'est efforcé de conserver » tel droit… La réalité est que sept des prérogatives des actuelles AAI ne sont pas renvoyées au défenseur des droits. Dans son avis du 30 septembre sur le texte du Sénat, la commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) a d'ailleurs indiqué que « les pouvoirs donnés au défenseur des droits restent sur certains points inférieurs à ceux dont disposent les autorités absorbées ». Je n'en donne qu'un exemple : dans le cadre de l'article 6 de la loi du 6 juin 2000, la CNDS peut procéder à des vérifications inopinées sur place sans aucune limitation ; le défenseur des droits, lui, peut se voir opposer des restrictions. Accepterez-vous dès lors les amendements qui se contentent de transférer les pouvoirs des AAI au défenseur des droits ?
Ma dernière question porte sur la cohérence des missions du défenseur des droits. Puisqu'il fusionne les missions de différentes AAI, il va devoir conjuguer des missions de médiation et des missions de contrôle, qui sont de nature différente. L'étude d'impact de septembre 2009 nous indique d'ailleurs, en page 33, qu'une « telle configuration pourrait s'avérer contre-productive » puisque « l'efficacité de l'action du défenseur ne serait que difficilement garantie dans certains domaines d'intervention marqués par une technicité particulière ». Quel est votre avis ? Pourquoi persister à conjuguer ces missions alors que vous en connaissez les risques ?