La séance est ouverte à 10 heures 30.
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.
La Commission procède à l'audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des Comptes, sur le projet de loi portant réforme des juridictions financières (n° 2001) (M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur).
Soyez le bienvenu, Monsieur le Premier président. Le projet de loi portant réforme des juridictions financières fait suite à la révision constitutionnelle de 2008. Il s'agit de permettre à la Cour d'accomplir les missions supplémentaires qui lui ont été confiées dans des délais compatibles avec les attentes des différents acteurs concernés, au premier rang desquels figure le Parlement.
Les missions transversales exercées par la Cour sur l'ensemble du territoire conduisent, en premier lieu, à s'interroger sur son articulation avec les chambres régionales des comptes. Des solutions alternatives à l'unité statutaire et organique des juridictions financières, que le texte prévoit d'instaurer, pourraient être envisagées – on peut penser à la mise à disposition de magistrats relevant des chambres régionales des comptes.
Le maillage territorial est un autre enjeu essentiel : de nombreux observateurs considèrent que les chambres régionales de petite taille n'ont plus leur place dans le système qui se dessine. Mais jusqu'où faut-il aller ? L'étude d'impact jointe au projet de loi retient trois hypothèses, consistant à réduire à dix, à huit, voire à six, le nombre des futures entités. Est-ce toujours d'actualité, ou bien pensez-vous que l'on pourrait envisager une taille critique plus faible pour les chambres ?
En troisième lieu, le projet de loi tend à instaurer un contrôle a posteriori sur les ordonnateurs, ce qui conduirait à une augmentation considérable du nombre des justiciables concernés. Qu'en pensez-vous ? Que pouvez-vous nous dire sur l'instauration d'amendes graduées ?
Quelle appréciation portez-vous sur la certification des comptes des collectivités locales, prévue par le projet de loi ? Cette évolution répond-elle à un intérêt général fort ? Quid de l'expérimentation de huit ans prévue par le texte ? On peut aussi s'interroger sur la masse de travail que cette mission nouvelle devrait mobiliser : les juridictions pourraient être obligées d'y consacrer une grande partie de leur temps.
S'agissant des dispositions relatives aux missions non juridictionnelles de la Cour, je rappelle qu'une proposition de loi déposée par le Président de l'Assemblée nationale est en cours de discussion. Notre assemblée a confirmé, en seconde lecture, les dispositions qu'elle avait initialement adoptées et qui font l'objet de divergences avec le Sénat.
Je vous laisse maintenant la parole, monsieur le Premier président, pour un exposé liminaire, après quoi nous en viendrons à un débat avec nos collègues.
Je suis très heureux d'être auditionné aujourd'hui, en compagnie de plusieurs magistrats de la Cour qui suivent plus particulièrement ce projet de loi portant réforme des juridictions financières.
Je voudrais saluer le président Warsmann, qui fait à la Cour l'honneur d'être le rapporteur de ce texte, et auquel je sais gré d'avoir prévu l'examen de ce texte à l'ordre du jour de la Commission. Je suis, par ailleurs, très heureux de continuer à travailler, dans d'autres fonctions, avec Michel Bouvard, désigné comme rapporteur pour avis par la Commission des finances.
Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer devant le CEC, dont je salue le vice-président, M. Goasguen, la Cour des comptes est naturellement à la disposition du Parlement pour l'assister dans ses missions de contrôle et d'évaluation des politiques publiques.
L'examen de ce projet de loi constituera une date essentielle dans l'histoire de la Cour : c'est sa réforme la plus importante depuis qu'elle a été créée. Le texte a été adopté par le Conseil des ministres du 28 octobre 2009, un peu plus de deux mois avant le décès de Philippe Séguin. Persuadé qu'il fallait donner aux juridictions financières les moyens de contribuer encore davantage à une gestion publique plus performante et plus transparente, mon prédécesseur, auquel je souhaite à nouveau rendre hommage, avait consacré toute son énergie à ce texte.
Comme l'a souhaité le Président de la République lors des célébrations du bicentenaire de la Cour, le 5 novembre 2007, nous devons faire de la Cour « le grand organisme d'audit et d'évaluation dont la France a besoin ». C'est la première ambition de ce projet, et elle est partagée par tous, me semble-t-il. Elle conduit à confier à la Cour de nouvelles fonctions, s'ajoutant à ses missions traditionnelles de contrôle et de jugement.
La seconde ambition du texte est de donner à la Cour les moyens de remplir ses nouvelles missions d'évaluation des politiques publiques et de certification des comptes publics, qui ont été consacrées par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, tout en lui permettant de continuer à assurer ses missions traditionnelles.
La réforme que vous allez examiner est nécessaire, car elle donnera toute sa portée à la mission d'assistance de la Cour envers le Parlement, conformément à l'article 47-2 de la Constitution. Je sais à quel point les commissions permanentes sont désireuses de progresser en matière d'évaluation afin d'aller au-delà de la seule analyse du coût des politiques publiques et d'apprécier plus précisément leur efficacité. Le CEC, qui m'a auditionné le 3 juin dernier, souhaite également être en mesure de saisir rapidement la Cour de demandes d'évaluation.
La Cour désire naturellement répondre dans les meilleurs délais à vos attentes. C'est pourquoi elle a besoin que ce projet de loi soit rapidement examiné, puis adopté par le Parlement. Cela permettrait aussi, de mettre un terme aux inquiétudes et aux interrogations suscitées par cette réforme, depuis maintenant deux ans, parmi les personnels des juridictions financières, en particulier ceux des chambres régionales des comptes.
Depuis ma nomination, je n'ai pas cessé de dire que je m'inscris pleinement dans la voie tracée par mon prédécesseur. Une réforme est nécessaire. J'ai toutefois souhaité prendre le temps de la concertation et de l'écoute, estimant que le projet de réforme pouvait être enrichi sur certains points. Dès mon installation, j'ai rappelé que le texte restait perfectible, comme toute oeuvre humaine. Cela ne signifie en aucune façon que je renie la réforme ou que je m'en distancie, bien au contraire. Je le répète : j'adhère totalement à ses objectifs, que je fais miens.
C'est pourquoi je veux m'assurer que les conditions nécessaires à la réussite de ce projet seront réunies, notamment son acceptabilité. Or, il est évident que ce n'est pas encore tout à fait le cas : le texte suscite des réticences au sein des juridictions financières, et certaines modalités de la réforme alimentent des malentendus.
Je voudrais donc vous exposer mes convictions dans ce domaine et tenter de tracer un chemin qui permettrait, selon moi, d'atteindre les objectifs de la réforme, tels qu'ils ont été esquissés par Philippe Séguin. Nous devons réunir un consensus aussi large possible, tant au sein des juridictions financières que du Parlement, afin que le texte soit adopté au plus tôt.
Le premier objectif est de faire en sorte que la Cour soit en mesure d'exercer ses nouvelles missions constitutionnelles. Le cloisonnement et l'autonomie des chambres régionales des comptes ne permettent pas d'organiser avec efficacité et de façon homogène les travaux de contrôle et d'évaluation des politiques publiques au niveau national, comme au niveau local. La Cour des comptes ne peut pas répondre aussi efficacement qu'elle le souhaiterait aux demandes d'enquête du Parlement lorsqu'elles portent sur des politiques dont la mise en oeuvre est en partie décentralisée. Or, elles sont de plus en plus nombreuses.
Cette difficulté pourrait être résolue si la Cour disposait de l'entière compétence pour effectuer les évaluations demandées. Cela permettrait de mettre un terme aux difficultés de programmation des enquêtes communes, étant entendu que les magistrats des chambres régionales, dont les compétences sont unanimement reconnues pour les questions de gestion locale, pourront toujours être associés aux évaluations en tant que de besoin.
Il me semble nécessaire, en outre, que l'expérimentation conduite dans le domaine de la certification des comptes des collectivités territoriales soit pilotée par la Cour, avec l'appui des chambres en région, sans mobiliser de façon excessive les moyens de la Cour ou ceux des chambres. Nous pourrons notamment nous appuyer sur l'expertise que la Cour a su développer dans le domaine de la certification des comptes de l'État et du régime général de sécurité sociale, exercice qui pourrait ainsi s'avérer utile tant pour l'État, et pour la sécurité sociale que pour la Cour elle-même.
Ces différentes inflexions permettraient de garantir que les chambres régionales demeurent des juridictions autonomes, qu'elles conservent la maîtrise de la programmation de leurs travaux et qu'elles se concentrent sur leurs trois métiers principaux : l'examen de la gestion, qualifié de « contrôle organique » par le projet de loi, le jugement des comptes, ainsi que le contrôle budgétaire.
À mes yeux, les conditions d'exercice du « contrôle organique » devraient toutefois évoluer. Il n'est pas acceptable, pour les justiciables, qu'on ne fasse pas usage des mêmes référentiels de contrôle selon qu'on se trouve au nord, au sud, à l'est ou à l'ouest de la France. Il existe, en la matière, une demande très forte des personnes que nous contrôlons, en particulier les élus locaux. L'indépendance des juridictions financières ne doit pas signifier une absence de normes ou de références communes. Pour cela, il conviendrait d'instaurer des mécanismes permettant d'harmoniser les méthodes de contrôle et d'édicter des normes communes sous la responsabilité du Premier président de la Cour des comptes, en sa qualité de président des conseils supérieurs de la Cour et des chambres régionales.
En outre, ces dernières pourraient utilement développer leur rôle de conseil aux collectivités, comme cela avait été envisagé dès la réforme de décembre 2001. De nombreux élus sont désireux de saisir les chambres, en dehors de toute procédure de contrôle, pour obtenir leur assistance et leur expertise sur des questions de gestion locale. Je ne verrais, pour ma part, que des avantages à ce qu'elles puissent apporter un tel soutien, dans le respect de leur indépendance.
Il serait ensuite possible de réexaminer deux questions qui soulèvent un certain nombre d'interrogations et d'oppositions : le regroupement des chambres dans un ressort interrégional, fixé par décret, ainsi que l'instauration d'une unité organique des juridictions financières. On pourrait, en outre, permettre au Parlement d'exercer la plénitude de ses attributions en supprimant le renvoi à des ordonnances.
Sans remettre en cause la nécessité de procéder à des regroupements, on pourrait envisager de les adapter selon l'étendue et la nature des missions des chambres régionales. Ils concerneraient les seules chambres dont les effectifs sont, dès aujourd'hui, inférieurs à un seuil critique indispensable pour une bonne organisation des équipes de contrôle et des instances de délibéré. On pourrait arriver alors à un nombre de 12 à 16 chambres régionales en métropole, contre 22 à ce jour.
Je rappelle que le texte prévoit de transformer les chambres régionales des comptes en chambres de la Cour des comptes, cette réforme devant s'accompagner de l'unification statutaire des corps des magistrats financiers. L'unité organique des juridictions financières n'est pas, à mes yeux, un objectif en soi. Ce n'est qu'une modalité d'organisation, dont l'application risque de mobiliser pendant des années les forces des juridictions financières, lesquelles seraient ainsi détournées de leurs missions premières.
Votre assemblée pourrait considérer que la modernisation des juridictions financières ne requiert pas un tel changement d'organisation, pourvu que les objectifs fixés à la réforme soient atteints. Ce faisant, vous répondriez à certaines inquiétudes qui se sont exprimées au sein des juridictions financières. S'il existe un consensus sur les principales orientations du texte, ainsi que sur les nouvelles missions confiées à la Cour, l'instauration d'une unité organique, qui a pour corollaire l'unité statutaire, suscite de vives oppositions.
Depuis ma prise de fonction, j'ai pu recevoir l'ensemble des parties prenantes : j'ai rencontré les représentants élus par les magistrats et par les personnels, j'ai visité six chambres régionales, et je me suis entretenu avec un certain nombre de parlementaires sur ce sujet. Il me semble que nous pourrions atteindre les objectifs assignés à cette réforme en adoptant d'autres modalités d'organisation, plus souples et moins traumatisantes que l'instauration d'une unité organique. Plusieurs groupes de travail constitués au sein de la Cour ont esquissé un certain nombre de solutions, relevant de notre pouvoir propre d'organisation, qui me paraissent tout à fait pertinentes.
Il conviendrait, en parallèle, d'améliorer la gestion des personnels des juridictions financières.
En ce qui concerne les chambres régionales, plusieurs évolutions pourraient s'avérer utiles, notamment un élargissement des voies d'intégration des magistrats des chambres régionales et territoriales au sein de la Cour des comptes. Je serais, en outre, très favorable à une révision du régime des incompatibilités applicable aux magistrats des chambres régionales, aujourd'hui beaucoup plus restrictif que les dispositions en vigueur pour les conseillers des tribunaux administratifs. Un alignement sur le régime de ces derniers serait une mesure d'équité et de bonne gestion. Je souhaiterais enfin la suppression de la disposition législative – visiblement d'un autre âge – qui réserve une part importante des présidences de chambres aux magistrats de la Cour des comptes. Cela permettrait d'ouvrir davantage ces hautes fonctions aux magistrats des chambres régionales.
Je suis également convaincu de l'intérêt pour la Cour des dispositions figurant dans les projets d'ordonnances dans le domaine de la gestion des ressources humaines. Il s'agit de moderniser les modalités de recrutement dans une perspective de professionnalisation et de diversification des compétences dont la Cour a besoin pour exercer ses nouvelles missions.
Après avoir évoqué les missions de contrôle, de certification et d'évaluation confiées aux juridictions financières, j'en viens maintenant à leur mission juridictionnelle, qualifiée par mon prédécesseur de « parent pauvre » de la réforme.
Dans son discours du 5 novembre 2007, le Président de la République avait appelé de ses voeux une « révolution morale », concernant la responsabilité de ceux qui gèrent ou manient les fonds publics. L'actualité montre bien à quel point nos concitoyens sont attachés à la probité de la gestion publique et à la sanction des dérives ou des dysfonctionnements qui seraient constatés. Or, il faut reconnaître que les dispositions applicables sont largement inopérantes, tant pour les comptables que pour les gestionnaires publics.
En ce qui concerne les premiers, Philippe Séguin aimait à rappeler que le système actuel offre le dernier exemple de « justice retenue » en vigueur dans notre pays, le ministre pouvant priver de toute portée une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée – en l'occurrence, un débet prononcé par le juge. C'est ce que l'on constate dans la très grande majorité des cas, ce qui conduit à démobiliser les magistrats financiers et à déresponsabiliser les comptables publics. Une réforme s'impose donc : nous devons nous orienter vers un système de type répressif, reposant sur des amendes infligées par le juge en cas d'irrégularités, et modulables selon des critères directement fixés par la loi.
S'agissant des gestionnaires publics, le projet de loi permet de réaliser quelques avancées. Il réorganise, tout d'abord, les procédures de jugement en prévoyant que les attributions de l'actuelle Cour de discipline budgétaire et financière seront exercées par la Cour des comptes. La Cour recevra pleine compétence pour juger la responsabilité des gestionnaires publics, lesquels bénéficieront alors des garanties offertes par l'existence d'une jurisprudence unifiée. Les chambres régionales conserveront la possibilité de saisir la Cour dans le cadre de sa mission de discipline budgétaire et financière.
En second lieu, le projet de loi étend le champ des infractions visées, en y incluant par exemple l'octroi d'un avantage injustifié à soi-même, ou encore les infractions liées à la comptabilité générale. Il reste, en revanche, timide pour ce qui est du champ des justiciables. La Cour pourra certes juger les élus et les exécutifs locaux des collectivités et de leurs groupements, ainsi que les membres de leurs cabinets et les fonctionnaires territoriaux, mais les conditions d'engagement de la responsabilité des élus sont tellement formalistes qu'on peut s'interroger sur la portée pratique du dispositif : il faudrait que les élus aient été dûment informés de l'affaire dans l'exercice de leurs fonctions et qu'ils aient donné un ordre écrit donnant naissance à l'infraction. On pourrait très bien envisager une évolution du texte sur ce point, comme le souhaitait Philippe Séguin.
Voici les principales orientations que je souhaitais évoquer. Ce sont là, me semble-t-il, les voies et moyens qui permettront de réaliser une réforme ambitieuse des juridictions financières, grâce à laquelle elles pourront répondre aux demandes d'assistance formulées par le Parlement et par le Gouvernement.
J'ajoute que je ne verrais que des avantages à ce que la loi fixe directement les modalités d'application des principes fixés par le texte – la rénovation des missions des juridictions financières et l'adaptation de leur organisation – au lieu de renvoyer à des ordonnances adoptées dans le cadre de l'article 38 de la Constitution. Cela permettrait au Parlement de se prononcer sur l'ensemble de la réforme, de lui donner une plus grande solennité grâce à son vote, et d'adopter plus rapidement les dispositions nécessaires à la Cour pour l'exercice de ses nouvelles missions.
Je vais maintenant donner la parole à Michel Bouvard, rapporteur pour avis de la commission des finances.
Je vous prie de m'excuser de vous rejoindre un peu tardivement : la commission des finances siégeait, elle aussi, ce matin. Elle examinait un texte cher à Didier Migaud, ancien président de notre Commission : le rapport annuel de la mission d'information relative à la mise en oeuvre de la LOLF.
Le projet de loi dont nous traitons ce matin tend à apporter un certain nombre de modifications notables – il s'agit en particulier de juger les ordonnateurs et les gestionnaires publics et de créer une Cour d'appel des juridictions financières. Pouvez-vous revenir, monsieur le Premier président, sur l'apport de ce texte en ce qui concerne l'évaluation des politiques publiques réalisée par la Cour et par les chambres régionales ?
Afin d'assurer une plus grande homogénéité des travaux et un meilleur pilotage des moyens, il est prévu que la Cour et les chambres régionales formeront une seule et même entité – c'est ce qu'on appelle « l'unité organique ». Quels seraient, selon vous, les autres moyens envisageables pour atteindre ces mêmes objectifs ?
L'article 12 confie à la Cour une mission de coordination pour l'expérimentation conduite en matière de certification des comptes des collectivités territoriales. Je comprends mal pourquoi ce serait au ministre chargé des collectivités territoriales de se prononcer sur les candidatures des collectivités : n'est-ce pas une anomalie au regard du principe d'autonomie des collectivités territoriales ? Si un avis extérieur doit être recueilli, il me semblerait préférable que ce soit celui du comité des finances locales.
Je m'interroge également sur les moyens humains et matériels dont disposera la Cour pour réaliser cette expérimentation, puis pour généraliser le cas échéant le dispositif.
La même question se pose, me semble-t-il, pour le contrôle des actes budgétaires et de l'exécution du budget des établissements de santé, prévu à l'article 7.
Que dire sur ce projet de loi et sur ses implications, sinon notre plus vive inquiétude ?
L'exposé des motifs précise que le texte s'inscrit dans le cadre de la réforme territoriale qui s'annonce. Or, l'examen du projet de réforme des collectivités territoriales au Sénat a tourné au massacre. On peut douter que quelque chose s'annonce en réalité.
Par ailleurs, l'existence des chambres régionales des comptes est intrinsèquement liée à la première phase de la décentralisation. Engagée dans les années 1980, elle a permis de supprimer la tutelle exercée par l'État sur les collectivités territoriales. Il s'agissait de leur accorder une large capacité de s'administrer elles-mêmes, de prendre leurs propres décisions et ainsi de répondre directement aux demandes des citoyens, tout en instaurant progressivement un dispositif de contrôle et d'audit, qui s'est révélé utile pour les collectivités – je rappelle, en particulier, que le contrôle des chambres régionales commence par une évaluation de l'application des mesures précédemment préconisées. Les chambres régionales des comptes sont un outil essentiel de la décentralisation telle qu'elle a été voulue par le gouvernement de Pierre Mauroy et réalisée par Gaston Defferre.
Or, ce texte aura pour effet de supprimer les chambres régionales des comptes – du moins dans leur périmètre actuel –, et d'attribuer plus de missions aux entités nouvellement créées sans leur donner des moyens supplémentaires. La création du grand organisme de contrôle et d'audit souhaité par le Président de la République, mais aussi par Philippe Séguin, n'est donc qu'une chimère. Ce texte ira à l'encontre de cet objectif, et sera une étape supplémentaire dans la remise en cause de décentralisation, pourtant inscrite dans la Constitution.
Si certains aspects du texte peuvent être considérés comme positifs, son cadre général ne laisse pas de m'inquiéter.
Je voudrais insister, pour ma part, sur un aspect que l'étude d'impact ne met pas assez en lumière : le rôle essentiel que les chambres régionales des comptes ont joué dans l'amélioration de la gestion des collectivités territoriales. Après une période d'adaptation, un bon équilibre est aujourd'hui atteint et l'on constate que les chambres régionales mettent de plus en plus souvent leurs contrôles à profit pour formuler des conseils à destination des collectivités.
Cette mission de conseil qui pourrait être officiellement attribuée aux chambres régionales mériterait certainement davantage de précisions, mais il faut reconnaître qu'elle correspond aux attentes des élus locaux.
Ils ne comprendraient pas, en revanche, qu'on supprime les chambres régionales ou qu'on limite leur périmètre d'action. Elles sont, en effet, devenues des partenaires importants de la gestion locale, laquelle représente au moins 220 milliards d'euros – ce montant n'incluant pas un certain nombre d'organismes annexes.
Il faut également rappeler que c'est grâce au contrôle exercé par les chambres régionales que certains dysfonctionnements et certaines irrégularités ont pu être relevés, avant d'être sanctionnés par la justice, tant en métropole que dans l'outre-mer. Je voudrais en particulier rendre hommage à la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française.
Il me semble toutefois, en tant que membre du CEC, qu'une modification du mode de fonctionnement de la Cour des comptes et des chambres régionales s'impose afin de mieux répondre aux demandes du Parlement dans le domaine de l'évaluation. Comme le Premier président l'a indiqué devant le CEC, une harmonisation est nécessaire.
Ma première question concerne les effectifs de la Cour et des chambres régionales. L'étude d'impact, qui n'est pas d'une grande clarté sur ce point, laisse entendre que les réductions d'effectifs pourraient ne pas être trop importantes et qu'on pourrait parvenir à un équilibre grâce à des gains de productivité et à des évolutions catégorielles. Chacun peut comprendre la nécessité de réduire les dépenses publiques, mais est-il vraiment opportun de réduire les effectifs des organismes de contrôle et d'évaluation tels que la Cour des comptes et les chambres régionales ? Ne faudrait-il pas, au contraire, les augmenter ? Certaines missions de l'État peuvent faire l'objet d'économies, ou bien elles peuvent être exercées différemment, mais d'autres doivent être renforcées. C'est notamment le cas du contrôle et de l'évaluation de la dépense publique. Cela n'implique pas nécessairement une augmentation des effectifs, mais il conviendrait au moins de ne pas les réduire.
Une autre inquiétude concerne le renvoi à des ordonnances pour un certain nombre de dispositions. Ce n'est pas à vous, monsieur le Premier président, que j'apprendrai à quel point le Parlement apprécie peu cette formule. Il a ainsi refusé l'an dernier, en commission mixte paritaire, que des dispositions statutaires relatives au Conseil d'État soient adoptées par voie d'ordonnance. Il serait paradoxal d'accepter pour les magistrats de la Cour des comptes ce que nous avons refusé pour ceux du Conseil d'État. Vous avez laissé entendre, dans votre exposé liminaire, que des évolutions étaient envisageables sur ce point. Pourriez-vous nous apporter des précisions supplémentaires ?
Vous avez indiqué que votre prédécesseur, Philippe Séguin, trouvait la mise en cause de la responsabilité des décideurs publics insuffisante. Comme l'a rappelé le Président de la République, dans un discours prononcé le 5 novembre 2007, à l'occasion du bicentenaire de la Cour des comptes, « on a trop longtemps considéré que le propre de l'argent public était d'être dépensé sans compter, qu'il était dans la nature du service public que son efficacité ne soit pas mesurable et que si l'on devait demander des comptes au comptable, il n'était pas légitime d'en demander à l'ordonnateur », ajoutant que cette époque était désormais révolue », l'État ayant besoin « d'une révolution intellectuelle et morale ». Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les évolutions envisagées pour renforcer la responsabilité des décideurs publics ?
J'ignore si c'est à ce type d'exemples que vous songez, mais nous avons appris, à l'occasion d'un rapport particulier de la Cour des comptes, que l'organisation du sommet de l'Union pour la Méditerranée, en juillet 2008, avait fait l'objet d'une dépense globale de 16 millions d'euros engagée dans les conditions les plus irrégulières – on n'a pas utilisé de bons de commande, par exemple. Si le comptable du ministère des affaires étrangères a pu exécuter la dépense, c'est parce qu'il a été réquisitionné par son ministre sur les instructions du ministre du budget. La responsabilité du comptable ne pouvant pas être mise en cause, car il a reçu un ordre de réquisition, non plus que celle de l'ordonnateur, personne n'est donc responsable dans cette affaire.
Ma dernière question porte sur le regroupement des chambres, que vous avez qualifié de « mutualisation ». On peut effectivement considérer que les effectifs de certaines chambres régionales sont faibles, et qu'il faudra procéder à une mutualisation. L'étude d'impact n'étant guère explicite sur ce qui nous attend, pourriez-vous nous apporter quelques éclaircissements ? J'observe qu'aux termes de la loi, il existe une chambre des comptes dans chaque région. À quel niveau normatif faudra-t-il donc fixer le nombre des futures entités ? Est-ce du ressort de la loi ?
Je fais partie de ceux qui trouvent ce texte excessif au regard des objectifs qui lui sont fixés, et je me réjouis que le Premier président ait formulé un certain nombre de suggestions pleines de bon sens.
Sur la forme, il me paraît exclu de recourir à des ordonnances en matière juridictionnelle. Pour ma part, je ne voterai jamais de telles dispositions. Ce que le Premier président a suggéré sur ce point me semble très sage.
L'instauration d'une unité organique ne me paraît pas non plus une bonne idée. Il existe un problème de coordination des travaux réalisés par les juridictions financières, mais cette difficulté peut être résolue en donnant au Premier président de la Cour des comptes un pouvoir de coordination des programmes de travail des chambres régionales – il n'est pas normal que certaines d'entre elles refusent de réaliser des contrôles relatifs à des thèmes « horizontaux ». On pourrait, par ailleurs, permettre aux membres des chambres régionales de participer à des équipes composées de magistrats de la Cour des comptes, cette solution pouvant être combinée – ou non – avec la première. En tout cas, nous n'avons pas besoin de l'unité organique : cela reviendrait à utiliser un marteau-pilon pour écraser une mouche. On peut obtenir le même résultat avec des moyens plus simples.
Ce qui nous est proposé en matière de regroupement des chambres est tout aussi excessif. Il est vrai que certaines chambres n'atteignent pas la taille critique nécessaire pour travailler dans de bonnes conditions dans certains domaines. Mais il ne serait pas raisonnable de passer de 22 à 5 ou 6 chambres en métropole. On peut envisager des regroupements, mais ils ne sauraient concerner que les chambres trop petites, qui sont au nombre de 5 ou 6, et pas davantage. J'ajoute que c'est une mesure de niveau législatif.
L'idée de procéder à une certification de l'ensemble des comptes locaux est une autre absurdité. Les collectivités qui font appel public à l'épargne ont recours aux services d'entreprises spécialisées, faute de quoi elles ne pourraient pas réaliser d'émissions. Pourquoi mobiliser jusqu'à 50 % du potentiel de travail des chambres régionales, dans le seul but de certifier les comptes de collectivités pour lesquelles cette opération ne présente aucun intérêt ?
J'en viens au régime de responsabilité des comptables, qui fonctionne aujourd'hui de manière archaïque et absurde : les débets importants sont remis à 100 %, alors que l'on applique tout ou partie des petits débets ! Le bon sens voudrait que l'on remplace le système actuel par des amendes, plafonnées à un certain nombre de mois de salaire afin d'assurer la proportionnalité de la sanction à la capacité contributive des responsables concernés.
Il me semble, en outre, important d'étendre le champ de la responsabilité aux élus locaux, comme le prévoit le texte, et de mettre un terme à la dualité de juridictions. Depuis sa création, peu après la Libération, la Cour de discipline budgétaire et financière n'a pas eu plus d'efficacité qu'un sabre de bois : elle ne sanctionne que quelques personnes, auxquelles elle inflige des amendes ridicules. Il a fallu attendre des années pour qu'elle ose prononcer des amendes supérieures à 20 000 euros, alors que des fautes considérables sont commises. Il faut supprimer la CDBF, tout en veillant à une bonne articulation avec la justice pénale, même si les cas où elle est saisie sont rares – je pense notamment aux délits intentionnels.
C'est également une bonne idée, me semble-t-il, de permettre aux chambres régionales d'apporter leurs conseils aux collectivités territoriales, si celles-ci le souhaitent et sans engager leur responsabilité. On peut très bien être juge et conseil, à l'image du Conseil d'État.
Vous le voyez, il y a encore beaucoup de travail à faire pour aboutir à un texte raisonnable. À cet égard, les suggestions du Premier président me semblent pleines de bon sens.
Ce projet de loi n'est qu'un squelette : comme l'indique l'exposé des motifs, il se contente de fixer les grands principes et renvoie à des ordonnances pour aller plus vite, ce qui contribue à escamoter une partie du débat. J'observe d'ailleurs que nous n'avons toujours pas réalisé de travail de fond sur ce texte, alors qu'il est déposé sur le bureau de notre assemblée depuis neuf mois.
Je voudrais vous poser deux questions, l'une sur la recentralisation opérée par cette réforme, l'autre sur les moyens qui sont prévus.
En application de l'article 9, les chambres régionales des comptes auront désormais un ressort interrégional, dont la définition est renvoyée à un décret. On peut le regretter, car la nouvelle organisation sera ainsi établie en dehors du Parlement. Il vous est sans doute difficile, monsieur le Premier président, de critiquer ce projet qui vous donne plus de pouvoirs, mais ne pensez-vous pas que l'intervention du législateur constituerait une garantie utile aussi bien pour la Cour des comptes que pour nos concitoyens dans un domaine particulièrement sensible ?
J'en viens à la question des moyens. Que les juridictions financières assurent désormais trois missions, comme l'indique l'article 7, ou qu'elles exercent quatre métiers différents, si l'on en croit l'étude d'impact, il est certain que leurs compétences s'accroissent. Or, le nombre des magistrats devrait baisser de 20 %, toutes juridictions financières confondues. Selon l'étude d'impact, 60 personnes, dont 25 magistrats, seront affectées à des missions d'évaluation des politiques publiques. Quelles en seront les conséquences ?
On fait souvent référence au National audit office, qui joue un rôle crucial dans le processus d'amélioration de la performance des administrations au Royaume-Uni. Mais on oublie que cette institution, auteur de 600 rapports d'audit par an et de 50 efficiency audits remis à la commission des comptes publics, emploie 850 agents.
François Fillon déclarait en 2006, alors qu'il était conseiller de Nicolas Sarkozy, que le Parlement devait être « en mesure de garantir la maîtrise des dépenses publiques et la pertinence des politiques engagées ». D'où la nécessité, selon lui, de créer un organisme d'audit et de contrôle sur le modèle britannique ou canadien, qui ont tous deux fait leurs preuves, en créant de toutes pièces un organisme d'audit au sein du Parlement, ou bien en rattachant directement à ce dernier des organismes qui existent déjà.
Le choix ayant été fait, au plan constitutionnel, d'attribuer cette mission à la Cour des comptes, ne conviendrait-il pas de lui donner des moyens plus substantiels ? Pensez-vous que la réforme soit à la hauteur des enjeux ?
L'exigence de transparence et de bonne gestion se fait toujours plus forte ; dans le même temps, l'inquiétude des élus locaux croît à l'idée qu'ils pourraient encourir des sanctions ou être montrés du doigt pour des raisons qui tiennent en réalité à un manque d'informations. Développer la mission de conseil aux collectivités territoriales me paraît donc une orientation judicieuse. À cet égard, la ville de Nice a mis au point un dispositif intéressant en s'adjoignant à titre permanent le concours d'un magistrat de la chambre régionale des comptes. Je ne connais pas son statut exact, sinon que son traitement est entièrement pris en charge par la municipalité. Pouvez-vous nous apporter des précisions supplémentaires sur cette expérience ? Pensez-vous qu'elle pourrait être étendue à d'autres collectivités ?
L'unité organique me paraît une fausse bonne idée. Je préférerai un dispositif moins difficile à assumer au plan structurel et moins anxiogène pour les chambres régionales. Vous avez évoqué avec une certaine prudence – que je peux comprendre – d'autres hypothèses, compatibles avec les objectifs généraux de la réforme, mais plus respectueuses de l'identité des chambres régionales, c'est-à-dire plus souples et plus efficaces. Pourriez-vous détailler davantage vos propositions, monsieur le Premier président ?
La modification du nombre des chambres régionales ne me paraît pas poser de problème, mais la préservation de l'identité des chambres régionales, telle qu'elle est perçue au plan local, me paraît en revanche une nécessité.
Je suis à votre disposition pour continuer d'approfondir la réflexion avec vous, afin qu'aucun enjeu partisan ne nous détourne d'une réforme qui me paraît pouvoir rassembler la grande majorité des magistrats et du personnel des juridictions financières, ainsi que les responsables politiques.
La réforme, monsieur Bouvard, est indispensable pour permettre à la Cour des comptes et aux juridictions financières de remplir les missions nouvelles qui leur sont dévolues depuis la révision constitutionnelle et de répondre aux demandes du Parlement. Il ne suffit pas d'inscrire des missions dans les textes, il faut aussi permettre qu'elles s'exercent, et si l'organisation actuelle n'est pas revue, nous risquons de nous trouver incapables de répondre à certaines de vos demandes d'évaluation.
J'ai noté un consensus sur l'objectif visé mais il reste à définir le moyen d'y parvenir. Sur ce point, je ne partage pas l'inquiétude de M. Roman. L'unité organique prévue dans le texte répond à la nécessité de modifier les procédures d'évaluation en vigueur. Le fait que la Cour et les juridictions régionales aient des procédures différentes, le caractère de juridiction autonome qu'ont ces dernières, et le fait qu'elles aient des compétences exclusives : tout cela a pour conséquence que l'on peut être confronté au mauvais vouloir des chambres ou à des délais excessifs.
Pour surmonter cette difficulté, on a fait le choix de la fusion, ce qui a suscité des malentendus. Pourtant, Philippe Séguin a toujours insisté sur la nécessité du contrôle de proximité, et il n'en a jamais voulu la suppression. Je tenais à le réaffirmer pour contrer l'interprétation selon laquelle l'objet réel du texte serait de supprimer les chambres régionales des comptes créées par la loi de décentralisation de 1982.
Cela étant, la fusion n'est pas le seul chemin que l'on puisse emprunter. L'alternative serait que pour les nouvelles missions d'évaluation et de contrôle confiées à la Cour, celle-ci s'appuie, autant que de besoin, sur les magistrats des chambres régionales. M. de Courson a suggéré que la coordination de la programmation soit confiée au Premier président. Cela peut se concevoir, mais il se pourrait que le Premier président éprouve quelques difficultés à imposer un programme à des juridictions autonomes, qui risquent de voir là une atteinte à leur indépendance – même si « indépendance » ne signifie pas « absence de normes ». On obtiendrait le même résultat en associant les magistrats des chambres régionales aux travaux de la Cour.
Nous proposons de conforter le rôle des chambres régionales, dont les missions demeurent, et d'établir plus clairement que les collectivités territoriales peuvent solliciter leurs avis. C'est possible actuellement pour ce qui a trait aux délégations de service public, aux marchés publics et aux sociétés d'économie mixte mais, en l'état, le projet a pour effet pervers de supprimer ces possibilités. Il faut réintégrer ces dispositions dans le texte et en élargir le champ. L'attente est forte.
Le dispositif en vigueur à Nice n'est pas celui-là. Un membre de la chambre régionale des comptes a été détaché auprès de la mairie en qualité d'inspecteur général ; ce n'est donc plus un magistrat en fonction.
Il s'agit de la décision d'un élu, dont les modalités d'application n'ont rien à voir avec la mission de conseil que peut exercer une chambre régionale des comptes. Sur un plan général, je suis favorable, je vous l'ai dit, à l'assouplissement du régime d'incompatibilité qui s'applique aux magistrats des chambres régionales des comptes, qui devrait être aligné sur celui qui vaut, avec des garanties suffisantes, pour les conseillers des tribunaux administratifs.
Les chambres régionales des comptes sont nées, c'est vrai, de la décentralisation, mais parce qu'elles exercent des compétences régaliennes, leur organisation peut ne pas correspondre exactement au découpage régional. Je défends l'idée de les regrouper, considérant qu'une chambre régionale composée de cinq magistrats ne peut remplir ses fonctions actuelles dans l'esprit et le respect des principes qui fondent la Cour des comptes et les juridictions financières – le contradictoire et la collégialité. Comment cinq magistrats peuvent-ils à eux seuls suivre des sujets d'une extrême diversité ? Cela fragilise les travaux des chambres régionales, et c'est pourquoi il faut les regrouper.
L'unité statutaire impliquait un schéma territorial réduit à cinq, six, peut-être sept chambres rassemblant chacune 30 à 40 magistrats. Si l'on choisit le chemin que je suggère, on peut fixer la taille critique à une quinzaine de magistrats. En métropole, on passerait alors des 22 chambres actuelles à 12 à 16 chambres régionales qui fonctionneraient correctement. Et face à des collectivités qui ont souvent étoffé leur personnel en embauchant des cadres de haut niveau, il est important que les chambres régionales diversifient leurs recrutements.
Il ne m'appartient pas de m'immiscer dans les relations entre l'exécutif et le Parlement, mais les suggestions que je me permets de formuler peuvent vous amener à supprimer entièrement le volet « ordonnances » du texte. En effet, si l'unité organique ne se fait pas, beaucoup de la substance des ordonnances disparaît, et ce qui reste peut être intégré dans le projet. Je sais que le Parlement souhaite que le plus d'éléments possible figurent dans la loi. Pour moi, ce serait aussi une garantie : s'il n'est plus besoin d'ordonnances, la réforme se fera plus rapidement.
Comme je vous l'ai dit, je suis favorable à la réforme du régime de responsabilité des comptables publics. Pour ce qui est de la responsabilité des décideurs, il faut trouver un bon compromis. Je propose de confier à la Cour des comptes le jugement des gestionnaires publics ; ainsi garantirait-on l'unité de la jurisprudence, et un éloignement bienvenu. Le texte pourrait être complété en ce sens.
J'en viens aux effectifs. Nous connaissons tous les difficultés budgétaires actuelles, et la Cour ne cesse d'appeler l'attention sur la nécessité d'amorcer le nécessaire redressement des comptes publics. Cela passe aussi par la maîtrise des effectifs en fonction des priorités définies par le Gouvernement. Étant donné ces recommandations réitérées, j'ai conscience qu'il y aurait quelque paradoxe de ma part à demander une augmentation importante des effectifs des juridictions financières. À tout le moins, il ne faut pas réduire leur effectif au moment où des missions plus nombreuses d'évaluation et de contrôle leur sont confiées, dont je souhaite qu'elles se poursuivent. Je me suis donc battu pour conserver l'effectif global. Cela étant, les juridictions financières comptent des magistrats, des personnels de contrôle et des experts dans une proportion qui n'est pas immuable ; on peut exercer des contrôles sans être magistrat. L'organisation des services peut être revue dans le cadre d'un effectif global qui doit être maintenu.
Beaucoup de magistrats de la Cour travaillent dans d'autres institutions. Ne pourrait-on envisager qu'ils soient affectés plus nombreux au travail interne de la Cour ?
Il faut permettre à ce corps, comme à celui des conseillers d'État, la respiration d'une mobilité nécessaire. Nombre de magistrats de la Cour sont en détachement puis reviennent avec une expérience très utile. Le fait d'avoir passé quelque temps dans un établissement public ou dans un ministère donne aux magistrats, et donc à la Cour, une meilleure capacité de contrôle et d'évaluation. Ces allers et retours ont leur utilité.
La certification des comptes a été très utile pour l'État et la sécurité sociale. Elle peut l'être pour les établissements de santé et des collectivités territoriales à condition que l'on garde le sens de la mesure. Prétendre faire certifier par les juridictions financières les comptes de tous les établissements publics de santé et de toutes les collectivités territoriales serait pure déraison. Il faut trouver les bons équilibres. On peut envisager que la Cour certifie les comptes des grands établissements puis, le cas échéant, coordonne les travaux de certification faits par les commissaires aux comptes privés, l'ensemble pouvant donner lieu à un rapport au Parlement. Une expérimentation peut être utile pour les grandes collectivités territoriales – mais, comme le président de votre commission, je pense que celle-ci pourrait être conduite sur une période plus courte. Ensuite, le Parlement déterminera s'il est utile de généraliser cette pratique. Mais il ne me paraît pas nécessaire que les juridictions financières certifient les comptes de toutes les collectivités ; nous devrons trouver, ensemble, un sage équilibre. M. Bouvard a suggéré que le choix des collectivités qui se seront portées candidates à l'expérimentation soit arrêté par le Comité des finances locales, en liaison avec la Cour. La décision vous revient, mais pourquoi pas ?
Enfin, nous avons engagé une réflexion sur l'éventuelle dématérialisation des milliers de liasses de pièces justificatives en provenance des trésoreries. La Cour est favorable à ce que ces pièces ne soient plus livrées aux juges des comptes. Nous ne recevrions plus que les documents comptables – comptes administratifs et de gestion et pièces annexes – les pièces justificatives restant disponibles auprès des organismes contrôlés pendant une durée compatible avec les règles de prescription.
Je suis à votre disposition pour accompagner votre réflexion. Ce projet de réforme, qui est sur la table depuis 30 mois, suscite beaucoup d'interrogations et de tensions à la Cour et au sein des chambres régionales. Il est nécessaire de le faire aboutir rapidement. Rien ne serait pire qu'un texte en suspens après son examen en première lecture. Je compte sur vous pour insister sur l'intérêt d'une réforme qui tend à nous permettre de remplir nos missions constitutionnelles.
Monsieur le Premier président, je vous remercie. Je procéderai, en tant que rapporteur, à d'autres auditions au cours de la deuxième quinzaine de juillet. Notre Commission examinera le texte en septembre, et il sera inscrit à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée avant l'examen du projet de loi de finances – au cours de la première quinzaine d'octobre, je l'espère. Les travaux en Commission seront le plus approfondis possible pour faciliter ensuite l'examen du texte en séance publique.
L'audition s'achève à 11 heures 50.
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