COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 9 juin 2010
La séance est ouverte à seize heures vingt-cinq.
(Présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la commission)
La Commission des affaires sociales examine, sur le rapport de M. Gérard Bapt, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à suspendre la commercialisation de biberons produits à base de Bisphénol A (n° 2390).
Je donne sans plus tarder la parole à notre rapporteur, M. Gérard Bapt.
La proposition de loi déposée par le sénateur Yvon Collin visait initialement à interdire le Bisphénol A dans tous les plastiques alimentaires. Le 24 mars dernier, le Sénat a considérablement limité son champ d'application en restreignant l'objet de l'article 1er à une suspension de la commercialisation des biberons contenant du Bisphénol A. Il a d'autre part élargi la problématique du Bisphénol A à l'évaluation de l'ensemble des perturbateurs endocriniens en prévoyant, à l'article 2, que le Gouvernement adressera au Parlement, au plus tard le 1er janvier 2011, un rapport présentant les mesures prises et envisagées pour diminuer l'exposition humaine à ces produits.
Le Bisphénol A est un composé chimique organique de synthèse – très proche du Distilbène de sinistre mémoire – utilisé dans la fabrication du polycarbonate, un plastique rigide lui-même utilisé dans la fabrication de nombreux récipients et ustensiles alimentaires tels que les biberons, assiettes, tasses, bols, gobelets ou les récipients destinés aux fours à micro-ondes et à la conservation. Il est également couramment utilisé dans la production de résines époxydes qui forment la couche de protection intérieure des canettes et boîtes de conserve, y compris les boîtes de lait en poudre pour bébés. Le Bisphénol A peut donc migrer en petites quantités dans les boissons et les aliments stockés dans ces récipients ou ustensiles, ce qui pose la question du risque associé à cette migration et de l'exposition des consommateurs.
Disons le d'emblée : la suspension de l'utilisation de biberons à base de Bisphénol A est une avancée qui mérite d'être saluée, mais il est nécessaire d'aller beaucoup plus loin. Si les agences sanitaires ont longtemps conclu à l'innocuité du Bisphénol A dans des conditions normales d'utilisation, de nouvelles études scientifiques viennent en effet de mettre en lumière les risques liés à l'exposition alimentaire au Bisphénol A. Elles suggèrent que sur l'animal, mais également sur des cellules humaines et chez l'homme, il pourrait être impliqué dans divers problèmes de santé – cancer, diabète, atteinte de la reproduction ou troubles neurocomportementaux – et ce y compris à des valeurs inférieures aux doses admises par la réglementation européenne.
Ces nouvelles données scientifiques ont enfin été prises au sérieux par les autorités de contrôle.
Le rapport canadien du « Programme d'évaluation des substances d'intérêt prioritaire » a ainsi conclu, en avril 2008, que le Bisphénol A devrait être considéré comme susceptible de constituer un danger pour la santé chez les femmes enceintes, les foetus ou les nourrissons.
Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) a reconnu, le 16 janvier dernier, sur son site Internet être préoccupée par ces nouvelles études suggérant que le Bisphénol A aurait des conséquences graves sur la santé humaine, en augmentant notamment le risque d'obésité et de maladies cardiovasculaires, et a indiqué que « les résultats de récentes études, recourant à de nouvelles approches qui détectent des effets plus subtils du Bisphénol A suscitent des inquiétudes chez les toxicologues des instituts nationaux de la santé et de la FDA quant à ses effets potentiels sur le cerveau et la prostate des foetus et des jeunes enfants ». La FDA a donc souhaité faciliter le développement de produits de remplacement pour réduire la présence de cette substance dans l'ensemble des récipients alimentaires.
Enfin, dans un avis du 29 janvier 2010, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) a indiqué que des publications récentes faisaient état de « signaux d'alerte » après une exposition in utero et postnatale à des doses inférieures à celle sur laquelle se fonde la dose journalière tolérable, tout en soulignant que les conséquences pour la santé humaine de ces signaux d'alerte n'étaient pas encore clairement établies. Selon l'agence, il convient de poursuivre le travail d'expertise, en lien avec le réseau européen et international des agences, pour comprendre la signification en termes de santé humaine de ces signaux d'alerte, éclairer le consommateur et permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures appropriées.
Plusieurs mesures de précaution ont donc déjà été prises. Le Canada a interdit, le 11 mars 2010, l'importation et la vente des biberons en polycarbonate contenant du Bisphénol A. Le Danemark a quant à lui décidé d'interdire temporairement, à compter du 1er juillet 2010, le Bisphénol A dans tous les produits en contact avec les aliments destinés aux enfants de moins de trois ans. Aux États-Unis, la Chambre des représentants de l'État de Washington a adopté, le 5 mars 2009, un projet de loi interdisant la vente des bouteilles, tasses ou autres contenants renfermant du Bisphénol A, si ce contenant est destiné à être utilisé par des enfants de moins de trois ans. L'État du Connecticut a également interdit, à compter du 1er octobre 2011, la fabrication et la vente d'aliments ou de contenants comportant du Bisphénol A.
L'adoption, à l'unanimité, en première lecture par le Sénat de la proposition de loi tendant à suspendre « la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de biberons produits à base de Bisphénol A » marque donc pour la France la fin d'un certain attentisme.
Premier maire de France à avoir interdit, par un arrêté du 22 juin 2009, la vente et l'utilisation de biberons contenant du Bisphénol A dans ma commune de Saint-Jean en Haute-Garonne, avant d'être suivi par une douzaine de communes, je ne peux qu'être favorable à une extension de cette mesure de précaution à l'ensemble du territoire.
C'est pourquoi j'ai déposé, dans le cadre du projet de loi portant engagement national pour l'environnement, un amendement reprenant in extenso l'article 1er de la présente proposition de loi, amendement qui a été adopté par l'Assemblée nationale. Cette disposition ne devrait pas être remise en cause lors de la réunion de la commission mixte paritaire du 16 juin et le dispositif de l'article 1er devrait donc entrer rapidement en vigueur, après une adoption définitive par l'Assemblée nationale prévue le 29 juin.
Prenant en compte les dernières données scientifiques qui suggèrent une sensibilité accrue au Bisphénol A pour les nouveaux-nés et les nourrissons et un risque de migration du Bisphénol A contenu dans un plastique alimentaire d'autant plus important que ce dernier est intensément chauffé, le législateur français a donc déjà accepté d'éliminer, avec la suspension de la commercialisation des biberons, une des sources d'exposition au Bisphénol A d'une catégorie particulièrement sensible de la population. Ce sont, en effet, les organismes en développement qui sont les plus sensibles aux perturbateurs endocriniens.
Je vous propose néanmoins de faire un pas supplémentaire en adoptant un amendement tendant à suspendre, à compter du 1er janvier 2012, la fabrication, l'importation, l'offre, la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, la mise en vente, la vente ou la distribution à titre gratuit de contenants alimentaires produits à base de Bisphénol A jusqu'à l'adoption par l'Afssa d'un avis motivé autorisant à nouveau ces opérations.
La formulation de cet amendement est assez proche de la rédaction initiale de la proposition de loi.
Trois principaux arguments avaient été avancés lors des travaux du Sénat pour repousser cette interdiction du Bisphénol A dans l'ensemble des plastiques alimentaires. En premier lieu, la compatibilité incertaine d'une interdiction générale des plastiques alimentaires contenant du Bisphénol A avec le principe de libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne et avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Vous noterez que l'amendement que je vous propose ne vise qu'une suspension temporaire de l'utilisation de contenants alimentaires à base de Bisphénol A et que l'article 18 du règlement du 27 octobre 2004 concernant les matériaux et objets destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires prévoit explicitement la possibilité de « mesures de sauvegarde » qui peuvent être provisoirement prises par les États pour suspendre un produit qui présente, en raison de nouvelles données ou d'une nouvelle évaluation des données existantes, un danger pour la santé humaine, ce qui est bien le cas du Bisphénol A.
Deuxième argument : l'innocuité des matériaux utilisables en remplacement des plastiques et des résines contenant du Bisphénol A n'aurait pas encore été suffisamment étudiée. Cet argument est parfaitement recevable, mais la période transitoire avant l'entrée en vigueur de la suspension, fixée au 1er janvier 2012, permet aux autorités de contrôle concernées de poursuivre leurs travaux de recherche sur l'innocuité des matériaux de substitution et laisse surtout aux industriels la possibilité d'adapter leur processus de fabrication – ce qu'ils ont déjà commencé de faire comme ils me l'ont exposé lors de leur audition d'avant-hier et ce qu'ils font depuis plusieurs années aux États-Unis.
Troisième argument : la mise en évidence d'une période critique d'exposition au Bisphénol A, correspondant à la phase du développement du système nerveux et du système reproducteur, ne justifierait pas une interdiction aussi générale – on pouvait donc se borner à protéger, par la suspension de la commercialisation de biberons contenant du Bisphénol A, les bébés particulièrement fragiles. C'est certainement là l'argument le plus faible et le plus contestable pour écarter l'édiction d'une mesure de précaution s'étendant à l'ensemble des plastiques alimentaires.
En effet, la suspension de l'utilisation de biberons produits à base de Bisphénol A ne résout en aucune façon le problème spécifique de l'exposition des bébés à cette substance. Le professeur Jean-François Narbonne, professeur de toxicologie à l'université de Bordeaux et expert à l'Afssa, estime ainsi que « c'est avant tout par l'intermédiaire de la mère que l'enfant est exposé au Bisphénol A : in utero, durant la gestation, mais également lors de l'allaitement, et là le biberon n'intervient pas ! ». Le Professeur Patrick Fénichel, chef du service endocrinologie du CHU de Nice, a pour sa part indiqué qu'une étude devant être bientôt publiée avait, au travers de dosages réalisés dans le sang de cordon ombilical d'une centaine de bébés à la maternité de Nice, mis en évidence du Bisphénol A dans 90 % des échantillons...
Par ailleurs, le biberon n'est pas la seule source d'exposition des nouveaux-nés et des nourrissons. Le lait constitue également une voie d'exposition importante, qu'il soit maternel – par le biais de l'exposition des femmes aux produits alimentaires en contact avec des revêtements intérieurs contenant du Bisphénol A – ou maternisé – par le biais du Bisphénol A utilisé pour assurer l'étanchéité des boîtes contenant la poudre de lait. A ce titre, une interdiction des seuls contenants alimentaires à base de Bisphénol A destinés aux enfants de moins de trois ans, sur le modèle de la législation du Danemark, ne serait qu'un pis-aller n'apportant pas de solution globale aux risques de contamination par l'intermédiaire de la mère.
Dans son avis du 29 janvier 2010, l'Afssa a d'ailleurs rendu publique une estimation intéressante de l'exposition au Bisphénol A des nourrissons qui démontre que l'exposition par migration à partir du biberon est la plus faible, bien inférieure à l'exposition par le lait maternisé et le lait maternel !
La représentation nationale a estimé, lors de l'examen du projet de loi portant engagement national pour l'environnement, que les signaux d'alerte sur le Bisphénol A étaient suffisamment inquiétants pour justifier une suspension de la commercialisation des biberons. Elle s'honorerait aujourd'hui en prenant, comme je vous le propose et dans le respect d'un principe de précaution désormais élevé au rang constitutionnel, une disposition garantissant efficacement, comme le prévoit le Préambule de la Constitution de 1946, la protection de la santé de l'enfant.
Ce texte est important. Si le caractère de perturbateur endocrinien du Bisphénol A nous interpelle depuis un certain nombre d'années, jamais l'alerte n'avait été donnée quant à ses conséquences sanitaires. Aujourd'hui, l'Afssa et l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) ont donné des signaux d'alerte. Le texte du Sénat semble donc cohérent, même s'il est en retrait par rapport à sa version initiale, qui interdisait toute fabrication et commercialisation. Notons d'ailleurs que cette dernière n'aurait pu être adoptée, principalement en raison de sa fragilité juridique : l'Union européenne exigeant que le danger pour la santé humaine soit démontré pour pouvoir appliquer une clause de sauvegarde, toute interdiction encourt un sérieux risque d'annulation. Le Sénat a donc trouvé le juste équilibre en prévoyant une suspension dans l'attente de nouveaux résultats scientifiques.
Comme l'a dit Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, le principe de précaution ne consiste pas à prendre des décisions d'interdiction à la moindre alerte, mais à entourer l'ensemble de ces décisions des précautions nécessaires. Elle a ainsi pris plusieurs engagements, dont celui d'élargir et d'accélérer les études en cours sur les effets réels du Bisphénol A et celui d'examiner la possibilité de modifier la limite autorisée de migration spécifique du Bisphénol A dans les aliments.
Cette proposition de loi est un bon texte. Respectons donc le compromis adopté par le Sénat, d'autant que rien ne nous permet à ce jour d'affirmer que tel autre produit serait différent ou meilleur que le Bisphénol A. Bref, appliquons le principe de précaution au sens large : dans l'attente de nouvelles évolutions, restons-en au texte tel qu'il est.
Préserver la santé de nos concitoyens fait partie de nos missions. Mais avant d'interdire un produit, il faut prouver que son utilisation comporte des risques. Par ailleurs, je ne suis pas un fanatique du principe de précaution… Néanmoins, il semble bien que le Bisphénol A comporte un risque – le rapport préliminaire du 2 juin 2010 de l'INSERM sur les effets sur la reproduction du Bisphénol A le démontre assez clairement.
L'interdiction du Bisphénol A dans les biberons est évidemment tentante, mais elle ne résout pas le problème. Les concentrations de Bisphénol A dans le lait maternel – jusqu'à 7 microgrammes par litre – seraient en effet au moins deux fois supérieures à celles retrouvées dans les biberons, et ce en raison de l'alimentation maternelle. Ou bien il y a un risque et il faut interdire le Bisphénol A non seulement dans les biberons, mais aussi dans les autres contenants, notamment ceux utilisés dans les micro-ondes, ou bien il n'y en a pas et l'interdiction n'a pas de raison d'être !
J'ai, pour ma part, déposé un amendement proche de celui du rapporteur, qui tend à étendre la suspension de la commercialisation du Bisphénol A à l'ensemble des plastiques alimentaires. À la demande d'Yvan Lachaud, j'en présenterai un second qui propose également d'étendre cette suspension, cette fois-ci aux produits contenant des phtalates, des parabènes ou des alkylphénols. Dans la mesure où il s'agit également de perturbateurs endocriniens, ce ne serait pas illogique, mais c'est là une modification importante, à laquelle je suis prêt à renoncer.
L'essentiel a été dit, et fort bien dit. Nous nous appuyons sur des études sérieuses et dignes de foi. Si le biberon n'est ni le seul, ni le premier coupable, nous n'avons pas de raison de ne pas étendre la mesure. Cela inciterait d'ailleurs à l'utilisation du verre, en conformité avec des prescriptions « écologiques » et même économiques. Dans de nombreuses circonstances, et sans aucun doute pour ce qui est du chauffage des aliments, l'utilisation du verre est préférable à celle d'autres substances. Je soutiendrai donc résolument l'amendement présenté par le rapporteur.
Il y a deux approches différentes du problème : celle du biberon à moitié plein et celle du biberon à moitié vide… On peut, en effet, considérer que la mesure que nous nous apprêtons à prendre est un premier pas, puisque toutes les études sont concordantes. Mais en même temps, on se limite à la partie émergée de l'iceberg. Chez les adultes aussi, les études ont mis en évidence des troubles au niveau des récepteurs de l'insuline. Si le législateur choisit d'aller dans le sens de l'interdiction, il va falloir aller jusqu'au bout.
A-t-on par ailleurs une vision globale quant aux produits de substitution ? Qu'en disent les industriels ? Peuvent-ils aujourd'hui substituer d'autres produits au Bisphénol A ?
En tant que pédiatre, je vois de plus en plus de petits garçons naître avec un sexe très petit, mal formé – qui nécessitera ultérieurement une opération – ou une ectopie testiculaire. Je vois aussi des petites filles qui ont, à deux ans, des seins de fille de quatorze ans. Selon un urologue infantile de la région de Montpellier, le nombre de ces cas est en augmentation, même si l'Afssa le discute. Nous remplissons de nombreux formulaires lors des naissances pour enregistrer informatiquement d'éventuelles malformations. Il est dommage que l'on ne recueille pas, à cette occasion, des éléments sur l'environnement dans lequel a vécu et vit la mère. Cela nous permettrait d'avoir des réponses à un certain nombre des questions que nous nous posons. Lorsque le bébé naît avec une malformation, c'est au stade embryonnaire qu'il faut remonter. Mais lorsque le problème apparaît à deux ans, le lait peut être en cause. Pour produire le lait, l'organisme maternel puise en effet dans les graisses, dans lesquelles se concentrent toutes les dioxines accumulées au fil du temps. J'ai vu un jour une maman dont le lait était orange, parce qu'elle avait pris des pilules bronzantes à six mois de grossesse. C'est dire à quel point le lait maternel « thésaurise » les polluants…
N'en déduisons pas qu'il ne faut pas allaiter ! Selon l'Autorité européenne de sécurité des aliments, la concentration de Bisphénol A s'élève au maximum à 1,27 microgrammes par litre dans le lait maternel, et à 2,1 microgrammes par litre dans le lait maternisé – à cause de la migration du Bisphénol A contenu dans l'emballage du lait – auxquels s'ajoutent 0,12 microgrammes par litre par migration à partir du biberon.
Bref, protégeons les bébés, mais aussi les futures mamans et les fillettes. Je vous propose donc un premier amendement tendant à substituer au mot « biberons » les mots « tout plastique alimentaire utilisé par des enfants de moins de trois ans ». Un deuxième amendement vous proposera d'étendre le champ d'application de l'article 1er aux tétines et aux sucettes, qui sont souvent stérilisées, donc chauffées. Si on trouve en pharmacie des sucettes étiquetés « sans Bisphénol A », c'est qu'il en existe encore qui en contiennent ! Mon troisième amendement concerne justement l'étiquetage, qu'il propose de rendre obligatoire pour tous les plastiques alimentaires produits à base de Bisphénol A et utilisés par des enfants de moins de trois ans. Il s'agit là de quelques mesures complémentaires, qui ne me paraissent pas hors de propos. Nous n'allons cependant pas au bout du problème : nous verrons bien en 2012 si les fabricants ont trouvé des produits de substitution…
Je voudrais pour ma part attirer votre attention sur la dangereuse baisse de la fertilité masculine qu'on observe aujourd'hui. Selon les recherches qui ont été conduites dans les pays scandinaves, cette baisse serait de l'ordre de 40 à 50 %. Il s'agit d'un vrai problème, dont les causes ont été partiellement identifiées – réchauffement testiculaire, exposition à des substances chimiques…
On sait que le Bisphénol A a des incidences endocriniennes. Est-ce vraiment la peine de prendre un risque supplémentaire ? Je pense que non. C'est pourquoi je soutiens l'amendement du rapporteur, ainsi que ceux d'Edwige Antier. Rappelons qu'il ne s'agit que de suspendre la commercialisation le temps de pousser les études encore plus loin, avant qu'il ne soit trop tard.
La baisse de la fertilité masculine ne concerne pas que les pays occidentaux. On l'observe également en Chine, où les travailleurs sont très exposés au Bisphénol A. Ce dernier pourrait également être incriminé, semble-t-il, dans l'augmentation des problèmes de thyroïde. Le texte, comme les amendements, vont donc dans le bon sens.
Produit chimique utilisé dans la fabrication des plastiques durs et transparents, le Bisphénol A présente aussi des effets obésogènes, que nous avions évoqués lors des travaux de la mission sur la prévention de l'obésité. Il faut donc au minimum informer les consommateurs. L'Afssa et l'agence européenne ont engagé des travaux de recherche, mais depuis avril 2008 seule Santé Canada, l'office public de santé canadien, a engagé une procédure de gestion des risques et interdit les biberons en polycarbonate par mesure de précaution. Aux États-Unis, le Bisphénol A figure sur la liste des polluants atmosphériques, mais le 15 août 2008, l'agence fédérale américaine a déclaré cette molécule non dangereuse pour les adultes et les enfants !
Le moins que l'on puisse faire aujourd'hui est de supprimer le Bisphénol A dans les biberons. Mais, il faudrait aussi développer des mesures d'incitation en direction des industriels, peut-être en leur fixant des délais. Certains d'entre eux se sont adressés à l'ensemble de nos collègues pour dire qu'ils n'étaient pas prêts à cette suppression, mais nous savons qu'avec un peu d'encouragement, ils peuvent se montrer créatifs ! Enfin et surtout, il faut que l'Afssa se prononce clairement et complètement sur le sujet. Nous pourrons alors en rediscuter.
Y a-t-il une solution industrielle de rechange ? Avant de prendre une telle décision, a-t-on fait une étude d'impact ?
Il n'y a eu aucun retour négatif de la part des crèches ou des mamans qui utilisent des biberons ou des tétines sans Bisphénol A.
Le problème est difficile à traiter par les agences sanitaires. On travaille certes sur des procédures toxicologiques – étude des effets d'un toxique à trois mois, à six mois, à la naissance – mais aussi sur des perturbateurs endocriniens dont les effets peuvent se faire sentir, en tout cas chez la souris, à trois générations de distance, c'est-à-dire que ce sont les données génétiques et la programmation génétique qui sont modifiées.
Jusqu'à présent, en outre, les agences écartaient systématiquement les études dites académiques ou scientifiques – comme celle du Professeur Fénichel à Nice – qui sont réalisées sur des crédits publics, mais dans des laboratoires qui ne respectent pas, pour des raisons de coût, les règles de bonnes pratiques de laboratoires et les lignes directrices édictées par l'OCDE. Le responsable de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) Toulouse, qui est le premier à avoir réalisé une expérimentation sur les effets du Bisphénol A sur la perméabilité intestinale à des doses identiques à celles retrouvées dans le lait maternel, a dû abandonner il y a quatre ou cinq ans ces règles de bonnes pratiques, car cela coûtait trop cher. Or, les agences ne retiennent souvent que les études réalisées selon les règles de bonnes pratiques de laboratoire, que seule l'industrie a les moyens de financer.
Néanmoins, les choses bougent. L'Afssa a rendu, en 2010, de nouveaux avis qui montrent que le paradigme selon lequel on envisage l'étude des effets sanitaires du Bisphénol A est en train d'évoluer. On nous dit que ces effets ne sont prouvés que sur l'animal. Certes, mais on peut faire des observations chez l'homme et des expérimentations sur des cellules humaines. Le Professeur Fénichel a ainsi démontré une baisse de l'efficacité de la chimiothérapie sur les cellules cancéreuses du pancréas si on y met du Bisphénol A. De même, des études américaines ont mis en évidence, en fonction du dosage dans le sang de la mère au troisième mois, au sixième mois puis à la naissance, des troubles neurocomportementaux à deux ans.
Hier même, l'agence allemande a réclamé à l'agence européenne une réévaluation de la dose journalière admissible. La semaine dernière, le Costa Rica a interdit le Bisphénol A. Le Danemark l'a fait il y a deux mois pour les contenants alimentaires destinés aux enfants de zéro à trois ans. A l'intérieur de l'Union européenne, on peut donc s'affranchir, via les clauses de sauvegarde, des règles de la concurrence. Au demeurant, le texte du Sénat ne propose pas une interdiction, mais une suspension de la commercialisation des biberons contenant du Bisphénol A, jusqu'à ce que les études nous permettent d'infirmer ou de confirmer les doutes qui ont été émis.
L'INSERM a publié, il y a une dizaine de jours, un rapport préliminaire qui confirme les effets sanitaires du Bisphénol A. Il est également chargé de conduire une expertise collective plus large, évaluant les effets d'un certain nombre de substances chimiques sur la reproduction, dont les résultats seront connus en 2011. La période transitoire que je vous propose avant la suspension – fixée au 1er janvier 2012 – devrait donc permettre de disposer de cette expertise complète sur les perturbateurs endocriniens. Et compte tenu de l'étude en cours, je pense que Jean-Luc Préel pourrait retirer son amendement sur les autres perturbateurs endocriniens.
Les substituts posent un vrai problème, qui concerne moins aujourd'hui les biberons et les tétines – quelle pharmacie oserait encore vendre des biberons contenant du Bisphénol A ? – que les autres contenants. Le Bisphénol A n'est pas fabriqué en France, mais il existe une production en Allemagne. À l'échelle de la planète, les gros sites de production sont concentrés en Chine et aux États-Unis. Rappelons également que seul 1 % de la production de Bisphénol A est destiné aux contenants alimentaires. Des substituts existent déjà aux États-Unis – ils sont notamment développés par la société Eden Foods depuis 1999. Les industriels nous ont expliqué que ce n'était pas facile – le Bisphénol A est utilisé à l'intérieur des boîtes de conserve pour isoler le contenant métallique des aliments qui pourraient altérer ses propriétés. Ils ont cependant le temps d'y travailler d'ici 2012.
Les chiffres d'exposition au Bisphénol A dont je dispose sont ceux qu'a avancés l'Afssa le 29 janvier dernier : les concentrations dans le lait maternel seraient dix fois supérieures à celles issues de la migration à partir des biberons, les concentrations dans le lait maternisé vingt fois supérieures. La suspension de la commercialisation des biberons ne réglera donc qu'une toute petite partie du problème !
Valérie Boyer a raison, le Bisphénol A pourrait également contribuer au développement de l'obésité. Cela a été observé chez des souris femelles. Je remarque, pour ma part, qu'on assiste à une explosion du nombre de diabètes de type I chez l'enfant – il devrait doubler d'ici 2025. La toxicité du Bisphénol A pour la fonction pancréatique, sa responsabilité dans l'asthme ou les pubertés précoces sont également désormais évoquées.
C'est pour toutes ces raisons que notre Parlement s'honorerait en allant un peu au-delà de la mesure minimum sur les biberons. Je me dois de vous informer que la FDA vient de se voir attribuer 30 millions de dollars de crédits publics pour développer sur deux ans ses études sur le sujet. Essayons d'agir plus rapidement que dans la triste affaire de l'amiante.
Le sujet est difficile. Je comprends les arguments avancés, mais la tentation de tous les pays est de prendre des mesures protectionnistes. Or, toute décision d'interdiction doit normalement être renvoyée à l'Union européenne. Les amendements proposés n'entrent-ils pas le champ de l'avis communautaire ? C'est ce qui me gêne dans ces propositions. Et je ne parle pas de la façon dont on applique en France la mesure sur les organismes génériquement modifiés, alors que certains sont facteurs de progrès et sont rejetés par réaction salivaire.
Il y a urgence. Il faut donc interdire le Bisphénol A dans les biberons, et sans doute aussi dans les autres accessoires pour bébés dont nous avons parlé. Prenons garde cependant : actuellement, la mode est au « sans Bisphénol ». Mais a-t-on pris le temps d'étudier sérieusement les effets des produits qui vont lui être substitués ? Il faut tout de même rappeler que le Bisphénol A est très peu dangereux, lorsqu'il n'est pas chauffé. Faisons donc une loi simple, et faisons aussi passer le message qu'il ne faut pas chauffer les produits en plastique en général. Pour aller très vite, point n'est besoin d'amendements compliqués !
Oui, et c'est la même chose pour les anneaux de dentition que l'on met au réfrigérateur. Ce sont les changements de température importants qui sont en cause.
On nous dit qu'il y a aussi des films plastiques à l'intérieur des boîtes de conserves. Pour être cohérent, il faudrait donc en interdire la consommation à tous les enfants de moins de trois ans ? C'est toute la filière alimentaire qui serait touchée !
Le Bisphénol A comporte-t-il des risques ou pas ? Si oui, que fait-on pour limiter son emploi ? Est-ce dans les biberons que l'on en retrouve les plus fortes concentrations, dans le lait maternel ou dans le lait maternisé ? Si c'est dans le lait, à quoi sert-il d'interdire la commercialisation de biberons qui ne sont déjà pratiquement plus en vente ?
Cela pose en effet un problème quant aux règles de la concurrence, mais nous l'affronterons de toute façon avec le texte voté par le Sénat. De plus, la mesure que je propose n'entrerait en application qu'au 1er janvier 2012.
Il y a urgence – à moins que ce ne soit la facilité – à suspendre la commercialisation des biberons contenant du Bisphénol A, mais lorsqu'on voit que le lait maternisé est une source d'intoxication vingt fois supérieure aux biberons, et le lait maternel une source d'intoxication dix fois supérieure, on mesure bien que le vrai problème est celui de l'accumulation de substances perturbatrices endocriniennes dans un certain nombre de réservoirs – comme les graisses.
Les industriels travaillent déjà sur les produits de substitution. Ils y sont du reste contraints, puisqu'ils voient bien ce qui se passe sur le marché : le « sans Bisphénol A » devient un objet de promotion commerciale : j'ai eu la stupéfaction de découvrir dans une grande surface de ma région des bouteilles d'eau minérale portant un papillon publicitaire « garanti sans Bisphénol A » ! Il suffit pourtant de retourner la bouteille pour le savoir : si le n° 1 figure sur le fond, elle n'est pas en polycarbonate et ne contient donc pas de Bisphénol A. Il n'est pas mauvais que nous leur mettions l'épée dans les reins, mais nous sommes tout de même un peu en retard…
Nous en venons à la discussion des articles.
Article 1er : Suspension de la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché de biberons produits à base de Bisphénol A
La commission examine d'abord l'amendement AS 6 du rapporteur.
La Commission rejette l'amendement AS 6.
Elle examine ensuite l'amendement AS 1 de M. Jean-Luc Préel.
Cet amendement est encore plus strict que celui du rapporteur, puisqu'il est d'application immédiate. Si le risque est prouvé, il n'est pas raisonnable de le laisser perdurer.
La Commission rejette l'amendement AS 1.
Elle examine ensuite successivement les amendements AS 3 et AS 4 de Mme Edwige Antier.
L'amendement AS 3 vise à substituer les mots « tout plastique alimentaire utilisé par des enfants de moins de trois ans » au mot biberon, et l'amendement AS 4 à ajouter les mots « tétines et sucettes » après le mot « biberon ».
La Commission rejette les amendements AS 3 et AS 4.
Puis elle examine l'amendement AS 2 de M. Jean-Luc Préel.
Afin d'attirer l'attention sur les risque liés à la commercialisation des produits contenant des phtalates, des parabènes ou des alkylphénols, nous en proposions la suspension. Mais, je retire cet amendement.
L'amendement AS 2 est retiré.
La Commission adopte l'article 1ersans modification.
Article 2 : Demande d'un rapport du Gouvernement au Parlement sur les mesures prises et envisagées pour diminuer l'exposition humaine aux perturbateurs endocriniens
La Commission adopte l'article 2 sans modification.
Après l'article 2
La commission examine l'amendement AS 5 de Mme Edwige Antier.
En votant cet amendement sur l'obligation d'étiquetage, vous prendriez une mesure de précaution très appréciée des jeunes mamans.
La commission rejette l'amendement AS 5.
Titre
L'amendement AS 7 devient sans objet.
La commission adopte ensuite l'ensemble de la proposition de loi sans modification.
Nous avons besoin que le Gouvernement – qui a la responsabilité du commerce extérieur, des relations avec l'Union européenne et des problèmes de santé – prenne une position claire. Moi-même, je m'interroge. Je vais donc lui faire part du trouble des membres de la commission et lui demander de nous donner des arguments convaincants dans un sens ou dans l'autre.
Le dispositif que nous venons de voter n'est-il pas du domaine réglementaire ? Les autorisations et les interdictions qui concernent par exemple les pesticides font l'objet d'un décret. Je m'étonne donc que nous ayons ici besoin d'une loi.
En donnant son accord à l'adoption de la proposition de loi en première lecture au Sénat, le Gouvernement a déjà répondu.
Mais il n'a pas donné d'arguments sur le choix de la loi plutôt que du décret. Il faut éviter les lois médiatiques ou publicitaires.
La séance est levée à dix-sept heures trente.