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Intervention de Gérard Bapt

Réunion du 9 juin 2010 à 16h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Bapt, rapporteur :

Le problème est difficile à traiter par les agences sanitaires. On travaille certes sur des procédures toxicologiques – étude des effets d'un toxique à trois mois, à six mois, à la naissance – mais aussi sur des perturbateurs endocriniens dont les effets peuvent se faire sentir, en tout cas chez la souris, à trois générations de distance, c'est-à-dire que ce sont les données génétiques et la programmation génétique qui sont modifiées.

Jusqu'à présent, en outre, les agences écartaient systématiquement les études dites académiques ou scientifiques – comme celle du Professeur Fénichel à Nice – qui sont réalisées sur des crédits publics, mais dans des laboratoires qui ne respectent pas, pour des raisons de coût, les règles de bonnes pratiques de laboratoires et les lignes directrices édictées par l'OCDE. Le responsable de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) Toulouse, qui est le premier à avoir réalisé une expérimentation sur les effets du Bisphénol A sur la perméabilité intestinale à des doses identiques à celles retrouvées dans le lait maternel, a dû abandonner il y a quatre ou cinq ans ces règles de bonnes pratiques, car cela coûtait trop cher. Or, les agences ne retiennent souvent que les études réalisées selon les règles de bonnes pratiques de laboratoire, que seule l'industrie a les moyens de financer.

Néanmoins, les choses bougent. L'Afssa a rendu, en 2010, de nouveaux avis qui montrent que le paradigme selon lequel on envisage l'étude des effets sanitaires du Bisphénol A est en train d'évoluer. On nous dit que ces effets ne sont prouvés que sur l'animal. Certes, mais on peut faire des observations chez l'homme et des expérimentations sur des cellules humaines. Le Professeur Fénichel a ainsi démontré une baisse de l'efficacité de la chimiothérapie sur les cellules cancéreuses du pancréas si on y met du Bisphénol A. De même, des études américaines ont mis en évidence, en fonction du dosage dans le sang de la mère au troisième mois, au sixième mois puis à la naissance, des troubles neurocomportementaux à deux ans.

Hier même, l'agence allemande a réclamé à l'agence européenne une réévaluation de la dose journalière admissible. La semaine dernière, le Costa Rica a interdit le Bisphénol A. Le Danemark l'a fait il y a deux mois pour les contenants alimentaires destinés aux enfants de zéro à trois ans. A l'intérieur de l'Union européenne, on peut donc s'affranchir, via les clauses de sauvegarde, des règles de la concurrence. Au demeurant, le texte du Sénat ne propose pas une interdiction, mais une suspension de la commercialisation des biberons contenant du Bisphénol A, jusqu'à ce que les études nous permettent d'infirmer ou de confirmer les doutes qui ont été émis.

L'INSERM a publié, il y a une dizaine de jours, un rapport préliminaire qui confirme les effets sanitaires du Bisphénol A. Il est également chargé de conduire une expertise collective plus large, évaluant les effets d'un certain nombre de substances chimiques sur la reproduction, dont les résultats seront connus en 2011. La période transitoire que je vous propose avant la suspension – fixée au 1er janvier 2012 – devrait donc permettre de disposer de cette expertise complète sur les perturbateurs endocriniens. Et compte tenu de l'étude en cours, je pense que Jean-Luc Préel pourrait retirer son amendement sur les autres perturbateurs endocriniens.

Les substituts posent un vrai problème, qui concerne moins aujourd'hui les biberons et les tétines – quelle pharmacie oserait encore vendre des biberons contenant du Bisphénol A ? – que les autres contenants. Le Bisphénol A n'est pas fabriqué en France, mais il existe une production en Allemagne. À l'échelle de la planète, les gros sites de production sont concentrés en Chine et aux États-Unis. Rappelons également que seul 1 % de la production de Bisphénol A est destiné aux contenants alimentaires. Des substituts existent déjà aux États-Unis – ils sont notamment développés par la société Eden Foods depuis 1999. Les industriels nous ont expliqué que ce n'était pas facile – le Bisphénol A est utilisé à l'intérieur des boîtes de conserve pour isoler le contenant métallique des aliments qui pourraient altérer ses propriétés. Ils ont cependant le temps d'y travailler d'ici 2012.

Les chiffres d'exposition au Bisphénol A dont je dispose sont ceux qu'a avancés l'Afssa le 29 janvier dernier : les concentrations dans le lait maternel seraient dix fois supérieures à celles issues de la migration à partir des biberons, les concentrations dans le lait maternisé vingt fois supérieures. La suspension de la commercialisation des biberons ne réglera donc qu'une toute petite partie du problème !

Valérie Boyer a raison, le Bisphénol A pourrait également contribuer au développement de l'obésité. Cela a été observé chez des souris femelles. Je remarque, pour ma part, qu'on assiste à une explosion du nombre de diabètes de type I chez l'enfant – il devrait doubler d'ici 2025. La toxicité du Bisphénol A pour la fonction pancréatique, sa responsabilité dans l'asthme ou les pubertés précoces sont également désormais évoquées.

C'est pour toutes ces raisons que notre Parlement s'honorerait en allant un peu au-delà de la mesure minimum sur les biberons. Je me dois de vous informer que la FDA vient de se voir attribuer 30 millions de dollars de crédits publics pour développer sur deux ans ses études sur le sujet. Essayons d'agir plus rapidement que dans la triste affaire de l'amiante.

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