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Intervention de Gérard Bapt

Réunion du 9 juin 2010 à 16h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Bapt, rapporteur :

La proposition de loi déposée par le sénateur Yvon Collin visait initialement à interdire le Bisphénol A dans tous les plastiques alimentaires. Le 24 mars dernier, le Sénat a considérablement limité son champ d'application en restreignant l'objet de l'article 1er à une suspension de la commercialisation des biberons contenant du Bisphénol A. Il a d'autre part élargi la problématique du Bisphénol A à l'évaluation de l'ensemble des perturbateurs endocriniens en prévoyant, à l'article 2, que le Gouvernement adressera au Parlement, au plus tard le 1er janvier 2011, un rapport présentant les mesures prises et envisagées pour diminuer l'exposition humaine à ces produits.

Le Bisphénol A est un composé chimique organique de synthèse – très proche du Distilbène de sinistre mémoire – utilisé dans la fabrication du polycarbonate, un plastique rigide lui-même utilisé dans la fabrication de nombreux récipients et ustensiles alimentaires tels que les biberons, assiettes, tasses, bols, gobelets ou les récipients destinés aux fours à micro-ondes et à la conservation. Il est également couramment utilisé dans la production de résines époxydes qui forment la couche de protection intérieure des canettes et boîtes de conserve, y compris les boîtes de lait en poudre pour bébés. Le Bisphénol A peut donc migrer en petites quantités dans les boissons et les aliments stockés dans ces récipients ou ustensiles, ce qui pose la question du risque associé à cette migration et de l'exposition des consommateurs.

Disons le d'emblée : la suspension de l'utilisation de biberons à base de Bisphénol A est une avancée qui mérite d'être saluée, mais il est nécessaire d'aller beaucoup plus loin. Si les agences sanitaires ont longtemps conclu à l'innocuité du Bisphénol A dans des conditions normales d'utilisation, de nouvelles études scientifiques viennent en effet de mettre en lumière les risques liés à l'exposition alimentaire au Bisphénol A. Elles suggèrent que sur l'animal, mais également sur des cellules humaines et chez l'homme, il pourrait être impliqué dans divers problèmes de santé – cancer, diabète, atteinte de la reproduction ou troubles neurocomportementaux – et ce y compris à des valeurs inférieures aux doses admises par la réglementation européenne.

Ces nouvelles données scientifiques ont enfin été prises au sérieux par les autorités de contrôle.

Le rapport canadien du « Programme d'évaluation des substances d'intérêt prioritaire » a ainsi conclu, en avril 2008, que le Bisphénol A devrait être considéré comme susceptible de constituer un danger pour la santé chez les femmes enceintes, les foetus ou les nourrissons.

Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) a reconnu, le 16 janvier dernier, sur son site Internet être préoccupée par ces nouvelles études suggérant que le Bisphénol A aurait des conséquences graves sur la santé humaine, en augmentant notamment le risque d'obésité et de maladies cardiovasculaires, et a indiqué que « les résultats de récentes études, recourant à de nouvelles approches qui détectent des effets plus subtils du Bisphénol A suscitent des inquiétudes chez les toxicologues des instituts nationaux de la santé et de la FDA quant à ses effets potentiels sur le cerveau et la prostate des foetus et des jeunes enfants ». La FDA a donc souhaité faciliter le développement de produits de remplacement pour réduire la présence de cette substance dans l'ensemble des récipients alimentaires.

Enfin, dans un avis du 29 janvier 2010, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) a indiqué que des publications récentes faisaient état de « signaux d'alerte » après une exposition in utero et postnatale à des doses inférieures à celle sur laquelle se fonde la dose journalière tolérable, tout en soulignant que les conséquences pour la santé humaine de ces signaux d'alerte n'étaient pas encore clairement établies. Selon l'agence, il convient de poursuivre le travail d'expertise, en lien avec le réseau européen et international des agences, pour comprendre la signification en termes de santé humaine de ces signaux d'alerte, éclairer le consommateur et permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures appropriées.

Plusieurs mesures de précaution ont donc déjà été prises. Le Canada a interdit, le 11 mars 2010, l'importation et la vente des biberons en polycarbonate contenant du Bisphénol A. Le Danemark a quant à lui décidé d'interdire temporairement, à compter du 1er juillet 2010, le Bisphénol A dans tous les produits en contact avec les aliments destinés aux enfants de moins de trois ans. Aux États-Unis, la Chambre des représentants de l'État de Washington a adopté, le 5 mars 2009, un projet de loi interdisant la vente des bouteilles, tasses ou autres contenants renfermant du Bisphénol A, si ce contenant est destiné à être utilisé par des enfants de moins de trois ans. L'État du Connecticut a également interdit, à compter du 1er octobre 2011, la fabrication et la vente d'aliments ou de contenants comportant du Bisphénol A.

L'adoption, à l'unanimité, en première lecture par le Sénat de la proposition de loi tendant à suspendre « la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de biberons produits à base de Bisphénol A » marque donc pour la France la fin d'un certain attentisme.

Premier maire de France à avoir interdit, par un arrêté du 22 juin 2009, la vente et l'utilisation de biberons contenant du Bisphénol A dans ma commune de Saint-Jean en Haute-Garonne, avant d'être suivi par une douzaine de communes, je ne peux qu'être favorable à une extension de cette mesure de précaution à l'ensemble du territoire.

C'est pourquoi j'ai déposé, dans le cadre du projet de loi portant engagement national pour l'environnement, un amendement reprenant in extenso l'article 1er de la présente proposition de loi, amendement qui a été adopté par l'Assemblée nationale. Cette disposition ne devrait pas être remise en cause lors de la réunion de la commission mixte paritaire du 16 juin et le dispositif de l'article 1er devrait donc entrer rapidement en vigueur, après une adoption définitive par l'Assemblée nationale prévue le 29 juin.

Prenant en compte les dernières données scientifiques qui suggèrent une sensibilité accrue au Bisphénol A pour les nouveaux-nés et les nourrissons et un risque de migration du Bisphénol A contenu dans un plastique alimentaire d'autant plus important que ce dernier est intensément chauffé, le législateur français a donc déjà accepté d'éliminer, avec la suspension de la commercialisation des biberons, une des sources d'exposition au Bisphénol A d'une catégorie particulièrement sensible de la population. Ce sont, en effet, les organismes en développement qui sont les plus sensibles aux perturbateurs endocriniens.

Je vous propose néanmoins de faire un pas supplémentaire en adoptant un amendement tendant à suspendre, à compter du 1er janvier 2012, la fabrication, l'importation, l'offre, la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, la mise en vente, la vente ou la distribution à titre gratuit de contenants alimentaires produits à base de Bisphénol A jusqu'à l'adoption par l'Afssa d'un avis motivé autorisant à nouveau ces opérations.

La formulation de cet amendement est assez proche de la rédaction initiale de la proposition de loi.

Trois principaux arguments avaient été avancés lors des travaux du Sénat pour repousser cette interdiction du Bisphénol A dans l'ensemble des plastiques alimentaires. En premier lieu, la compatibilité incertaine d'une interdiction générale des plastiques alimentaires contenant du Bisphénol A avec le principe de libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne et avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Vous noterez que l'amendement que je vous propose ne vise qu'une suspension temporaire de l'utilisation de contenants alimentaires à base de Bisphénol A et que l'article 18 du règlement du 27 octobre 2004 concernant les matériaux et objets destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires prévoit explicitement la possibilité de « mesures de sauvegarde » qui peuvent être provisoirement prises par les États pour suspendre un produit qui présente, en raison de nouvelles données ou d'une nouvelle évaluation des données existantes, un danger pour la santé humaine, ce qui est bien le cas du Bisphénol A.

Deuxième argument : l'innocuité des matériaux utilisables en remplacement des plastiques et des résines contenant du Bisphénol A n'aurait pas encore été suffisamment étudiée. Cet argument est parfaitement recevable, mais la période transitoire avant l'entrée en vigueur de la suspension, fixée au 1er janvier 2012, permet aux autorités de contrôle concernées de poursuivre leurs travaux de recherche sur l'innocuité des matériaux de substitution et laisse surtout aux industriels la possibilité d'adapter leur processus de fabrication – ce qu'ils ont déjà commencé de faire comme ils me l'ont exposé lors de leur audition d'avant-hier et ce qu'ils font depuis plusieurs années aux États-Unis.

Troisième argument : la mise en évidence d'une période critique d'exposition au Bisphénol A, correspondant à la phase du développement du système nerveux et du système reproducteur, ne justifierait pas une interdiction aussi générale – on pouvait donc se borner à protéger, par la suspension de la commercialisation de biberons contenant du Bisphénol A, les bébés particulièrement fragiles. C'est certainement là l'argument le plus faible et le plus contestable pour écarter l'édiction d'une mesure de précaution s'étendant à l'ensemble des plastiques alimentaires.

En effet, la suspension de l'utilisation de biberons produits à base de Bisphénol A ne résout en aucune façon le problème spécifique de l'exposition des bébés à cette substance. Le professeur Jean-François Narbonne, professeur de toxicologie à l'université de Bordeaux et expert à l'Afssa, estime ainsi que « c'est avant tout par l'intermédiaire de la mère que l'enfant est exposé au Bisphénol A : in utero, durant la gestation, mais également lors de l'allaitement, et là le biberon n'intervient pas ! ». Le Professeur Patrick Fénichel, chef du service endocrinologie du CHU de Nice, a pour sa part indiqué qu'une étude devant être bientôt publiée avait, au travers de dosages réalisés dans le sang de cordon ombilical d'une centaine de bébés à la maternité de Nice, mis en évidence du Bisphénol A dans 90 % des échantillons...

Par ailleurs, le biberon n'est pas la seule source d'exposition des nouveaux-nés et des nourrissons. Le lait constitue également une voie d'exposition importante, qu'il soit maternel – par le biais de l'exposition des femmes aux produits alimentaires en contact avec des revêtements intérieurs contenant du Bisphénol A – ou maternisé – par le biais du Bisphénol A utilisé pour assurer l'étanchéité des boîtes contenant la poudre de lait. A ce titre, une interdiction des seuls contenants alimentaires à base de Bisphénol A destinés aux enfants de moins de trois ans, sur le modèle de la législation du Danemark, ne serait qu'un pis-aller n'apportant pas de solution globale aux risques de contamination par l'intermédiaire de la mère.

Dans son avis du 29 janvier 2010, l'Afssa a d'ailleurs rendu publique une estimation intéressante de l'exposition au Bisphénol A des nourrissons qui démontre que l'exposition par migration à partir du biberon est la plus faible, bien inférieure à l'exposition par le lait maternisé et le lait maternel !

La représentation nationale a estimé, lors de l'examen du projet de loi portant engagement national pour l'environnement, que les signaux d'alerte sur le Bisphénol A étaient suffisamment inquiétants pour justifier une suspension de la commercialisation des biberons. Elle s'honorerait aujourd'hui en prenant, comme je vous le propose et dans le respect d'un principe de précaution désormais élevé au rang constitutionnel, une disposition garantissant efficacement, comme le prévoit le Préambule de la Constitution de 1946, la protection de la santé de l'enfant.

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