Audition de M. Miguel Angel Moratinos, ministre des affaires étrangères et de la coopération du Royaume d'Espagne
La séance est ouverte à seize trente.
Nous avons l'honneur et le grand plaisir d'accueillir M. Miguel Ángel Moratinos, ministre des affaires étrangères d'Espagne. Nous sommes très heureux, monsieur le ministre, de vous retrouver au sein de la Commission des affaires étrangères, devant laquelle vous étiez déjà venu vous exprimer, voilà bientôt cinq ans, en mai 2005.
Votre pays, qui exerce la présidence des conseils des ministres de l'Union européenne au cours du premier semestre 2010, s'est fixé un certain nombre de priorités, connues de tous.
Je rappelle, tout d'abord, que l'Espagne est le premier Etat membre appelé à cohabiter avec un « président stable » du Conseil européen. Il vous revient de veiller à ce que le traité de Lisbonne reçoive une application pleine et entière.
La crise financière a mis en évidence la nécessité de coordonner les politiques économiques et financières des Vingt-sept dans ce monde désormais global et très concurrentiel qui nous oblige à innover sans cesse. Nous savons que l'Espagne compte s'y employer. Pourriez-vous nous indiquer quelle est votre analyse de la crise financière que traversent certains pays membres de la zone euro, notamment la Grèce ? Peut-être souhaiterez-vous également vous exprimer sur un certain nombre de rumeurs inquiétantes concernant votre pays.
La construction d'une Europe plus proche des citoyens, s'attachant à défendre nos valeurs démocratiques, est une autre priorité de la présidence espagnole. Mais, si vous le voulez bien, je souhaiterais que nous évoquions plus spécialement avec vous le renforcement du rôle de l'Europe sur la scène internationale, objectif que s'est également fixé votre pays.
Vous avez effectué, il y a quelques jours, une tournée en Israël, en Palestine et en Syrie, au cours de laquelle vous avez déclaré que l'Espagne souhaitait faire tout son possible pour relancer le dialogue israélo-palestinien pendant sa présidence. Quelle appréciation portez-vous sur la situation actuelle, que vous connaissez particulièrement bien ? Quel rôle souhaitez-vous voir jouer à l'Union européenne ?
Vous avez affirmé que le partenariat méditerranéen constituait un « objectif essentiel » pour la présidence espagnole. Comment comptez-vous faire avancer ce projet ?
L'Espagne étant un interlocuteur privilégié des pays d'Amérique latine, j'aimerais en outre savoir quels objectifs vous assignez à l'Europe dans cette région du monde.
Je vous laisse la parole, monsieur le ministre.
C'est un grand honneur et un grand plaisir de me présenter à nouveau devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, comme je l'avais déjà fait voilà cinq ans, mais cette fois à un moment qui constitue un tournant pour le processus d'intégration européenne.
L'Espagne assure aujourd'hui, pour la quatrième fois de son histoire, la présidence tournante de l'Union européenne. Les circonstances ont profondément changé : le traité de Lisbonne a été ratifié, la crise économique et financière conduit à de nouveaux équilibres internationaux, et la construction d'un monde multipolaire tend à modifier le rôle et les responsabilités de bien des acteurs.
Le traité de Lisbonne nous accompagne dans la création de cette nouvelle Union européenne que nous avons tous souhaitée : une Union plus crédible dans le monde, davantage intégrée, plus démocratique, plus forte au plan institutionnel et dotée de représentants permanents de façon à garantir la continuité de ses travaux, sans remettre en cause l'existence de la troïka présidentielle définie par le traité. Afin d'éviter certaines confusions sur le rôle et les responsabilités de la présidence tournante, il importe que nous montrions d'emblée comment fonctionnera la nouvelle Europe du XXIe.
La présidence espagnole s'est naturellement préparée aux défis actuels, même si bien des interrogations ont plané jusqu'à la dernière minute sur la ratification du traité de Lisbonne. La nouvelle Europe ne s'est mise en marche que depuis le 1er janvier dernier, mais nous avons désormais un nouveau Parlement européen, doté de nouvelles compétences qu'il entend exercer pleinement, au risque de surprendre parfois les médias, le Conseil européen et l'opinion publique européenne ; nous avons également une nouvelle Commission européenne, la Commission Barroso II, qui a été approuvée la semaine dernière par le Parlement européen ; nous avons enfin deux nouveaux acteurs : le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, et la Haute représentante et vice-présidente de la Commission européenne, Catherine Ashton. Tous ces changements interviennent dans un contexte de crise économique, comme l'a rappelé le président Poniatowski, mais aussi dans un contexte de relance de la stratégie économique de l'Union européenne, objet d'attentes légitimes de nos opinions publiques.
Force est de constater qu'il existe aujourd'hui un certain nombre d'anxiétés. On nous interroge déjà sur notre bilan, alors que l'Espagne n'exerce la présidence de l'Union que depuis 46 jours. Attendons la fin du mois de juin pour porter un jugement sur la façon dont la nouvelle Europe se met en place et répond à nos aspirations.
Comme j'aurai certainement l'occasion de revenir sur ces différentes inquiétudes à la faveur des questions qui me seront posées, je vais maintenant aborder les deux grandes priorités que s'est fixées la présidence espagnole.
Notre premier objectif est de sortir de la crise économique. L'année 2009 a été consacrée à apporter une réponse à l'effondrement du système financier international et à définir une nouvelle architecture européenne et internationale. Approuvée lors du dernier Conseil européen sous la présidence suédoise, cette réponse doit être parfaite par l'adoption de plusieurs règlements, par le Parlement européen.
La reprise économique est lente et difficile : selon les dernières statistiques, la croissance ne dépasse pas 0,2 % du PIB. Dans ce contexte, la priorité absolue de la présidence espagnole concerne l'agenda économique. Nous réfléchissons ensemble à la définition d'une nouvelle stratégie en la matière, en dépassant les tabous qui ont jusqu'à présent empêché de mettre sur la table la question de la gouvernance économique de l'Europe, objet de très fortes attentes en France.
Nous disposons certes de bonnes règles de gestion financière et d'un Pacte de croissance et de stabilité, mais il nous manque une gouvernance économique ouvrant la voie à un futur gouvernement économique européen. Nous n'en sommes pas encore là, mais la crise nous a fait prendre conscience qu'il est urgent de coordonner les politiques économiques et de définir une méthode de travail pour atteindre les objectifs de la stratégie de Lisbonne. Nous devons réviser cette dernière et passer des indicateurs actuels à de vraies politiques, dotées d'instruments communautaires.
Cette action, bien que lancée en coordination avec la présidence espagnole, est le premier acte de leadership du président Van Rompuy, qui a pris l'initiative de convoquer un Conseil européen extraordinaire pour relever les défis économiques actuels et pour traiter les difficultés traversées par certains pays européens, notamment la Grèce. Ce sommet a permis la manifestation d'une volonté de solidarité et de soutien mutuel entre les pays de la zone euro, qui doivent travailler ensemble pour maintenir la cohésion et l'unité de celle-ci. Il y a désormais un consensus au sein du Conseil européen pour développer une nouvelle stratégie économique et pour la prolonger par un système de gouvernance jusque là inexistant.
J'en viens à notre seconde priorité, qui n'est pas dépourvue de lien avec l'élaboration d'une stratégie économique. Les Pères fondateurs de l'Europe, Jean Monnet, Robert Schuman ou encore Alcide de Gasperi, se préoccupaient avant tout de prospérité économique et sociale, et non de politique étrangère communautaire, même s'ils ont donné naissance à une politique commerciale commune, à une politique de coopération, et à des programmes avec l'Afrique du Nord et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Pourquoi les citoyens européens nous demandent-ils aujourd'hui de nous doter d'une politique étrangère et de sécurité commune ? Pourquoi avons-nous créé de nouvelles institutions avec le traité de Lisbonne ? La situation internationale exige que l'Union européenne soit mieux représentée et qu'elle défende certains dossiers de façon intégrée, notamment en matière de changement climatique, d'énergie et d'immigration.
Telle sera la seconde priorité de la présidence espagnole, qui compte développer l'action extérieure de l'Union en distinguant trois grands cercles.
Si nous voulons plus de stabilité, plus de prospérité et plus de sécurité au sein de l'Union européenne, nous devons veiller, en premier lieu, à ne pas fermer la porte aux pays qui ont exprimé la volonté de faire partie de la famille européenne. C'est tout le sens du processus d'élargissement de l'Union. À partir du moment où nous avons mis de l'ordre dans la maison, adopté le traité de Lisbonne et approfondi les relations institutionnelles au sein de l'Union, pourquoi fermer la porte à ces pays dès lors qu'ils respectent les critères de Copenhague ? C'est notamment le cas de la Croatie, avec laquelle nous pouvons envisager de conclure les négociations, de l'ancienne République yougoslave de Macédoine, dont le nom continue à poser un problème que nous devons régler, mais aussi de la Turquie. Tout en respectant les positions de tous les Etats membres, la présidence espagnole considère que nous devons continuer à avancer dans le processus de négociation. Nous sommes également disposés à ce que la Commission donne son avis sur l'ouverture des négociations avec l'Islande.
Au-delà de ce premier cercle, nous devons développer une politique de voisinage avec tous les pays qui vont profiter de la stabilité, de la paix et des relations de proximité favorisées par l'Union européenne. L'est et le sud sont naturellement les premiers espaces concernés. L'Espagne porte un intérêt particulier à l'Union pour la Méditerranée, essentielle pour l'avenir des deux rives de cette mer, mais sans oublier le partenariat oriental, objet de plusieurs initiatives, dont il faut maintenir la dynamique issue du sommet de Prague.
S'agissant plus particulièrement de l'Union pour la Méditerranée, je rappelle que nous allons organiser en juin un nouveau sommet et que nous appliquerons les résolutions et l'engagement pris en 2008 lors du sommet de Paris. L'inauguration du secrétariat permanent de l'UPM, fruit de longues négociations, aura lieu à Barcelone le 4 mars prochain, en présence des ministres égyptien et français des Affaires étrangères. C'est incontestablement une bonne nouvelle. Nous allons maintenant travailler sur des projets concrets et nous efforcer de créer des conditions politiques d'un succès lors du sommet de Barcelone. Nous ferons le maximum pour favoriser le processus de paix au Proche-Orient, les négociations entre Israël et la Palestine, ainsi que la relance des négociations entre la Syrie et Israël.
J'en viens aux relations transatlantiques, c'est-à-dire à notre troisième cercle. Comme vous le savez, le sommet entre l'Union européenne et les Etats-Unis a été ajourné. Il n'en reste pas moins que nous devons maintenir des relations étroites avec l'administration américaine. La présidence espagnole continue naturellement le travail sur des dossiers aussi essentiels que la justice, l'aide au développement, la politique commerciale. Nous nous attelons, par ailleurs, à la préparation du prochain sommet qui devrait avoir au second semestre, sous présidence belge.
L'Espagne est d'avis que nous arrivons à un moment clef de nos relations avec l'Amérique latine et les Caraïbes. Il faut bien admettre que jusqu'à présent l'Union a maintenu une certaine distance à l'égard de cette zone, où l'Espagne est présente pour des raisons tenant à l'histoire, à la langue, à la culture et aux intérêts économiques et commerciaux. Hormis l'Espagne, la France et l'Italie et, dans une moindre mesure, l'Allemagne, les pays de l'Union européenne manquent d'intérêt pour cette région, pourtant importante dans notre monde désormais multipolaire. Nous allons maintenant essayer de signer un accord avec l'Amérique centrale, avec la Communauté andine et avec le Mercosur – à ce dernier égard, j'ai bon espoir après la rencontre que Mme Ashton et moi-même avons eue hier avec le ministre brésilien des affaires étrangères.
Sans revenir sur toutes les initiatives de la présidence espagnole, notamment à destination de l'Asie et de l'Afrique, je rappellerai seulement notre inquiétude quant à notre politique d'aide au développement et notre souhait d'un plus grand engagement en ce domaine. Nous ne pouvons pas continuer comme aujourd'hui : l'Europe est la première puissance du point de vue de la solidarité, mais elle manque de capacité d'action sur le continent africain. Nos amis français connaissent bien ce continent, mais nous avons besoin que de plus nombreux pays s'y engagent. Nous avons développé de nombreuses politiques à destination de l'Afrique, mais très peu avec les Africains eux-mêmes. Pour bien préparer le sommet Union européenne-Afrique, nous voulons travailler sur la notion novatrice de financement du développement et engager les Etats membres dans la lutte contre la pauvreté. Ce sera l'objet de la réunion des ministres du développement qui aura lieu après-demain à la Granja, le Versailles espagnol. Pour la première fois dans l'histoire européenne, nous allons en outre discuter de la pauvreté et de l'aide au développement au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement lors du Conseil européen de juin. Nous souhaitons engager de façon définitive l'Union européenne dans la bataille pour l'éradication de la pauvreté.
Même si nous manquons évidemment de recul, pouvez-vous faire un premier point d'étape sur la double présidence européenne – celle qui est exercée par M. Van Rompuy et la présidence des conseils des ministres qui revient à l'Espagne ? Il semblerait qu'il y ait eu quelques tiraillements à propos des attributions des uns et des autres.
Ma seconde question concerne l'Espagne en tant que telle, pays très important pour nous, Français, et avec lequel nous entretenons des relations très étroites. Or sa situation économique et financière inquiète aujourd'hui. Il y a, en effet, un certain nombre de rumeurs concernant le secteur immobilier et les caisses d'épargne, qui passent pour être fragilisées.
Vous avez évoqué le souhait de la présidence espagnole de renforcer le rôle de l'Europe sur la scène internationale. Que pensez-vous d'un pays que vous n'avez pas cité, mais qui constitue pour elle un partenaire dont elle ne peut se priver, à savoir la Russie ? M. Medvedev venant de déclarer que l'OTAN est le principal ennemi de son pays, quel peut être, selon vous, le rôle de l'Europe ? Comment compte-t-elle favoriser des relations reposant davantage sur la confiance et la stabilité ?
Élu du Languedoc-Roussillon, région voisine de l'Espagne et bordée par la Méditerranée, je suis naturellement très attentif à tout ce qui touche aux relations bilatérales avec votre pays et à l'avenir de l'espace méditerranéen.
Chacun connaît la place qu'a tenue cette mer dans le développement des civilisations d'Europe et du monde entier, ainsi que sa position stratégique, en bordure de régions sensibles, parfois en proie à des crises douloureuses et difficiles à régler. La Méditerranée est, par ailleurs, un trait d'union avec le continent africain, voire une sorte de rotule nous reliant à lui.
L'Union pour la Méditerranée est un projet européen très ambitieux, tout à fait justifié et nécessaire. Vous avez annoncé l'installation du secrétariat général de l'UPM à Barcelone, ce qui est effectivement une bonne nouvelle. Mais j'aimerais également savoir ce que compte faire l'Espagne pour insuffler une dynamique à ce projet qui peine à démarrer, et pour y associer, non seulement les pays limitrophes de la Méditerranée, mais aussi tous les pays de l'Union. C'est un projet qui a le mérite d'être pleinement européen à un moment où l'Europe manque encore de visibilité dans le monde – on identifie aisément la France à l'étranger, ou encore l'Espagne et les autres pays européens, mais plus rarement l'Europe en tant que telle.
Connaissant les prises de position adoptées par vos collègues et amis politiques, lorsqu'ils étaient dans l'opposition, en ce qui concerne le Sahara occidental et l'avenir du peuple sahraoui, je voudrais savoir comment le grand diplomate et l'ancien envoyé de l'Union européenne pour le Proche-Orient que vous êtes compte peser en faveur du droit à l'autodétermination de ce peuple. Chacun sait que vous avez oeuvré en ce sens à une autre époque.
L'Union pour la Méditerranée n'avancera pas tant que nous ne réaliserons pas des progrès, concertés des deux côtés de la Méditerranée, aussi bien en ce qui concerne le Proche-Orient que le Sahara occidental. Les atteintes aux droits de l'homme n'ont jamais été aussi nombreuses qu'aujourd'hui dans les territoires occupés sahraouis.
Député du Languedoc-Roussillon moi aussi, je porte naturellement un grand intérêt à l'Union pour la Méditerranée. Quelle action envisagez-vous à destination des pays d'Europe du Sud, du Proche-Orient et d'Afrique du Nord, et plus particulièrement pour la zone du port international de Tanger ?
Quelle devrait être, selon vous, la position de l'Europe face aux pays émergents dans la décennie qui vient, en particulier sur le plan économique ? Comment relancer la politique économique européenne ? Vous placez-vous dans la perspective d'une économie de marché régulée, ou bien plus ouverte ?
Estimez-vous que les institutions actuelles permettent à l'Europe de mener une véritable politique étrangère ?
Parmi les mille questions qui se posent à propos de l'Union pour la Méditerranée, j'aimerais savoir si celle-ci vous paraît mieux conçue que l'Union méditerranéenne, qui était la première ébauche de ce projet.
C'est le président Van Rompuy qui préside tous les Conseils européens. Pour les sommets se tenant en Espagne, il est accompagné du président espagnol, M. Zapatero ; à l'égard des pays tiers, c'est à M. Van Rompuy et à Mme Ashton d'assurer la représentation de l'Union. Il revient, par ailleurs, à la présidence tournante aujourd'hui exercée par l'Espagne d'apporter son appui et de préparer les dossiers. L'initiative du Conseil européen de février est ainsi revenue au président Van Rompuy, en concertation avec les présidents Barroso et Zapatero.
La crise en Haïti a constitué notre premier test de grande ampleur. La réponse européenne, décidée dans l'urgence, a été efficace, comme en ont témoigné les Haïtiens eux-mêmes et l'ancien président Bill Clinton. La Haute représentante de l'Union européenne a convoqué un conseil extraordinaire des ministres des affaires étrangères qui a permis de recueillir 122 millions d'euros en 48 heures pour faire face à la situation d'urgence, et la présidence espagnole continue à travailler sur ce dossier dans la durée, en appui au nouveau leardership européen.
Il n'y a pas eu de tiraillements, ni de difficultés au sein des institutions européennes. Dès les premiers jours, nous avons apporté un soutien total au président Van Rompuy et nous avons rappelé que la présidence espagnole appliquerait tout simplement le traité, lequel ne met pas un terme aux responsabilités de la présidence tournante, chargée de présider plusieurs conseils ministériels. En effet, la présidence permanente ne peut pas gérer, à elle seule, l'intégralité de l'action de l'Union européenne : nous avons besoin d'une présidence qui donne des impulsions et prépare les dossiers, à charge pour la présidence permanente de les gérer, de représenter l'Union et d'exercer l'autorité en son nom. C'est aussi une question de temps : la Haute représentante est en train de bâtir un service diplomatique européen grâce auquel l'Union disposera, dès le mois d'avril, d'une nouvelle capacité d'action au plan mondial
Je peux vous rassurer en ce qui concerne l'Espagne : elle traverse une crise économique, comme tous les pays, mais elle va bien. Il est vrai que la croissance française a atteint 0,6 % du PIB au dernier trimestre, contre - 0,1 % chez nous, mais il faut se souvenir que nous ne sommes entrés en récession qu'en 2009 : le PIB avait augmenté de 0,8 % en 2008. Nous ne sommes donc en difficulté que depuis un an.
Considérons maintenant l'endettement, qui est la raison généralement invoquée pour expliquer la crise économique de la zone euro : la dette publique espagnole est de 20 points inférieure à la moyenne européenne, et le service de la dette est moindre que celui des principaux pays européens. Dans ces conditions, vous comprendrez aisément que les agences de notation financière aient attribué un triple A à l'Espagne il y a quelques jours encore.
Par ailleurs, quel est le poids du secteur immobilier dans notre produit intérieur brut ? Il ne dépassait pas 7 % en 2008, et se limite aujourd'hui à 4 %. Il y a encore de la productivité en Espagne, qui demeure la huitième puissance économique mondiale, et il n'y a pas lieu de s'inquiéter pour notre balance des paiements, pour les exportations ou pour les investissements. Nous ne faisons que traverser des difficultés qui affectent tous les pays du fait de l'effondrement du système financier international, phénomène dont l'origine ne se trouve pas en Espagne, ni même en Europe.
Il est vrai que le taux de chômage est préoccupant : il atteint presque 19 %, ce qui est énorme. Or, il se trouve que nous ne connaissons pas une seule grève, ni une seule manifestation, ce qui serait difficile à comprendre si les causes de la situation actuelle n'étaient pas structurelles. En 2007, quand l'Espagne servait de modèle économique et de modèle de développement, nous accueillions 3,5 millions de travailleurs émigrés : les entreprises espagnoles manquaient de main-d'oeuvre alors même que le taux de chômage atteignait 8 % à l'époque. Il faut admettre que nous avons une structure de l'emploi différente, aujourd'hui marquée par l'arrivée des femmes sur le marché du travail.
On ne peut nier que le déficit budgétaire pose un problème délicat : il a fallu maintenir notre politique sociale, notre politique de cohésion ainsi que les aides aux chômeurs. Une fois que la situation se sera améliorée – la croissance devrait repartir dans les prochains mois –, nous mènerons un plan d'austérité. Nous avons déjà proposé, dans le cadre du pacte de Tolède, de porter l'âge de la retraite à 67 ans afin de consolider les finances publiques.
Permettez-moi de rappeler que les difficultés actuelles de la zone euro ne se limitent pas à des attaques contre la Grèce, l'Espagne ou le Portugal. Il s'agit d'une attaque générale contre l'euro et contre le nouvel équilibre international que nous connaissons. Il faut en être conscients et chercher à renforcer la zone euro.
S'agissant de nos relations avec la Russie, qui revêtent une grande importance, je crois qu'il faut faire preuve de prudence à l'égard du document que vous avez cité : il ne s'agit pas de la pensée stratégique de la présidence russe, mais d'un document émanant vraisemblablement des forces armées. Nous constatons, par ailleurs, qu'il existe aujourd'hui de nouvelles relations entre la Russie et l'Alliance atlantique, qui se déroulent dans un esprit très positif et dont le potentiel me semble très grand.
De son côté, l'Union européenne se doit d'entretenir, elle aussi, un partenariat stratégique avec la Russie, qui est non seulement son voisin, mais également un acteur global des relations internationales. Pour établir une relation plus forte avec ce pays, la conclusion d'un nouveau partenariat peut être envisagée, notamment en matière commerciale. L'entrée de la Russie dans l'OMC devrait au demeurant faciliter les négociations dans ce domaine. Un autre aspect important concerne la délivrance des visas, que nous ferions bien de libéraliser.
Cependant, le dossier essentiel est celui de l'énergie, secteur pour lequel s'impose la nécessité d'un nouveau partenariat. Or le souhait de la Russie est que le pays producteur, c'est-à-dire elle-même, les pays de transit d'Europe centrale et les pays consommateurs s'assoient autour d'une table pour trouver un accord. De notre côté, préparant notre présidence, notre souci a été de prévenir une crise énergétique similaire à celle de janvier 2009, lors du conflit gazier qui a opposé la Russie et l'Ukraine, même si les conséquences de cette crise ont bien été gérées par la Commission et par la présidence suédoise, de concert avec la présidence espagnole. Étant donné le nouvel esprit qui anime la Fédération de Russie, l'Union européenne doit accorder une importance stratégique à ses relations avec ce pays.
S'agissant de l'Union pour la Méditerranée, l'Espagne a toujours appuyé l'initiative du Président Sarkozy visant à donner un nouvel élan au long processus de Barcelone, qui a fait l'objet de nombreuses critiques – on lui a reproché notamment d'avoir déçu les attentes qu'il avait fait naître. Mais cette impulsion politique ne va pas faire disparaître toutes les difficultés, aussi longtemps que le Proche-Orient n'est pas pacifié et que les rapports intramaghrebins ne sont pas apaisés. Nous travaillons à faire avancer le processus de paix au Proche-Orient et susciter ainsi des conditions politiques favorables à la consolidation de l'UPM.
L'UPM, c'est aussi un nouveau cadre institutionnel, notamment un secrétariat général et une coprésidence. L'Espagne souhaite que le secrétariat général puisse commencer ses travaux au plus tôt. Il y a quelques heures, nous avons reçu le feu vert de l'Égypte et de la France pour la tenue d'un second sommet en juin, à Barcelone. Nous y traiterons les quatre dossiers retenus lors du sommet de Paris : les autoroutes de la mer, le développement des PME, le plan solaire méditerranéen, l'environnement. Ce sommet nous permettra également d'aborder l'ensemble des questions économiques et commerciales, de mobiliser les sociétés civiles, de nouer des partenariats stratégiques et énergétiques avec l'Afrique du nord, d'établir des garanties de protection de la sécurité alimentaire, d'instaurer une culture de la recherche. Telles sont les initiatives que la présidence espagnole souhaite voir inscrites à l'ordre du jour du sommet de Barcelone.
Aux yeux de l'Espagne comme de la France, et pour un projet d'avenir commun aux pays de la Méditerranée, il est fondamental d'apporter une réponse définitive à la question du Sahara occidental. L'Europe doit appuyer les initiatives des Nations Unies en ce sens – la dernière en date étant la réunion informelle de représentants du Front Polisario et du Maroc, qui s'est tenue pendant deux jours sous l'égide de l'ONU à Manhasset, près de New York. Si cette réunion n'a pas été une réussite totale, elle s'est cependant achevée sur un engagement de poursuivre les négociations. Les pays influents dans cette région, tels que l'Espagne, la France ou les États-Unis ont une responsabilité particulière. Étant donné les derniers épisodes du conflit du Sahara occidental, ces pays, notamment la France et l'Espagne, devraient, au lieu de soutenir chacun une des parties au conflit, proposer une vision commune et s'engager à trouver une solution définitive incluant le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui. Cela ne pourra se faire que par le dialogue, sous l'impulsion des Nations Unies et, surtout, grâce à un nouvel engagement de l'Algérie et du Maroc qui ont toujours leur frontière fermée et qui doivent se résoudre à une rencontre physique. Il n'est pas normal qu'un tel conflit frontalier persiste au début du XXIeà quelques kilomètres de nos rives ! Même les États-Unis sont prêts à s'engager de manière différente.
Il ne s'agit pas seulement des droits légitimes du peuple sahraoui : il s'agit de notre stabilité et de notre sécurité à tous. Les récents enlèvements d'un ressortissant français au Mali et de ressortissants espagnols en Mauritanie, ainsi que l'assassinat de ressortissants français dans ce dernier pays, viennent nous rappeler l'urgente nécessité du développement économique et social de l'Afrique du nord. On se mobilise en ce moment pour lutter contre Al Qaïda au Yémen : ne voit-on pas que la Somalie et le Sahel commencent à être touchés par les mêmes problèmes ? Or c'est notre frontière, notre hinterland, notre zone d'influence.
Le projet de Tanger-Med, monsieur Dupré, est un chantier très important, dont les retombées seront positives pour le port espagnol d'Algesiras, par l'intensification du trafic et des échanges et les économies d'échelle que permettra sa réalisation. D'une façon générale, le développement du nord du Maroc ne peut qu'être bénéfique, non seulement pour le Maroc, mais aussi pour l'ensemble de l'Europe. Pour toutes ces raisons, l'Espagne ne peut qu'être favorable à cette initiative.
Vous me demandez quelle doit être l'attitude de l'Union européenne face à ces nouveaux acteurs économiques que sont les pays émergents. Je vous répondrai que les Européens doivent d'abord croire en eux-mêmes. Tant que nous nous complairons dans la peur, le défaitisme et dans des discours infondés sur notre prétendue décadence, les pays émergents, eux, continueront à gagner des parts de marché. Ne devrait-on pas plutôt, en dépit des difficultés économiques et financières qui frappent en ce moment la zone euro, rappeler le succès du modèle européen et les acquis de la construction européenne ? Il nous faut simplement renforcer notre productivité. Or où sont les plus grands gisements de compétitivité dans le monde, sinon dans l'éducation, la recherche, l'innovation, les universités ? L'Europe n'a-t-elle pas tous les atouts pour rivaliser avec le faible coût de la main-d'oeuvre chinoise et l'abondance des matières premières en Amérique ou en Afrique ?
Faisons du marché unique européen un marché plus ambitieux. Mettons en place, par exemple, un marché unique de l'énergie, qui nous permettrait de réduire notre dépendance énergétique de 40 %, au bénéfice de l'investissement, ou encore un marché unique des télécommunications, secteur où l'Europe bénéficie d'une valeur ajoutée. Pourquoi se complaire dans le sentiment d'une lente décadence ? C'est à nous de réagir et de donner aux pays émergents l'envie de travailler avec nous : le traité de Lisbonne nous en donne les moyens, pourvu que nous ayons confiance en nous-mêmes.
Les résultats du sommet des ministres européens des finances consacré à la crise financière qui frappe la Grèce ont déçu de nombreux observateurs, ses conclusions se réduisant à l'injonction faite aux Grecs de redoubler d'efforts. Une telle prudence est-elle une tactique face aux attaques spéculatives, ou bien l'indice d'un défaut de solidarité européenne ?
Ma deuxième question s'adresse à l'éminent spécialiste du Proche-Orient que vous êtes aussi. Face au blocage désespérant de la situation dans cette région du monde, avez-vous fait le choix du pessimisme de la raison ou celui de l'optimisme de la volonté, et sur quel fondement ?
Je salue, monsieur le ministre, votre capacité jamais mise en défaut d'ouvrir des perspectives optimistes à partir des situations les plus sombres !
Je voudrais d'abord vous interroger sur l'incidence du traité de Lisbonne sur la gouvernance européenne : comment vont s'équilibrer les compétences des deux présidences ? Votre façon d'exercer la présidence des conseils des ministres ne semble pas différer de ce qu'était l'exercice de la présidence avant l'adoption du traité. Cela prouve bien que certaines questions institutionnelles n'ont pas été résolues par cette adoption, telle celle de l'équilibre entre la présidence du Conseil européen et la présidence tournante.
Je me demande par ailleurs si l'Europe est capable d'exprimer une position commune sur le dossier du Proche-Orient, où semble s'imposer le pire scénario, les Palestiniens s'enfonçant dans une situation sans issue.
Ma dernière question portera sur l'Union pour la Méditerranée et le sommet de Barcelone. Le secrétariat général de l'UPM sera-t-il capable de contourner les obstacles politiques pour élaborer à partir du terrain des solutions concrètes et efficaces aux difficultés persistantes que vous avez évoquées ?
La collaboration, dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense, des forces de l'ordre de la France et de l'Espagne a porté ses fruits s'agissant de combattre le terrorisme de l'ETA. Où en est l'élimination de ces groupes armés ? La collaboration entre les forces de l'ordre de nos deux pays doit-elle se poursuivre et s'approfondir ?
Vous avez évoqué la fierté d'être européen : le formidable processus de paix qui, depuis soixante ans, permet à ce territoire d'être ce qu'il est aujourd'hui devrait faire l'objet d'une campagne de communication.
Par ailleurs, l'articulation des pouvoirs européens est pour nous un enjeu considérable, car il en va de la crédibilité et de la visibilité de l'Europe. Le changement de stratégie de l'Europe vis-à-vis du reste du monde que vous prônez est en effet le seul moyen pour elle de peser sur la scène internationale., comme nous en avons eu la preuve au sommet de Copenhague.
Ce changement devrait notamment affecter notre politique d'aide au développement, domaine où l'action de l'Europe est peu visible alors qu'elle est le premier contributeur mondial. L'Europe ne devrait-elle pas recentrer ses missions sur ce qu'elle sait faire ? Je pense en particulier à son indéniable expertise en matière de reconstruction civile, dont nous devrions faire bénéficier Haïti et l'Afghanistan, entre autres pays.
On sait l'importance des responsabilités que vous avez exercées au Proche-Orient, en tant qu'ambassadeur d'Espagne en Israël, puis comme envoyé spécial de l'Union européenne : à ce dernier titre, vous avez contribué à la signature de l'accord entre MM. Arafat et Netanyahou. C'est pourquoi j'aimerais connaître votre sentiment sur le conflit israélo-palestinien, aujourd'hui qu'un mur s'élève entre les deux peuples.
Deuxièmement, alors que M. Obama va recevoir le dalaï-lama dans quelques jours, la Commission européenne ne devrait-elle pas le recevoir à son tour, au nom de l'ensemble des États membres ?
Nous ne pourrons pas sortir de la crise sans restaurer la confiance des marchés financiers. L'Union ne pourrait-elle pas, dans cette perspective, créer un fonds monétaire européen chargé de parer aux attaques spéculatives dont certains pays européens sont l'objet, attaques qui visent en réalité, comme vous l'avez souligné, à tester l'euro ?
L'Union européenne est-elle enfin prête à envoyer au marché un signal fort de régulation économique, en prenant des sanctions à l'encontre des fonds spéculatifs ou des mesures d'harmonisation en matière d'épargne ? Une avancée dans la mise en place d'une communauté européenne de l'énergie, que vous venez d'évoquer, serait un autre signe fort en faveur d'une gouvernance économique européenne. Il est regrettable que ces questions soient régulièrement renvoyées au conseil Ecofin alors qu'il s'agit de décisions politiques. Comment concevez-vous le rôle du conseil « Affaires générales », que vous présidez, dans la préparation du Conseil européen, où les ministres des affaires étrangères ne siègent plus depuis l'adoption du traité de Lisbonne ?
Deuxièmement, les secrétaires généraux adjoints de l'UPM sont-ils aujourd'hui tous nommés ? À quel niveau se réunira le sommet de Barcelone ?
Je déplore enfin, comme nous tous, que le président Obama ne se rende pas au sommet Union européenne-États-Unis. Ces derniers semblent vouloir aujourd'hui que ce sommet soit couplé avec le sommet de l'Alliance atlantique. Cela signifie-t-il que les États-Unis ne voient l'Europe qu'à travers le prisme atlantiste ?
Vous avez, à juste titre, monsieur le ministre, évoqué les succès européens. Il faudrait cependant faire attention à ce que les institutions européennes ne soient pas autant de freins, au désespoir de nos concitoyens.
Par ailleurs, le rempart que constituait l'axe États-Unis-Turquie-Israël semble se fissurer depuis que la Turquie, peut-être déçue dans son espoir d'intégrer l'Union européenne, se tourne vers l'Iran. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
Pensez-vous, au vu des propositions assez précises de M. Junker en matière de coordination, d'évaluation et de suivi des politiques économiques, que l'Eurogroupe soit le cadre naturel de la gouvernance économique de l'Europe ? Comment articuler les différents niveaux de responsabilité ? Vous avez beaucoup parlé de marchés – marché unique de l'énergie, des télécommunications – : n'est-ce pas plutôt de politiques communes dont l'Europe a besoin aujourd'hui, notamment dans la perspective de la stratégie « Europe 2020 » ?
En ce qui concerne le Proche-Orient enfin, après la déclaration adoptée en décembre par le conseil de l'Union européenne à l'instigation de la présidence suédoise, l'Europe ne devrait-elle pas envisager de faire pression sur Israël afin de mettre fin à la construction du mur et à la poursuite de la colonisation ? Les Européens peuvent-ils jouer un rôle dans le rétablissement du dialogue entre l'Autorité palestinienne et le Hamas ?
Tous nos collègues déplorent le fait que le Parlement espagnol se désengage d'organisations internationales où nous avions l'habitude de nous retrouver. Je pense en particulier à l'Union de l'Europe occidentale ou à l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée. Certes, cette question relève plutôt de votre Parlement, mais nous aimerions que vous vous fassiez notre interprète auprès de lui pour plaider en faveur du retour de nos collègues au sein de ces instances.
Fin décembre, à Séville, l'Airbus A400M a effectué son premier vol. J'aimerais connaître la position du gouvernement espagnol quant à l'avenir de ce projet phare de la coopération militaire européenne.
Comment jugez-vous, en tant que ministre des affaires étrangères du royaume d'Espagne, la situation actuelle de l'Afrique ? D'autre part, l'identité européenne de défense existe-t-elle encore après le ralliement de la France à l'OTAN ? L'OTAN ne constitue-t-elle pas finalement la défense américaine de l'Europe ?
En économie, monsieur Glavany, la confiance est la clé de tout. Vous pouvez avoir les meilleurs résultats économiques et financiers : sans confiance, tout l'édifice risque de s'effondrer. Voilà pourquoi le dernier conseil européen a envoyé le message que l'Union européenne est pleinement solidaire de tous les États membres en difficulté et prête à décider un paquet de mesures de sauvetage afin d'éviter une crise majeure. C'est l'élément le plus important dans la déclaration du Conseil. Certes, chaque pays est un cas particulier et a des devoirs : ECOFIN a fixé aujourd'hui les conditions à respecter par la Grèce en contrepartie des efforts consentis pour faciliter sa sortie de crise. Ce que je retiens cependant, c'est ce message de solidarité européenne.
En ce qui concerne le Proche-Orient, j'ai évidemment fait le choix de l'optimisme de la volonté, celui de la raison conduisant à des constats assez sombres. Tout a changé depuis l'époque où j'étais envoyé spécial de l'Union européenne dans cette région. Dans les années 1996-1997 en effet, il s'agissait encore d'un conflit israélo-arabe traditionnel, dont les enjeux étaient territoriaux, de paix et de sécurité. Aujourd'hui, même si cette dimension traditionnelle subsiste, le contexte régional et international est marqué par la crise iranienne, l'émergence d'un radicalisme islamique et le terrorisme. Si ces changements ont rendu la solution plus complexe, ils ont paradoxalement rapproché les intérêts stratégiques d'Israël et des pays arabes. M. Netanyahou et le roi d'Arabie Saoudite savent qu'ils ont également besoin de la paix. C'est ce qui me rend optimiste : la situation géopolitique actuelle rend la paix entre Israël et les Palestiniens inévitable. Certes les négociations de paix seront difficiles, étant donné les contraintes nationales, internationales, territoriales, de sécurité etc. qui pèsent sur chacune des parties. Mais l'administration Obama s'est engagée fortement. L'Union européenne n'est pas en reste, avec cette déclaration, adoptée sous la présidence suédoise, qui indique très clairement et très fermement sa position : le soutien à la solution des deux États.
Ce qu'il faut maintenant, c'est réenclencher le processus de paix. Malheureusement, depuis un an et demi et l'arrivée d'un nouveau Premier ministre israélien, il y a toujours eu une raison pour différer le début des négociations. Je fais cependant confiance à M. Netanyahou : même s'il a retardé l'application des accords d'Oslo, il a quand même signé un accord avec Arafat, comme cela a été rappelé, et, contre l'idéologie de son parti, le Likoud, il accepte la solution des deux États.
Les dernières initiatives de l'administration américaine, du sénateur Mitchell, de l'Union européenne et de moi-même, comme de tous les pays engagés dans ce processus, ont toutes pour but la reprise du dialogue. Il est important que les discussions s'engagent sérieusement entre Israël et Palestine d'ici à deux ou trois mois, avant que les relations avec l'Iran ne se tendent encore.
J'espère également que pourra s'entamer un dialogue israélo-syrien. Puisque la Syrie a exprimé le souhait qu'Ankara joue les bons offices, impliquer la Turquie, dont le rôle régional est important, dans ces négociations serait un moyen de la ramener dans l'axe occidental que vous avez évoqué.
Je répète qu'il est essentiel d'impulser cette dynamique de paix avant que nos relations avec l'Iran ne se détériorent encore. Sinon, c'est le pessimisme de la raison qui devra l'emporter.
Monsieur de Charette, la division des tâches définie par le traité de Lisbonne est claire : désormais, c'est le président du Conseil européen qui a toutes les capacités. D'ailleurs, le document qui a servi de base aux discussions, quoique élaboré en concertation avec M. Zapatero, qui assure la présidence tournante, est bien l'oeuvre du président Van Rompuy. Mais si c'est à lui que revient le soin de convoquer le Conseil européen, c'est au conseil « Affaires générales », sous présidence tournante, de préparer celui-ci. Le Conseil « Affaires générales » dispose en effet d'une plus grande capacité d'accompagnement et de préparation et est chargé de la coordination.
Cependant, avant tous les conseils « Affaires générales », je m'entretiens avec M. Van Rompuy de ce que l'on doit discuter et de l'agenda. C'est nous qui avons insisté pour qu'il puisse assister à ce conseil « Affaires générales », ce qui n'était pas prévu. En outre, lundi prochain, nous discuterons de la stratégie économique en sa présence, afin qu'il soit le maître du jeu du Conseil européen. C'est que le conseil « Affaires générales » est, selon le mot de Jacques Delors, « le conseil des conseils » : c'est lui qui assure l'arbitrage politique, d'autant que, depuis l'adoption du traité de Lisbonne, les ministres des affaires étrangères ne sont plus membres de droit du conseil européen. M. Lellouche, secrétaire d'État français chargé des affaires européennes, a d'ailleurs confirmé, dans une lettre à la présidence espagnole, le rôle d'arbitre et de coordinateur des différents conseils européens que doit jouer le Conseil « Affaires générales ».
Il est vrai que nous avons tardé à mettre sur pied le secrétariat général de l'UPM. Mais une fois cela fait, l'UPM pourra se mettre immédiatement au travail. Le secrétaire général et les secrétaires généraux adjoints ayant été nommés, il nous reste, madame Guigou, à négocier les compétences du représentant turc et du représentant grec – mais nous sommes à la veille de donner satisfaction à l'un et l'autre pays.
En tant que ministre des affaires étrangères de l'Espagne, je dois, monsieur Remiller, témoigner de la reconnaissance de toute l'Espagne pour la contribution de la France à la lutte contre l'ETA. C'est grâce à la collaboration extraordinaire entre nos deux pays que l'ETA est désormais en perte de vitesse, ses appuis fondant aussi bien dans la communauté internationale que dans un pays basque espagnol qui dispose désormais d'un gouvernement solide, répondant aux besoins des citoyens. Ce n'est pas une raison pour baisser la garde, et nos autorités de police et de justice restent mobilisées en permanence par ce travail commun.
Il est vrai, madame Ameline, que l'Europe est la première puissance en matière d'aide au développement, sans jouir d'une visibilité à la hauteur de sa contribution. Ainsi par exemple, l'aide européenne au développement du Laos est de 190 millions d'euros, si on additionne les contributions de tous les États membres, alors que l'aide chinoise est de 120 millions d'euros par an. Mais la Chine est une puissance politique qui pèse au Laos, alors que les Laotiens n'ont pas conscience que l'Europe est leur premier bailleur de fonds.
Vous pouvez imaginer ce qu'il en est de l'Afrique. La gratitude exprimée par le Premier ministre éthiopien à M. Zapatero pour l'aide de l'Europe, à l'occasion du sommet de l'Union africaine qui s'est tenu récemment à Addis Abeba, se teintait d'une certaine amertume : l'aide européenne a pour but de nous maintenir en vie, nous a-t-il dit, mais non de transformer l'Afrique. Quand les Européens contribuent essentiellement aux programmes éducatifs, au financement des hôpitaux et de la santé, les Chinois financent des routes, des barrages, des grandes écoles, des universités. De tels propos prouvent que l'Union européenne doit sérieusement réviser sa politique d'aide au développement. C'est l'un des grands enjeux de la future politique européenne. Il ne s'agit pas seulement de gagner de l'influence, mais surtout de sortir du cercle vicieux où l'aide ne fait qu'entretenir la marginalisation de l'Afrique.
Si la Turquie perd l'espoir de jamais entrer dans l'Union européenne, elle sera encline à rechercher d'autres hinterlands. C'est d'ailleurs ce à quoi on assiste en ce moment, la nouvelle politique étrangère turque visant à développer le rôle de ce pays en Asie centrale, au Caucase, voire en Afrique et en Iran. Par peur, l'Europe se prive de l'atout stratégique que constituerait pour elle ce pays. Nous avons tous à gagner à une modernisation de la Turquie qui lui permettrait de faire face aux enjeux de ce siècle.
Pour recevoir le dalaï-lama, il faudrait un consensus qui n'existe pas au sein de l'Union européenne. Tout ce que peut faire l'UE, c'est encourager le dialogue entre le Tibet et les autorités chinoises.
Nous avons beaucoup avancé en matière de régulations financières, madame Guigou, puisque les propositions issues du dernier conseil sous présidence suédoise, relatives à la création d'un comité européen du risque systémique, d'un système européen de surveillance financière et d'autorités européennes de supervision financière, sont désormais soumises à l'examen du Parlement européen. Quant à l'idée d'un fonds monétaire européen, elle ne manque pas d'intérêt, mais on doit être prudent quand on exerce la présidence ! On a déjà reproché à M. Zapatero d'avoir été trop ambitieux en parlant de gouvernance économique. Chaque chose en son temps.
En revanche, la présidence espagnole et le président Van Rompuy travailleront à la mise en place d'une communauté européenne de l'énergie.
Nous voulons donner plus de poids au conseil « Affaires générales » parce que c'est une instance plus politique, mais il revient aux ministres de prendre cette responsabilité.
Le sommet entre l'Union européenne et les États-Unis se heurte à un problème de calendrier. En tout état de cause, il ne saurait avoir lieu en marge de la réunion de l'Alliance atlantique à Lisbonne.
En ce qui concerne les propositions de M. Junker, monsieur Garrigue, le rôle de l'Eurogroupe, première instance de discussion, de réflexion et de proposition, doit être renforcé. Par ailleurs, s'il y a coordination des politiques économiques européennes, l'Union n'est malheureusement pas encore en mesure de se doter d'une politique économique commune. Si on peut envisager dans l'avenir une gouvernance économique de l'Europe, nous devons encore convaincre tous ceux qui jugent cette perspective irréaliste.
Quant au dialogue intrapalestinien, c'est aux Palestiniens de l'engager. Or, si le président Abou Mazen a signé la proposition d'accord présentée par les Égyptiens, ce n'est pas le cas du Hamas. Par ailleurs, le Hamas doit accéder à ces demandes raisonnables : renoncer à la violence, reconnaître Israël et les accords précédents. C'est donc la responsabilité du Hamas qui est en jeu, pas celle de l'Union européenne.
Même si l'avis du service juridique de mon ministère a été sollicité pour savoir si l'entrée en application du traité de Lisbonne avait des incidences en la matière, la participation des parlementaires espagnols à l'UEO relève de la décision du Parlement espagnol.
Selon mes informations, un plan de sauvetage de l'A400M doit être mis sur pied. Il ne peut en être autrement étant donné l'importance des enjeux. S'agissant d'un projet aussi extraordinaire, atout incomparable pour l'industrie européenne, il est hors de question que les États qui participent à ce projet ne parviennent pas à trouver une solution à ses difficultés financières.
Le continent africain n'est pas le continent du futur : c'est le continent d'aujourd'hui. Pourtant, alors que l'Europe est sa voisine, et en dépit d'une présence européenne de longue date, l'Afrique a été jusqu'ici la grande oubliée des politiques européennes. Aujourd'hui les Africains demandent une place de protagoniste sur la scène internationale. Voilà ce que sera, à mon avis, le grand enjeu de la politique étrangère européenne : établir une relation différente avec l'Afrique. Cela suppose une vision différente, une coresponsabilité, une appropriation par les Africains de leur destin et un changement de notre politique de coopération et de développement. Ce continent aura besoin de ressources financières supplémentaires pour faire face aux nouveaux fléaux et aux nouvelles difficultés économiques et sociales suscités par les bouleversements internationaux. L'Afrique sera donc notre priorité.
Mais elle n'est malheureusement pas encore inscrite à l'ordre du jour de nos débats. Lors de la conférence de Munich sur la sécurité, j'ai rappelé que le grand enjeu en matière de sécurité, c'était l'Afrique, la pauvreté, les migrations, le terrorisme. Pourtant, pas un Africain n'avait été invité à débattre. Nous restons entre nous, à discuter de nos inquiétudes, sans entendre ce continent frapper à notre porte, hormis lorsqu'un frêle esquif rempli de ressortissants africains s'échoue sur nos côtes. Alors que l'agenda du Conseil de sécurité lui est consacré à 80 %, il n'y compte pas un seul membre permanent. Seule l'Afrique du sud est représentée au G 20. Bien que l'Europe – notamment la France, mais aussi la Grande-Bretagne, l'Espagne et le Portugal –, soit liée à l'Afrique par l'histoire, la culture, les langues, le continent africain ne lui paraît pas constituer un enjeu stratégique suffisamment important.
Le traité de Lisbonne ouvre de nouvelles ambitions en matière d'intégration européenne : désormais la politique européenne de sécurité et de défense, PESD, est devenue la politique de sécurité et de défense commune, PESDC. Lors de la conférence de Munich, le ministre allemand des affaires étrangères a d'ailleurs proposé la création d'une armée européenne, initiative soutenue par l'Espagne. Certes, l'identité européenne de défense ne doit pas entrer en conflit avec le nouveau concept stratégique de l'OTAN. Mais cela n'empêche pas d'appliquer le traité de Lisbonne en matière de politique commune de sécurité et de défense. C'est notre avenir ; c'est l'avenir de l'Europe.
Je vous remercie d'avoir partagé avec nous votre connaissance approfondie des affaires européennes et mondiales. Nous espérons vous entendre à nouveau à l'issue de la présidence espagnole, afin de pouvoir en dresser un bilan.
La séance est levée à dix-huit heures vingt-cinq.