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Intervention de Miguel Ángel Moratinos

Réunion du 16 février 2010 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Miguel Ángel Moratinos, ministre des affaires étrangères et de la coopération du Royaume d'Espagne :

C'est le président Van Rompuy qui préside tous les Conseils européens. Pour les sommets se tenant en Espagne, il est accompagné du président espagnol, M. Zapatero ; à l'égard des pays tiers, c'est à M. Van Rompuy et à Mme Ashton d'assurer la représentation de l'Union. Il revient, par ailleurs, à la présidence tournante aujourd'hui exercée par l'Espagne d'apporter son appui et de préparer les dossiers. L'initiative du Conseil européen de février est ainsi revenue au président Van Rompuy, en concertation avec les présidents Barroso et Zapatero.

La crise en Haïti a constitué notre premier test de grande ampleur. La réponse européenne, décidée dans l'urgence, a été efficace, comme en ont témoigné les Haïtiens eux-mêmes et l'ancien président Bill Clinton. La Haute représentante de l'Union européenne a convoqué un conseil extraordinaire des ministres des affaires étrangères qui a permis de recueillir 122 millions d'euros en 48 heures pour faire face à la situation d'urgence, et la présidence espagnole continue à travailler sur ce dossier dans la durée, en appui au nouveau leardership européen.

Il n'y a pas eu de tiraillements, ni de difficultés au sein des institutions européennes. Dès les premiers jours, nous avons apporté un soutien total au président Van Rompuy et nous avons rappelé que la présidence espagnole appliquerait tout simplement le traité, lequel ne met pas un terme aux responsabilités de la présidence tournante, chargée de présider plusieurs conseils ministériels. En effet, la présidence permanente ne peut pas gérer, à elle seule, l'intégralité de l'action de l'Union européenne : nous avons besoin d'une présidence qui donne des impulsions et prépare les dossiers, à charge pour la présidence permanente de les gérer, de représenter l'Union et d'exercer l'autorité en son nom. C'est aussi une question de temps : la Haute représentante est en train de bâtir un service diplomatique européen grâce auquel l'Union disposera, dès le mois d'avril, d'une nouvelle capacité d'action au plan mondial

Je peux vous rassurer en ce qui concerne l'Espagne : elle traverse une crise économique, comme tous les pays, mais elle va bien. Il est vrai que la croissance française a atteint 0,6 % du PIB au dernier trimestre, contre - 0,1 % chez nous, mais il faut se souvenir que nous ne sommes entrés en récession qu'en 2009 : le PIB avait augmenté de 0,8 % en 2008. Nous ne sommes donc en difficulté que depuis un an.

Considérons maintenant l'endettement, qui est la raison généralement invoquée pour expliquer la crise économique de la zone euro : la dette publique espagnole est de 20 points inférieure à la moyenne européenne, et le service de la dette est moindre que celui des principaux pays européens. Dans ces conditions, vous comprendrez aisément que les agences de notation financière aient attribué un triple A à l'Espagne il y a quelques jours encore.

Par ailleurs, quel est le poids du secteur immobilier dans notre produit intérieur brut ? Il ne dépassait pas 7 % en 2008, et se limite aujourd'hui à 4 %. Il y a encore de la productivité en Espagne, qui demeure la huitième puissance économique mondiale, et il n'y a pas lieu de s'inquiéter pour notre balance des paiements, pour les exportations ou pour les investissements. Nous ne faisons que traverser des difficultés qui affectent tous les pays du fait de l'effondrement du système financier international, phénomène dont l'origine ne se trouve pas en Espagne, ni même en Europe.

Il est vrai que le taux de chômage est préoccupant : il atteint presque 19 %, ce qui est énorme. Or, il se trouve que nous ne connaissons pas une seule grève, ni une seule manifestation, ce qui serait difficile à comprendre si les causes de la situation actuelle n'étaient pas structurelles. En 2007, quand l'Espagne servait de modèle économique et de modèle de développement, nous accueillions 3,5 millions de travailleurs émigrés : les entreprises espagnoles manquaient de main-d'oeuvre alors même que le taux de chômage atteignait 8 % à l'époque. Il faut admettre que nous avons une structure de l'emploi différente, aujourd'hui marquée par l'arrivée des femmes sur le marché du travail.

On ne peut nier que le déficit budgétaire pose un problème délicat : il a fallu maintenir notre politique sociale, notre politique de cohésion ainsi que les aides aux chômeurs. Une fois que la situation se sera améliorée – la croissance devrait repartir dans les prochains mois –, nous mènerons un plan d'austérité. Nous avons déjà proposé, dans le cadre du pacte de Tolède, de porter l'âge de la retraite à 67 ans afin de consolider les finances publiques.

Permettez-moi de rappeler que les difficultés actuelles de la zone euro ne se limitent pas à des attaques contre la Grèce, l'Espagne ou le Portugal. Il s'agit d'une attaque générale contre l'euro et contre le nouvel équilibre international que nous connaissons. Il faut en être conscients et chercher à renforcer la zone euro.

S'agissant de nos relations avec la Russie, qui revêtent une grande importance, je crois qu'il faut faire preuve de prudence à l'égard du document que vous avez cité : il ne s'agit pas de la pensée stratégique de la présidence russe, mais d'un document émanant vraisemblablement des forces armées. Nous constatons, par ailleurs, qu'il existe aujourd'hui de nouvelles relations entre la Russie et l'Alliance atlantique, qui se déroulent dans un esprit très positif et dont le potentiel me semble très grand.

De son côté, l'Union européenne se doit d'entretenir, elle aussi, un partenariat stratégique avec la Russie, qui est non seulement son voisin, mais également un acteur global des relations internationales. Pour établir une relation plus forte avec ce pays, la conclusion d'un nouveau partenariat peut être envisagée, notamment en matière commerciale. L'entrée de la Russie dans l'OMC devrait au demeurant faciliter les négociations dans ce domaine. Un autre aspect important concerne la délivrance des visas, que nous ferions bien de libéraliser.

Cependant, le dossier essentiel est celui de l'énergie, secteur pour lequel s'impose la nécessité d'un nouveau partenariat. Or le souhait de la Russie est que le pays producteur, c'est-à-dire elle-même, les pays de transit d'Europe centrale et les pays consommateurs s'assoient autour d'une table pour trouver un accord. De notre côté, préparant notre présidence, notre souci a été de prévenir une crise énergétique similaire à celle de janvier 2009, lors du conflit gazier qui a opposé la Russie et l'Ukraine, même si les conséquences de cette crise ont bien été gérées par la Commission et par la présidence suédoise, de concert avec la présidence espagnole. Étant donné le nouvel esprit qui anime la Fédération de Russie, l'Union européenne doit accorder une importance stratégique à ses relations avec ce pays.

S'agissant de l'Union pour la Méditerranée, l'Espagne a toujours appuyé l'initiative du Président Sarkozy visant à donner un nouvel élan au long processus de Barcelone, qui a fait l'objet de nombreuses critiques – on lui a reproché notamment d'avoir déçu les attentes qu'il avait fait naître. Mais cette impulsion politique ne va pas faire disparaître toutes les difficultés, aussi longtemps que le Proche-Orient n'est pas pacifié et que les rapports intramaghrebins ne sont pas apaisés. Nous travaillons à faire avancer le processus de paix au Proche-Orient et susciter ainsi des conditions politiques favorables à la consolidation de l'UPM.

L'UPM, c'est aussi un nouveau cadre institutionnel, notamment un secrétariat général et une coprésidence. L'Espagne souhaite que le secrétariat général puisse commencer ses travaux au plus tôt. Il y a quelques heures, nous avons reçu le feu vert de l'Égypte et de la France pour la tenue d'un second sommet en juin, à Barcelone. Nous y traiterons les quatre dossiers retenus lors du sommet de Paris : les autoroutes de la mer, le développement des PME, le plan solaire méditerranéen, l'environnement. Ce sommet nous permettra également d'aborder l'ensemble des questions économiques et commerciales, de mobiliser les sociétés civiles, de nouer des partenariats stratégiques et énergétiques avec l'Afrique du nord, d'établir des garanties de protection de la sécurité alimentaire, d'instaurer une culture de la recherche. Telles sont les initiatives que la présidence espagnole souhaite voir inscrites à l'ordre du jour du sommet de Barcelone.

Aux yeux de l'Espagne comme de la France, et pour un projet d'avenir commun aux pays de la Méditerranée, il est fondamental d'apporter une réponse définitive à la question du Sahara occidental. L'Europe doit appuyer les initiatives des Nations Unies en ce sens – la dernière en date étant la réunion informelle de représentants du Front Polisario et du Maroc, qui s'est tenue pendant deux jours sous l'égide de l'ONU à Manhasset, près de New York. Si cette réunion n'a pas été une réussite totale, elle s'est cependant achevée sur un engagement de poursuivre les négociations. Les pays influents dans cette région, tels que l'Espagne, la France ou les États-Unis ont une responsabilité particulière. Étant donné les derniers épisodes du conflit du Sahara occidental, ces pays, notamment la France et l'Espagne, devraient, au lieu de soutenir chacun une des parties au conflit, proposer une vision commune et s'engager à trouver une solution définitive incluant le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui. Cela ne pourra se faire que par le dialogue, sous l'impulsion des Nations Unies et, surtout, grâce à un nouvel engagement de l'Algérie et du Maroc qui ont toujours leur frontière fermée et qui doivent se résoudre à une rencontre physique. Il n'est pas normal qu'un tel conflit frontalier persiste au début du XXIeà quelques kilomètres de nos rives ! Même les États-Unis sont prêts à s'engager de manière différente.

Il ne s'agit pas seulement des droits légitimes du peuple sahraoui : il s'agit de notre stabilité et de notre sécurité à tous. Les récents enlèvements d'un ressortissant français au Mali et de ressortissants espagnols en Mauritanie, ainsi que l'assassinat de ressortissants français dans ce dernier pays, viennent nous rappeler l'urgente nécessité du développement économique et social de l'Afrique du nord. On se mobilise en ce moment pour lutter contre Al Qaïda au Yémen : ne voit-on pas que la Somalie et le Sahel commencent à être touchés par les mêmes problèmes ? Or c'est notre frontière, notre hinterland, notre zone d'influence.

Le projet de Tanger-Med, monsieur Dupré, est un chantier très important, dont les retombées seront positives pour le port espagnol d'Algesiras, par l'intensification du trafic et des échanges et les économies d'échelle que permettra sa réalisation. D'une façon générale, le développement du nord du Maroc ne peut qu'être bénéfique, non seulement pour le Maroc, mais aussi pour l'ensemble de l'Europe. Pour toutes ces raisons, l'Espagne ne peut qu'être favorable à cette initiative.

Vous me demandez quelle doit être l'attitude de l'Union européenne face à ces nouveaux acteurs économiques que sont les pays émergents. Je vous répondrai que les Européens doivent d'abord croire en eux-mêmes. Tant que nous nous complairons dans la peur, le défaitisme et dans des discours infondés sur notre prétendue décadence, les pays émergents, eux, continueront à gagner des parts de marché. Ne devrait-on pas plutôt, en dépit des difficultés économiques et financières qui frappent en ce moment la zone euro, rappeler le succès du modèle européen et les acquis de la construction européenne ? Il nous faut simplement renforcer notre productivité. Or où sont les plus grands gisements de compétitivité dans le monde, sinon dans l'éducation, la recherche, l'innovation, les universités ? L'Europe n'a-t-elle pas tous les atouts pour rivaliser avec le faible coût de la main-d'oeuvre chinoise et l'abondance des matières premières en Amérique ou en Afrique ?

Faisons du marché unique européen un marché plus ambitieux. Mettons en place, par exemple, un marché unique de l'énergie, qui nous permettrait de réduire notre dépendance énergétique de 40 %, au bénéfice de l'investissement, ou encore un marché unique des télécommunications, secteur où l'Europe bénéficie d'une valeur ajoutée. Pourquoi se complaire dans le sentiment d'une lente décadence ? C'est à nous de réagir et de donner aux pays émergents l'envie de travailler avec nous : le traité de Lisbonne nous en donne les moyens, pourvu que nous ayons confiance en nous-mêmes.

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