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Intervention de Miguel Ángel Moratinos

Réunion du 16 février 2010 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Miguel Ángel Moratinos, ministre des affaires étrangères et de la coopération du Royaume d'Espagne :

En économie, monsieur Glavany, la confiance est la clé de tout. Vous pouvez avoir les meilleurs résultats économiques et financiers : sans confiance, tout l'édifice risque de s'effondrer. Voilà pourquoi le dernier conseil européen a envoyé le message que l'Union européenne est pleinement solidaire de tous les États membres en difficulté et prête à décider un paquet de mesures de sauvetage afin d'éviter une crise majeure. C'est l'élément le plus important dans la déclaration du Conseil. Certes, chaque pays est un cas particulier et a des devoirs : ECOFIN a fixé aujourd'hui les conditions à respecter par la Grèce en contrepartie des efforts consentis pour faciliter sa sortie de crise. Ce que je retiens cependant, c'est ce message de solidarité européenne.

En ce qui concerne le Proche-Orient, j'ai évidemment fait le choix de l'optimisme de la volonté, celui de la raison conduisant à des constats assez sombres. Tout a changé depuis l'époque où j'étais envoyé spécial de l'Union européenne dans cette région. Dans les années 1996-1997 en effet, il s'agissait encore d'un conflit israélo-arabe traditionnel, dont les enjeux étaient territoriaux, de paix et de sécurité. Aujourd'hui, même si cette dimension traditionnelle subsiste, le contexte régional et international est marqué par la crise iranienne, l'émergence d'un radicalisme islamique et le terrorisme. Si ces changements ont rendu la solution plus complexe, ils ont paradoxalement rapproché les intérêts stratégiques d'Israël et des pays arabes. M. Netanyahou et le roi d'Arabie Saoudite savent qu'ils ont également besoin de la paix. C'est ce qui me rend optimiste : la situation géopolitique actuelle rend la paix entre Israël et les Palestiniens inévitable. Certes les négociations de paix seront difficiles, étant donné les contraintes nationales, internationales, territoriales, de sécurité etc. qui pèsent sur chacune des parties. Mais l'administration Obama s'est engagée fortement. L'Union européenne n'est pas en reste, avec cette déclaration, adoptée sous la présidence suédoise, qui indique très clairement et très fermement sa position : le soutien à la solution des deux États.

Ce qu'il faut maintenant, c'est réenclencher le processus de paix. Malheureusement, depuis un an et demi et l'arrivée d'un nouveau Premier ministre israélien, il y a toujours eu une raison pour différer le début des négociations. Je fais cependant confiance à M. Netanyahou : même s'il a retardé l'application des accords d'Oslo, il a quand même signé un accord avec Arafat, comme cela a été rappelé, et, contre l'idéologie de son parti, le Likoud, il accepte la solution des deux États.

Les dernières initiatives de l'administration américaine, du sénateur Mitchell, de l'Union européenne et de moi-même, comme de tous les pays engagés dans ce processus, ont toutes pour but la reprise du dialogue. Il est important que les discussions s'engagent sérieusement entre Israël et Palestine d'ici à deux ou trois mois, avant que les relations avec l'Iran ne se tendent encore.

J'espère également que pourra s'entamer un dialogue israélo-syrien. Puisque la Syrie a exprimé le souhait qu'Ankara joue les bons offices, impliquer la Turquie, dont le rôle régional est important, dans ces négociations serait un moyen de la ramener dans l'axe occidental que vous avez évoqué.

Je répète qu'il est essentiel d'impulser cette dynamique de paix avant que nos relations avec l'Iran ne se détériorent encore. Sinon, c'est le pessimisme de la raison qui devra l'emporter.

Monsieur de Charette, la division des tâches définie par le traité de Lisbonne est claire : désormais, c'est le président du Conseil européen qui a toutes les capacités. D'ailleurs, le document qui a servi de base aux discussions, quoique élaboré en concertation avec M. Zapatero, qui assure la présidence tournante, est bien l'oeuvre du président Van Rompuy. Mais si c'est à lui que revient le soin de convoquer le Conseil européen, c'est au conseil « Affaires générales », sous présidence tournante, de préparer celui-ci. Le Conseil « Affaires générales » dispose en effet d'une plus grande capacité d'accompagnement et de préparation et est chargé de la coordination.

Cependant, avant tous les conseils « Affaires générales », je m'entretiens avec M. Van Rompuy de ce que l'on doit discuter et de l'agenda. C'est nous qui avons insisté pour qu'il puisse assister à ce conseil « Affaires générales », ce qui n'était pas prévu. En outre, lundi prochain, nous discuterons de la stratégie économique en sa présence, afin qu'il soit le maître du jeu du Conseil européen. C'est que le conseil « Affaires générales » est, selon le mot de Jacques Delors, « le conseil des conseils » : c'est lui qui assure l'arbitrage politique, d'autant que, depuis l'adoption du traité de Lisbonne, les ministres des affaires étrangères ne sont plus membres de droit du conseil européen. M. Lellouche, secrétaire d'État français chargé des affaires européennes, a d'ailleurs confirmé, dans une lettre à la présidence espagnole, le rôle d'arbitre et de coordinateur des différents conseils européens que doit jouer le Conseil « Affaires générales ».

Il est vrai que nous avons tardé à mettre sur pied le secrétariat général de l'UPM. Mais une fois cela fait, l'UPM pourra se mettre immédiatement au travail. Le secrétaire général et les secrétaires généraux adjoints ayant été nommés, il nous reste, madame Guigou, à négocier les compétences du représentant turc et du représentant grec – mais nous sommes à la veille de donner satisfaction à l'un et l'autre pays.

En tant que ministre des affaires étrangères de l'Espagne, je dois, monsieur Remiller, témoigner de la reconnaissance de toute l'Espagne pour la contribution de la France à la lutte contre l'ETA. C'est grâce à la collaboration extraordinaire entre nos deux pays que l'ETA est désormais en perte de vitesse, ses appuis fondant aussi bien dans la communauté internationale que dans un pays basque espagnol qui dispose désormais d'un gouvernement solide, répondant aux besoins des citoyens. Ce n'est pas une raison pour baisser la garde, et nos autorités de police et de justice restent mobilisées en permanence par ce travail commun.

Il est vrai, madame Ameline, que l'Europe est la première puissance en matière d'aide au développement, sans jouir d'une visibilité à la hauteur de sa contribution. Ainsi par exemple, l'aide européenne au développement du Laos est de 190 millions d'euros, si on additionne les contributions de tous les États membres, alors que l'aide chinoise est de 120 millions d'euros par an. Mais la Chine est une puissance politique qui pèse au Laos, alors que les Laotiens n'ont pas conscience que l'Europe est leur premier bailleur de fonds.

Vous pouvez imaginer ce qu'il en est de l'Afrique. La gratitude exprimée par le Premier ministre éthiopien à M. Zapatero pour l'aide de l'Europe, à l'occasion du sommet de l'Union africaine qui s'est tenu récemment à Addis Abeba, se teintait d'une certaine amertume : l'aide européenne a pour but de nous maintenir en vie, nous a-t-il dit, mais non de transformer l'Afrique. Quand les Européens contribuent essentiellement aux programmes éducatifs, au financement des hôpitaux et de la santé, les Chinois financent des routes, des barrages, des grandes écoles, des universités. De tels propos prouvent que l'Union européenne doit sérieusement réviser sa politique d'aide au développement. C'est l'un des grands enjeux de la future politique européenne. Il ne s'agit pas seulement de gagner de l'influence, mais surtout de sortir du cercle vicieux où l'aide ne fait qu'entretenir la marginalisation de l'Afrique.

Si la Turquie perd l'espoir de jamais entrer dans l'Union européenne, elle sera encline à rechercher d'autres hinterlands. C'est d'ailleurs ce à quoi on assiste en ce moment, la nouvelle politique étrangère turque visant à développer le rôle de ce pays en Asie centrale, au Caucase, voire en Afrique et en Iran. Par peur, l'Europe se prive de l'atout stratégique que constituerait pour elle ce pays. Nous avons tous à gagner à une modernisation de la Turquie qui lui permettrait de faire face aux enjeux de ce siècle.

Pour recevoir le dalaï-lama, il faudrait un consensus qui n'existe pas au sein de l'Union européenne. Tout ce que peut faire l'UE, c'est encourager le dialogue entre le Tibet et les autorités chinoises.

Nous avons beaucoup avancé en matière de régulations financières, madame Guigou, puisque les propositions issues du dernier conseil sous présidence suédoise, relatives à la création d'un comité européen du risque systémique, d'un système européen de surveillance financière et d'autorités européennes de supervision financière, sont désormais soumises à l'examen du Parlement européen. Quant à l'idée d'un fonds monétaire européen, elle ne manque pas d'intérêt, mais on doit être prudent quand on exerce la présidence ! On a déjà reproché à M. Zapatero d'avoir été trop ambitieux en parlant de gouvernance économique. Chaque chose en son temps.

En revanche, la présidence espagnole et le président Van Rompuy travailleront à la mise en place d'une communauté européenne de l'énergie.

Nous voulons donner plus de poids au conseil « Affaires générales » parce que c'est une instance plus politique, mais il revient aux ministres de prendre cette responsabilité.

Le sommet entre l'Union européenne et les États-Unis se heurte à un problème de calendrier. En tout état de cause, il ne saurait avoir lieu en marge de la réunion de l'Alliance atlantique à Lisbonne.

En ce qui concerne les propositions de M. Junker, monsieur Garrigue, le rôle de l'Eurogroupe, première instance de discussion, de réflexion et de proposition, doit être renforcé. Par ailleurs, s'il y a coordination des politiques économiques européennes, l'Union n'est malheureusement pas encore en mesure de se doter d'une politique économique commune. Si on peut envisager dans l'avenir une gouvernance économique de l'Europe, nous devons encore convaincre tous ceux qui jugent cette perspective irréaliste.

Quant au dialogue intrapalestinien, c'est aux Palestiniens de l'engager. Or, si le président Abou Mazen a signé la proposition d'accord présentée par les Égyptiens, ce n'est pas le cas du Hamas. Par ailleurs, le Hamas doit accéder à ces demandes raisonnables : renoncer à la violence, reconnaître Israël et les accords précédents. C'est donc la responsabilité du Hamas qui est en jeu, pas celle de l'Union européenne.

Même si l'avis du service juridique de mon ministère a été sollicité pour savoir si l'entrée en application du traité de Lisbonne avait des incidences en la matière, la participation des parlementaires espagnols à l'UEO relève de la décision du Parlement espagnol.

Selon mes informations, un plan de sauvetage de l'A400M doit être mis sur pied. Il ne peut en être autrement étant donné l'importance des enjeux. S'agissant d'un projet aussi extraordinaire, atout incomparable pour l'industrie européenne, il est hors de question que les États qui participent à ce projet ne parviennent pas à trouver une solution à ses difficultés financières.

Le continent africain n'est pas le continent du futur : c'est le continent d'aujourd'hui. Pourtant, alors que l'Europe est sa voisine, et en dépit d'une présence européenne de longue date, l'Afrique a été jusqu'ici la grande oubliée des politiques européennes. Aujourd'hui les Africains demandent une place de protagoniste sur la scène internationale. Voilà ce que sera, à mon avis, le grand enjeu de la politique étrangère européenne : établir une relation différente avec l'Afrique. Cela suppose une vision différente, une coresponsabilité, une appropriation par les Africains de leur destin et un changement de notre politique de coopération et de développement. Ce continent aura besoin de ressources financières supplémentaires pour faire face aux nouveaux fléaux et aux nouvelles difficultés économiques et sociales suscités par les bouleversements internationaux. L'Afrique sera donc notre priorité.

Mais elle n'est malheureusement pas encore inscrite à l'ordre du jour de nos débats. Lors de la conférence de Munich sur la sécurité, j'ai rappelé que le grand enjeu en matière de sécurité, c'était l'Afrique, la pauvreté, les migrations, le terrorisme. Pourtant, pas un Africain n'avait été invité à débattre. Nous restons entre nous, à discuter de nos inquiétudes, sans entendre ce continent frapper à notre porte, hormis lorsqu'un frêle esquif rempli de ressortissants africains s'échoue sur nos côtes. Alors que l'agenda du Conseil de sécurité lui est consacré à 80 %, il n'y compte pas un seul membre permanent. Seule l'Afrique du sud est représentée au G 20. Bien que l'Europe – notamment la France, mais aussi la Grande-Bretagne, l'Espagne et le Portugal –, soit liée à l'Afrique par l'histoire, la culture, les langues, le continent africain ne lui paraît pas constituer un enjeu stratégique suffisamment important.

Le traité de Lisbonne ouvre de nouvelles ambitions en matière d'intégration européenne : désormais la politique européenne de sécurité et de défense, PESD, est devenue la politique de sécurité et de défense commune, PESDC. Lors de la conférence de Munich, le ministre allemand des affaires étrangères a d'ailleurs proposé la création d'une armée européenne, initiative soutenue par l'Espagne. Certes, l'identité européenne de défense ne doit pas entrer en conflit avec le nouveau concept stratégique de l'OTAN. Mais cela n'empêche pas d'appliquer le traité de Lisbonne en matière de politique commune de sécurité et de défense. C'est notre avenir ; c'est l'avenir de l'Europe.

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